vendredi 22 août 2014

Au-dessous du volcan - Malcolm Lowry

Je ne sais pas si, comme moi, vous avez l’habitude de sauter les avant-propos, préfaces et autre postfaces avant de vous lancer dans un roman mais, pour le coup, je vous conseille de ne pas faire l’impasse sur celles qui ont accompagné la publication d’Au-dessous du volcan en France à la fin des années 50 et que l’on retrouve dans cette version chez Folio. Vous y trouverez les clés indispensables pour bien comprendre la substantifique moelle de ce texte que Paul Morelle n’a pas hésité à qualifier dans Le Monde de « chef d’œuvre comme il n’en existe pas dix par siècle ».

C’est un fait, Au-dessous du volcan n’est pas simple d’accès. Il demande de l’attention, il vous pousse dans vos derniers retranchements de lecteur. Le premier chapitre, d’une centaine de pages, est déstabilisant, presque inintelligible. Il se dresse comme un mur qu’il vous faudra contourner pour accéder à ce monument de la littérature, rien de moins. L’histoire est pourtant simplissime. Un homme, consul britannique déchu, échoué dans un coin perdu du Mexique, noie son mal-être dans la tequila et le mescal. Douze chapitres retraçant ses douze dernières heures, sa chute vertigineuse et inéluctable. Yvonne, sa femme, qui l’a quitté, qui revient, qui l’aime et qu’il aime, ne pourra que constater les dégâts, impuissante. Dans l’avant-propos, Maurice Nadeau parle de l’histoire d’amour du consul et d’Yvonne comme d’une « des plus belles et des plus poignantes qu’on ait jamais lues. »

Mais Au-dessous du volcan ne se résume pas à une magnifique histoire d’amour impossible. C’est « le roman d’un alcoolique qui, avec une lucidité effrayante et une suprême maîtrise de moyens, décrit tous les symptômes de sa maladie et lui trouve ses véritables causes, qui ne sont pas du ressort de la médecine » (Nadeau, encore). Car le consul est malade de l’âme, incapable d’aimer, incapable de communier avec l’autre. On assiste au spectacle de son dérèglement, à sa volonté délirante de dépasser l’ivresse pour accéder à l’absolu. Et le consul de finir abattu par des policiers fascistes à la sortie d’une gargote. Il bascule dans un ravin, mort. Quelqu’un jette auprès de lui le cadavre d’un chien.

Dis comme ça, ça fait ne fait pas très envie, je le concède. Mais ce roman est proprement fascinant. Sa construction, son exigence, son style inclassable en font un texte à part, essentiel, et je me répète, un monument de la littérature.

Extraits : 

« Ne te reste-t-il donc plus de tendresse ou d’amour pour moi ? demanda soudain Yvonne, presque piteusement en se tournant vers lui, et il pensa : Si, je t’aime, et il me reste pour toi tout l’amour du monde, mais cet amour me paraît si loin de moi, et si étrange aussi, je pourrais prétendre l’entendre, un bruit sourd et un sanglot, mais loin, très loin, un son triste, perdu, et qu’il s’approche ou s’éloigne, je ne saurais le dire. »

« Le consul, suçant une tranche de citron, sentit le feu de la tequila courir le long de sa colonne vertébrale comme la foudre frappant un arbre qui ensuite, par miracle, fleurit. »

« Il pria : Je vous en prie, accordez à Yvonne son rêve d’une vie nouvelle avec moi – je vous en prie, laissez-moi croire que tout cela n’est pas une abominable duperie de moi-même – je vous en prie, laissez-moi la rendre heureuse, délivrez-moi de cette effrayante tyrannie de moi. Je suis tombé bas. Faites-moi tomber encore plus bas, que je puisse connaître la vérité. Apprenez-moi à aimer de nouveau, à aimer la vie. »

Yvonne, s’adressant au consul : « Est-ce trop tard ? Je veux des enfants de toi pour bientôt, pour tout de suite, je les veux. Je veux sentir ta vie m’emplir et m’agiter. Je veux ton bonheur sous mon sein et tes peines dans mes yeux et ta paix entre les doigts de ma main. […] Tu marches au bord d’un gouffre et je ne puis te suivre. Si nous pouvions sortir de notre misère, nous chercher une fois encore, et retrouver la consolation de nos lèvres et de nos yeux. Qui s’interposera ? Qui peut s’opposer. »

Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry. Folio, 2012. 636 pages. 9,40 euros.


Et en plus c'est mon pavé de l'été (de l'année même !) chez Brize




47 commentaires:

  1. Honte à moi je ne le connaissais même pas, je l'ai découvert dans la sélection des 10 romans de 100 écrivains français de télérama dont j'ai parlé récemment ! Je tenterai sûrement !

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  2. J'ai essayé deux fois et j'ai calé deux fois mais je ne renonce pas : il est toujours dans ma bibliothèque à attendre son heure !

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    1. C'est un livre qui peut résister longtemps au lecteur, incontestablement ;)

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  3. Les extraits que tu donnes sont propres à me pousser vers cette lecture, mais ce que tu en dis d'autre me rebute, arf. J'hésite !

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  4. Une sacrée lecture qui a l'air d'avoir ravi ton cœur de lecteur exigeant... Et finalement, c'est tant mieux si ce genre de romans ne croisé pas notre route tous les quatre matins, ils n'en sont que plus précieux... (Pas dit que je le mise un jour cela dit, il me fait peur j'avoue...)

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    1. Une lecture exigeante, rare et précieuse, oui. Pas le genre d'ouvrage que je lirais à longueur d'année mais il faisait partie depuis longtemps de mes "objectifs" incontournables et je suis ravi d'en être venu à bout.

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  5. Et bien il faut que je me penche sur ce cas ... ;-)

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  6. Ah je l'attendais avec fébrilité ce billet-là et je ne suis pas déçue ! On me l'avait beaucoup conseillé ce titre-ci et tu enfonces définitivement le clou avec ce genre d'article dont tu as le secret. Ce livre a tout pour me plaire. Plus que convaincue donc, ce sera mon prochain achat !

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    1. Chouette ! (enfin j'espère parce que bon, il y a toujours le risque que tu ne sois pas embarquée par la prose fougueuse de Lowry. Hâte de lire ton avis en tout cas !

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  7. Le pire, c'Est que je suis curieuse de le lire, ce roman-monument... mais ces 100 premières pages me font une peur BLEUE!

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    1. Il fait partie de ces romans impressionnants devant lesquels on se sent tout petit !

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  8. c'est un chef d’œuvre et je l'ai lu plusieurs fois , il faut absolument passer le premier chapitre, s'accrocher parfois avec l'énergie du désespoir mais ça vaut vraiment la peine.
    Un jour je le mettrai sur mon blog mais je veux le relire exprès pour ça
    Luocine

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    1. "s'accrocher parfois avec l'énergie du désespoir", j'adore cette vision, c'est vraiment ce que j'ai ressenti parfois au cours de la lecture. C'est un roman qui se mérite !

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  9. Je rejoins Luocine, c'est le roman avec lequel je me suis peut-être le plus coltinée, mais LE roman qui m'a ouvert la porte de la littérature américaine ( avec "Lolita" de Nabokov). Moi aussi j'aimerai bien en parler sur mon blog, avec d'autres livres qui m'ont profondément marquée comme "La recherche", mais il faudrait que je les relise. Les lectures exigeantes ne peuvent se traiter par dessus la jambe et donc bravo pour ta note !

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    1. Je te rejoins sur le fait que les lectures exigeantes méritent que l'on s'attarde avec une attention particulière sur leur cas. C'est quand même la moindre des choses il me semble.

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  10. J'étais adolescente lorsque je l'ai lu. Une plongée insondable, sans nom (moi qui ne sais pas nager).. Mais le souvenir d'une connaissance, intuition, profonde de l'humain, de la douleur, de l'envie pourtant.
    Je l'ai relu bien des années plus tard, et j'en ai évidemment -maturité oblige- compris d'autres choses, j'ai souffert et frémi et pensé.

    Amélie
    Et aimé.

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    1. On plonge littéralement dans l'âme tourmentée du consul et on n'en ressort pas indemne. C'est ce que j'ai aimé finalement.

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  11. Je l'ai lu trop jeune, je pense être passée à côté. Il faudrait que je le relise maintenant.

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    1. C'est un roman qui demande une certaine maturité de lecteur je pense.

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  12. Tiens tiens, moi qui aime relire, pourquoi ne pas me lancer dans la relecture de ce roman grandiose ? Merci pour le rappel !
    Et bon week end.

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    1. C'est incontestablement un roman qui mérite plusieurs lectures.

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  13. Si c'est un chef d'oeuvre, il serait bête de passer à côté alors.

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    1. Je ne sais pas. Les chefs d'oeuvre sont parfois difficiles à lire.

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  14. Mais euh ! Tu avais dit que tu avais lu une floppée de déceptions livresques ou pas coup de coeur avant Yparkho ! Moi j'appelle ça un coup bas pour les PAL ! (t'es fort quand même parce que alcool + histoire d'amour, normalement je passe mon chemin sans regret, mais là, je sens qu'il y a autre chose qui pourrait me parler - pfffrt !).

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    1. Je n'ose pas te le conseiller pour autant. C'est un choix personnel ce genre de lecture, pas un choix sous influence ;)

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    2. Oui, en même temps il fait partie des incontournables de la Littérature. Je me dois de l'essayer un jour.^^

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    3. Certes, ça ne coûte rien de l'essayer, quitte à y rester hermétique (tu ne serais pas la première, loin de là...).

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  15. je ne connaissais pas! S'il est fascinant...

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    1. Il est fascinant par la forme et par le fond. Mais il pourrait aussi te laisser à quai...

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  16. Pour une lecture de vacances, ce fut plutôt rude, non ?

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    1. Oui mais c'est aussi le moment où je suis le plus disponible pour accueillir des textes comme celui-là.

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  17. Tiens, tiens. Tu me tentes. Il faut dire qu'avec une mise en bouche pareille « chef d’œuvre comme il n’en existe pas dix par siècle » on ne peut qu'être curieux de le découvrir.
    (Moi, j'ai la flemme de rédiger ma chronique sur mon pavé de l'été. Ceci dit, je l'ai lu, c'est déjà une prouesse.)

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    1. Félicitations alors si tu as lu ton pavé ! Moi je suis content d'être venu à bout de celui-là.

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  18. Tu en parles bien et les extraits me plaisent beaucoup.

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    1. Disons que j'avais envie de bien en parler. Mais parfois, on en reste aux intentions ;)

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  19. J'ai connu les ravages de l'alcoolisme sur le malade et sur sa famille peut être serait ce un livre pour mieux comprendre mais je ne me sens pas encore prête

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    1. Non, ce n'est pas du tout un livre pour mieux comprendre l'alcoolisme et ses ravages, c'est avant tout et surtout une prouesse littéraire comme on a peu l'occasion d'en lire.

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  20. Arghh ! Un incontournable-pas-facile ! Je le connaissais de nom, sans plus. Là, je me dis qu'il va falloir y aller ... mais quand je serai disposée à aborder un texte de ce genre.

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    1. C'est un peu une montagne à gravir mais c'est aussi un vrai plaisir d'arriver au sommet.

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  21. Ce livre est absolument extraordinaire, en fait il y a plusieurs livres dans cet ouvrage : c'est l'un de ceux que je préfère.
    Un travail littéraire et psychologique de la culpabilité, et de la pitié, de l'amour et du pardon impossible sur cette terre...sans oublier la recherche de la connaissance et de la vérité dans l'alcool.
    Vu récemment l'adaptation cinématographique, réputée impossible, de John Huston avec un Albert Finney époustouflant dans le rôle du Consul.

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    1. Plusieurs livres, plusieurs niveaux de lecture et compréhension. Un vrai chef d'oeuvre, quoi !

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  22. Découvert par l'univers d'Hubert-Félix Thiéfaine ("redescente climatisée" et "pulque, mescal y tequila"). Très ardu et j'étais mal concentré (obligé de reprendre une phrase trop longue depuis le début pour comprendre ce qui se racontait). J'ai aussi le souvenir d'un passage où les personnages marchent dans une rue tapissée d'affiches pour un tournoi de boxe je crois et la narration répète le texte de l'affiche à chaque fois que les personnages passent devant une nouvelle. Ca m'avait frappé, la situation était particulière, le contexte tendu avec le consul, sa femme de retour, l'ami et amant avec eux je crois déjà à ce moment là et ce vers quoi le texte portait notre attention c'était une rangée d'affiches. Au final, c'est le passage qui m'avait le plus marqué, mais il faudrait que je le relise pour voir.

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