mercredi 8 novembre 2023

Maltempo - Alfred

Mimmo traîne son ennui dans une petite bourgade du sud de l'Italie. Entre la Méditerranée et la garigue, entre les journée passées à arpenter les rues poussiéreuses et à fuir les ados de son âge délinquants en devenir, ses perspectives d'avenir sont bien maigres. A 15 ans, Mimmo rêve de musique et gloire. Sa guitare ne le quitte jamais, elle est selon lui son passeport pour un ailleurs meilleur. Il faudra juste ne pas rater l'occasion quand elle se présentera... 

Je me réjouissais de revenir sous le soleil brûlant de l’Italie avec Alfred tant j’avais adoré Come Prima et Senso. La déception est malheureusement à la hauteur de mes attentes. La veine est moins poétique, moins philosophique, plus réaliste que dans les deux albums précédents de sa trilogie italienne. Les thèmes abordés sont d’actualité mais la touche sociale ne sonne que comme une partie du décor, rien de plus. Et puis cette histoire « adolescente » m’a moins touché que les récits mettant en scène les adultes. On a l’impression de rester à la surface, de ne pas creuser la psychologie des personnages, d’en être maintenu à distance. Ici il n’y a pas de surprise, tout est convenu, même la fin.

Heureusement il reste la patte d’Alfred, sa capacité à faire ressortir avec un minimalisme bluffant la chaleur étouffante, cette espèce de langueur qui emprisonne des village paumés et isolés du reste du monde. Les cases muettes sont paradoxalement les plus parlantes et le « lâcher-prise graphique » choisi pour montrer les musiciens en pleine répétition est aussi surprenant que réjouissant.

Malgré le charme des dessins, je sors de cette lecture déçu. Essentiellement à cause du manque de profondeur du propos et du manque d’épaisseur des personnages. Mais aussi et surtout parce qu’Alfred est un de mes auteurs préférés et que chacun de ses albums doit forcément être pour moi une grande claque et un immense plaisir. Ce n’est pas le cas cette fois, vivement la prochaine !

Maltempo d’Alfred. Delcourt, 2023. 185 pages. 23,95 euros.




Les BD de la semaine sont à retrouver chez Moka 











lundi 6 novembre 2023

Mississippi - Sophie G. Lucas

De 1839 à 2006. D’Impatient Lansard le vigneron à Odessa la photographe. De la Haute-Saône à La Nouvelle Orléans en passant par Paris et New-york. De la Commune à l’ouragan Katrina en passant par la première Guerre Mondiale et la colonisation. Sophie G. Lucas déploie une destinée familiale sur plus de cent soixante ans. D’une période à l’autre, d’un lieu à l’autre, elle parcourt l’arbre généalogique comme on descend un fleuve au cours tumultueux. 

« La Geste des ordinaires ». Ce sous-titre résume à merveille l’enchevêtrement de ces destins individuels dans la grande Histoire collective du monde, un monde où les aspirations à l’émancipation se heurtent, quelles que soient les époques, à d’insurmontables obstacles. 

Un premier roman culotté. Culotté parce qu’il ne va pas vers la facilité. Les voix qui s’expriment dans chaque chapitre ont toutes un timbre différent, on navigue entre des récits à la première et à la troisième personne, le rythme change sans cesse, déstabilise parfois, l’usage excessif des parenthèses agace souvent mais participe à cette forme d’exigence dans l’écriture qui ne sonne jamais artificiellement. Sophie G. Lucas ne se regarde pas écrire, elle ne donne pas dans l’emphase, dans la démonstration littéraire sans âme. Exigeant mais accessible, son texte est une grande réussite, de celles qui lancent une carrière d’écrivain sur les meilleurs rails possibles.

Mississippi de Sophie G. Lucas. Éditions La Contre Allée, 2023. 180 pages. 18,00 euros.








mercredi 1 novembre 2023

Les royaumes muets - Séverine Gauthier et Jérémie Almanza

Après avoir trouvé des squelettes dans le placard de sa chambre, Perséphone descend malgré elle jusqu’aux Royaumes Muets, là où règne La Mort. Dis comme ça, le pitch peut surprendre. Pour être plus clair, disons que Perséphone est une enfant bien vivante qui se retrouve un soir nez à nez avec Charles et Théophile, des collecteurs de soupirs au service de la Grande Faucheuse. Ils sont venus récupérer le dernier souffle du voisin de la petite fille, récemment décédé, mais ils sont en retard de deux jours, ce qui risque de faire échouer leur mission et de condamner le défunt à une errance éternelle. Bon, je vous l’accorde, ce n’est pas forcément plus clair mais finalement tant mieux, je m’en voudrais de déflorer une intrigue aussi surprenante.

Leur Cœur de pierre m’avait enchanté il y a dix ans, c’est donc avec un plaisir non dissimulé que je retrouve aujourd’hui le duo Séverine Gauthier/Jérémie Almanza. Leur nouvel album aborde les thématiques de l’enfance et de la mort avec une forme de poésie qui n’a rien de macabre. L’univers des Royaumes muets est fascinant et la représentation de l’au-delà déborde d’originalité. Les dialogues fonctionnent à merveille et malgré un sujet pesant, la lecture n’aura jamais rien d’anxiogène ou d’effrayant pour les jeunes lecteurs. 

Graphiquement, le trait de Jérémie Almanza possède toujours ce charme indéfinissable qui fait mouche à chaque page. On pense bien sûr à Tim Burton mais, au-delà de cette évidente référence, son style créé une atmosphère assez unique, entre le gothique victorien et une esthétique qui tire souvent vers le baroque. Les couleurs, les jeux de lumière, tout est pensé pour rendre au mieux les ambiances propres à chaque lieu et à chaque partie de l’histoire.

La fin laisse penser qu’une suite est plus que probable. J’espère vraiment que ce sera le cas, je me réjouis d’avance de retrouver Perséphone et ses drôles d’acolytes !

Les royaumes muets de Séverine Gauthier et Jérémie Almanza. Éditions Oxymore, 2023. 80 pages. 18,95 euros.



La BD de la semaine, c'est aujourd'hui chez Fanny










lundi 30 octobre 2023

Rue des Boutiques Obscures - Patrick Modiano

Guy Roland ne sait plus qui il est. Une première rencontre va lui permettre d’avancer sur le sentier de la mémoire. Et à partir d’une photo trouvée au fond d’une boîte, Guy va faire resurgir les moments marquants de son passé. Du moins le croit-il. Car les indices restent fragiles, la succession des personnages croisés va peu à peu former un portrait incomplet et sans réelles certitudes de ce qu’aurait pu être sa vie avant l’amnésie. Au fil de cette enquête intime de douloureux souvenirs vont affleurer et esquisser le tableau imparfait d’une existence constamment nimbée d’un brouillard difficile à dissiper. 

Les rue du Paris de l’après-guerre. Un personnage solitaire. L’impression que plus le mystère s’éclaircit, moins l’on s’approche de la vérité. La mélancolie qui prend le pas sur la nostalgie. Tous les ingrédients du récit modianesque sont ici à leur paroxysme. Comme toujours il est question de souvenirs et d’oubli. Comme toujours les fantômes du passé convoqués pour éclairer le parcours d’une vie ne sont souvent que des mirages. Ici, la schizophrénie guette. Car Guy n’est jamais sûr de rien. Chaque indice semble le glisser dans le costume d’un personnage différent, un personnage qu’il a pu être mais qu’il n’est pas certain d’avoir été. C’est troublant. Agaçant autant que fascinant. 

Un Modiano égal à lui-même. Le style est d’une parfaite simplicité, d’une fluidité proche de la pureté. L’intrigue vaut davantage pour son atmosphère que pour sa quête existentielle. J’ai aimé parcourir les rues d’un Paris froid et humide, grimper les escaliers branlant d’immeubles moribonds, franchir la porte d’appartements minuscules à la décoration surannée. Un roman d’ambiance, un poil vieille France, avec les téléphones à pièce, les bottins épais comme des parpaings, la fumée de cigarette dans les lieux publics et les photos sépia d’une époque où on ne pouvait pas faire de selfie. La vache, je crois que je suis en train de virer réac...  

Rue des Boutiques Obscures de Patrick Modiano. Gallimard, 1978. 215 pages. 20,00 euros.



Puisque la thématique du rendez-vous de Fanny et Moka est ce mois-ci Prix Goncourt vs Prix Nobel, je fais d'une pierre deux coups avec ce roman Goncourt 1978 et son auteur Prix Nobel 2014.




samedi 21 octobre 2023

Je ne suis pas la fille mexicaine dont vous rêviez - Erika L. Sanchez

Ça commence par un enterrement. Celui d’Olga, 22 ans, renversée par un bus. Julia, sa sœur cadette, est encore au lycée. Les parents, mexicains émigrés à Chicago dans les années 90, ont perdu une fille exemplaire et doivent dorénavant composer avec celle qui est considérée comme le mouton noir de la famille. La mère sombre dans la déprime et le père dans le silence. Julia, de son côté, rêve d’ailleurs. Elle imagine son futur loin de l’appartement et du quartier miteux où elle a grandi. Mais difficile de s’extraire d’un environnement où chaque fait et geste est surveillé et critiqué et où l’on ne cesse de vous comparer à la figure parfaite de celle qui n’est plus.  

Le titre est un parfait résumé de ce roman où l’emprise familiale musèle les désirs d’indépendance. Julia veut aller à l’université et quitter le nid étouffant où sa mère ne cesse de lui rappeler la place et le rôle de la femme dans la culture « traditionnelle » mexicaine. Un rôle effacé où l’entretien du foyer et la famille occupent le quotidien, où il faut rester « digne » et ne jamais faire de vague. Peu à peu, l’adolescente perd pied. Et personne ne semble s’en rendre compte, personne ne cherche à comprendre la situation invivable dans laquelle elle sombre chaque jour davantage.

Un roman d’émancipation féminine touchant. La critique de la communauté mexicaine repliée sur elle-même est aussi violente qu’argumentée et la souffrance de Julia parfaitement exprimée. Il est juste dommage que la traduction ne soit pas aussi littéraire que l’on aurait pu l’espérer (un « malgré que » m’a notamment fait saigner les yeux !). 

Je ne suis pas la fille mexicaine dont vous rêviez d’Erika L. Sanchez (traduit de l’anglais par Axelle Demoulin et Nicolas Ancion). Ellipsis, 2023. 330 pages. 18,90 euros.






mardi 3 octobre 2023

Big Girl - Mecca Jamilah Sullivan

Huit ans, soixante-seize kilos. Malaya se fiche de son apparence mais sa mère ne l’entend pas de cette oreille. Chaque semaine elle l’emmène à des réunions Weight Watchers qui ne servent à rien. Parce que Malaya a l’impression d’avoir toujours faim. Tout ce qui lui tombe sous la main finit dans son estomac. Les femmes de sa famille lui mettent sans cesse la pression, et si elle semble parfois faire quelques efforts, ils sont vite réduits à néant. Dans le Harlem des années 90, la fillette devenue adolescente ne passe pas inaperçue. On la montre du doigt, on lui fait comprendre que la perte de poids est une obligation. Question de santé mais aussi (et surtout) de féminité. Une forme de pression sociale avec laquelle il lui est de plus en plus difficile de composer.

Pour son premier roman, Mecca Jamilah Sullivan imagine un parcours de vie hors normes. Elle décrit une jeune afro-américaine en proie aux discriminations, tant de la part des blancs qu’elle fréquente à l’école que de sa propre communauté. Et si tout semble couler sur elle sans l’affecter, si elle refuse de s’apitoyer sur son sort, la souffrance est bien réelle. Il n’est pas simple pour Malaya de se défendre face aux injonctions d’une féminité que l’on cherche à lui imposer, ni de faire face au mépris et aux moqueries dont elle est l’objet.

Au-delà du rapport au corps, de la difficulté à trouver sa place, du regard posé sur les femmes, l’auteure interroge la façon d’occuper l’espace d’un point de vue à la fois politique, social et intime. Elle dessine également un tableau saisissant de Harlem, à une époque où la gentrification galopante s’apprête à définitivement modifier l’âme d’un quartier historiquement populaire.

Une belle entrée en littérature, sensible et engagée.

Big Girl de Mecca Jamilah Sullivan (traduit de l’anglais - États-Unis – par Valentine Leÿs). Plon, 2023. 490 pages. 22,50 euros.






lundi 25 septembre 2023

Les aventures de Tom Sawyer - Mark Twain

Les quadra comme moi connaissent Tom Sawyer essentiellement grâce au dessin animé diffusé au dans les années 80. Mais combien ont lu le texte intégral du roman (et non une version abrégée proposée par la plupart des éditeurs jeunesse) après avoir vu l’adaptation ? Une infime partie sans doute, et c’est bien dommage car ils auraient eu le plaisir de découvrir un livre « pour enfant » qui s’adresse en fait à tous les publics, un livre bien plus mature et complexe qu’il ne semble au premier regard.

Mark Twain a écrit Les aventures de Tom Sawyer en 1876. Le récit se base en grande partie sur des événements vécus par certains de ses camarades de classe lorsqu’il était enfant. Il a synthétisé dans le personnage de Tom plusieurs d’entre eux. A travers lui, c’est toute une vision de l’Amérique des pionniers qui s’exprime :  courage, grandeur d’âme, aventure, champs des possibles où les rêves les plus fous sont permis. Tom s’imagine en Robin des bois, en pirate, en chasseur de trésor, en redresseur de tort. Allergique à l’école, supportant difficilement les longues heures passées sur le banc de l’église, il ne s'épanouit qu'au grand air, faisant les quatre cents coups avec son copain Huck.

Condensé d'événements cocasses ou tragiques, hymne à la débrouillardise, Les aventures de Tom Sawyer dressent le portrait d’un gamin facétieux et farceur dont les aspirations à la justice semblent inébranlables. Et au-delà de son personnage, Mark Twain peint avec une précision quasi sociologique l’Amérique de la première moitié du 19ème siècle : violence, justice sommaire, religion omniprésente, esclavage, etc. La vision est à hauteur d'enfant mais cette naïveté de façade permet de révéler un tableau très vivant de la vie à la frontière de l'Ouest sauvage et indompté.

Une porte d'entrée idéale dans l'œuvre de l'un des pères fondateurs de la littérature américaine. Le parfait tremplin avant d'attaquer les Aventures d'Huckleberry Finn, que tout le monde s'accorde à considérer comme son chef d'œuvre et qu'Hemingway avait placé au-dessus de son panthéon littéraire : " Toute la littérature moderne américaine est issue d'un livre de Mark Twain : Huckleberry Finn. Avant, il n'y avait rien. Depuis, on n'a rien fait d'aussi bien".

Les aventures de Tom Sawyer de Mark Twain (traduit de l'anglais par Bernard Hoepffner). Tristram, 2008. 300 pages. 21,00 euros.



Rentrée des classes oblige, le rendez-vous des Classiques c'est fantastique
orchestré par Fanny et Moka célèbre ce mois-ci
les incontournables de la littérature jeunesse.




samedi 2 septembre 2023

La porte du non retour - Kwame Alexander

Septembre 1860, Ghana. Kofi vit paisiblement avec sa famille. Il va à l’école, joue avec ses amis et est amoureux de la jolie Ama. Nageur hors pair, il a fait de la rivière son lieu de prédilection. Seule obligation à respecter, ne jamais s’attarder près de l’eau une fois la nuit tombée pour ne pas tomber dans les griffes des « bêtes » qui rodent et enlèvent les enfants. Un soir, alors qu’il traîne un peu trop longtemps après le coucher du soleil, son monde bascule. Famille, liberté, innocence, tout va lui être arraché avec une violence inouïe. Commence alors pour lui un long voyage au bout de l’enfer…

Un roman bouleversant, je ne vois pas d’autre mot pour le qualifier avec davantage de justesse. Pourtant Kwame Alexander ne cherche pas à en rajouter dans le registre de l’émotion, il ne force pas le trait. Après tout, les faits se suffisent à eux-mêmes, il n’est pas nécessaire d’en rajouter. Le choix d’un texte en vers libre aurait pu offrir l’occasion d’un glissement vers une forme de lyrisme grandiloquent mais ce n’est heureusement pas le cas. Au contraire, les phrases courtes vont à l’essentiel, elles donnent au monologue de Kofi le rythme d’un chant où la douceur des premières pages prend au fil du récit des accents déchirants.

Un texte de plus sur l’esclavage à faire lire aux ados, un parmi tant d’autres ? Sûrement pas. Car la démarche de Kwame Alexander, américain d’origine ghanéenne, est de revenir sur le chapitre africain de l’histoire de l’esclavage et la responsabilité de certains chefs de tribu dans le développement de « la traite négrière transatlantique ». Un retour aux racines sur les terres de ses ancêtres qu’il a effectué à plusieurs reprises afin de documenter avec un maximum de véracité l’histoire fictive de Koffi. Premier tome d’une trilogie cette « Porte du non retour » est une plongée aussi touchante qu’édifiante au cœur d’une des plus grande tragédies de l’histoire de l’humanité.

La porte du non retour de Kwame Alexander (traduit de l'anglais par Alice Delarbre). Albin Michel jeunesse 2023. 460 pages. 19,90 euros. A partir de 13 ans.








lundi 28 août 2023

Oliver Twist - Charles Dickens

Tout le monde connait Oliver Twist, au moins de nom. C’est sans doute le plus célèbre roman de Dickens. Il s’ouvre sur l’enfance malheureuse d’Oliver, orphelin maltraité dans l’hospice où il fut recueilli bébé, qui finira par s’enfuir pour rejoindre Londres et être enrôlé malgré lui dans une bande de voleurs à la tire menée par l’impitoyable et répugnant Fagin. Accusé d’un larcin qu’il n’a pas commis, sauvé par une bonne âme avant d’être enlevé par ses anciens camarades pickpockets afin de commettre un cambriolage qui tournera mal, il sera blessé par balle et laissé pour mort dans un fossé. La suite ? Je vous laisse la découvrir si vous ne la connaissez pas.

Clairement, Dickens ne ménage pas son petit héros. Clairement il aime dramatiser, jouer sur le côté tire-larme, insister sur la situation misérable du pauvre enfant. Mais ce dernier s’avère trop lisse, trop angélique, trop naïf. Aucune once de méchanceté en lui, aucune véritable révolte, il ne parvient pas à haïr ses bourreaux et déborde d’amour pour ceux qui lui viennent en aide. Pour tout dire, il manque  d’aspérité et de complexité, bref il se révèle plutôt insipide. D’ailleurs il est souvent absent des événements qui se déroulent autour ou à cause de lui, j’irai même jusqu’à dire qu’il est loin d’être le personnage principal du roman.

Au-delà du parcours tourmenté d’Oliver, le but premier de Dickens étais sans doute de démystifier l’image romantique des criminels. Tous sont d’affreux salauds sans états d’âme, des concentrés de méchanceté à l’état pur qui finiront par payer pour leurs actes répréhensibles. Le manichéisme tourne à la caricature, les protagonistes sont classés dans le camp du bien ou dans celui du mal, il n’y a pas d’entre-deux possible.

L’intérêt du texte réside selon moi dans la description des bas-fonds de Londres, l’atmosphère insalubre est parfaitement rendue et le portrait des indigents sonne avec réalisme. Pour conclure je dirais que j’ai l’impression d’avoir lu un mélo social, malheureusement bien plus mélo que social, dont le côté moralisateur et manichéen a grandement gâché mon plaisir de lecture. Dommage.

Oliver Twist de Charles Dickens (traduit de l'anglais par Alfred Gérardin). Archipoche, 2020. 620 pages. 8,95 euros.



Un billet qui signe ma troisième participation au rendez-vous




lundi 31 juillet 2023

Corregidora - Gayl Jones

« Je suis Ursa Corregidora. J’ai des larmes à la place des yeux. Toute petite, on m’a obligée à palper mon passé. Je l’ai tété à la mamelle de ma mère ».

Sa grand-mère ne cessait de lui répéter que le plus important était d’assurer la descendance, pour entretenir la mémoire. Pour que la lignée familiale issue de l’esclavage ne s’éteigne jamais et que son histoire tragique puisse continuer à être racontée. Malheureusement Ursa va briser le cycle. Parce que suite aux coups de son mari, elle a dû subir une ablation de l’utérus. Il ne supportait pas que sa femme, chanteuse de Blues dans un cabaret du Kentucky, attire les regards d’autres hommes. Après l’opération, Ursa se reconstruit. La convalescence est longue, le patron du cabaret se veut protecteur, attentif à tous ses besoins. Elle finira par l’épouser et s’en mordra les doigts, forcément. Ici les hommes ne peuvent qu’être mauvais. Rien à en tirer, rien à en espérer. Depuis que ce salaud de Corregidora, le maître de la plantation, a violé ses ancêtres, le schéma se répète et les femmes de la famille ne semblent bonnes qu’à subir la violence masculine. Une forme de fatalité qu’Ursa constate autant qu’elle accepte. Avec lucidité et la rage au cœur.

Ce roman est un monument de la littérature afro-américaine, considéré depuis longtemps comme un classique contemporain. Un livre cru, tant sur la forme que sur le fond. Un livre brutal, sans concession. Publié en 1975 par Toni Morrison, écrit par une inconnue de 25 ans qui va estomaquer la future prix Nobel de littérature et éblouir quelques grands noms des lettres américaines tels que James Baldwin ou Richard Ford, il est étudié depuis des décennies à l’université. C’est à se demander pourquoi il aura fallu attendre presque cinquante ans pour qu’il soit enfin traduit en français.

Le monologue d’Ursa résonne comme un blues lancinant. C’est à la fois un cri et un chuchotement, un déferlement qui emporte tout sur son passage. La traduction rend parfaitement compte du rythme, de la trivialité et de la poésie d’une prose qui oscille entre réalisme et onirisme. L’oralité de la langue souligne une formidable modernité de ton, une totale liberté de parole.

Une histoire qui prend ses racines dans l’esclavage et qui cherche à perpétuer l’héritage de ce traumatisme. Pour ne jamais oublié que les femmes ont tant souffert de cet asservissement inhumain, marquées dans leur chair par une toute puissance masculine qui s’autorisait les pires excès. Et qui se les autorise encore, malheureusement.

Corregidora de Gayl Jones. Éditions Dalva, 2022. 255 pages. 21,00 euros.



Un billet qui signe ma seconde participation au rendez-vous
Les classiques c'est fantastique de Fanny et Moka