vendredi 1 décembre 2017

Mon carnet - Éric Cantona

Quelle poilade, mais quelle poilade ! Merci monsieur Cantona pour ce grand moment de détente des zygomatiques, j’en avais besoin. Je sais bien que ce n’était le but mais merci quand même. Et merci d’avoir un égo si démesuré. Merci de vous prendre dans ce carnet très personnel pour Dubuffet, pour Magritte, pour Courbet, pour Munch. Merci, comme vous le dites dans la préface, d’entrouvrir "des portes qui ne sont pas des portes". « Les portes que l’on voie et puis celles qu’on imagine ».




Cantona/Dubuffet

Ce carnet est donc « un petit rien de vous ». Un petit rien du tout oserais-je ajouter. Parce que vos crobards trembolants dignes d’un enfant de trois ans n’ont aucun intérêt. Ils sont totalement inutiles donc rigoureusement indispensables comme dirait Jérôme Bonaldi. Vous êtes un poète. Un penseur. Un philosophe. Un homme de lettres. Un Artiste avec un grand A. Je vous ai entendu à la radio expliquer que parfois vous fermez les yeux le feutre à la main et ça vient tout seul. Comme je vous comprends. Ça m’arrive à moi aussi. Tous les matins. Assis sur le trône. Je ferme les yeux et ça vient tout seul. Parfois il faut que je pousse un peu, mais ça finit toujours par venir.

Cantona/Magritte


Il y a les dessins mais il y a aussi les mots. Chez vous la relation texte image est fondamentale. Un grand tout. Vos aphorismes, pourtant déjà forts profonds, ne seraient rien sans les illustrations qui les accompagnent. Je suppose que ce chef d'oeuvre a été réalisé en état d’ébriété avancée. Je ne vois pas d’autres explications pour justifier une telle dose d’absurde, une telle verve, un tel lyrisme contenu.

Cantona/Courbet


Je ne vais pas vous mentir, je me suis régalé avec ce carnet imitation moleskine joliment présenté. J’ai ri, mais j’ai ri ! Bien sûr il faut prendre ces pages non pas au premier ni au second degré mais au moins au cinquième ou sixième degré pour les apprécier à leur juste valeur. Se dire que c’est une farce. Que Flammarion, qui publie entre autres le grand Jim Harrison, a beaucoup d’humour et qu’il n’a surtout pas peur du grand écart.

Cantona minimaliste


Après, je ne vous cache pas que si n’importe quel quidam franchissait la porte d’un éditeur avec un tel carnet sous le bras on lui rirait au nez et on ne lui recommanderait même pas de l’autoéditer car si le ridicule ne tue pas, il y a des limites. Mais avec vous c’est différent. Vous êtes perché tellement loin au-dessus du commun des mortels que vous pouvez vous permettre de ne pas avoir peur du ridicule. Ou alors vous êtes juste bankable.

Cantona philosophe


Au final j’hésite. Je me demande si ce carnet n’est pas le plus gros foutage de gueule éditorial de l’année ou s’il n’est pas tout simplement le livre le plus drôle de l’histoire. Il faut dire que la frontière entre les deux est ténue…

A gauche Cantona / A droite Charlotte, bientôt 5 ans
Je pense envoyer dès lundi les carnets de dessin de Charlotte à
Gallimard. Qui ne tente rien n'a rien... 


Mon carnet d’Eric Cantona. Flammarion, 2017. 190 pages. 13,90 euros.






jeudi 30 novembre 2017

Ma vie dans les bois T1 - Shin Morimura

C’est ma semaine de retour à la nature ! Après Une année dans les bois, j’enchaîne avec le premier tome de Ma vie dans les bois, où le mangaka Shin Morimura explique par le détail son total changement de vie opéré au printemps 2005, à 47 ans, alors que sa carrière ne décollait pas malgré des heures et des heures passées sur sa table à dessin. Aussi épuisé que démoralisé, Morimura décide de quitter Tokyo pour s’installer au pied des montagnes dans une maison sans eau courante ni électricité qu’il va construire de ses mains : fini le stress et la pression, vive la vie au grand air !

Son projet fou va mettre des mois à se concrétiser. D’abord acheter un terrain, ensuite le déboiser (un travail de titan), puis construire une cabane après avoir écorcé les troncs d’arbre et en avoir fait des rondins de même taille. Créer de solides fondations, attaquer le gros œuvre, du plancher à la toiture. Tout est détaillé, du prix du terrain à celui des outils en passant par les matériaux, du moral qui flanche devant l’ampleur de la tâche à la satisfaction euphorique de voir avancer le chantier. Peu à peu on découvre un apprenti menuisier qui gagne en sérénité et s’épanouit seul dans la forêt avec son chien et sa quête un peu folle de vie écolo.

En dehors du dessin plutôt faiblard j’ai tout aimé dans ce manga. L’état d’esprit combatif de Shin, sa volonté de ne rien cacher des difficultés auxquelles il a dû faire face, son autodérision, la sincérité du regard qu’il porte sur son projet et sur lui-même, tout comme la franchise de sa femme, persuadée qu’il va droit dans le mur, ne se cachant pas pour lui faire savoir tout en respectant son choix.

Entendons-nous, Ma vie dans les bois n’est pas un plaidoyer pour un retour à la nature. Morimura ne cherche pas à convaincre qui que ce soit du bien-fondé de sa démarche. Il expose les faits et exprime son ressenti, explique le cheminement qui l’a poussé dans cette voie mais il ne tente pas d’enrôler de nouveaux adeptes. Son histoire personnelle n’a pour lui aucun caractère universel.

Entre témoignage, autobiographie et guide pratique, cette série rafraîchissante pleine d’optimisme et de bonne humeur pourrait faire changer d’avis les grincheux réfractaires au manga. N’est-ce pas miss Mo ? Pas pour rien que je partage cette lecture commune avec toi, même si je doute fortement d'avoir fait évoluer ton point de vue avec ce titre...

Ma vie dans les bois T1 de Shin Morimura. Éditions Akata, 2017. 144 pages. 7,50 euros.

L'avis de Mo




mercredi 29 novembre 2017

Emma G. Wildford - Zidrou et Edith

Londres, 1920. Follement amoureuse de Roald, Emma n’a plus de nouvelles de lui depuis bientôt quatorze mois. Son fiancé, parti sur les traces du mythique trésor de la déesse du peuple Sami, n’a plus donné signe de vie depuis son arrivée en Norvège. Avant son départ, il lui avait confié une enveloppe qu’elle ne devait ouvrir qu’en cas de malheur. Refusant d’accepter l’évidence, la jeune femme décide de quitter le confort de sa vie bourgeoise pour partir à la recherche de l’élu de son cœur et embarque pour un long périple où, au-delà du rude climat, elle va devoir affronter une vérité difficile à entendre…

Zidrou et Édith, quel joli duo ! Le premier campe une héroïne romanesque en diable. Poétesse, idéaliste, fonceuse, indépendante, n’ayant pas sa langue dans sa poche, elle représente une figure féminine moderne dans l’Angleterre de l’après première guerre mondiale. La seconde, toujours aussi à l’aise pour représenter l’époque Victorienne, illumine chaque planche de son trait souple et relâché, jouant sur l’ombre et la lumière pour passer de la canicule aux forêts glacées de Laponie.

Au-delà de la quête amoureuse, Emma se lance dans une quête initiatique. Loin de son cocon londonien, elle découvre le monde dans sa beauté et sa dureté, elle encaisse les coups, se relève et grandit malgré les obstacles. L’album renferme entre ses pages certains éléments de son voyage (photo, ticket d’embarquement et la fameuse enveloppe à n’ouvrir qu’en fin de lecture). Une aventure dépaysante pleine de souffle et de subtilité dont le graphisme somptueux et le scénario surprenant ne pourront qu’emporter l’adhésion. A découvrir d’urgence.

Emma G. Wildford de Zidrou et Edith. Soleil, 2017. 104 pages. 20,00 euros.


Une lecture commune partagée avec Noukette, qui accueille toutes les BD de la semaine aujourd'hui.












mardi 28 novembre 2017

Les chroniques d’Hurluberland T2 - Olivier Ka

Une bouteille magique, une partie de pêche à la chaussure, une étoile à l’étrange force d’attraction, une chasse au trésor sur les pas-de-porte, un breuvage qui transforme les rêves en réalité, une eau qui fait perdre la mémoire, des maisons comestibles, un énorme champignon ou une paire d’ailes embarrassante. On attaque chaque chronique d’Hurluberland en se demandant : « Que va-t-il bien pouvoir se passer cette fois-ci ? ».  Après un délicieux premier tome, c’est avec le même bonheur que j’ai retrouvé ce drôle de village et ces drôles d’habitants. D’Auguste Barbefolle le maire à Gontran Barquenbois le pêcheur, de Firmin Boissemelle le cordonnier à Hector Boulocarré le boulanger, d’Alphonse Sauçobeurre l’aubergiste à Bernadette Boitaclou l’institutrice, la fine fleur de la communauté hurluberlandaise s'embarque une fois encore dans une valse effrénée d’aventures abracadabrantesques.

Olivier Ka s’en donne à cœur. Il s’amuse et son plaisir est communicatif. Ses hurluberlus d’Hurlubeland évoluent un peu comme les schtroumpfs, regroupés dans un village où chacun occupe une fonction bien précise. Sauf que l’accent est ici mis sur un humour proche de l’absurde avec une touche de poésie. Et comme chez Astérix, malgré la zizanie ambiante on finit toujours par enterrer la hache de guerre.

Jalousie, égoïsme, cupidité, culte de la personnalité, esprit grégaire, les travers de la population d’Hurluberland sont « classiquement » humains. La bizarrerie est ailleurs, dans le quotidien chamboulé par des événements surprenants aux conséquences inattendues. Du farfelue tricoté de main de maître pour une balade dépaysante dans les rues d’une contrée où la normalité n'a définitivement pas sa place. Un régal !

Les chroniques d’Hurluberland T2 d’Olivier Ka. 155 pages. 9,50 euros. A partir de 7 ans.


Une pétillante pépite jeunesse comme toujours partagée avec Noukette.









dimanche 26 novembre 2017

Une année dans les bois - Henry David Thoreau et Giovanni Manna

« Je suis allé dans les bois parce que je souhaitais vivre en toute conscience, n’affronter que les éléments essentiels de la vie, voir si je pouvais apprendre ce qu’elle avait à m’enseigner et non découvrir, à l’heure de ma mort, que je n’avais pas vécu. […] Je voulais vivre profondément, sucer la vie jusqu’à la moelle, vivre avec hardiesse et sobriété pour bannir ce qui n’était pas la vie, tailler largement, couper à ras, acculer la vie et la réduire à sa plus simple expression. »

Vivre libre. Seul. Dans les bois. Au bord d’un étang. Construire une cabane. Cultiver son jardin. Passer l’été au cœur de la forêt, l’hiver au coin du feu. Et attendre les premiers jours du printemps… Entre 1845 et 1847 Henry David Thoreau se retire du monde. Pendant exactement Deux ans, deux mois et deux jours. Cet album raconte son expérience à partir d’extraits de « Walden ou la vie dans les bois ».  Ils condensent les faits en une seule année, au rythme des saisons. 

Les illustrations de l’italien Giovanni Manna sont aussi épurées que l’existence de Thoreau. Douces et poétiques, elles invitent à la contemplation et à la méditation. Un album parfait pour faire découvrir aux enfants, en toute simplicité et avec beaucoup de pertinence, la philosophie et l’éthique de celui que beaucoup considèrent comme l’un des fondateurs de la pensée écologique.


Une année dans les bois d’Henry David Thoreau et Giovanni Manna. Plume de carottes, 2017. 36 pages. 18,00 euros. A partir de 8 ans.








vendredi 24 novembre 2017

L’inaccessible - Charles Gancel

Inutile de prendre des pincettes, voilà un recueil de nouvelles qui ne cassent pas trois pattes à un canard. Pas qu’il soit mal écrit, loin de là même. C’est d’ailleurs à peu près sa seule qualité. Parce que pour le reste, je me suis ennuyé ferme.

Le problème c'est que j’aime retrouver dans un recueil une unité de temps ou de lieu, des thèmes ou des personnages similaires. Ça donne de l’épaisseur et surtout du liant à l’univers proposé, ça évite la désagréable impression d’une juxtaposition de textes disparates sans fil conducteur. Rien de tout cela ici, on passe d’un meurtre sordide à une histoire d’amour cucul, de New-York à un récit d’anticipation, d’un musicien en mal d’inspiration à un tueur à gages trahi par son commanditaire. Quel rapport entre ces récits ? Je me le demande encore…

Je comprends que « l’inaccessible » qui donne son titre à l’ouvrage puisse, d’une certaine façon, se retrouver dans chaque texte. Du bonheur à la liberté, de l’amour à la réussite, tout semble inaccessible mais il faut parfois lire entre les lignes pour déceler ce « sujet » récurrent qui apparaît au final sacrément tiré par les cheveux.  

Charles Gancel possède une joli plume mais elle n’a pas suffi à éveiller mon intérêt. J’ai parcouru les pages d’un œil distrait, pas franchement concerné, sans agacement mais surtout sans plaisir. Une lecture dans l’indifférence générale et la confirmation qu’en matière de nouvelles mes préférences restent définitivement acquises aux écrivains nord-américains.

L’inaccessible de Charles Gancel. Buchet Chastel, 2017. 190 pages. 15,00 euros.





mercredi 22 novembre 2017

Jones et autres rêves - Franco Matticchio

Entrer dans l’univers de Franco Matticchio, c’est accepter qu’un oreiller s’échappe du lit pour aller rejoindre son amoureuse dans un moulin, c’est grimper dans un arbre et découvrir des personnages plus excentriques les uns que les autres, c’est couper la tête d’un cheval fou au hachoir, c’est voir les fleurs de sa chemise prendre vie après la pluie ou King Kong s’échapper de l’affiche de son film.

Matticchio a créé son chat Jones en 1985. Un matou avec des bretelles et un bandeau sur l’œil gauche qui a pour ami le chien Bull Dog et évolue sans cesse entre rêve et réalité. Un matou paresseux et curieux, joueur d’échec en quête du monstre du Loch Ness, chercheur de poussière et amoureux de la belle Tina.


Graphiquement, on va à l’essentiel. Du noir et blanc, un poil de couleur de temps en temps, des histoires en une planche, d’autres plus longues, des illustrations pleine page pour le New Yorker et un trait hachuré, oscillant entre Crumb et Art Spiegelmann. Il n’y a souvent aucun texte dans ces histoires, tout se joue dans la lecture de l’image, dans le mouvement, le découpage, l’enchaînement logique (ou pas) des événements. C’est onirique, parfois surréaliste, toujours extrêmement poétique.



Matticchio marche sur un fil, il donne à voir une forme d’absurde mâtinée de philosophie et d’espièglerie avec une grande économie de moyens. Impossible de ne pas penser à l’excellent Ours Barnabé (en moins enfantin cela dit), impossible non plus de ne pas avoir en tête les pièces de Beckett où l’univers de Roland Topor lorsque l’on parcourt les aventures de Mister Jones. Une intégrale idéale pour découvrir l’œuvre inclassable d’un des auteurs les surprenants de la bande dessinée italienne.

Jones et autres rêves de Franco Matticchio. Ici Même, 2017. 256 pages. 29,00 euros.


Toutes les BD de la semaine sont à retrouver chez Mo !





mardi 21 novembre 2017

Kill the Indian in the child - Élise Fontenaille

Si je n’avais pas su que ce roman était basé sur des faits avérés, je ne l’aurais pas cru. J’aurais même poussé un gros coup de gueule parce qu’exagérer à ce point pour marquer les esprits me paraît toujours contre-productif. Je n’ai pas cessé de me dire « non, c’est pas possible, c’est trop gros ». Et pourtant… Plus de 150 000 enfants indiens ont été envoyés dans des pensionnats canadiens dirigés par des religieux pour « tuer l’indien en eux ». 30 000 au moins y ont trouvé la mort. Battus, humiliés, torturés, violés, forcés à manger de la nourriture infestée de vers, j’en passe et des meilleurs. Un enfer dont les traumatismes ont marqué des générations d’autochtones.

Mukwa, 11 ans, est un de ces enfants martyrs. Obligé de quitter les siens pour « parfaire son éducation », il se retrouve à Sainte-Cécilia, un établissement  où chaque jour ressemble à un long supplice. Ne supportant plus un quotidien aussi insoutenable, il décide de s’enfuir et de rejoindre son père dans la forêt…

Inspiré d’une histoire vraie s’étant déroulée en 1966, ce court roman ne peut que susciter l’indignation la plus totale face au calvaire subi par ces pauvres enfants. Autant vous prévenir, c’est un texte extrêmement dur qui ne laisse aucune place à la moindre légèreté. La voix de Mikwa résonne avec force, elle prend aux tripes et sa souffrance se grave profondément dans la tête du lecteur.

Sidérante. Voila l'adjectif qui me vient en tête pour qualifier la façon dont on a traité, ou plutôt maltraité, des milliers d'enfants pendant des décennies au Canada (le dernier établissement de ce genre a fermé ses portes en 1996). Une lecture bouleversante et une pépite jeunesse douloureuse dont on ne sort pas indemne.

Kill the Indian in the child d’Élise Fontenaille. Oskar, 2017. 92 pages. 9,95 euros. A partir de 12 ans.


Une lecture commune évidemment partagée avec Noukette.









samedi 18 novembre 2017

De rose et de noir - Thibaut Lambert

Manon se remet avec difficulté de sa dernière relation amoureuse. Son compagnon Steph devenait violent dès qu’il avait un coup dans le nez et elle a plusieurs fois subi les foudres de cet homme colérique. Pour se reconstruire la jeune femme consulte une psy et profite du soutien bienveillant de sa colocataire. Mais le chemin vers une vie apaisée est semé d’embûches et lorsque Manon rencontre un garçon qui lui plait, le traumatisme de son histoire précédente est un obstacle qu’elle peine à franchir.

Sujet difficile, brûlant même, et malheureusement toujours d’actualité. Les violences faites aux femmes sont ici abordées « après coup ». Un traitement intéressant dans la mesure où il offre une relative distance par rapport à l’émotion brute des actes relatés « en direct ». Pour autant, même si la séparation avec l’agresseur est actée et définitive, les dégâts restent considérables et les blessures difficiles à cicatriser.

Thibaut Lambert a choisi une bichromie aux nuances sanguines pour relater la reconstruction de Manon. Son présent est dessiné avec un encrage épais tandis que les flash-back la ramenant dans son passé avec Steph sont représentés dans un lavis donnant une impression de souvenirs diffus et cotonneux. Ce parti pris graphique fonctionne bien et ne nuit en rien à la lecture, bien au contraire.

Je trouve par contre que tout va un peu trop vite dans cette histoire. La résilience de la jeune femme s’effectue « comme dans un rêve » : la psy est parfaite, les amies formidables et le nouveau copain est une crème. Ce déroulement positif participe forcément à la remise en confiance de Manon et quelques scènes n’éludent pas les problèmes rencontrés ou ceux restant à résoudre mais au final la trajectoire semble trop linéaire et manque parfois d’aspérités.

Après, cela renforce le message d’espoir porté par le récit, ce qui est évidemment une bonne chose et il serait stupide de réclamer davantage de coups durs pour Manon mais j’ai eu l’impression d’être resté à la surface des choses et de manquer d’un poil de profondeur. En même temps, on ne parlera jamais assez des violences faites aux femmes, il importe donc de défendre cet album qui met en lumière la possibilité d'un avenir tourné vers l'apaisement et une certaine forme de sérénité.

De rose et de noir de Thibaut Lambert. Des ronds dans l’eau, 2017. 72 pages. 18,00 euros.

Une lecture commune partagée avec Mo.




jeudi 16 novembre 2017

Le camp des autres - Thomas Vinau

« Le camp des nuisibles, des renards, des furets, des serpents, des hérissons. Le camp de la forêt. Le camp de la route et des chemins aussi. De ceux qui vivent sur les chemins. De la trime et de la cloche. Des romanichels et des bohémiens. Ceux qui parlent aux bêtes et aux nuits. Ceux qui n’ont pas peur de la lune. Ceux qui dressent l’indressable et apprivoisent l’inapprivoisable. Ceux qui connaissent la langue des fantômes. Le secret des plantes et des champignons. Les chants païens et antiques. Les proscrits aussi. Les fuyards. Les insoumis. Les orphelins. »

Le camp des autres, Gaspard l’a rejoint. Après avoir quitté la maison familiale où son père le battait comme plâtre, le gamin s’est retrouvé seul dans la forêt avec son chien. Il a affronté le froid, la faim, la peur, les loups. Recueilli par Jean-le-Blanc, un ermite vivant au cœur des bois, il s’est remis sur pied avant de partir sur les routes avec la Caravane à Pépère, une bande d’exclus épris de liberté qui sillonna la France au tout début du 20ème siècle. Des sans-abris, des sans-famille, des sans patrie. Des revenus du bagne, des voleurs à la tire, des gitans. La lie d’une société bourgeoise que Clémenceau écrasa avec ses brigades du tigre en 1907. Parmi ces « récalcitrants », « Gaspard va découvrir la vie en marchant sur le monde ».  

Un roman plein de souffle qui ne pouvait que me plaire. Les chapitres courts, comme autant de longs paragraphes, donnent la mesure. La partie en forêt est riche de descriptions proches du naturalisme et m’a rappelé les superbes envolées de Louis Pergaud dans son recueil « De Goupil à Margot ». La seconde, sur les routes, est une ode au peuple nomade et à son mode de vie sans frontière ni barrière. Les deux se complètent et forment un tout cohérent, porté par une langue magnifique.

C’est un texte à lire à voix haute pour profiter du balancement des phrases, de leur rythme, de l’équilibre entre le son et le sens. Un texte habité, engagé, une poésie sèche sans emphase inutile. Tout ce que j'aime et que je retrouve trop peu souvent dans la littérature française actuelle.

Le camp des autres de Thomas Vinau. Alma, 2017. 195 pages. 17,00 euros.

Une lecture commune partagée avec l'incontournable Stephie.