mardi 9 avril 2019

Rattrapage - Vincent Mondiot



« J’étais l’une des filles les plus populaires du lycée. Et lui, c’est un type aux cheveux gras avec des boutons sur la gueule, qui marche d’un pas traînant, les épaules voûtées. […] On est aux deux extrêmes de la chaîne alimentaire lycéenne. Je suis le genre de fille qu’il ne peut même pas rêver d’avoir un jour comme copine. Il est le genre de mec auquel je n’accepterais même pas de faire la bise. »


Elle attend les oraux du rattrapage du bac. Dans sa tête c’est un peu le foutoir. A cause de la cuite prise la veille mais aussi et surtout à cause de ce regard qu’elle vient de croiser et qui a fait remonter le souvenir de ce qui s’est passé plus tôt dans l’année. C’était au mois de décembre, un samedi matin, pendant le cours de philo. Un « incident » qu’elle ne peut pas oublier et dont elle se sait en partie responsable. Elle était la reine du lycée et lui une proie facile. Sans être à la manœuvre au départ, elle s’est jointe à la meute. Sans se poser de question, parce que ça coulait de source. Et qu’elle ne pouvait pas se douter que tout ça se terminerait dans une mare de sang.

Elle veut se persuader que c’est juste une connerie d’ado qui aurait dû rester sans conséquence. Elle se dit qu’elle n’a fait que suivre le mouvement, que c’était naturel. Qu’elle fait partie d’un système, d’une hiérarchie où chacun doit rester à sa place. Ils étaient les chasseurs, il était la victime désignée. La curée lancée, il n’avait qu’à s’avouer vaincu par plus fort. Les conséquences dramatiques pour lui, aucune raison d’y penser.

Glaçante cette plongée dans la tête d’une harceleuse affrontant son déni et ayant toutes les peines du monde à reconnaître sa faute. Vincent Mondiot ne joue pas le registre facile du remords et de la prise de conscience, il laisse son personnage dans un entre deux où le mal-être le dispute à une franchise sans langue de bois. C’est la complexité du raisonnement de la jeune fille et sa difficulté à admettre une évidence inacceptable qui donne son originalité et sa puissance au texte.

« C’est trop facile, là, à la fin de l’année, de la jouer tourmentée par la culpabilité en ressassant de vieilles images et des envies de pleurer. De quel droit je me complais là-dedans ? […] J’essaie de me persuader que j’ai compris des choses, appris de mes erreurs, mais je suis toujours une reine du lycée, toujours plus intéressée par moi-même que par les autres. Tout ce que je veux savoir c’est s’il me hait, pas comment il va. »

Un monologue aussi percutant que dérangeant qui traite la question du harcèlement sous un angle ne pouvant que faire réagir et pousser à la réflexion.

Rattrapage de Vincent Mondiot. Actes Sud junior, 2019. 80 pages. 9,80 euros. A partir de 14 ans.





Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette.












5 commentaires:

  1. Un point de vue intéressant ,c'est si facile de se disculper et aussi de suivre le mouvement plutôt que de résister .

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  2. Ça m'épate toujours cette litté ado. Il me semble que je n'avais pas ce genre de romans à mon époque.

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  3. Toujours des textes forts dans cette collection

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  4. Encore un texte très fort pour cette collection que j'aime tant!

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  5. Ce titre est à l'image de mes lectures de chroniques (et des commentaires) que je délaisse un peu depuis quelque temps...
    J'adore cette collection, il passera donc par mes étagères.

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