mardi 16 août 2016

Sukkwan Island - David Vann (roman et BD)

J’en ai tellement entendu parler de ce roman. Il me semblait que tout le monde l’avait lu sauf moi. Il me semblait aussi qu’il m’irait comme un gant. Je n’avais à vrai dire qu’une vague idée de son contenu. Une histoire de père et fils, sur une île d’Alaska. Juste Jim le père et Roy, son fils de 13 ans. Et la nature sauvage tout autour. Et un drame à venir, forcément.

En gros j’avais tout compris, sauf que le drame n’était pas celui auquel je m’attendais. Du moins pas comme ça. L’attente de ce drame a d’ailleurs perturbé ma lecture. Parce qu’au début les choses se passent normalement. Ils s’installent, ils coupent du bois, ils pêchent, ils chassent, ils randonnent, ils préparent les réserves pour l’hiver. Un ours vient saccager leur cabane en leur absence. Le gamin a du mal à se faire à ce nouvel environnement. Les échanges avec le paternel se réduisent au strict minimum. Il est bizarre ce paternel. Il donne le change mais on le sent moyennement préparé à l’aventure, une aventure qu’il a voulu imposer à son rejeton. Et puis la nuit il chiale comme une madeleine et sans raison. L’ambiance n’est donc pas au beau fixe mais pas de quoi fouetter un chat. En apparence. J’ai parcouru ces pages avec pour leitmotiv un « jusque là tout va bien » que je savais illusoire. Pour autant je n’ai rien vu venir.

Fin de la première partie. Une phrase et tout bascule. Punaise, c’est pas possible… voila ce que je me suis dit. Et pourtant si. Commence alors le naufrage du père. Et mon aversion absolue pour ce connard. Un gars lâche, stupide et égoïste. Un abruti de première, tellement pas attentif aux autres, tellement immature, tellement détestable. Qui n’aura à la fin que ce qu’il mérite. Une fin qui, sur la forme, m’a rappelé Martin Eden. En infiniment  moins triste. Parce que si celle de Martin m’a serré la gorge, celle de Jim ne m’a inspiré qu’un peu glorieux « bien fait pour sa gueule ».

Il est énorme ce roman. Parce qu’il gratte, et pas qu'un peu. Il met en scène une situation insupportable gérée de façon calamiteuse par celui qui se doit d’être l’adulte responsable. Mais sans jugement. Avec une neutralité de ton et une montée en tension qui font froid dans le dos. Il est énorme parce que David Vann n’accable personne mais il ne tente à aucun moment d’arrondir les angles. Et son histoire déclenche une forme de fascination et d’écœurement qui laisse sans voix. C’est dur, terriblement dur. Et terriblement humain. J’ai adoré.

Sukkwan Island de David Vann. Gallmeister, 2011. 200 pages. 8,50 euros.


J’ai lu la BD dans la foulée. Pas une bonne chose d’enchaîner la lecture d’un roman et de son adaptation. Le texte original est encore trop frais, la comparaison dessert obligatoirement la transposition sur un autre support. Les choses sont différentes je trouve quand, au moment de se plonger dans une adaptation, le roman est loin derrière nous et qu'il ne nous en reste que la trame générale, une vague idée en somme.

En plus ici Ugo Bienvenu ne s’autorise pas le moindre écart, il suit le récit avec une fidélité absolue et un peu mécanique, n’apportant au final aucune valeur ajoutée. Rare de voir un album compter plus de pages que le roman dont il s’inspire, c’est dire si tout est raconté en détail. Point d’ellipses ni de raccourcis donc, j’ai eu l’impression de faire une relecture à l’identique (les images en plus) et je me suis ennuyé. Sans compter que le dessin sans souplesse et le découpage bien trop classique n’apportent pas le soupçon d’originalité graphique qui aurait pu m’accrocher. Une déception, donc.


Sukkwan Island d’Ugo Bienvenu, d’après le roman de David Vann. Denoël Graphic, 2014. 220 pages. 22,90 euros.


Un énorme merci à l’adorable Moka qui a eu la gentillesse de m’offrir ces deux ouvrages au cours d’une mémorable journée de formation où des intervenants, certes motivés mais pas franchement compétents, ont tenté de nous inculquer les vertus de la littérature policière pour la jeunesse. En même temps, nous connaissant, la cause était perdue d’avance…






68 commentaires:

  1. J'adore le dernier paragraphe et la tentative de te faire changer d'avis ! Pour Sukkwan, ça remonte mais le choc avait été immense (et moi j'ignorais le drame à venir...) et puis surtout le choix de l'auteur, la victime que je n'attendais pas et nous voilà avec ce père lâche .. oui oui un livre qui "dérange"

    Pour la BD, tu m'évites une déception et le trait a l'air trop classique .. alors que l'histoire ne l'est vraiment pas !

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    1. Disons que je m'attendais à ça, mais pas comme ça, donc l'effet de surprise a tout de même fonctionné.

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  2. je ne savais pas qu'il avait été adapté en BD mais j'ai tant aimé le récit que j'hésite. Pour autant j'ai le souvenir d'avoir préféré la première partie du roman à la seconde ( après le fameux basculement). Comme toi je suis restée sur le cul tout de même, il nous a bien eu cet auteur

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  3. Coucou
    Et bien je suis aussi dans ton cas ... Enfin plus vraiment car tu l as lu désormais 🤔

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    1. Tu n'as plus qu'à faire comme moi (et moi à lire Au revoir là-haut comme toi ;) ).

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  4. Oups mon commentaire est parti sans que je te dise que je l ai dans ma biblio et que je le lirais
    Bises

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  5. Enfin, il était temps!
    Je conserve un souvenir troublant et marquant de mon premier Vann (mon tout premier Gallmeister, aussi). «Impurs» m'a fait le même effet. Chez Vann, ça frappe fort. Impitoyable.

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    1. Je ne sais pas si je lirai ses autres titres. Je vais déjà digéré celui-là.

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  6. Oooouffff, t'es sacrément chanceux ! Trop souvent quand j'ai lu bien longtemps après tout le monde un roman qui avait été encensé par tous, je suis resté en rade tant mes attentes étaient sur-dimensionnées.
    Sukkwann Island aura marqué (à plus d'un titre) un grand moment de ma vie de lecteur. J'ai été fortement dérangé, voire choqué, par cette sorte de torture psychologique que le père inflige à son fils. Comme toi, j'ai pensé qu'il ne récoltait finalement que ce qu'il avait cherché.
    Le plus glaçant de l'histoire est de savoir, comme Vann l'a plusieurs fois déclaré, que cette histoire est tirée de sa propre expérience de ses virées avec son père et du suicide de ce dernier.

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    1. Je ne connaissais pas cette partie "autobiographique" mais cela ne m'étonne qu'à moitié.

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  7. Je l'ai découvert en audiolivre (je sais que tu n'es pas fan) et le lecteur Thierry Jansen ajoute à la tension qui monte tout au long du roman... suis restée sur le c...

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    1. J'imagine très bien l'effet que doit faire une lecture à voix haute...

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  8. Jusqu'ici, ce que j'avais lu de ce roman ne m'avait pas particulièrement attirée. Mais là, j'avoue que tu m'intrigues. Joli retour, Jérôme !

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  9. oh oui ! cette grande claque ! Le truc qui te laisse pantois ! Ce père infect et sombre con, ce môme bouleversé, et le style de David Vann, le genre de roman qu'on n'oublie pas !! Un énorme coup de coeur !

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  10. Je me souviens encore de cette nuit où je n'ai pas pu lâcher ce roman que j'ai adoré...
    Pa contre, toujours pas lu la BD !

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  11. Je suis contente de voir que tu as aimé le roman. Pour la BD, je l'ai aimée aussi mais comme tu le dis bien, la lire tout de suite après le roman a tout d'une relecture...
    Un autre duo BD/Roman m'attend et je vais m'abstenir de lire l'une à la suite de l'autre...

    RDV à la prochaine formation-soporifico-littéraire qui n'a de seul mérite que celui de nous réunir.

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    1. J'espère qu'il y aura une formation de ce type au cours de l'année scolaire qui s'annonce mais j'en doute fort...

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  12. Quand tu adores, généralement je peux y aller les yeux fermés! Donc c'est banco pour ce roman!

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  13. J'avais été à la fois fascinée et écoeurée par ce roman. J'avais lu toute la seconde partie avec l'envie de vomir... Je n'avais pas apprécié du coup... J'ai préféré Désolations. En revanche, j'ai rencontré l'auteur, il est très très sympathique et parle très bien de son écriture. J'ai lu la BD quelques années après, et j'ai préféré la BD parce qu'elle mettait moins l'accent sur le côté "écoeurant"...

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    1. Il y a plus de distance avec la BD, c'est certain.

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  14. Je peux reprendre toute ta chronique, phrase par phrase, et m'y retrouver, jusqu'à la chute , où je dirais : et j'ai détesté. J'ai tellement haï ce minable de père. Mais bien sûr la lecture est hypnotique. Donc c'est un bon bouquin. Enfin bref, tu comprends ce que je veux dire ! Contente pour toi que ça n'ait pas fait pschitt après tout ce temps, c'était pas gagné...

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    1. C'était pas gagné, non. Et je comprends qu'au final tu sois restée sur une impression si négative.

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  15. J'ai essayé de le lire, et déjà dans la première phase, le père m'a complètement insupportée, j'ai donc abandonné la lecture....

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  16. aaaaah je suis bien content qu'il t'ai plu ce roman. Tu me donnes envie de le relier, à moins d'attendre patiemment la sortie de son prochain roman à paraître en octobre. Quant à la bd, elle ne me tentais pas.

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    1. Pour son prochain roman, je ne vais pas me précipiter ;)

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  17. Une ambiance malsaine du début à la fin! Je ne sais pas dire si je l'ai aimé, mais en tout cas, Percutant, oui, bien ficelé. Il reste en mémoire pendant longtemps!

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  18. j'ai détesté ce livre ! je n'ai pas aimé l'écriture, le père m'a insupportée, je n'ai pas adhéré à la construction...
    En fait, David Vann n'est pas un auteur pour moi , j'ai quand même apprécié Désolations, mais j'ai trouvé Dernier jour sur terre extrêmement mal écrit (ou mal traduit au choix)

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    1. L'écriture est plutôt plate et neutre mais elle colle bien au traitement du sujet je trouve.

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  19. Tu m'as replongée dans l'ambiance de ce roman, merci ! J'avais adoré aussi ! Tu vas tenter ses autres romans maintenant ?

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  20. Il m'a tellement marquée ce roman que j'hésite à en lire d'autres de cet auteur. A te lire j'étais de nouveau complètement immergée dans cette histoire bien sombre...

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  21. J'aime bien quand tu as l'air d'avoir détesté tout ton billet et en fait non, c'était tellement désagréable que tu adores. Je ne l'ai pas lu encore non plus ce roman. Son tour viendra certainement, et pourquoi pas en BD ?

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    1. Commence quand même par le roman, c'est plus sage ;)

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  22. Ce roman fut une grande claque et je l'avais trouvé incroyablement puissant. J'aurais été déçue que tu ne l'aimes pas ! En tout cas, tu m'épargnes la lecture de la BD, je me demandais si elle en valait la peine.

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    1. Tu l'aimerais peut-être davantage que moi la bd, qui sait.

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  23. Ce roman m'a énormément marquée également !
    Il me reste à découvrir la BD (mais comme ma lecture date, j'espère être plus emballée que toi).

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    1. C'est plus raisonnable de lire la bd longtemps après de toute façon.

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  24. Je n'ai pas lu le roman (il faut dire qu'on m'avait raconté la chute) mais on m'a offert la BD que j'ai appréciée plus que toi, du coup.

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    1. J'ai vécu la même chose avec Au revoir là-haut (toujours pas lu le roman...).

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  25. Ta chronique sur Sukkwan Island a piqué ma curiosité !

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  26. Quel livre!!!
    Longtemps après l'avoir refermé, des images terrifiantes restent encore ancrées en moi. Un immense coup de coeur, pour le roman et la BD...

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    1. En ce qui me concerne ce ne sera que pour le roman ;)

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  27. moi je suis tombée sur la phrase qui bascule juste avant de m'endormir, un soir où j'étais seule !!! Je ne voulais plus entendre parler de cet auteur et pourtant, maintenant, des mois plus tard, ça me tenterait bien de retourner dans son univers de fous! dommage pour la BD!

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  28. Je rebondis sur ta première phrase : ouiiii, figure-toi que même moi je l'ai lu, hahaha ! Un livre en moins pour 2025 donc.:-) Bon, ce livre avait de bonnes chances de te plaire, et ça n'a pas raté.:-)

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    1. C'est vrai que je partais confiant sur ce coup-là^^

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  29. Oh oui qu'il gratte ce roman, et qu'il est dur. Et comme cette phrase qui fait tout basculer et qu'on n'a pas venu venir... une lecture inoubliable en ce qui me concerne !

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  30. Sublime roman, il faudrait que je lise la BD :)

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  31. Énorme ce livre... Je n'ai rien lu de l'auteur depuis pour moi il ne pourra pas faire mieux ...

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    1. J'aurais tendance à penser la même chose que toi.

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  32. Il est toujours en attente sur mon étagère

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  33. Quelle claque ce roman, j'en ai encore des frissons... Il était temps que tu t'y colles ! ;-)
    La BD par contre ne me tente pas des masses...

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    1. Concernant la BD, tu peux faire l'impasse selon moi.

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  34. C'est marrant, niveau graphique, j'ai moyennement accroché au départ, mais justement, j'ai trouvé le découpage très bon et ça a un peu éclipsé mon a priori de départ. J'ai préféré le roman, j'en suis ressortie bouleversée, mais j'ai trouvé l'adaptation est réussie, principalement grâce au découpage. :)

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    1. L'adaptation est pour moi trop fidèle, elle n'apporte rien de plus par rapport au roman et c'est bien dommage.

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