La Duchesse de Langeais est une nouvelle qui fait partie de « L’histoire des treize », où figurent aussi « Ferragus » et « La fille aux yeux d’or ». Le texte commence alors que le général de Montriveau, en mission en Espagne, s’introduit dans un couvent de Carmélites aux Baléares. Il y reconnaît avec certitude la femme qu’il recherche depuis cinq longues années et intrigue pour la rencontrer au parloir en présence de la mère supérieure, mais, au dernier moment, elle se dérobe. Après cette introduction, le récit fait un bond de cinq ans en arrière, au moment où ce même général a fait l’objet d’une opération de séduction menée par « la reine du faubourg Saint-Germain », une femme froide, orgueilleuse, prude, experte en coquetterie et qui vit à travers Montriveau l’occasion d’ajouter un prestigieux soldat de Napoléon à sa collection déjà fournie d’admirateurs. La Duchesse de Langeais, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, joua comme à l’accoutumée avec son soupirant, alternant atermoiements et savantes reculades sans jamais lui laisser le moindre espoir de pouvoir consommer une relation devant rester en tout point platonique. D’abord fou amoureux, le général finit par prendre la mouche. Frustré et humilié, il organisa l’enlèvement de la duchesse au cours d’une réception mondaine et menaça de la marquer au fer rouge. Les rôles s’inversèrent alors et la duchesse, devenue amoureuse transie, s’épuisa à tenter de reconquérir son amant. Celui-ci lui montra le dédain le plus profond et, de guerre lasse, Mme de Langeais décida de disparaître à jamais de la vie parisienne pour rentrer dans les ordres…
Grâce à la LCA (Lecture Commune Approximative) d’un ou plusieurs textes de l’Histoire des treize proposée par Marie en février dernier, j’ai pu me replonger dans Balzac, plus de 20 ans après. Est-ce que mon point de vue a changé ? Je serai bien incapable de le dire car je ne gardais aucun souvenir de la Duchesse, pourtant lu en 1994 lors de ma première année de DEUG. Tout ce que je sais c’est qu’en refermant le livre, une question m’a taraudé. Une question toute simple mais qui est à mon sens le point central du récit : Mme de Langeais et Mr de Montriveau se sont-ils vraiment aimés ?
Je m’explique. Même si tout concorde pour ne laisser planer aucun doute sur leurs sentiments réciproques (des mois de fréquentation assidue, l’acharnement dont ils font preuve tour à tour pour rester proches, les cinq année de recherches entreprises par Montriveau, les lettres enflammées envoyées par la duchesse après l’enlèvement, son renoncement et le risque de perdre sa réputation…), je reste persuadé qu’au-delà des apparences, ces deux-là n’ont fait que jouer l’un avec l’autre. Un jeu cruel et vaniteux dans lequel la duchesse ne s’intéresse au général qu’en raison de l’amour qu’el le porte à sa propre personne. Quant à l’acharnement qu’elle met à le reconquérir, je l’attribue à une volonté farouche de ne pas perdre la face. Pour Montriveau, cette femme d’abord aimée devient au final un ennemi à briser coute que coute. Il n’y a là à mes yeux que calcul, vengeance, amour-propre blessé et coups-bas. Il suffit de voir la dernière scène où tout le soufflé retombe dans un plouf final qui ne semble pas perturber plus que cela Montriveau, ce dernier tirant un trait définitif sur cette soi-disant idylle avec une facilité déconcertante.
Sans doute mon point de vue est discutable, mais s’ils s’étaient vraiment aimés, il me semble qu’ils se seraient jetés dans les bras l’un e l’autre, point barre. Finalement, ils n’ont été amoureux que d’une obsession et écrasés l’un comme l’autre par leur vanité. C’est là que réside le tragique de leur histoire, dans cette partie d’échecs où se sont succédés calcul et ressentiment.
Reste la beauté de l’écriture de Balzac, la préciosité de ces dialogues un brin désuet et ce décor de boudoirs et d’hôtels particuliers parisiens qui symbolisent toute une époque. A signaler aussi la misogynie de l’auteur qui dresse un tableau peut reluisant des femmes du grand monde, les peignant en sylphides superficielles et intrigantes, « allumeuses » au cœur de glace. Une vision caricaturale à l’évidence aussi assumée que revendiquée (d’après ce que j’ai lu dans la préface, il a rédigé la nouvelle alors qu'il sortait d’une déception amoureuse avec Mme de Castrie, une coquette de Saint-Germain qui l’avait traité avec le plus grand mépris). Et si finalement La duchesse de Langeais n’était qu’un texte plein de rancœur rédigé par un homme blessé ?
La Duchesse de Langeais de Balzac. Le livre de poche, 2008. 252 pages. 4,10 €.
L'avis de Marie
Je ne l'ai pas lu et j'aimerais le lire. Je pense que tu as raison sur leur liaison. Des vaniteux qui aiment être aimer... Je me programme la lecture pour cet hiver.
RépondreSupprimerSi tu viens à le lire, je me ferais un plaisir de découvrir ton avis.
SupprimerAh mais je l'ai lu ce roman là, mais ne peux répondre à ta question. La déception amoureuse de Balzac explique sans doute bien des choses.
RépondreSupprimerOui, la préface est très claire à ce sujet, il avait apparemment des comptes à régler^^.
RépondreSupprimerEt moi la question qui me taraude, c'est est-ce que tu es toujours autant fâché avec Balzac après cette relecture?
RépondreSupprimerOui, c'est clairement un homme blessé dans son orgueil qui écrit. La duchesse de Castries a profité de l'attirance de Balzac pour les aristocrates pour l'attirer dans le parti légitimiste, mais, après l'avoir bien allumé, a refusé de se donner à lui. Balzac n'était cependant pas totalement à plaindre, car il a toujours couru plusieurs lièvres et, notamment, sa correspondance avec Mme Hanska commence à la même époque.
Je pense que les personnages se sont vraiment aimés, dans l'esprit de Balzac, même si les calculs et revirements peuvent laisser à penser le contraire. Balzac a écrit que La duchesse de Langeais était son plus beau portrait de femme, mais il faut bien reconnaître qu'il est à côté de la plaque. Et qu'il fait plus preuve de misogynie que de talents de psychologue. Je pense que ce qu'il a voulu écrire n'est pas ce que nous percevons, parce que son affaire ne tient pas la route psychologiquement. Mais ce n'est que mon avis personnel!
20 ans après, mon background de lecteur n'est plus du tout le même (heureusement !) et j'apprécie sans doute aujourd'hui Balzac à sa juste valeur. Mais je continue à lui préférer Zola. Son oeuvre plus âpre, plus sociale, me parle davantage.
SupprimerEn tout cas j'ai apprécié de redécouvrir l'histoire de la duchesse et du général. Et je persiste à croire que leur relation était quand même très superficielle (la fin m'a convaincu, lorsque Ronquerolles propose à Montriveau de tirer un trait définitif sur cette histoire et que Montriveau lui répond "oui, ce n'est plus qu'un poème").
Tout ce que j'ai lu de Balzac m'a enchantée. Je ne connaissais pas ce titre mais tu me donnes envie de me faire ma propre opinion ^^
RépondreSupprimerSi tu aimes Balzac, tu peux y aller les fermés, tu ne devrais pas être déçue.
SupprimerJe viens de le lire et j'ai exactement la même interrogation que toi au sujet de la relation entre Antoinette et Armand. Tout comme toi, je pense aussi qu'il n'était question que d'orgueil et de volonté d'avoir l'autre sous sa domination. J'avoue que, ignorant complètement l'histoire avant de le lire, la fin m'a énormément surprise et la fameuse réplique de Montriveau vraiment choquée. Je ne sais pas si Balzac lui donne le sens que je lui ai attribué ( qui est le même que le tien apparemment). En tout cas, belle lecture !
RépondreSupprimerJe suis content de voir que ton analyse se rapproche de la mienne. Tu comptes lire un autre Balzac cette année, ce pourrait être sympa une petite LC ? Moi je pense que je vais lire Le colonel Chabert. Je le préfère sur des textes courts.
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