mercredi 23 novembre 2011

Formose

Lin - © çà et là 2011
Li-Chin Lin est née à Taïwan en 1973. Une île à l’histoire mouvementée, au départ uniquement peuplée d’aborigènes mais très rapidement annexée par les chinois (dès le IIème siècle). Au XVIème siècle, les portugais la rebaptise Formose, nom qu’elle gardera jusqu’à la création de la république de Taïwan en 1895. Cette même année, la Chine cède la toute jeune république au Japon. Il faudra attendre 1945 et la défaite japonaise pour que l’île retourne dans le giron chinois. En 1949, lorsque les nationalistes dirigés par Chiang Kaï-Chek sont chassés du pouvoir par l’Armée Populaire de Mao Zedong, le gouvernement des vaincus s’exile sur l’île. Taïwan devient alors officiellement la république de Chine (à ne surtout pas confondre avec la République Populaire de Chine de Mao). Pendant près de 50 ans la famille Chiang, farouchement anti-communiste, va régner sans partage sur l’île en instaurant la loi martiale. Il faudra attendre 1996 pour voir les premières élections au suffrage universel. Aujourd’hui, si la dictature a disparu, la démocratie reste fragile.

Cette remise en contexte historique un peu lourde est un préalable nécessaire pour bien comprendre cet album autobiographique. Au début des années 80, la petite Li-Chin vit dans le sud de l’île. Difficile pour elle de s’y retrouver entre la propagande officielle anti-communiste, la nostalgie de ses grands parents qui regrettent l’époque de la colonisation japonaise ou encore le dédain affiché à l’égard des autochtones que les chinois considèrent comme des êtres inférieurs. A la maison, sa mère parle le holo (le taïwanais) et sa grand-mère le japonais tandis qu’à l’école seul le mandarin est autorisé. La petite, endoctrinée par ses enseignants, pense que cette dernière langue est la plus noble et la plus à même de faire d’elle une chinoise de Taïwan modèle. Passionnée par le dessin, Li-Chin tombe amoureuse des mangas. Un vrai dilemme pour elle, conditionnée pour mépriser tout ce qui n’émane pas de la république de Chine. La culture japonaise dans son ensemble la fascine malgré elle, ce qui lui pose quelques soucis « patriotiques ».

En 1983, c’est le départ pour le collège, un établissement où on prépare les enfants au concours d’entrée au lycée. Élève appliquée, Li-Chin est acceptée en 1988 dans un lycée de filles de Taipei, la capitale. Un choc pour elle, issue des campagnes du sud et découvrant pour la première fois la vie en ville. En 1989, les événements de la place Tian-An-Men la bouleverse et en 1991, son entrée à la faculté pour suivre des études d’histoire sonne comme une révélation : « c’est à ce moment-là que j’ai vraiment eu l’impression de commencer ma métamorphose, de vivre ma propre vie. […] A la fac, j’ai enfin ouvert les yeux. […] Je me suis rendu compte que, finalement, on nous avait bourré le crâne de mensonges et coupés des vrais témoins historiques.»

Formose est un roman graphique ambitieux et fort bien construit. Li-Chin y évoque sa quête d’identité. En même temps, elle analyse avec clairvoyance l’évolution de son île, l’endoctrinement de la population et la construction de son propre esprit critique. Sans amertume, avec une belle lucidité, elle revient sur le parcours qui a modelé sa conscience politique.

Graphiquement, l’auteur se situe entre Hisaichi Ishii (Mes voisins les Yamada) et une Aurelia Aurita (Fraise et chocolat) qui aurait appris à dessiner : pas d’encrage, pas de cases, un trait proche du crayonné, tout en souplesse et très agréable sur la longueur. Surtout, Li-chin Lin fait preuve d’une belle inventivité. Visages et corps déformés, alternance entre séquences oniriques et réalistes, il y a à travers ses pages une vraie force d’évocation. Le découpage en chapitres et la présentation chronologique des différents événements rend l’ensemble très fluide. Seul petit bémol, l’absence de véritable évolution physique chez l’héroïne. La Li-chin de l’école primaire et l’étudiante de fac semblent être une seule et même personne dont l’apparence n’a pas changé d’un iota malgré les années.

Une fois encore, les éditions çà et là sortent des sentiers battus avec un album inclassable et de qualité. Merci à eux et Libfly de m’avoir permis d’élargir mon champ de connaissance de la BD mondiale avec cette belle découverte.


Formose, de Li-Chin Lin, Éditions çà et là, 2011. 252 pages. 22 euros.

Lin - © çà et là 2011


Lin - © çà et là 2011



 




 


14 commentaires:

  1. J'aimerais pouvoir feuilleter l'ouvrage avant achat..car le sujet me tente.

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  2. @ Wens : Il faudra patienter encore un peu avant de le feuilleter car je crois qu'il n'est pas encore sorti en librairie (mon exemplaire est un service de presse de l'éditeur).

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  3. Le graphisme est spécial ^^ Mais c'est le genre d'albums dont je suis friande. Miam... hâte de le lire maintenant ^^
    Je découvre aussi que Ca et Là publie du manga ! Je ne sais pas pourquoi, je m'étais faite à l'idée qu'ils ne publiaient que des comics. Je mourrais moins bête ce soir ;) Merci Jérôme ^^

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  4. Le sujet m'intéresse beaucoup moi aussi, même si la planche que tu présentes ne m'attire pas de prime abord.

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  5. Intéressant, et effectivement ça donne à vouloir feuilleter ! J'aime bien la couverture ^^
    C'est du Manga, ou du roman graphique ??

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  6. @ Mo' : connaissant un peu tes goûts en matière de BD, je pense vraiment que tu vas trouver ton compte avec ce titre.

    @ soukee : c'est vrai que de prime abord, le dessin n'a rien d'alléchant. Mais l'auteur fait preuve d'une inventivité assez extraordinaire qui donne à l'ensemble un vrai "cachet".

    @ Oliv : ce n'est pas du manga. Li-Chin Lin vit en France depuis 10 ans et a été élève à l'école d'Angoulême. C'est donc le roman graphique d'une auteure Taiwanaise "de France".

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  7. Franchement, je ne sais pas quoi en penser... Le dessin me rebute un peu je dois dire, même si le thème correspond bien à ce que j'aime lire... A voir donc...

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  8. Le thème ne m'attire pas (et le dessin, encore moins pour tout dire). Disons que j'aspire à des choses un peu plus légères en ce moment. Mais cela n'empêche qu'elle a l'air assez dense cette BD : elle est sûrement passionnante

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  9. J'hésite pour celui-ci... je jetterai un oeil en librairie...

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  10. Je trouve ça intéressant, le contexte historique aide.

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  11. Je présume que je vais devoir attendre une plombe avant de le trouver au Québec ... Peut-être que j'arriverai à le voir pendant mes vacances en France en fin d'année

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  12. @ Noukette, Sara et Yvan : Le feuilletage en librairie est sans doute la meilleure manière de se faire une opinion.

    @ Arsenul : c'est vraiment l'aspect le plus intéressant. Je ne connaissais strictement rien à l'histoire de cette île et cette BD m'a appris beaucoup de choses.

    @ Kikine : si tu passes par chez nous en fin d'année, tu le trouveras forcément.

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  13. Bon , j'arrive peut-être un peu tard mais je confirme qu'il est sorti en librairie. TRès intéressée en tout cas par cet album !

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  14. @ Choco : oui, je l'ai vu ce matin chez mon dealer préféré.

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