vendredi 22 juillet 2011

Iznogoud

1961. René Goscinny, rédacteur en chef de Pilote, est contacté par les éditions La bonne Presse pour créer une nouvelle série à paraître dans le magazine Record devant être lancé en janvier 1962. Le scénariste se tourne naturellement vers Jean Tabary, dessinateur avec lequel il réalise les aventures de Valentin le vagabond, pour mettre en route cette nouvelle série. Les deux auteurs s’accordent pour imaginer les exploits d’un détective privé à New York et Tabary réunit toute la documentation nécessaire. C’est donc entouré de photos d’automobiles, d’armes et d’hélicoptères qu’il reçoit les premières pages d’une histoire commençant par la phrase suivante : « Il y avait une fois à Bagdad un bon calife du nom d’Haroun-El Poussah... » Et quand le dessinateur contacte Goscinny pour lui demander ce que cela veut dire, il s’entend répondre : « Ah, j’ai oublié de te dire : j’ai changé d’idée, on va raconter une histoire du genre des Mille et une nuits, en plus drôle… Tu es d’accord ? » En fait, l’idée lui est venue en rédigeant un chapitre du Petit Nicolas dans lequel un moniteur de colonie de vacances raconte l’histoire d’un calife qui était très bon mais qui avait un très méchant vizir…

Finalement, il ne faut pas grand-chose pour résumer la mécanique de la série : Iznogoud le méchant Vizir tente par tous les moyens de prendre la place du calife. Au fil des histoires, le lecteur comprend très vite que le but n’est pas de savoir si le grand vizir va réussir son coup mais comment il va s’y prendre pour échouer et, le plus souvent, tomber dans ses propres pièges. Le calife déjoue quant à lui systématiquement et sans s’en rendre compte les stratagèmes mis en place par Iznogoud avec une bonhomie et une naïveté confondantes.

Pour varier les situations et ne pas donner l’impression de raconter toujours la même histoire, Goscinny s’appuie sur la richesse de l’univers dans lequel se déroule la série. Bagdad l’enchanteresse, la mystérieuse, regorge de Djinns, de magiciens et de marchands d’objets magiques qui permettent de renouveler à l’infini les vaines tentatives d’Iznogoud.

Avec son trait nerveux Tabary se régale à mettre en scène les improbables situations imaginées par son scénariste. Il compose à chaque nouvelle histoire des personnages secondaires aux trognes impayables qui participent grandement au ton humoristique de la série. D’ailleurs, pour ce qui est de l’humour, le scénariste n’est pas en reste. Il multiplie jeux de mots et calembours lamentables et il entoure son cher vizir d’une incroyable galerie d’imbéciles encore jamais vue en bande dessinée.

C'est en débarquant dans l'hebdomadaire Pilote en 1972 que la série, intitulée depuis ses débuts « Les aventures du calife Haroun El Poussah », change de nom pour devenir « Les aventures du grand vizir Iznogoud », faisant définitivement du vizir le personnage principal.

A la mort de Goscinny en 1977, Tabary reprend seul le flambeau. Aujourd’hui, ce sont ses trois enfants qui assurent la relève d’une série mythique où la méchanceté et les échecs perpétuels de l’infâme Iznogoud font sourire les lecteurs depuis 50 ans.

Plus grandes forces de cette série :

  • C’est sans doute la première fois depuis les Pieds Nickelés qu’un héros de série n’est pas animé de louables intentions. On ne peut qu’être admiratif devant la volonté inusable de ce vizir qui restera sans doute un des plus grands « méchants » de l’histoire de la BD.
  • Les calembours et autres jeux de mots, parfois très tirés par les cheveux mais qui sont la marque de la série.
  • La richesse des personnages secondaires. Il y a bien sûr Dilat Larath, l’homme de main d’Iznogoud qui accomplit les basses besognes et ne cesse de prévenir son patron de l’échec à venir de ses manœuvres, mais il y a aussi tous les marchands, magiciens et autres colporteurs qui illuminent les histoires de leur vanité, de leur cupidité et le plus souvent de leur incommensurable stupidité.
  • Le trait de Tabary qui se reconnaît au premier coup d'oeil et donne un charme indéfinissable à la série.
Ce qui m’a le plus agacé :

  • L’inconscience béate du calife. Un personnage flegmatique qui ne brille pas par son intelligence et se révèle au final assez peu intéressant car il n’évolue pas du tout au fil des albums.
  • Les histoires où Goscinny n’est pas au scénario sont souvent très faiblardes. Un constat qui s’impose avec les deux autres grandes séries de ce génie qui lui ont survécu (Astérix et Lucky Luke).

Extrait du tome 7 : une carotte pour Iznogoud


Carte d’identité de la série :

Auteurs : Jean Tabary et René Goscinny
Date de création : 1962
Nombre d'albums : 28 (série en cours)
Éditeur : Dargaud et Éditions Tabary

5 commentaires:

  1. La série continue donc avec la nouvelle génération?

    RépondreSupprimer
  2. Oui Mango la série continue mais les derniers albums sont indignes de ceux publiés par le tandem Goscinnny / Tabary de l'époque Pilote. Les enfants Tabary ont voulu reprendre le flambeau mais le résultat s'avère navrant. J'ai emprunté le dernier album à la bibli et je n'ai pas dépasser la 20ème plpache, c'est dire...

    RépondreSupprimer
  3. j'aime bien Iznogoud ( et Leonard est un génie ? tu aimes? )

    RépondreSupprimer
  4. @ KiWinini : j'aime beaucoup Léonard et surtout son disciple !

    RépondreSupprimer
  5. C'est très intéressant d'apprendre la génèse de cette oeuvre! Je connaissais l'anecdote du Petit Nicolas, mais pas celui du détective privé... c'est très drôle! J'imagine la tête de Tabary en lisant les premières lignes du scénario!
    Je constate, en effet, que c'est difficile d'élaborer en faisant un résumé de la série! On a tout dit dès la première phrase : Il veut, il essaie, ça ne marche jamais... et l'autre idiot ne voit absolument rien!
    Et qu'est-ce que j'ai été décu, moi aussi, la première fois que j'ai lu un tome écrit par Tabary lui-même!! J'ai vraiment trouvé ça nul... Et ce n'était pas à cause d'un préjugé défavorable, puisque je n'avais même pas remarqué, avant ma lecture, que Goscinny n'était pas au scénario! Ce n'est qu'une fois ma lecture terminée que je me suis dit : «Cet album est loin d'être aussi drôle que ceux que je lisais étant jeune, comment se fait-il que Goscinny ait écrit quelque chose d'aussi...» et là, en refermant la couverture, j'ai découvert le pot aux roses! L'album, que je croyais être un ancien que je n'avais jamais lu, était en fait un des premiers que Tabary avait écrit seul. Depuis, j'en ai lu un autre, pour la forme, mais ma conclusion est la même : plus jamais d'Iznogoud sauf ceux où Goscinny était au scénario.
    Bravo pour ta fine analyse et tes très bons commentaires, que j'entérine tous tels qu'ils sont!

    RépondreSupprimer

Je modère les commentaires pour vous éviter les captcha pénibles de Google. Je ne filtre rien pour autant, tous les commentaires sans exception seront validés au plus vite, promis !