samedi 13 décembre 2014

Une saison de coton : trois familles de métayers - James Agee et Walker Evans

« Une civilisation qui, pour quelque raison que ce soit, porte préjudice à une vie humaine, ou une civilisation qui ne peut exister qu’en portant préjudice à la vie humaine, ne mérite ni ce nom ni de perdurer. Et un être dont la vie se nourrit du préjudice imposé aux autres, et qui préfère que cela continue ainsi, n’est humain que par définition, ayant beaucoup plus en commun avec la punaise de lit, le ver solitaire, le cancer et les charognards des mers. »

1936. James Agee part faire un reportage sur les conditions de travail des fermiers blancs et pauvres du sud profond. Un reportage que le magazine Fortune refusera au final de publier. Trop virulent, trop bouleversant. Et, sur, le fond une charge anticapitaliste toujours d’actualité.

Agee s’intéresse à trois familles : les Tingle, les Fields et les Burroughs. Les premiers sont les plus en difficulté. « Les Tingle ne sont plus capables d’envisager l’existence une saison à la fois, ni même un jour à la fois : désorganisés, engourdis, animés en de brefs sursauts, ils flottent dans leur vie comme on dérive sur l’eau, une heure après l’autre. La pauvreté est la cause de leur indifférence ; leur indifférence les enfonce plus profond encore dans la pauvreté ». Les Fields et les Burroughs, tout aussi pauvres, conservent néanmoins « une emprise sur la vie » qu’ils s’échinent tant bien que mal à entretenir.

Après avoir  montré comment les propriétaires terriens maintiennent les métayers sous leur coupe et les exploitent sans vergogne, Agee décrit chaque aspect du quotidien de ces familles : l’habitat fait de maisons de bois aux toits perméables et aux murs n’offrant aucune protection contre les frimas hivernaux et les canicules estivales  (« pour pousser à terre ces baraquements, il suffirait d’un seul homme décidé ») ; la nourriture, constituée essentiellement de fruits et légumes secs accompagnés de pain de maïs (la viande étant très rarement au menu) ; les vêtements (salopettes, chemises et robes en coton, chapeaux de paille, habits du dimanche, chaussures aussi rares que déglinguées, le tout tâché par la sueur, la graisse, la boue et lavé très occasionnellement) ; la culture du coton, harassante, dépendante des aléas du climat et des attaques de chenilles où la cueillette est un acte simple et terrible qui brise les corps et met à mal l’endurance (un homme cueille en moyenne 115 kilos par jour) ; l’éducation (sur 150 jours d’école, les enfants en manquent généralement la moitié pour aider leurs parents dans les champs ou pour cause de maladie et n’iront de toute façon pas au-delà du CM2) ; les loisirs et les relations sociales, quasi inexistants ; la santé, forcément précaire (les Tingle, par exemple, ont perdu sept enfants)…

Agee pose un regard plein de compassion sur ces pauvres hères broyés par la vie. Sans empathie particulière, il rend dignité et humanité à ces familles ravagées par la misère. Il en profite également pour dénoncer radicalement l’économie ultralibérale d’une Amérique qui, loin du clinquant d’Hollywood et de la modernité des grandes métropoles, laisse une partie de sa population ravalée au rang de bêtes de somme. Édifiant.




Une saison de coton : trois familles de métayers de James Agee (photographies de Walker Evans). Bourgois, 2014. 188 pages. 18,00 euros.





Un billet qui signe ma contribution mensuelle au projet non-fiction de Marilyne


jeudi 11 décembre 2014

Petit point sur la rentrée littéraire de septembre et sur celle à venir en janvier



Je reprends l’idée d’Eva, qui a fait un billet en début de semaine.

Un grand malade, voila ce que je suis. Ce n’est pas un scoop mais en mettant le nez dans ma pal hier soir, l’évidence m’a sauté aux yeux. Alors que j’ai déjà lu vingt-cinq titres de la rentrée de septembre, il m’en reste encore pas moins de vingt à lire ! De la folie, surtout que janvier arrive à grands pas et j’ai déjà repéré quelques incontournables qui risquent de griller la politesse à ceux présent depuis plusieurs semaines dans la salle d’attente, je me connais…

Alors, j’ai lu :



Il me reste à lire :



Et j'ai envie de lire à partir de janvier (pour l'instant, la liste est loin d'être exhaustive !)













mercredi 10 décembre 2014

L’arabe du futur T1 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984) - Riad Sattouf

Riad Sattouf est né en 1978, d’un père Syrien et d’une mère bretonne. En 1980, il découvre la Lybie de Kahdafi, où son père vient d’obtenir un poste de professeur. Une Lybie où « Le Guide » a aboli la propriété privée et créé un « État des masses populaires » où, en théorie, « tout le monde a un toit, tout le monde mange à sa faim, tout le monde travaille. » Après un retour en France, la famille déménage en Syrie en 1984 et rejoint le berceau des Sattouf dans un village près de Homs. L’occasion pour Riad de découvrir le quotidien des paysans, la misère, la promiscuité, l’antisémitisme omniprésent et la violence gratuite. Une plongée dans une culture totalement différente, déstabilisante mais à laquelle il finira par s’adapter, à marche plus ou moins forcée…

Premier tome d’une trilogie, ce témoignage purement autobiographique a quelque chose de dérangeant. Parce que le regard du petit Riad, tout en candeur, ne passe par aucun filtre. Et son point de vue présente les libyens et les syriens comme des êtres frustes à l’hygiène douteuse et sans aucune éducation. Il les découvre plein de haine à l’égard des juifs et des occidentaux, gratuitement méchants, cruels avec les animaux, bref il ne les montre pas sous leur meilleur jour, c’est le moins que l’on puisse dire. Pour autant je ne vois là aucun racisme, juste la vision d’un enfant en proie à des émotions brutes ne possédant pas les critères d’appréciation permettant de prendre le moindre recul. Et puis la présence d’une voix off accompagne le récit, informe le lecteur et met les choses en perspective.

En fait, j’ai l’impression que cet album est avant tout et surtout un hommage au père. Un père laïc, féru de politique et de panarabisme, vouant un culte naïf aux dictateurs, qu’ils soient libyen ou syrien. Un père au brillant parcours universitaire, se considérant comme moderne mais toujours très à cheval sur les relations hommes/femmes, trouvant le plus naturel du monde que le mari commande et que la femme obéisse sans jamais discuter. Un père obsédé par l’idée que son fils aille à l’école, s’instruise et devienne « L’arabe du futur ».

Il serait stupide de réduire cet album à un quelconque règlement de compte. C’est pour moi un travail de mémoire (sans doute sélective) relatant une histoire familiale riche et peu banale que j’ai trouvée passionnante.

Et si je ne devais garder qu’une seule image, une image qui résume parfaitement l'album, ce serait celle-là :




L’arabe du futur T1 : Une jeunesse au Moyen-Orient de Riad Sattouf. Allary Éditions, 2014. 158 pages. 20,90 euros.





mardi 9 décembre 2014

Boucle d’Ours - Stéphane Servant et Laetitia Le Saux

Toute la famille ours se prépare pour le grand carnaval de la forêt. Le papa est déguisé en grand méchant loup, la maman en Belle au bois dormant et l'ourson en Boucle d'Ours, ce qui déplaît à son père : les jupes et les couettes, ce n'est pas pour les garçons, son fils devrait plutôt se déguiser en chevalier ou en ogre féroce. Mais le fiston, soutenu par sa mère, refuse de changer d’avis. Et il va trouver un allié aussi convaincant qu’inattendu…

« Anxiogène, effroyable, terrible ». Voila ce que j’ai pu lire à propos de cet album sur certains sites ultracon(servateurs). Mais aussi cette phrase admirable de bêtise crasse : « Cet album vise à déconstruire et ridiculiser les conventions sociales et même les identités sexuelles biologiques sans se demander si ces conventions sont bénéfiques ou non. En particulier dans le cas de jeunes enfants (0 à 3 ans) auquel cet album est destiné et qui ont besoin de repères pour se construire, il parait étonnant de leur mettre dans la tête que l’on peut faire ce que l’on veut. […] C’est un manuel exemplaire de « trouble dans le genre » et de destruction du modèle familial qu’on fait lire à vos enfants de 3 ans dans les écoles de la République ! »

Ben voyons… Franchement, j’ai mal au ventre en lisant des conneries pareilles. Alors comme ça, ce livre est une abomination. Soit. Il est inadmissible. Il pervertit la jeunesse. Soit. Déjà, le proposer à un enfant de moins de 4-5 ans n’a strictement aucun sens. Mais passons, l’essentiel est ailleurs. Ce livre est dégueulasse parce qu’il est drôle. Furieusement drôle. Et le rire est un pêché, c’est bien connu et ce n’est pas Umberto Eco et son « Nom de la Rose » qui diront le contraire. Ensuite, ce texte est infâme parce qu’il détourne les contes traditionnels, il introduit la figure du loup du Petit chaperon rouge et fait référence évidemment à Boucle d’Or, mais aussi aux Trois petits cochons, donnant dans l’intertextualité, dans l’idée du palimpseste chère à Genette. Il offre aux tout-petits leur première leçon de littérature comparée, quelle honte ! Il brise aussi les repères de nos chères têtes blondes qui, évidemment, sont parfaitement au fait de nos « conventions sociales ». Faut-il rappeler les travaux de Bruno Bettelheim et sa « Psychanalyse des contes de fées » ? : « L’enfant qui est familiarisé avec les contes de fées comprend qu’ils s’adressent à lui dans un langage symbolique, loin de la réalité quotidienne. Le conte laisse entendre dès son début, tout au long de l’intrigue, et dans sa conclusion, qu’il ne nous parle pas de faits tangibles, ni de personnes et d’endroits réels. Quant à l’enfant lui-même, les événements réels ne prennent pour lui de l’importance qu’à travers la signification symbolique qu’il leur prête ou qu’il trouve en eux ». Bref, on est loin de la destruction du modèle familial. Et finalement, moi aussi je peux lui faire dire ce que je veux à cet album.

Ah, j’oubliais. J’ai eu la chance de rencontrer Stéphane Servant la semaine dernière au salon de Montreuil. J’ai découvert un homme charmant et ouvert à la discussion, forcément un peu embarrassé et désolé de voir la tournure que prennent  les événements. Nous avons parlé de ce texte qu’il a écrit sans penser un quart de seconde aux interprétations délirantes qui en sont faites par certains culs serrés. Et pour rassurer lesdits culs serrés, je peux affirmer avec certitude que son but n’est pas de faire de tous les enfants des travestis en puissance.

Et si le mieux était de prendre ce livre pour ce qu’il est, c'est-à-dire une histoire légère et drôlissime aux illustrations particulièrement expressives. Une histoire à partager en famille qui fera rire petits et grands le temps d’une lecture complice. Ni plus ni moins.

Boucle d’Ours de Stéphane Servant et Laetitia Le Saux. Didier Jeunesse, 2013. 28 pages. 12,50 euros. A partir de 4 ans.  

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette et Stephie. Il fallait bien que l'on s'y mette à trois pour défendre cet album.

L'avis de Martine Littér'auteur





dimanche 7 décembre 2014

Moisson - Jim Crace

Une fois n’est pas coutume, je vais commencer mon billet par une petite revue de presse. Voila par exemple ce que j’ai trouvé dans « Lire » à propos de ce roman : « Moisson est un conte noir, dont la puissance est dissimulée sous les épis de blé, les bottes de foin, les réserves de chaumes, et au-dessus duquel le ciel menace sans cesse.  […]Moisson, c’est le feu du western qui arrive dans un roman naturaliste. […] Par un phrasé ample, tout à la fois psychologique et abstrait, chamanesque pour un peu, Crace tient son lecteur en apnée. […] Intemporel, Moisson est un des très grands moments de l’automne littéraire cette année ».

Et dans le Monde des livres : « Crace est un ménestrel. Il chante les temps d’avant la croissance mythique et s’interroge sur la moisson de la modernité. […] Il faut lire Crace, un écrivain poétique, politique et puissant. Un fabuleux fabuliste ».

Bon, alors de deux choses l’une : ou bien je suis un parfait abruti (hypothèse à ne pas écarter totalement, je vous le concède), ou bien ces critiques professionnels en font des caisses pour un roman qui ne casse pas trois pattes à un canard. La réalité doit sans doute se trouver quelque part entre ces deux possibilités.  Par rapport à l’article du monde, je ne retiendrais que l’aspect politique de l’œuvre. Parce que perso, je n’y ai rien vu de poétique ni de puissant. Quant au feu du western qui arrive dans un roman naturaliste dont parle « Lire », je me demande si on a lu le même livre. En tout cas je n’ai pas été tenu en apnée une seule seconde.

Mais au fait, de quoi il parle ce roman ? D’une petite communauté agricole de soixante âmes isolée du reste du monde et vivant en totale autarcie. On ne sait pas où elle se trouve, on ne sait pas quand l’action se déroule. Ce pourrait être le Moyen âge, ce pourrait être le 19ème siècle préindustriel. En fait, le fonctionnement du village au fil des saisons a tout de féodal. Le narrateur raconte l’arrestation de trois étrangers après un incendie ayant touché une partie du manoir du seigneur Ken. Accusés sans preuve, les deux hommes sont cloués au pilori et la femme parvient à s’échapper. Quelques jours plus tard apparaît maître Jordan, nouveau propriétaire des lieux voulant remplacer les cultures par l’élevage de moutons et faire basculer cette « bulle » hors du temps vers le progrès, vers le capitalisme de marché. Ces deux événements à priori sans rapport vont précipiter l’éclatement de la communauté.

Clairement, je me suis ennuyé. Le narrateur loue les vertus de la nature triomphante, de la  simplicité du travail de la terre. Il y a de longues descriptions des activités agricoles, des champs et des bois qui ont eu sur moi un effet soporifique indéniable. Après, je reconnais qu’il y a une forme de tension assez prenante par moment, que l’aspect intemporel donne une dimension mystérieuse et universelle au récit, que l’évidente allégorie dénonçant la mondialisation et le propos politique sous-jacent (notamment le racisme lié au repli sur soi) sont finement amenés. Mais de là à en faire « un des très grands moments de l’automne littéraire cette année », il y a un fossé, un énorme fossé, que je me garderais bien de franchir.


Moisson de Jim Crace. Rivages, 2014. 266 pages. 20,00 euros.











vendredi 5 décembre 2014

Fenêtre sur cour d’école - Laëtitia Coryn

Pendant une année, de la fenêtre de son atelier, Laetitia Coryn a observé une cour d'école. Elle y a croqué, au fil des mois, les heures d’entrée et de sortie des classes, les récréations toujours animées ou encore le centre aéré du mercredi.

Au menu, des jeux d’enfants, des chamailleries, des bobos, un caïd qui veut faire le malin, des incontournables comme le jour de la rentrée, la bataille de boules de neige, les déguisements du carnaval ou encore le ballon qui passe par-dessus le mur et que l’on réclame à corps et à cris au voisin.

Il n’y a pour ainsi dire aucun texte, c’est doux et sensible, poétique. C’est pour le lecteur un retour en enfance qui rappelle bien des souvenirs. Certaines trouvailles graphiques font mouche, comme le surveillant gérant les élèves à la manière d'un chien de berger regroupant son troupeau et le trait, spontané, donne beaucoup de dynamisme à ces élèves en perpétuel mouvement. On pourra reprocher à cet album son coté « bisounours », on pourra lui reprocher de caricaturer, de laisser les filles jouer à l’élastique et les garçons au foot (alors que c’est juste la réalité de cette cour de récré je suppose), on pourra s’étonner d’y voir des enfants sans portable et sans console de jeux (alors que ces objets sont simplement interdits dans la très grandes majorité des écoles), bref, on pourra toujours trouver des choses à redire. Moi je m’y suis senti bien dans cet album et j’ai aimé cette succession d’instantanés tout en simplicité. Pour tout vous dire, c’est un livre que j’aimerais glisser au pied du sapin, je sais déjà à qui il ferait très plaisir.

Fenêtre sur cour d’école de Laëtitia Coryn. Dargaud, 2014. 96 pages. 16,00 euros.

jeudi 4 décembre 2014

A Hell of a Woman / Une femme d’enfer - Jim Thompson et Thomas Ott

Faites une croix sur le calendrier, j’ai lu un polar ! Bon, attention, pas n’importe lequel. Un polar américain des années 50. Un polar à l’ancienne. Un polar à propos duquel Stanley Kubrick a déclaré : « Probablement le narrateur à la première personne le plus terrifiant et le plus crédible d'un esprit criminel tordu que j'aie jamais rencontré. » Un polar adapté au cinéma par Alain Corneau sous le titre « Série Noire » avec Patrick Dewaere, Marie Trintignant, Myriam Boyer et Bernard Blier. Un polar de Jim Thompson, auteur culte s’il en est, adulé par James Ellroy et Stephen King. Bref, pas de la gnognote.

Le narrateur à la première personne se nomme Frank Dillon. C’est un représentant de commerce à la petite semaine, le genre de gars qui a du mal à joindre les deux bouts, qui frappe à votre porte sans conviction, désabusé de chez désabusé. Le jour où une grand-mère lui propose sa nièce Mona en guise de paiement, Franck met le pied dans un nid de vipères. Découvrant grâce à la petite que la mamy cache un magot dans sa cave, le VRP met au point un plan imparable pour récupérer l’argent. Un plan tellement imparable que rien ne va se passer comme prévu.

Ah là là que j’ai aimé ce bouquin ! Le Frank est un loser de première, poissard comme c’est pas permis, engoncé dans des certitudes qui ne tiennent pas debout une seconde. Il est également retors, de mauvaise foi, cynique, vénal, égoïste, lâche, trouillard et exagérément mielleux quand les conditions l’exigent. Et puis il est entouré d’une bande d’affreux jojos irrécupérables. C’est simple, il n’y a pas un personnage pour rattraper l’autre. La méchanceté est partout, même chez les femmes (surtout chez les femmes devrais-je dire). Tout cela est ironique à souhait et furieusement drôle, un vrai régal d’humour noir.

Et que dire de cette édition grand format illustrée par l’excellent Thomas Ott et publiée dans l’esprit des pulp américains de la première moitié du 20ème siècle. L’ensemble se présente comme une intégrale regroupant sept fascicules aux couvertures différentes et forme un gros volume au graphisme et à la mise en page vintage pleine de charme. Un superbe objet-livre, vraiment.

A Hell of a Woman ou « La véritable histoire du combat d’un homme contre un sort injuste et des femmes indignes ». Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Frank. Je ne suis pas du tout un lecteur de polar et il n’y a aucune raison que ça change mais si à chaque fois que je me lance je tombe sur un titre de cette qualité, je risque de finir par y prendre goût.

A Hell of a Woman – Une femme d’enfer de Jim Thompson. La Baconnière, 2014. 206 pages. 25,00 euros.




mercredi 3 décembre 2014

Petites coupures à Shioguni - Florent Chavouet

« Kenji avait emprunté de l'argent à des gens qui n'étaient pas une banque pour ouvrir un restaurant qui n'avait pas de clients. Forcément, quand les prêteurs sont revenus, c'était pas pour Goûter les plats. » Alors oui, forcément, il a pris cher Kenji. Mais les choses ne sont pas si simples, les policiers chargés de l’enquête vont s’en rendre compte. Le procès verbal de la nuit du 26 octobre montre à quel point les événements se sont enchaînés de manière étrange avant et après l’agression subie par Kenji dans son restaurant. Et s’il s’avérait que les yakuzas n’étaient pas venus pour lui mais pour la seule cliente qu’il avait eue ce soir-là ? Et si cette jeune femme était la clé de voûte de cette soirée dont chacun se souviendra longtemps ?


Pour sa première intrusion dans la fiction après deux excellents carnets de voyage (Tokyo Sanpo et Manabé Shima), Florent Chavouet fait fort et se lance dans une trépidante course poursuite dans les rues de Shioguni (je ne suis pas certain que cette ville ou ce quartier existe d’ailleurs, mais peu importe). Il y met en scène des gangsters pieds-nickelés, des policiers pas fute-fute, un chauffeur de taxi aigri, un cuisinier revanchard, un tigre en liberté et surtout une insaisissable gamine qui tire les ficelles sans avoir l’air d’y toucher. Ça peut paraître foutraque de prime abord mais les pièces du puzzle s’imbriquent petit à petit lorsque l'on découvre les éléments venant peu à peu s’ajouter au rapport de police qui sert de fil conducteur à l’intrigue.


Chavouet met sa virtuosité graphique au service de l’histoire sans jamais tomber dans l'exercice de style et le résultat est bluffant. Sa science du cadrage fait mouche, même si la prise de risque est permanente. L’objet-livre en lui-même est superbe avec sa couverture cartonnée maousse costaud et ses pages saturées d’encre qui dégagent une odeur entêtante.

Un conseil : accrochez votre ceinture avant d’ouvrir cet album parce qu’il va à cent à l’heure et ne vous lancez pas si vous n’êtes pas certain de pouvoir tout lire d’un coup, il doit vraiment se savourer sans interruption du début à la fin.


Petites coupures à Shioguni de Florent Chavouet. Picquier, 2014. 180 pages. 21,50 euros.









mardi 2 décembre 2014

Le premier mardi c'est permis (31) : L’amande - Nedjma

Nedjma se présente comme « une maghrébine d’une cinquantaine d’années, moitié berbère, moitié arabe, célibataire ». On n’en saura pas plus. Aucune photo, même sa famille n’est pas au courant de ses talents d’écrivain. « L’amande », publié en 2004, est considéré comme le premier roman érotique écrit par une musulmane. Depuis, elle a sorti un second roman tout aussi torride et elle continue à vivre dans la clandestinité. « Je n’ai pas le courage d’un Rushdie, j’ai choisi de prendre un pseudonyme ».

L’amande raconte l’histoire d’une paysanne marocaine qui fuit la campagne et son mari commis d’office pour rejoindre Tanger et découvrir la sexualité auprès d’un cardiologue érotomane. Pour Driss, elle fera tomber un à un les tabous liée à son éducation ultraconservatrice et sombrera dans un déchaînement sexuel dont elle aura du mal à sortir indemne.

Les chapitres alternent entre son enfance à la campagne et son présent dans les nuits luxueuses de Tanger. En guise d’introduction, la narratrice précise : «  J’ai décidé d’écrire librement, sans chichis, la tête claire et le sexe frémissant ». Mariée à dix-sept ans à un notable qui en avait quarante, elle devient une épouse servile : «  Le servir, puis débarrasser. Rejoindre la chambre conjugale. Ouvrir les jambes. Ne pas bouger. Ne pas soupirer. Ne pas vomir. Ne rien ressentir. Mourir. […] M’essuyer l’entrejambe. Dormir. Haïr les hommes. Leur machin. Leur sperme qui sent mauvais ». Ou encore, à propos de sa nuit de noces, alors que son mari ne parvient pas à la pénétrer : « Ma belle-mère me ligota les bras aux barreaux du lit avec son foulard et Naïma se chargea de me plaquer solidement les jambes. Pétrifiée, j’ai réalisé que mon mari allait me déflorer sous les yeux de ma sœur. Il m’a rompue en deux d’un coup sec et je me suis évanouie pour la première et unique fois de ma vie ».

Dénonciation de mœurs barbares et séculaires, émancipation d’une femme désireuse de briser le carcan dans lequel on a voulu l’enfermer, « L’amande » est un texte cru et virulent, un cri de révolte et de colère, un texte sensuel, puissant et sans concession.

L’amande de Nedjma. Pocket, 2005. 212 pages. 6.80 euros.











lundi 1 décembre 2014

La tendresse des pierres - Marion Fayolle

Samedi à Montreuil, dans les allées du salon, Moka me rappelle l'air de rien que je n'ai toujours pas lu cet album pour lequel elle avait eu un véritable coup de cœur et qu'il y a là quelque chose d'absolument inadmissible ! Elle m'avait déjà fait le coup avec « Le bleu est une couleurchaude », je m'étais exécuté fissa et je ne l'avais pas regretté, ce n'est rien de le dire. Cette BD, je l'ai achetée il y a un an et depuis, elle traîne sur mes étagères, attendant que je lui accorde l'attention qu'elle mérite. Alors hier matin, j'ai profité d'une maisonnée endormie pour m'y plonger la tête la première.

« C'était un homme insaisissable, souvent absent et au tempérament très dur. La maladie venait mettre un grand coup dans sa vie. Tout s'écroulait. C'était triste mais j'étais convaincue que ça allait le rendre meilleur, que tout irait mieux entre nous, maintenant que tout allait mal pour lui. S'il avait failli mourir mais qu'il n'était pas mort, c'était que la vie lui avait donné un sursis pour qu'on aille à la rencontre l'un de l'autre ».

La narratrice raconte l'agonie de son père. C'est d'abord un poumon qu'on lui ôte, puis le nez, qu'il va dorénavant porter au cou comme un ruban, et enfin la bouche. On lui offre de nouveaux poumons, qu'il doit traîner derrière lui comme une valise à roulettes. Petit à petit, le père redevient un enfant dont il faut s'occuper sans cesse, incapable de marcher, incapable de se nourrir seul, qui ne parle plus, faisant la sieste chaque après-midi et qu'il faut embrasser chaque soir sur le front pour le rassurer avant de dormir. Un père tyrannique auquel chaque membre de la famille offre son temps sans jamais avoir le moindre remerciement. Un père finalement condamné le jour où la sentence des médecins tombe, définitive : « Papa va mourir ».

Incroyable album à l'inventivité graphique sans limite, parfois proche du surréalisme, épuré à l'extrême et d'une force d'évocation stupéfiante. Le rapport au père est souligné avec une pudeur bouleversante. On sent la souffrance, la perte à venir, les non-dits, ces mots d'amour qui jamais ne viendront. L'accompagnement vers les derniers instants est décrit avec une sensibilité qui mettrait la larme à l’œil au gros dur le plus aguerri. Au delà du sujet pour le moins douloureux, je trouve le rapport texte/images proprement fascinant. Un très, très, très grand album. Moka avait raison, il aurait été inadmissible de le laisser prendre la poussière plus longtemps.

« Si j'avais dû trouver un élément pour symboliser mon père, j'aurais choisi les pierres. Mais, attention pas les galets lisses et doux. Non, plutôt les rochers qui piquent les pieds si on leur marche dessus sans chaussures. Ceux qui sont recouverts d'aspérités. Ceux qui râpent, qui coupent, qui sont agressifs et froids. Mon père était un rocher sur lequel on aurait aimé s'agripper sans se blesser. Sous lequel on aurait aimé s'abriter sans se sentir menacé ».

La tendresse des pierres de Marion Fayolle. Magnani, 2013. 140 pages. 25,90 euros.

Les avis de Mirontaine et Moka.





samedi 29 novembre 2014

La fabuleuse histoire de la poire géante - Jakob Martin Strid

Un message et une graine dans une bouteille suffisent pour que Mitch et Sebastian se lancent bien malgré eux dans une grande aventure maritime. Au menu, de terrible pirates, la mer de la nuit noire, une île mystérieuse, un monstre marin et des poires géantes.

J'ai adoré ! Un ressenti très personnelle, l'impression de revenir en enfance, de retourner dans la maison de vacances de mes grands-parent où je me glissais le soir venu sous un énorme édredon en plumes avec un livre d'images choisi sur les étagères de la bibliothèque du salon.

Cette « Fabuleuse histoire de la poire géante » a le goût et la patine des ouvrages d'antan. On l'ouvre et un monde merveilleux s'ouvre à nous, un monde dans lequel on voudrait se projeter. On l'ouvre et on entre dans un bulle qui nous isole du triste quotidien, nous plonge dans une délicieuse histoire aux péripéties rocambolesques, sans danger et sans enjeux anxiogènes. On l'ouvre et on est fasciné par la beauté des illustrations, ces plans de machines et d'habitations où chaque détail compte, où rien ne manque. On l'ouvre et on se dit que, décidément, la littérature de jeunesse est d'une infinie richesse.

J'ai ouvert ce livre et j'ai eu à nouveau huit ans pendant une heure. C'était magique.

La fabuleuse histoire de la poire géante de Jakob Martin Strid. Pocket Jeunesse, 2014. 106 pages. 19,90 euros. A partir de 7 ans.








vendredi 28 novembre 2014

Retour à Little Wing - Nickolas Butler

Ils étaient quatre. Inséparables depuis l’enfance, ayant grandi dans ce coin paumé du Wisconsin appelé Little Wing, dans le trou du cul de l’Amérique. Ils sont devenus courtier, champion de rodéo, fermier et rock star. Entrés de plain pied dans la trentaine, l’heure est aux grands changements. Leurs chemins se sont séparés mais aujourd’hui chacun revient sur la terre qui l’a vu naître. Les retrouvailles sont chaleureuses. Ou pas. Doute, nostalgie, avenir incertain et cadavres sortis du placard vont mettre en danger des liens d’amitié plus fragiles qu’il n’y paraît.

Un roman choral qui ne me laissera pas un souvenir impérissable. Il avait pourtant tout pour me plaire. Une histoire d’hommes, les grands espaces, les petits riens des petites gens… Et pourtant je l’ai trouvé trop plat, trop « facile ». Les hommes de Little Wing dont il est question ici sont les descendants d’un western de pacotille. Ils sont bourrus, ont l’amitié virile, portent santiags et jeans, roulent avec leur pick-up entre les champs de maïs. Ils boivent de la bière tiédasse dans d’infâmes bouis-bouis sentant la grassouille et regardent chaque matin le soleil se lever les larmes aux yeux. Un catalogue de clichés très lisses et une scène finale que j’ai trouvée absolument ridicule. Et puis il y a des phrases tellement cucul dans ce texte : « Je me suis levé et approché d’elle, comprenant en cet instant que nous avions déjà commencé à vieillir et que nous vieillirons ensemble » ou encore : « j’ai senti la main de Ronny dans la mienne, sa peau rugueuse, et je l’ai serrée en me sentant à la fois triste pour lui et heureux d’être à ses côtés, heureux qu’il soit là. […] J’avais dans le cœur un énorme puits d’amour que je sentais déborder, tout en le sachant intarissable. » Sérieux ????

Je suis désolé mais l’amitié célébrée avec de telles niaiseries, je ne peux pas. Surtout quand je repense à « Je refuse » qui abordait la même thématique avec beaucoup plus de finesse et d’aspérités, avec une écriture pleine de souffle et une narration cent fois plus attrayante. Un roman bien trop simple (j’ai envie de dire simpliste), bien trop naïf, célébrant une forme d’amitié et d’authenticité bien trop artificielle. Une belle grosse déception, quoi. Ça arrive, malheureusement.

Pour la peine, je retourne écouter le Little Wing de Jimmy Hendrix. Au moins avec celui-là, je n’ai jamais été déçu.

Retour à Little Wing de Nickolas Butler. Autrement, 2014. 445 pages. 22,00 euros.

Une lecture commune que je partage avec Sylire, Tiphanie et Valérie.

Les avis de ClaraHélèneEstellecalim ; Kathel ; KrolLéa Touch Book ; Sandrine ;







J'ai reçu ce livre dans le cadre des matchs de la rentrée Priceminister
et il faut que je lui mette une note. Le pauvre...
Allez, je vais être bon prince et lui donner un généreux 11/20.










jeudi 27 novembre 2014

Le livre de perle - Timothée de Fombelle

Quel plaisir de replonger dans un roman de Timothée de Fombelle ! Un auteur assez rare finalement, loin de toute surproduction éditoriale, qui prend son temps entre chaque ouvrage, préférant à l’évidence fignoler que bâcler. Et quand on voit le résultat, on se dit qu’il a drôlement raison de procéder de la sorte.

Il était une fois un prince chassé de son royaume enchanté et projeté dans Paris à la veille de la seconde guerre mondiale. Recueilli par un couple de confiseurs, il prend part au conflit, est fait prisonnier puis entre dans un réseau de résistants. Par la suite, il cherchera à retrouver dans notre monde des objets venant de « son » royaume et gardera toujours l’espoir de retourner chez lui pour retrouver la fée qu’il n’a jamais cessé d’aimer.

Il est difficile de résumer ce foisonnant roman à tiroirs tant sa construction particulièrement subtile le rend à la fois limpide et complexe. Tout l’art de conteur de Timothée de Fombelle s’y déploie. Artisan minutieux, il tricote son canevas serré-serré, mêle intimement les fils qui relient ses personnages, nous balade à travers les mondes et les époques sans jamais nous perdre en route. C’est simple, j’ai rarement lu un texte jeunesse aussi ambitieux, aussi maîtrisé et aussi prenant.

Ode à l’amour et à la puissance de l’imaginaire, Le livre de Perle relate la quête impossible d’un paradis perdu. Un récit sur un fil, entre onirisme et dure réalité. Pour Timothée de Fombelle, « les histoires nous inventent ». Il suffit juste d’y croire pour qu’elles existent.

Le livre de perle de Timothée de Fombelle. Gallimard jeunesse, 2014. 298 pages. 16,00 euros. A partir de 14 ans.

L'avis de Léa Touch Book



mercredi 26 novembre 2014

Ernest et Rebecca T6 : La boîte à blagues - Bianco et Dalena

J’ai déjà eu l’occasion de crier l’amour que je porte à Ernest et Rebecca ici, ici et ici. J’adore cette série parce qu’elle est drôle et intelligente, parce qu’elle porte de profondes réflexions tout en restant accessible.

Le volume précédent se concluait sur l’annonce de la maladie de Pépé Bestiole, le grand-père de Rebecca. Dès la première planche de ce sixième tome, on retrouve la fillette en route pour l’hôpital. Si pépé est mal en point, c’est à cause "du vin et du virus de la cigarette". Avec le microbe Ernest à son chevet pour le protéger, pépé s’accroche. Et parce que la bonne humeur guérit tout, il va confier une mission à sa petite fille : remplir une casquette de blagues et revenir les lui raconter pour accélérer son rétablissement. Aidée d’une factrice débutante et de ses amis Chris, Romuald et Diego, Rebecca part en quête d’histoires drôles…

Une des plus belles séries jeunesse actuelles ! J’adore le personnage de Rebecca. Pétillante, colérique, sensible, d’une franchise déconcertante, démarrant au quart de tour, elle rayonne. Franchement, j’ai eu peur que Pépé Bestiole casse sa pipe, j’aurais eu l’air fin à chialer comme une madeleine devant une BD pour enfants. Heureusement, Guillaume Bianco a épargné mon petit cœur tout mou. Mais il sait ménager le suspens et donner des sueurs froides à son lecteur, l’animal. Et puis il sait aussi parfaitement manier l’humour et l’émotion en abordant des thèmes graves avec une forme de légèreté parfaitement dosée.

Fan je suis, fan je resterai ! Et vivement le tome 7 qui s’intitulera « Il faut sauver Monsieur Rébaud » (c’est l’instituteur de Rebecca, on apprend à la dernière page qu’il vient d’être renvoyé et que sa remplaçante est une vraie sorcière. Tout un programme !).

Ernest et Rebecca T6 : La boîte à blagues de Bianco et Dalena. Le Lombard, 2014. 48 pages. 10,60 euros. A partir de 7-8 ans.







mardi 25 novembre 2014

Aimy et Rose ou la forêt des trois chemins - Kochka

Rose et sa fille Aimy vivent isolées dans une cabane au fond des bois, comme toutes les femmes de leur famille depuis que leur arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-grand-mère se retira du monde lorsqu’elle fut accusée de sorcellerie et condamnée au bûcher. Depuis, de génération en génération, mère et filles vivent « en autarcie dans une maison entourée de bois qui ressemble à un nid ». Mais le jour où Aimy découvre que la plupart des enfants ne vivent pas comme elle, qu’ils vont dans un endroit appelé « École » pour apprendre à lire, écrire, compter et vivre ensemble, sa vision des choses est bouleversée. Et il lui faudra une rencontre avec un livre pour que son existence bascule définitivement…

Je suis tombé sous le charme de ce petit roman plein de douceur et d’humanité. Un texte qui lorgne du coté du conte avec une étonnante légèreté de ton. Un texte qui rappelle s’il en était encore besoin que la littérature peut changer la vie, que « pour être vraiment heureux, on a besoin d’être important pour quelqu’un » ou encore que l’on « ne s’épanouit pas tout seul à l’écart du monde, on a besoin de partager ». Finalement ce texte pour enfants est aussi un clin d’œil aux parents surprotecteurs, une façon de leur dire : laissez donc vos bambins grandir par eux-mêmes et s'ouvrir aux autres, ils vous en seront à jamais reconnaissants.

Eh oui, il y a tout cela et bien plus encore dans ce délicieux petit roman.

Aimy et Rose ou la forêt des trois chemins de Kochka. Édition du Jasmin, 2014. 90 pages. 9,00 euros. A partir de 9 ans.

Encore une belle lecture jeunesse du mardi que je partage avec Noukette.

Et une participation au coup de projecteur donné cette semaine par Stephie sur les éditions du Jasmin.




lundi 24 novembre 2014

Malenfer, la forêt des ténèbres T1 - Cassandra O’Donnell

Malenfer, la forêt maléfique, ne cesse d’avancer. Elle menace désormais la maison où vivent Gabriel et sa petite sœur Zoé. Depuis que leurs parents sont partis chercher de l’aide et n’ont plus donné de nouvelles, les enfants doivent se débrouiller seuls. Ils continuent chaque jour de se rendre à l’école de Wallanger, où il se passe d’étranges événements. Un monstre serait tapi au fond du lac maudit qui borde l’établissement. Un monstre qui aurait un lien avec la disparition soudaine d’un élève dont on aurait retrouvé une chaussure au bord de l’eau… Aidés de quelques camarades, Gabriel et Zoé décident de mener l’enquête.

Une nouvelle série de fantasy prometteuse qui sort quelque peu des sentiers battus dans la mesure où elle s’adresse à un public pas forcément habitué à fréquenter ce genre. Tout a été pensé au niveau de la forme pour ne pas perdre en route les novices et mettre le pied à l’étrier à ceux qui se découragent à l’idée de se lancer dans des « sagas-pavés ». Ici, à peine 200 pages, des chapitres courts et une typo très aérée sont autant d'éléments contribuant à mettre le petit lecteur frileux en confiance, et c’est vraiment une bonne chose.

Ce premier tome reste un tome d’introduction où l’histoire se met doucement en place et où l’on comprend que bien des mystères restent encore à résoudre. Les personnages sont attachants, la magie est omniprésente, l’école de Gabriel et Zoé à un petit coté « Harrypotterien » qui devrait plaire et les créatures fantastiques pullulent. Une recette éculée, certes, mais qui a fait ses preuves. Efficace et bien pensée, cette série va permettre de faire découvrir la fantasy à un public plus jeune et pas nécessairement gros lecteur, c’est un point très positif.

Malenfer, la forêt des ténèbres T1 de Cassandra O’Donnell. Flammarion, 2014. 216 pages. 10,00 euros.


Les avis de MyaRosa et Nahe 

dimanche 23 novembre 2014

La guerre des bisous

Parce que Montreuil approche à grands pas, je vais me focaliser cette semaine sur quelques nouveautés en littérature jeunesse. On commence en douceur avec un album plein de bisous.

La guerre des bisous a commencé quand Lili a embrassé Jojo sur la bouche. Un bécot. Un gros bécot ! Dounia a cafté et pour la peine, Thomas lui a fait un bisou. « Du coup, Julie, jalouse, a fait un bisou à Arthur qui a fait un bisou à Rayan, parce que y a pas de raison ! ». Puis c'est Aboubacar qui a embrassé la maîtresse et la directrice qui a embrassé Monsieur Bernard, le surveillant. A partir de là, tout est parti en sucette et le monde entier a été contaminé par une incontrôlable épidémie de bisous.

Oh la belle maladie que voilà ! Le battement d'ailes de deux enfants qui s'embrassent et c'est toute la terre qui s'embrase. A chaque page, le virus se répand un peu plus. Mais en bas de chaque page, dans le coin gauche, il y a un petit rabat. Sous ce rabat on retrouve Lili et Jojo. Pendant que la guerre des bisous s'étend, ces deux-là sont dans leur bulle. Ils ont déclenché les hostilités mais depuis, ils sont seuls au monde. L'événement à beau être planétaire, ils n'en font plus partie. Parce qu'ils s'aiment et que quand on s'aime, rien d'autre ne compte.

Malgré les apparences, Vincent Cuvellier a voulu écrire sur l'intimité. La vraie histoire est muette, c'est celle de Lili et Jojo, en bas à gauche de chaque page, sous ce petit rabat derrière lequel ils vont pouvoir s'isoler de la folie ambiante. Les illustrations de Suzanne Arhex, pleines de spontanéité, possèdent le coté naïf et nerveux qu'avaient les premiers Tom-Tom et Nana. Un très joli album, frais et léger, qui fait du bien. Autant en profiter, surtout par les temps qui courent.

La guerre des bisous de Vincent Cuvellier et Suzanne arhex. Gallimard, 2014. 24 pages. 13,90 euros. A partir de 5 ans.







vendredi 21 novembre 2014

Le puits - Ivan Repila

Je n’ai pas l’habitude de le faire, mais pour une fois je vais spolier à mort. Difficile de comprendre ce que j’ai ressenti en lisant cet OVNI si on ne connait pas l’ensemble de l’histoire. Je m’en excuse par avance mais je suis incapable de procéder autrement. Je précise d’emblée que ce livre, on me l’a prêté. Je n’en avais jusqu’alors jamais entendu parler. C’est un tout petit fascicule d’une centaine de pages. Dans la préface, Zoé Valdes s’extasie devant cette œuvre qu’elle place « au panthéon des Jules Verne, Alain Fournier et autres Antoine de Saint-Exupéry ». Franchement, je n’ai rien vu de tout ça.

Dès la première page, nous sommes avec deux frères prisonniers d’un puits. On ne sait pas où ils sont, on ne sait pas quand l’histoire se déroule, on ne sait pas comment ils s’appellent ni comment ils sont arrivés là. Il y a juste « le grand » et « le petit », coincés dans un trou sans aucune possibilité de s'en échapper. J’ai compris que les numéros des chapitres, s’enchaînant sans suite logique (2-3-5-7-11-13-17-19-23…), devaient correspondre aux jours qui passent. Pour info, le dernier chapitre est le 97…

Les jours passent, donc, et les enfants se nourrissent de vers et de racines. Ils s’occupent comme ils peuvent, dorment affreusement mal, dépérissent peu à peu. Dans ce huis clos irrespirable, le petit sombre peu à peu dans la folie. Tous deux pensent au meurtre, au cannibalisme, à cette faim qui les ronge, à cette liberté semblant à jamais perdue. Et pendant ce temps, personne ne leur vient en aide, personne ne semble même les chercher. A la fin, le petit s’en sort. Mais pas le grand. A la fin, le petit se venge. Mais je ne vous dirais pas comment. A la fin, j’ai refermé le livre en me demandant à quoi cela pouvait bien rimer.

Le puits, premier roman d’un auteur espagnol né en 1978, est pour moi un texte archi-dérangeant. Parce que je n’ai pas vu le sens, et j’aime trouver du sens quand je lis. Parabole, allégorie, fable sans morale ? Démonstration de ce que peut être la fraternité au sens le plus noble du terme ? Je cherche encore. J’accepte tout à fait de reconnaître que je n’ai rien compris mais alors qu’on m’explique ! Et puis pour un gars claustrophobe comme moi, cette lecture a été une véritable épreuve, à la limite de la souffrance physique. En tout état de cause, je ne suis pas près de l’oublier.


Le puits d’Ivan Repila. Denoël, 2014. 110 pages. 11,00 euros.

Les avis de Cryssilda et Sandrine









mercredi 19 novembre 2014

Little Tulip - Boucq et Charyn

New York, années 70. Alors qu’un tueur en série agresse les femmes seules dans des ruelles sombres, Pavel le tatoueur voudrait venir en aide à la police en réalisant un portrait-robot de l’assassin, mais malheureusement aucun témoin ni indice ne lui permet de se mettre à l’œuvre. Il faut dire que Pavel possède depuis l’enfance un don pour le dessin. Un don qui lui a sauvé la vie des années plus tôt, en 1947, lorsqu’il fut déporté avec ses parents dans un goulag sibérien. Il n’avait que sept ans à l’époque et pour survivre au cœur de cet enfer, il s’était rapproché du chef de gang « Kiril la baleine », dont il avait fini par devenir le tatoueur officiel. Un statut qui lui offrit pendant un temps une certaine forme de protection…

Il était inimaginable pour moi de rater le retour du duo Boucq/Charyn vingt-cinq ans après la publication du fabuleux « Bouche du diable ». Comme toujours avec le romancier originaire du Bronx, New York sert de toile de fond à une intrigue multipliant les va-et-vient entre l’URSS de Staline et l’Amérique de Nixon. Le récit est dans l’ensemble violent, sombre et cruel mais pas que. Il propose une réflexion sur les luttes de pouvoir dans le microcosme du goulag et insiste sur l’importance du sens que prenait chaque tatouage pour les prisonniers.

Un vrai plaisir de lecture simple et direct comme je les aime. Sans chichi, sans considérations intellos ou nombrilistes. De la BD populaire dans le bon sens du terme avec de l’action, des sentiments, de la tension et des drames. Le dessin de Boucq est comme d’habitude à tomber par terre et les couleurs sont somptueuses. Concernant le scénario, j’avoue que la fin est quelque peu tirée par les cheveux tant certaines coïncidences sont difficiles à croire. Mais on s’en fiche. Tout ce qui  compte est de se laisser prendre par la main dès la première page pour voir se déployer le destin hors du commun de ce tatoueur aux doigts de fée. Pas l’album de l’année, comme certains l’affirment déjà, mais sans conteste un incontournable pour les fans de ce duo aussi rare que talentueux.

Little Tulip de Boucq et Charyn. Le Lombard, 2014. 88 pages. 16,45 euros.











mardi 18 novembre 2014

La chasse aux papas - Mathis

Paul a besoin de parler de son père. « Qui s’énerve pour un oui ou un non. Qui hurle au lieu de lui parler. Qui lui dit de se taire au lieu d’écouter. Qui le gifle quand il lui répond ». Pauline l’écoute avec attention. Elle, c’est son chien qui s’appelle papa. Un père, un vrai, elle n’en a pas. Il est parti avant sa naissance. Les deux enfants viennent à peine de se rencontrer et pourtant ils décident de faire cause commune. Ensemble, ils se dirigent vers le parc pour se choisir un super papa. Une partie de chasse qui va leur réserver de belles surprises.

Suite de notre tour d’horizon des nouveautés de la collection « Petite poche » avec une histoire d’amitié touchante et sympathique. « Les  papas, c’est un peu comme des pommes dans un cageot. Il y en a toujours une ou deux qui sont un peu pourries. » Pauline a entendu cette phrase dans la bouche de sa voisine. Pour Paul, les choses ne sont pas si simples : « Les papas, c’est pas des pommes. Et les mamans, c’est pas des poires. » Les enfants s’accordent sur un profil idéal : Un papa sportif, un peu sérieux, mais pas trop, avec une bonne tête. Et pas déjà pris ! Autant dire que la mission est ardue.

Un petit ouvrage de lecture aisée et rapide qui aborde, sous ses faux airs de légèreté, l’importante question du rapport au père. Mathis a un don pour traiter avec sensibilité les sujets les plus complexes (je vous conseille, si vous ne me croyez pas, de découvrir son magnifique « Le bébé et le hérisson »). Il le prouve une fois de plus ici, avec le talent qui le caractérise.

La chasse aux papas de Mathis. Thierry Magnier, 2014. 47 pages. 5,10 euros. A partir de 8 ans.


Et une nouvelle lecture jeunesse du mardi que je partage avec Noukette.





lundi 17 novembre 2014

Toxic Boy T1 - Xavier

Dans un monde au bord de l'asphyxie, où des éruptions d'eaux toxiques condamnent à plus ou moins long terme toute activité humaine, le jeune Poko fait figure d'exception. Contaminé comme beaucoup d'autres par ces eaux polluées, il semble depuis insensible à leurs effets. Au contraire, il s'en nourrit comme d'une drogue et voit sa force décuplée dès qu'il plonge dans un bain de toxines. Poko intrigue et fascine. Il semble aussi attirer les ennuis comme un aimant...

Un shonen à la française de près de 300 pages, premier volume d'une série prévue en quatre tomes, il fallait oser ! Le pari de Xavier est risqué mais réussi. Son western futuriste post-apocalyptique est enlevé en diable et l'univers créé, d'une rare profondeur, offre de nombreuses perspectives. Un poil d'écologie, des personnages bien campés, des péripéties variées, une intrigue qui mêle mafia et politique et un épilogue qui ne peut que donner envie de connaître la suite, la recette est éprouvée mais efficace.

Le dessin, nerveux à souhait, offre une belle caisse de résonance à l'enchaînement des scènes d'action. A souligner aussi le travail très intéressant sur les décors, qu'ils soient désertiques ou maritimes. Une agréable surprise que ce mélange de manga et de BD franco-belge très éloigné de ma zone de confort habituelle. Il faut saluer la prise de risque d'un jeune auteur audacieux, capable de mettre en images un véritable page turner. Chapeau !



Toxic Boy T1 de Xavier. Sandawe, 2014. 296 pages. 13,90 euros.

Une lecture que j'ai le plaisir de partager avec Mo.