samedi 10 février 2018

Vulnérables - Richard Krawiec

Dandy, premier roman noir, écorché, crépusculaire de Richard Krawiec, m’avait ébloui. J’attendais donc le second avec une impatience mêlée d’appréhension. L’univers de Vulnérables reste le même que celui de Dandy, présentant une Amérique pauvre et un personnage principal à la marge. Billy Pike, quadra sortant tout juste de prison, est appelé à l’aide par ses parents venant d’être cambriolés. Le fils maudit n’a pas remis les pieds dans la maison familiale depuis des années. Son arrivée est loin de soulever l’enthousiasme mais le couple, incapable de surmonter le traumatisme de la violation de son intimité et craignant une nouvelle effraction, n’a pas eu d’autre choix que de le solliciter pour assurer un minimum de sécurité autour et à l’intérieur du logement. Une initiative guidée par la peur et le désespoir qui s’avérera à l’usage bien plus néfaste que positive. 

En préface, Krawiec prévient : « Billy Pike est de ceux qui sont tombés avant de découvrir qu’il n’y avait personne pour les relever. »  Le moins que l’on puisse dire c’est que le « sauveur » n’est pas d’une solidité à toute épreuve. C’est un homme solitaire, fragile, torturé, en plein désarroi. Un géant au pied d’argile qui avait trouvé dans la fuite loin des siens une manière radicale de les protéger de ses propres démons. Car Billy est violent, instable, immature, capable des pires atrocités. Adepte de l’autodestruction, il survit avec les moyens du bord, seul contre tous.

Vulnérables. Le titre est parfait. Dans ce roman tout le monde est vulnérable. Autopsie d’un naufrage, le texte ne laisse aucune place à la lumière. Une noirceur qui a la  longue m’a fatigué. Le pathos tourne au mélo dégoulinant et, un peu comme chez William Boyle, j’ai trouvé que Krawiec forçait le trait dramatique gratuitement et que cela desservait son histoire. On est à la limite de la complaisance dans la description finale de la chute de Billy, en tout cas on est loin de la finesse de Dandy. Dommage parce que le bougre connait à merveille le monde des oubliés du rêve américain et il n’a pas besoin d’en rajouter pour mettre en scène des marginaux aux trajectoires aussi fouillées que marquantes. Finalement mon appréhension de départ s’est révélée légitime. Malheureusement.

Vulnérables de Richard Krawiec. Tusitala, 2017. 220 pages. 20,00 euros.






mercredi 7 février 2018

Jean Doux et le mystère de la disquette molle - Philippe Valette

« J’espère que vous avez un slip de rechange parce qu’on risque de perler de la rillette ! »

Ce genre de phrase me fait kiffer. Grave. Et ce genre d’album encore plus. Tellement barré, tellement décalé, tellement plein de second degré, d’humour absurde, de réparties improbables, de dialogues surréalistes. Comme ce passage où notre héros Jean Doux ouvre la porte des toilettes et tombe sur un collègue tout nu assis sur le trône :

- Mais… qu’est-ce que vous faites à poil Jean-Pierre ?
- C’est parce que j’aime chier nu. Ça me bloque sinon.
[…]
- Vous en avez encore pour longtemps ?
- Euuh… Je suis sur un très très gros dossier, là… Et le consensus est plutôt mou.
- Mon Dieu… Merci pour l’analogie Jean-Pierre.

Voila, le ton est donné. L’histoire, je n’ai pas envie de vous la résumer. Disons juste que tout se passe en une journée, dans les bureaux de la société Privatek, une société spécialisée dans les broyeuses à papier où chaque employé a un prénom composé commençant par Jean. On y croise donc des Jean-Pierre, des Jean-Patrick, des Jean-Daniel, des Jean-Yves, des Jean-Baptiste, des Jean-Claude et des Jean-Bernard. Jean Doux, spécialiste des questions juridiques, arrive en retard à une réunion et c’est le début d’une succession d’événements plus incroyables les uns que les autres qui vont le mettre sur la piste d’un « gros mythe bureaucratique ». Dis comme ça, j’avoue que ça ne fait pas rêver mais croyez-moi, ce huis-clos en open space est un vrai régal, du moins si l'on aime ce type d'humour assez particulier.




Niveau dessin, j’avoue que ce n’est pas l’extase. Certaines cases m’ont fait penser à South Park, qui est quand même loin d’être une référence en la matière. Mais je dois aussi reconnaître qu’un tel parti pris graphique est parfaitement raccord avec le scénario.

Un album inclassable, frapadingue, déjanté, jouissif. Un album qui vient de remporter à Angoulême le « Fauve Polar SNCF », une récompense amplement méritée !

Jean Doux et le mystère de la disquette molle de Philippe Valette. Delcourt, 2017. 250 pages. 29,95 euros.


Encore un cadeau de blogueuse reçu à Noël, décidément, j'ai été gâté !

Toutes les BD de la semaine sont à retrouver chez Moka.












mardi 6 février 2018

Sauveur et fils, saison 4 - Marie-Aude Murail

« Rue des Murlins, au numéro 12, il y avait une maison à la porte grande ouverte ».

Depuis quatre saisons cette maisons accueille les cabossés, les perdus, les abandonnés. Celles et ceux qui ont un problème à partager, un secret à confier, une valise trop lourde à porter. Sauveur Saint-Yves, Psychologue clinicien, en a vu passer des cas compliqués. Il en même a recueilli quelques-uns entre ses murs comme Gabin le lycéen dont la mère est internée en HP ou Jovo le SDF ancien légionnaire. Parmi ses « clients » réguliers il y a Ella, qui voudrait être un garçon et qui panse ses plaies dans l’écriture, son père Camille, alcoolique en phase de désintoxication, la petite Maïlys, quatre ans, qui cherche par tous les moyens à attirer l’attention de ses parents, les sœurs Margaux et Blandine ou encore Samuel, en guerre permanente avec sa mère.

Les nouveaux arrivants se nomment Solo le gardien prison et Jean-Jacques, qui passe sa vie dans chambre et refuse de mettre le nez dehors. Comme d’habitude le roman alterne les échanges dans le cabinet du praticien et les moments de vie privée de ce dernier, une vie privée toujours aussi emberlificotée entre son fils Lazare, ses « invités » permanents squattant sa cave et son grenier et la douce Louise accompagnée de ses deux enfants, qui partage de plus en plus sa vie et a des envies de maternité. Rien n’est simple mais rien n’est insoluble non plus, il faut juste prendre le temps d’écouter, d’échanger, de partager et d’avancer, ensemble.

Alors comme ça, Sauveur c’est fini ? Définitivement ? Difficile de laisser cet univers plein de vie et de chaleur humaine, ces dialogues aux petits oignons, ces personnages si attachants. Difficile de se dire que l’on ne franchira plus la porte du cabinet, que l’on ne partagera plus les confidences de patients cherchant avant toute chose une bonne âme qui les écoute et comprend leurs maux.

Une série formidable s’achève, une série moderne, intelligente, réaliste. Une série débordant d’empathie et d’humanité, une série qui fait du bien, une série dont chaque nouveau tome était l’assurance de passer un délicieux moment de lecture entre les quatre murs du 12 rue des Murlins. Merci pour tout madame Murail, je ne suis pas près d’oublier Sauveur et sa joyeuse clique !

Sauveur et fils, saison 4 de Marie-Aude Murail. L’école des loisirs, 2018. 300 pages. 17,00 euros.

Une lecture commune évidemment partagée avec Noukette.

Mes avis sur les saisons 1, 2 et 3.






lundi 5 février 2018

Les lectures de Charlotte (48) : Boris : le petit livre de mes grands secrets - Mathis

Ah, les secrets ! Ceux que l’on garde précieusement, ceux que d’autres révèlent à notre insu, ce qui ne se répètent pas, ceux que l’on ne peut pas préserver. Mieux vaut ne pas fanfaronner quand on a quelques secrets honteux à cacher, mieux vaut garder pour soi ceux qui fâchent. Et puis il y a ceux que l’on s’invente pour s’entourer de mystère, ceux que l’on partage donnant-donnant…

Boris révèle dans ce petit livre tous ses grands secrets. Et si vous connaissez l’animal, vous vous doutez que ce n’est pas joli-joli. Sans fausse modestie, celui qui se considère comme le plus courageux, le plus élégant, le plus intelligent et le plus grand des ours dit tout, absolument tout.

Au passage il révèle (parfois malgré lui) des secrets dignes de sa sulfureuse réputation. Monsieur colle par exemple ses crottes de nez derrière son lit, fait pipi dans les plantes de mamie et se mouche dans les rideaux. On apprend également que ce vantard « croit que la cuvette des WC est un monstre qui mange du caca », qu’il ne peut s’endormir sans un bisou de sa maman et qu’il a peur des poupées.



Comme d’habitude c’est hilarant. Politiquement incorrect, sans langue de bois et plein de mauvais esprit, le tout saupoudré par une petite touche de douceur qui rend ce chenapan si attachant. Un Boris égal à lui-même en somme. Charlotte l’adore. Les bad boys et les forts en gueule c’est décidément son truc, et ce n’est pas moi qui vais lui reprocher d’avoir des goûts aussi tranchés. 

Boris : le petit livre de mes grands secrets de Mathis. Thierry Magnier, 2018. 48 pages. 14,50 euros. A partir de 4-5 ans.

p.s. après plus d’un an d’absence Boris revient enfin sur les rayonnages des librairies avec non pas une mais deux nouveautés puisqu’en même temps que le petit livre des grands secrets est sorti « Le jour des bisous ». L’occasion de faire coup double avec Boris.



p.s. (bis) : Je profite de ce billet pour souhaiter le plus joli des anniversaires à ma pépette adorée, qui fête ses 5 ans aujourd’hui.






samedi 3 février 2018

Comme un chef - Benoît Peeters et Aurélia Aurita

Je connais peu de choses à propos de Benoît Peeters. Je sais juste qu’il est le scénariste de la superbe série « Les cités obscures » et que c’est un des plus grands spécialistes d’Hergé. Dans ce récit autobiographique je découvre sa passion pour la cuisine, une passion née dès l’enfance dans un foyer où les repas concoctés par sa mère étaient pourtant d’une qualité plus que douteuse. Initié à la gastronomie par un camarade d’Hypokhâgne, il connait sa première grande émotion gustative au cours d’un repas dans le restaurant  étoilé des frères Troisgros à Roanne. Une révélation qui le pousse à se lancer à corps perdu dans les expériences culinaires, au point de tourner le dos à sciences po pour entamer une périlleuse carrière de chef à domicile dans les beaux quartiers de Bruxelles.

L’album décrit à merveille l’émotion que peut procurer un plat préparé à la perfection. Peeters, qui a contribué à éditer en France « Le gourmet solitaire » de Taniguchi, transmet avec la même simplicité que l’auteur japonais son enthousiasme pour la bonne chère. Il revient aussi longuement sur son amour de la littérature, notamment sa relation privilégiée avec Roland Barthes, qui valida le dépôt de son mémoire universitaire Sur « Les bijoux de la Castafiore ».

Quelque part cette autobiographie intime m’a rappelé l’album « Extases » de Jean-Louis Tripp. Comme chez Tripp, on découvre la fascination d’un homme pour un sujet (le sexe pour l’un, la cuisine pour l’autre) qu’il souhaite explorer dans toutes ses dimensions. Le regard porté par Peeters sur son parcours et son éducation culinaire est aussi modeste que sincère. L’hommage appuyé aux grands chefs qui ont croisé sa route montre à quel point il se sent redevable (et privilégié) d’avoir pu côtoyer de telles personnes et surtout d’avoir pu manger à leur table. Au-delà, il souligne que la cuisine est avant tout une histoire de partage et de rencontres, et que le plaisir peut être le même derrière les fourneaux que devant l’assiette.

Graphiquement, Aurelia Aurita donne dans la simplicité. Son dessin enjoué reste au service du texte sans jamais chercher à en faire trop et l’idée de ne mettre en couleur que les plats ou les ingrédients est une trouvaille qui permet de rappeler que ces derniers sont finalement les éléments centraux du récit.

Un album mitonné aux petits oignons, à savourer sans modération (ok, cette phrase de conclusion archiconvenue ne vole pas haut mais c'est le week-end alors je me permets de céder à la facilité).


Comme un chef de Benoît Peeters et Aurélia Aurita. Casterman, 2018. 216 pages. 18,95 euros.





jeudi 1 février 2018

L’infinie patience des oiseaux - David Malouf

1914. De retour sur ses terres du Queensland après avoir étudié en Angleterre, Ashley Crowther fait la connaissance de Jim Saddler, un jeune homme de son âge passionné d’ornithologie. Partageant le même amour de la nature que son nouvel ami, Ashley décide de créer dans les marais de son domaine un sanctuaire pour les oiseaux migrateurs. Mais quand la guerre explose en Europe, Jim et lui se retrouvent au cœur d’un conflit qui va bouleverser leurs destins.

Salué comme un chef d’œuvre au moment de sa publication en Australie en 1982, L’infinie patience des oiseaux est un texte magnifique, tout en retenue et en poésie. David Malouf décrit le quotidien du soldat Jim au jour le jour, de l’engagement à la traversée de l’océan, du débarquement en France aux premiers combats, de la vie à l’arrière à l’enfer des tranchées. Jim porte un regard lucide sur sa condition, il constate l’horreur et l’absurdité de la guerre sans colère, il perd ses camarades les uns après les autres, survit aux pires situations sans se faire d’illusion sur la suite des événements, ayant bien conscience que son tour finira par arriver.

Le décalage entre le champ des possibles ouvert par sa rencontre avec Ashley au début du roman et son statut de poilu envoyé à la boucherie montre à quel point une génération entière, à travers le monde, a perdu son innocence, sa jeunesse et son avenir au fil du conflit. La plume aérienne et sobre de David Malouf évite de noyer le lecteur sous des tombereaux de violence gratuite. Rien n’est éludé pour autant mais l’horreur est décrite avec une sorte de mélancolie extrêmement touchante.

Clairement, ce roman propose une autre une façon d’écrire sur la guerre. La première partie dans le Queensland, bucolique en diable, est d’un grand classicisme alors que l’arrivée en France signe le passage à style plus direct, plus réaliste.  Au final le texte apparaît à la fois d’une grande cohérence et d’une grande modernité, portant une réflexion sur le sens de la vie aussi pertinente que saisissante. Une superbe découverte.

L’infinie patience des oiseaux de David Malouf. Traduit de l’anglais (Australie) par Nadine Gassie).  Albin Michel, 2018. 220 pages. 20,00 euros.


















mercredi 31 janvier 2018

La cour des miracles T1 : Anacréon, roi des gueux - Stéphane Piatzszek et Julien Maffre

Paris, 1667. Anacréon le roi des gueux, 84ème du nom, règne d’une main de fer sur la cour des miracles. Au cœur de Paris son royaume de non-droit prospère, bien aidé par les forces de police du lieutenant Tardieu qui, contre quelques pots de vin, ferment les yeux sur les activités de ses ouailles. Mais les temps changent. Anacréon, vieillissant, est contesté par une partie des siens et Louis XIV, ne supportant pas qu’un autre roi que lui existe sur les terres de France, charge Colbert de trouver un homme suffisamment intègre pour reprendre les choses en main et mater ces miséreux qui  défient son autorité.

Stéphane Piatzszek et Julien Maffre décrivent avec force précisions historiques le monde des mendiants, des voleurs, des truands, des infirmes, des putains. Un monde à la marge avec ses propres codes, ses propres règles et son propre roi. Une corporation proche de la piraterie où les manigances et les luttes de pouvoir commencent à fissurer la solidarité légendaire d’un clan au bord du gouffre.

Un premier volume où les auteurs posent leurs pièces sur l’échiquier. La partie commence à peine mais le roi perd ses pions et se retrouve fragilisé. Le scénario, rigoureusement documenté, est porté par le dessin réaliste d’un Julien Maffre ne ménageant pas ses efforts pour représenter le Paris malfamé (et malodorant !) de la fin du 17ème siècle. Une ambiance cradingue que j’adore et qui n’est pas sans rappeler l’excellente adaptation du Villon de Jean Teulé par l’italien Luigi Critone.

Un début de série extrêmement prometteur qui donne très envie de découvrir la suite. En espérant qu'elle ne tarde pas trop.

La cour des miracles T1 : Anacréon, roi des gueux de Stéphane Piatzszek et Julien Maffre. Quadrants, 2018. 64 pages. 15,50 euros.


Toutes les BD de la semaine sont à retrouver chez Moka.



mardi 30 janvier 2018

Quart de frère, quart de sœur T3 : Mission spectacle - Sophie Adriansen

Ils ont fini par s’entendre. Au départ ce n’était pourtant pas gagné. A peine arrivée des Antilles, la pétillante Viviane avait fait de l’ombre à Arthur, le garçon le plus populaire de l’école. Puis le papa de Viviane est tombé amoureux de la maman d’Arthur et ils s’apprêtent à avoir un bébé ! Devenus malgré eux un quart de frère et un quart de sœur, les ennemis jurés ont dû mettre de l’eau dans leur vin pour rendre leur cohabitation « vivable ». Et à force de se côtoyer, ils ont fini par s’apprécier, au point de devenir inséparables.

Dans ce troisième tome, alors que le bébé est annoncé pour dans quelques mois, Arthur et Viviane s’apprêtent à rentrer au collège. Arthur veut évidemment se faire élire délégué de classe, quitte à forcer un peu la main à ses camarades. Viviane quant à elle se passionne pour le spectacle de fin d’année. Deux projets à priori sans relation qui vont pourtant devenir des enjeux communs où chacun va s’épanouir, à sa façon.

Un vrai plaisir de retrouver la suite des aventures d’Arthur et Viviane. Une série fraîche, sans enjeux dramatiques ni mal être insurmontable. Juste deux enfants qui n'ont pas leur langue dans leur poche, deux enfants bien dans leur peau et dans leur quotidien au sein d’une famille recomposée dans laquelle il n’était pas évident de trouver sa place, et surtout de faire une place à l’autre. Le message se veut positif, il montre que le vivre ensemble est toujours possible pour peu que l’on y mette du sien et il prouve que, malgré des différences de caractère très marquées, on peut non seulement résoudre les conflits mais également s’enrichir mutuellement.

Un petit roman qui fait du bien et des personnages attachants que j’aurai plaisir à retrouver dans le prochain volume, cela va s'en dire. 

Quart de frère, quart de sœur T3 : Mission spectacle de Sophie Adriansen. Slalom, 2017. 110 pages. 9,90 euros. A partir de 8-9 ans.

Mon avis sur les tomes 1 et 2

Une pépite jeunesse partagée comme d'habitude avec Noukette.








vendredi 26 janvier 2018

Circus Parade - Jim Tully

Difficile de faire rentrer ce texte dans une case. Récit, chronique, roman, autobiographie ? Sans doute un peu de tout cela à la fois. Ce qui est certain c’est que Jim Tully y raconte son expérience de manœuvre dans un cirque itinérant au début du 20ème siècle. Lui, le vaurien, le vagabond, le « gamin du rail » a un jour quitté son habit de hobo pour être engagé en tant qu’assistant dans la ménagerie d’un cirque. Le début d’une aventure à travers l’Amérique profonde et une succession d’événements dont il est difficile de vérifier la véracité.

Pour éviter les ennuis au moment de la publication de l’ouvrage en 1927, Tully n’a pas révélé le vrai nom du salopard de promoteur qui menait ses troupes d’une main de fer. Malgré tout, son témoignage à charge contre les pratiques plus que douteuses du patron souleva de nombreuses critiques, tant chez les défenseurs du cirque que dans les ligues de vertu.

Il faut dire que l’auteur de « Vagabonds de la vie » exprime un point de vue sans concession sur l’univers circassien, loin des images d’Épinal bohèmes et poétiques. Son cirque à lui n’était qu’un ramassis de va-nu-pieds, d’escrocs, d’arnaqueurs, de repris de justice et de pauvres hères au service d’une galerie d’artistes tenant plus souvent du monstre que de l’athlète de haut-niveau. Une population misérable exploitée par des promoteurs uniquement guidés par l’appât du gain.

Au fil des chapitres Tully narre la mort du dresseur de lions tué par un ours aveugle, les pickpockets s’attaquant au public en train d’acheter ses billets, les bagarres avec les autochtones qui parfois éventraient le chapiteau à coups de hache, la jalousie des artistes en quête de popularité, le danger pour les employés noirs dans les villes du sud et les nuits dans les trains entre deux étapes. Un tableau sordide où une population à la marge survit dans des conditions effroyables raconté dans une langue très orale à la syntaxe parfois syncopée.

C’est brut, sans filtre,violent, et même si certains passages semblent très romancés le réalisme des descriptions est saisissant. Un texte dur qui déborde de vitalité et constitue un témoignage unique sur ce qu’était un modeste cirque itinérant dans l’Amérique de 1900. Le livre eut un grand retentissement au moment de sortie. Trop cru et dérangeant, il fut interdit dans certains états. Hollywood en acheta les droits d’adaptation mais suite au lobbying de la très influente « Circus Fan’s Association of America »,  le film ne vit jamais jour.

Circus Parade de Jim Tully (traduit de l’américain par Thierry Beauchamp). Les éditions du sonneur, 2017. 240 pages. 17,50 euros.   








mercredi 24 janvier 2018

No Body - Christian De Metter

« Ma vérité est-elle la vérité ? »

On l’a retrouvé sur les lieux d’un crime sordide dont il s’est accusé. Une psychiatre débarque dans sa cellule pour une expertise. D’habitude mutique, il décide cette fois-ci  de parler et de raconter son histoire. Le traumatisme d’un frère mort au Vietnam, la boxe, un cambriolage qui tourne mal. Le FBI qui lui propose d’échapper à la prison en espionnant un groupe d’étudiants soupçonnés d’activisme. Des premiers pas dans une carrière d’infiltré où, en plus de découvrir d’inavouables secrets, il va devoir mener des missions toujours plus dangereuses.

Bordel que ce thriller tendu comme un string est addictif ! J’ai quelques réserves sur le dessin de De Metter que je trouve parfois trop figé (les personnages semblent clairement manquer de souplesse, un défaut qui n’est pas compensé par l’expressivité des regards comme dans son adaptation d’Au-revoir là-haut) mais au niveau du scénario et de la construction de l’intrigue c’est du tout bon.   

Le récit du (supposé) meurtrier est passionnant, il nous accroche dès le départ et nous tient en haleine mais au final on se demande si tout n’est pas inventé de A à Z. Mythomanie ou sincérité absolue ? La vérité se situe sans doute entre les deux et ce doute permanent participe grandement au plaisir de la lecture. Et puis on sait d’emblée que l’histoire ne va pas s’éterniser artificiellement puisque dès la couverture du tome 1 l’éditeur annonce une série en quatre épisodes. Les deux premiers engloutis, il me reste à découvrir le troisième et à attendre impatiemment le dernier, prévu pour le mois d’avril. 

No Body T1 : Soldat inconnu de Christian De Metter. Soleil, 2016. 74 pages. 15,95 euros.
No Body T2 : Rouler avec le diable de Christian De Metter. Soleil, 2016. 74 pages. 15,95 euros.

Un grand merci à Mo' qui a eu la gentillesse de m'offrir ces deux albums à Noël. C'est d'ailleurs chez elle que vous retrouverez aujourd'hui toutes les BD de la semaine.