mardi 17 septembre 2013

Les Années reviennent !

Notre petite revue bi-mensuelle  reprend son rythme de croisière après la parenthèse estivale du Guide des voyages.

Et l’on repart sur les chapeaux de roues dans ce 37ème numéro avec, en écrivain de la quinzaine, l’incontournable Erri de Luca et de nombreuses notes de lecture. Au menu Richard Ford, Michèle Lesbre, Laurent Graff, la poétesse et nouvelliste autrichienne Ingebor Bachmann et la reprise de mes chroniques publiées ici même et consacrées à Claire Keegan (« Les trois lumières ») et Michèle Halberstadt (« La petite »).

Les rubriques habituelles sont également présentes : poésie, chanson, BD (avec « L’étranger » de Camus adapté par Ferrandez), Mus’art (une étude de « La femme dans la vague » de Courbet), le portrait militant et l’inénarrable billet du professeur  Hernandez.

Puisque la pérennité de cette revue numérique et gratuite est dorénavant assurée je vous propose si vous le souhaitez de vous l’envoyer automatiquement chaque quinzaine. Il vous suffit pour cela de vous signaler dans les commentaires de ce billet ou en faisant la demande par mail (dunebergealautre@gmail.com). La création d’un fichier des abonnés simplifiera l’envoi des nouveaux numéros et ne vous obligera plus à renouveler  à chaque fois votre demande. Et si par la suite vous voulez vous désabonner un simple petit message suffira. Je remercie au passage Gwenaëlle qui m'a soufflé cette idée...

lundi 16 septembre 2013

Lucia Antonia, funambule - Daniel Morvan

Accepter la perte. Lucia Antonia, funambule, ne peut s’y résoudre. Arthénice est tombée. Sa partenaire, son âme sœur, son double. Depuis la chute fatale, Lucia Antonia a quitté le cirque de son grand-père. « Ma famille m’a bannie […] je me suis bannie moi-même pour ne pas porter malheur au cirque. »

Aujourd’hui pourtant, sur cette presqu’île où elle a échoué, elle accepte à nouveau de déplacer son corps sur un fil. Sur cette presqu’île elle rencontre Eugénie et Astrée, réfugiées fuyant un pays en guerre, mais aussi un artiste peintre et un garçon voilier qui deviendra son ami. Sur cette presqu’île Antonia va peu à peu se reconstruire et accepter la perte.

Poétique et fragmenté, ce texte relève de l’esquisse. Par petites touches successives, Lucia Antonia brosse le portrait de sa douleur la plus intime. Tout en retenu, elle consigne dans de petits carnets la géographie de cette absence qu’elle ne parvient pas à surmonter. Arthénice le corps brisé. Cette partenaire, cette amie, cette jumelle. La mort d’Arthénice dont elle se sent responsable. Rien de larmoyant pour autant, aucun pathos. Les réflexions de Lucia Antonia naviguent entre ciel et terre, dans une sorte de rêverie éthérée.

Évidemment, j’aime cette écriture elliptique, tout en suggestion. Une écriture minuscule pouvant parfois sembler insaisissable et nébuleuse mais qui se révèle au final lumineuse. De la poésie, quoi. Et une forme de catharsis pour cette touchante funambule qui, grâce aux mots, parvient à faire les pas décisifs devant l’amener sur le chemin de la résilience et accepter la perte, enfin : « Il y avait près d’une année que tu étais morte, et c’est seulement ce jour où je me perdis en forêt que je pénétrai dans le territoire de ta mort. Ta voix me priait d’ouvrir jusqu’à elle le chemin de la perte, et je consentis à m’égarer. »

Un très beau texte.

Lucia Antonia, funambule de Daniel Morvan. Zulma, 2013. 130 pages. 16,50 euros.

Une fois de plus, c’est une trouvaille que je dois à mes pérégrinations bloguesques. Les tentatrices se nomment Un autre endroit pour lire et Anne et je les remercie pour cette bien jolie découverte.

Et c’est encore une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Marilyne.



samedi 14 septembre 2013

Les vrais, les durs, les tatoués : le tatouage à Biribi

Biribi, ça me rappelle le roman éponyme de Georges Darien. Le roman le plus antimilitariste que j’ai eu l’occasion de lire, un roman qui m'a convaincu de ne jamais mettre les pieds dans une caserne. Ça me rappelle aussi le formidable reportage d’Albert Londres publié en 1925 sous le titre « Dante n’avait rien vu ». Ça me rappelle ma folle jeunesse, l’époque du service militaire, quand j’écrivais ma lettre au ministre de la défense : « pour des raisons de conscience, je refuse de porter les armes et l’uniforme ». Ça me rappelle les trois jours passé à Cambrai, au centre des armées. En tant que futur objecteur de conscience, chevelu en plus, j’en ai pris plein la gamelle : «  Tu vas voir, on va t’envoyer désherber le maquis pendant 20 mois » (ben oui en tant qu’objecteur on faisait le double des trouffions, c’était la punition). Tu parles, je me suis retrouvé dans une bibliothèque, heureux comme un pape. Le début de ma vocation...

Bref, revenons à ses gros durs de Biribi et leurs tatouages. Biribi n’est pas un lieu à proprement parler. C’est un terme générique désignant l’instrument répressif de l’armée française en Afrique du nord (Tunisie, Maroc, Algérie), en vigueur de 1830 à 1962. Les fameux Bat d’Af (bataillons d’infanterie légère d’Afrique). Au départ des pénitenciers militaires où on mate les fortes têtes. Par la suite on y enverra aussi les engagés ayant subi des condamnations civiles : cambrioleurs, souteneurs, assassins, etc. Des soldats devenus bagnards…

Dans l’enfer de Biribi, où l’on casse des cailloux sous un soleil insupportable, l’armée torture ses propres enfants en toute impunité. Le tatouage est la seule véritable distraction. Une bouffé d’oxygène aussi, servant à la fois de carte d’identité et de moyen d’expression. Les mots gravés sur la peau sont une façon de montrer son état d’esprit. Ainsi, les fatalistes n’hésitent à écrire sur leur corps « Pas de chance », « né sous une mauvaise étoile », « enfant du malheur », « né pour souffrir ». Les révoltés y vont aussi de leur couplet : « vaincu mais non dompté », « arrivé en mouton, sorti en lion », tout comme les antimilitaristes purs et durs : « inquisition militaire », « l’armée fait pleurer les mères ». Les motifs aussi sont riches de sens : papillons, oiseaux, fauves, fleurs et surtout des femmes, beaucoup de femmes.

Le récit de Jérôme Pierrat et Éric Guillon est passionnant. Il permet notamment de découvrir les techniques
rudimentaires utilisées par les tatoueurs et la vie quotidienne dans ces pénitenciers où règnent la violence et l’injustice et où l’homosexualité est partout présente.

Mais Au-delà du texte, le point fort de ce petit livre réside évidemment dans les photos. Non mais regardez-moi ces gueules ! Le naturalisme de Zola en chair et en os, les loulous parisiens mis en scène par Charles-Louis Philippe dans le célèbre Bubu de Montparnasse qui se matérialisent sur la page ! Les portraits de tatoués publiés ici ont été réalisés entre 1900 et 1930 par les services de l’identité judiciaire. Ces clichés des anciens de Biribi ont été pris « à la faveur » d’une arrestation ou d’un séjour en prison.  Des vrais, des durs, pas des tatoués d’aujourd’hui qui s’essaient au symbole maori pour se la jouer « cool » alors qu’ils
n’ont jamais foutu les pieds en Polynésie. Bon je vais m’arrêter là parce que je commence à m’égarer…

Les vrais, les durs, les tatoués : le tatouage à Biribi de Jérôme Pierrat et Éric Guillon. Édition Larivière, 2005. 112 pages. 20,50 euros.

Ce billet signe ma première participation au projet « non-fiction » de Marilyne.

vendredi 13 septembre 2013

Deadline - Laurent-Frédéric Bollée et Christian Rossi

Ça commence par un meurtre. En 1901. Un meurtre commis de sang froid sur un vieillard. Pas d’autres explications avant un bond dans le temps. Des années en arrière. En pleine guerre de sécession. Petit à petit on va remonter le fil de cette pelote et comprendre le pourquoi du comment. Pourquoi ce meurtre, pourquoi cette victime. L’histoire est celle du meurtrier, un gamin enrôlé de force dans l’armée sudiste. Un gamin qui va tomber amoureux d’un prisonnier. Noir. Un gamin qui va découvrir l’horreur de la guerre et garder chevillé au corps le souvenir de ce prisonnier et une rancœur, une haine même. Tenace. Impossible à évacuer… 

Un western sans cowboys et sans indiens mais un western quand même. Tendu, nerveux, crépusculaire. Beaucoup de flash-backs qui demandent au lecteur une certaine attention pour ne pas se perdre en route mais le récit est tricoté au cordeau et chaque élément trouve sa place naturellement.

Après on peut trouver que la barque de Louis Paugham, le personnage principal, est un peu chargée. Orphelin très jeune suite à l’assassinat de ses parents, il voit mourir son père adoptif sous ses yeux à l’adolescence. Homo refoulé qui a le coup de foudre pour un noir alors qu’il vient d’être enrôlé dans l’armée sudiste, il va enchaîner les désillusions et les tragédies… tout ça fait peut-être un peu beaucoup. Mais son terrible destin permet de mettre en lumière cette période complexe de l’après-guerre de sécession aux États-Unis. Sa vie d’errance et de solitude est confrontée au racisme prégnant malgré la victoire nordiste, à un idéalisme qui restait souvent de façade et une homosexualité inacceptable pour la société de l’époque.

Graphiquement c’est beau, très beau. Christian Rossi s’était déjà frotté au western en reprenant la série Jim Cutlass scénarisée par Jean Giraud et surtout avec l’inclassable W.E.S.T qui, elle aussi, se déroule aux USA dans les années 1900. Ici, il alterne entre l’acrylique et l’aquarelle et son travail sur la lumière et les couleurs est magnifique. Sans compter que son découpage très cinématographique sied parfaitement à un récit de ce genre. 

Si je devais souligner un bémol c’est que le héros subit trop les événements et n’est pas assez charismatique. Pas qu’il soit transparent mais il lui manque un petit quelque chose pour endosser l’image d’écorché vif à laquelle il était en droit d’aspirer. Disons qu’il avait tout pour être inoubliable et malheureusement ce n’est pas tout à fait le cas. 

J’ai quand même passé un bon moment avec ce one shot qui sort un peu des sentiers battus. Et je félicite au passage l’éditeur pour ne pas avoir cédé à la tentation d’en faire un diptyque plus intéressant commercialement mais beaucoup moins cohérent d’un point de vue narratif.  Ça devient tellement rare de penser au lecteur avant de penser à la rentabilité…

Une nouvelle lecture commune que j’ai la plaisir de partager avec Mo’. Sa chronique est ici.

Deadline de Laurent-Frédéric Bollée et Christian Rossi. Glénat, 2013. 92 pages. 18,50 euros.



jeudi 12 septembre 2013

Trois petits riens - Michaël Escoffier et Kris Di Giacomo

C’est l’histoire de trois petits riens qui rencontrent un chien. Un chien gentil comme tout qui leur propose de les emmener en balade autour du monde. En chemin, ils vont croiser Louise, une petite fille désespérée parce qu’elle a perdu son doudou. L’enfant  est inconsolable et les trois petits riens vont se plier en quatre pour lui venir en aide. Évidemment, ils vont retrouver le doudou et faire de Louise la plus heureuse des petites filles. Comme quoi il suffit souvent de trois fois rien pour connaitre le bonheur.

Qu’il fait du bien cet album ! Sa simplicité et le message positif qu’il véhicule sont ses atouts majeurs. L’histoire est si universelle et facile à comprendre qu’elle emportera forcément l’adhésion des petits bouts. Graphiquement Kris Di Giacomo va à l’essentiel sans s’interdire quelques trouvailles graphiques savoureuses. Et puis l’écriture de Michaël Escoffier est musicale à souhait et son vocabulaire, parfois soutenu, sonne juste : « le doudou , tel une enclume, a chu dans la cheminée. » J’adore !

Allez, un dernier petit extrait pour la route : « La vie est faite de petits riens, de tout petits riens de riens du tout, invisibles au yeux de certains, mais qui comptent pour nous, plus que tout. »

Un grand merci à Leiloona dont le billet enthousiaste m’a donné envie de découvrir cet album. Je ne regrette pas une seconde de m’être laissé tenter. Et un autre bel avis, celui d'Un autre endroit pour lire


Trois petits riens de Michaël Escoffier et Kris Di Giacomo. Balivernes, 2013. 32 pages. 12 euros. A partir de 3-4 ans.



mercredi 11 septembre 2013

Nous ne serons pas des héros - Frédérik Salsedo et Olivier Jouvray

Trentenaire au chômage, Mickaël vit au jour le jour, sans aucune perspective d’avenir. Quand son père infirme lui propose de l’accompagner dans un voyage autour du monde, le jeune homme accepte sans enthousiasme. Il faut dire que Charles, son paternel, en plus d’être en petite forme et de demander des soins constants est aigri, méchant et grande gueule. De La Réunion au Vietnam en passant par l’Inde, New York, le Maroc et la Finlande, Mickaël et Charles vont vivre une aventure humaine pleine de turbulences mais qui au final les rapprochera de manière inattendue.

L’album repose sur un choc de générations doublé d’une difficile relation père-fils. Entre un père souhaitant retourner sur les lieux de sa jeunesse bohème et un fils glandouilleur, paumé et inculte, la cohabitation est plus que délicate. Charles ne comprends pas le manque de curiosité intellectuelle de son rejeton,  il lui reproche son apathie.  Mickaël quant à lui ne supporte pas la mauvaise humeur et les excès permanents de son géniteur. Finalement chacun juge l’autre durement dans un climat d’incompréhension totale qui va quelque peu à peu s’atténuer au fil du voyage. Tout cela se termine sur une note pleine d’émotion, certes attendue mais fort bien amenée. Seul regret, quelques passages bavards et des propos moralisateurs sur les méfaits de la société de consommation pas forcément indispensables.

Le dessin réaliste laisse parfois place à quelques cases « cartoonesques » qui ne sont pas sans rappeler des effets graphiques propres au manga. Pour chaque pays visité une illustration pleine page offre une respiration bienvenue qui casse le coté trépidant d’un voyage effectué au pas de course.

Une jolie réflexion sur la filiation et le sens de l’existence pour un album à la fois intimiste en non dénué d’une certaine profondeur. En gros et pour faire simple : j’ai aimé.

Une BD offerte par Cristie que je remercie au passage pour cette gentille attention.

Nous ne serons pas des héros de Frédérik Salsedo et Olivier Jouvray. Le Lombard, 2010. 84 pages. 16,45 euros.

Un petit extrait en passant : "  Je crois en rien et je m’interroge sur tout. Je me poserai la question de l’existence de Dieu quand je serai mort, avant ça, je risque pas trop d’avoir une réponse sensée, alors je m’intéresse à autre chose. "

L'avis de Cristie






mardi 10 septembre 2013

Mon comptinier - Stéphane Bataillon et Éric Gasté

Allez, aujourd’hui on révise ses classiques. Trouvez-moi la dernière phrase des comptines ci-dessous. Et de mémoire hein, pas la peine d’aller chercher dans G***** ou chez son ami wiki.

Une araignée sur le plancher
Une araignée sur le plancher 
Se tricotait des bottes.
Dans un flacon, un limaçon
Enfilait sa culotte. J'ai vu dans le ciel
Une mouche à miel
Pincer sa guitare.
Les rats tout confus
Sonnaient l'angélus
...

C’est demain dimanche
C'est demain dimanche
La fête à ma tante
Qui balaie sa chambre
Avec sa robe blanche
Elle trouve une orange
L'épluche et la mange


Scions, scions, scions du bois
Scions, scions, scions du bois
Pour la mère, pour la mère,
Scions, scions, scions du bois,
Pour la mère Nicolas,
Qu'a cassé ses sabots,


Si vous n’êtes pas au point, j’ai le recueil parfait pour vous remettre à niveau. Ce comptinier contient 170 comptines et un cd-audio regroupant les 37 plus célèbres. Ça m’a fait du bien de replonger dans ces indémodables petits moments de poésie. Et puis la comptine est un outil important pour l’éveil au langage, aux sons et aux sens. Rien de tel qu’une comptine pour jouer avec les mots ou aborder pour la toute première fois la question de la numération. Elles peuvent aussi grandement participer à la découverte du corps (exemple ci-dessous avec « Voici ma main »). Bref, la comptine c’est une forme d’apprentissage par le plaisir alors pourquoi  s’en priver.

Voici ma main !
Elle a cinq doigts.
En voici deux, en voici trois.
Le premier, ce gros bonhomme,
C'est le pouce qu'il se nomme.
L'index, lui, montre le chemin.
C'est le second doigt de la main.
Entre l'index et l'annulaire,
Le majeur se dresse en grand frère.
L'annulaire porte l'anneau,
Avec sa bague, il fait le beau.
Le minuscule auriculaire,
Suit partout, comme un petit frère.

Le recueil s’organise en neuf grandes parties, « de la tête aux pieds » et « du réveil au coucher ». Pour ce qui est du CD, j’ai testé et le résultat est concluant. Prenez un bébé de sept mois crapahutant tel un commando marine sur le carrelage du salon. Lancez le CD et vous le verrez s’arrêter instantanément et relever la tête dès les premières notes pour chercher d’où vient cette étrange mélodie aux paroles si rythmées. Hypnotisé !

Un ouvrage complet et indispensable donc. Le seul risque c’est de partir au travail avec en tête l’air de « Pomme de reinette » et de ne pas pouvoir s’en débarrasser de toute la journée. A la longue je reconnais que c’est un peu agaçant.

Mon comptinier de Stéphane Bataillon et Éric Gasté. Tourbillon, 2013. 174 pages + 1 CD-audio. 15,95 euros.





lundi 9 septembre 2013

Les évaporés - Thomas B. Reverdy

Kaze a choisi de disparaître après avoir appris son licenciement. Il a laissé une lettre à sa femme avant de « s’évaporer », comme des milliers d’autres le font chaque année au Japon, quittant tout sans donner d’explication. Apprenant la nouvelle, Yukiko, la fille de Kaze, rentre dare-dare des États-Unis où elle vit depuis quinze ans. Dans ses bagages, Richard B., poète et détective privé, américain pur jus qui a été pendant quelques temps son amant. C’est lui qui va mener l’enquête et tenter de retrouver Kaze dans un Japon encore sous le choc après la tragédie de Fukushima.

Le lecteur suit en parallèle le parcours de "l’évaporé", sa rencontre avec le jeune Akainu qui a fui seul le nord du pays après la catastrophe nucléaire et les recherches menées par Richard B. et Yukiko. Mais l’aspect « policier » passe rapidement au second plan. En courts chapitres, Thomas B. Revedry insuffle à son récit un rythme syncopé, alternant les scènes quasi contemplatives et les brusques accélérations de l’intrigue. Le texte est traversé par quelques fulgurances poétiques au lyrisme contenu et à la force d’évocation éblouissante. La description du Japon contemporain et du traumatisme post-Fukushima est très réaliste. Les conséquences sociales de la tragédie sont notamment expliquées, comme les tractations financières menées par des vautours qui profitent de catastrophes de ce genre pour engranger les milliards sur le dos des sinistrés. Une dimension sociale qui donne davantage d’ampleur aux trajectoires des différents protagonistes.

Les évaporés relève à la fois de la quête et de la fuite. Quête d’identité pour Yukiko, du sens de l’existence pour Richard B., fuite vers une possible reconstruction pour Kaze et Aikanu. C’est surtout un texte somptueux, puissant, équilibré, parfaitement articulé. Un roman d’une grande profondeur où un auteur à l’évidence brillant a su maîtriser sa plume pour ne pas tomber dans une démonstration de style se cantonnant au purement esthétique. Une réussite totale.

Une nouvelle lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Marilyne !

Les évaporés de Thomas B. Reverdy. Flammarion, 2013. 300 pages. 19 euros. 



dimanche 8 septembre 2013

Une année dans la nature - Nicole de Cock

Un magnifique album qui offre au petit lecteur la possibilité de découvrir la nature au fil des mois en suivant quelques animaux des bois (martinet, blaireau, hibou, écureuil). Oubliez l’aspect purement documentaire, l’accent est ici mis, pour chaque saison, sur de simples mots particulièrement évocateurs. Exemples avec le printemps  (début, fleurs, floraison, parfums, gazouillis, réveil), l’été (moisson, provision, rouge, sec, odeur, feu) et l’hiver (sombre, glacial, bruit, neige, blanc, silence).

L’album s’organise en doubles pages avec d’un coté le texte et de l’autre une illustration en noir et blanc. On trouve une phrase complète qui souvent serpente entre les mots isolés (« Le hérisson sait que l’hiver arrive et cherche un abri pour se protéger du froid et de la pluie. »).  L’ensemble est visuellement magnifique et dégage un charme incontestable. Les illustrations à l’encre sont autant de tableaux dont l’intensité du noir et le contraste avec le blanc donnent une impressionnante sensation de profondeur.

Voila donc un ouvrage poétique à souhait à la force d’évocation remarquable. A mettre sans hésitation entre les mains des petits rêveurs sensibles au pouvoir des mots.

Une année dans la nature de Nicole de Cock. Circonflexe, 2013. 40 pages. 13 euros. a partir de 4-5 ans.





vendredi 6 septembre 2013

Guide du loser amoureux - Junot Diaz

« Ta copine découvre que tu la trompes. (Bon en fait c’est ta fiancée, mais après tout, bientôt ça n’aura vraiment plus d’importance.) Elle aurait pu te surprendre avec une sucia, elle aurait pu te surprendre avec deux, mais comme tu n’es qu’un sale fils de cuero qui n’a jamais vidé la corbeille de sa messagerie électronique, elle t’a surpris avec cinquante ! Certes, étalées sur une période de six ans, mais quand même. Putain, cinquante nanas ? Et merde. […] Tu ne recules devant rien pour la garder. Tu lui écris  des lettres. Tu la conduis au boulot. Tu cites Neruda. Tu rédiges un mail collectif qui répudie toutes tes sucias. Tu bloques leur adresse mail. Tu changes de numéro. Tu arrêtes de boire. Tu arrêtes de fumer. Tu déclares être un accro au sexe et commence à assister à des réunions. Tu rejettes la responsabilité sur ton père. Tu rejettes la responsabilité sur ta mère. Tu rejettes la responsabilité sur le patriarcat. Tu rejettes la responsabilité sur Saint-Domingue. Tu trouves un psy. Tu fermes ton compte facebook. Tu lui donnes les mots de passe de toutes tes messageries électroniques. Tu commences à prendre des cours de salsa comme tu l’as toujours promis pour que vous puissiez danser ensemble.  […] Tu essaies tout, mais un jour elle se redressera simplement dans le lit et dira : C’est fini. »

J’aime cette écriture parce malgré la brièveté de chaque phrase elle sonne comme un flot ininterrompu. J’aime cette écriture parce qu’elle est vivante, pleine d’énergie. J’aime cette écriture parce que sa liberté et sa souplesse m'électrisent. Évidemment ce recueil de nouvelles n’est pas à mettre entre toutes les mains. Il pourrait déplaire. Fortement. Il n’y a pourtant rien de réellement abrasif au fil de ces huit textes mettant en scène les membres de la communauté Dominicaine installée dans les environs de New York. C’est juste que le personnage de Yunior, qui sert de trait d’union entre chaque histoire, est un beau salopard. Le mâle latin dans toute sa splendeur. Macho, queutard invétéré et sans scrupules. Yunor pense pourtant qu’il n’est pas tout à fait comme ses congénères. Il cherche l’amour, le vrai, le pur. Un coté fleur bleue qu’il oublie rapidement quand une nouvelle partie de jambes en l’air se présente. 

Avec lui on découvre l’arrivée de sa famille sur le sol américain, le départ du père avec une fille bien plus jeune que sa mère, la vie de débauche de Rafa, le frère aîné trop tôt emporté par un cancer. Et au milieu de ce maelstrom Yunior tentant de se construire comme il peut. Il ne va pas vraiment mal tourner, il ne finira pas dealer de crack au coin de la rue. Il poursuivra ses études jusqu’à l’université et deviendra prof.  Mais au niveau sentimental, c’est le naufrage. Tromper une petite amie qui refuse de le laisser glisser une main dans sa culotte avec une prof bien plus âgée que lui n’a rien d’infamant. Voir sa chère Magda le traiter d’enfoiré parce qu’il a couché « avec une fille qui se coiffait façon doigts dans la prise, comme dans les années quatre-vingt »,  il a du mal à comprendre. Lui ne se considère pas comme un sale type. Juste un mec « faible et plein de défauts, mais avec un bon fond. » Bien sûr, bien sûr…

La langue de Junot Diaz est fleurie, vivifiante. Un mélange d’argot, de mots espagnols, de néologismes truculents et d’images qui vous sautent à la gorge. Surtout lorsqu’il parle des femmes et de leur diversité : guyanaises, asiates, latina, métis à la peau couleur de miel, « blanquitas un peu péquenaudes » qui ont « un faible pour les négros » et  « baisent avec la discrétion d’un train de marchandise. » Yunor les aiment toutes, certaines plus que d’autres, mais il se révèle au final incapable de les garder, incapable de leur être fidèle. Le triptyque coucheur-trompeur-menteur lui va comme un gant. Yunor, c’est un gars qui enchaîne les déboires et que l’on n’a pas du tout envie de plaindre. C’est drôle, corrosif et moderne. Bon j’ai adoré mais je ne vous conseille pas de vous ruer sur ce recueil inclassable qui m’a, à bien des égards, rappelé le « Coup de sang » d’Enrique Serna. C’est à vous de voir. Débrouillez-vous, quoi…


Guide du loser amoureux de Junot Diaz. Plon, 2013. 198 pages. 19 euros.