mercredi 16 novembre 2011

O dingos, ô chateaux ! de Manchette et Tardi

Manchette et Tardi - © Futuropolis 2011
Michel Hartog est un philanthrope. Suite à la mort de son frère et de sa belle sœur dans un accident d’avion, il a été désigné tuteur de son neveu devenu orphelin et a dû gérer la florissante entreprise familiale en attendant que le gamin soit en âge de prendre les rennes. Hartog a créé une fondation et cherche à faire le bien autour de lui. Il emploie des infirmes dans ses usines et ne s’entoure que de personnes en souffrance ou dans le besoin. Sa cuisinière est épileptique, son jardinier n’a qu’un bras, sa secrétaire est aveugle et son chauffeur est un ancien para qui a sauté sur une mine. Lorsque la nurse du petit Peter rend son tablier, Hartog va en chercher une nouvelle à l’hôpital psychiatrique. Pour Julie Ballanger, l’heureuse élue, la première rencontre avec Peter n’est pas de tout repos. L’enfant, capricieux et colérique, pique une crise et elle doit le gifler violemment pour le calmer. Le lendemain, alors qu’elle l’emmène au parc, tous deux sont enlevés de force, jetés sur la banquette arrière d’une voiture et séquestrés dans une cabane perdue au fond des bois.

Troisième adaptation d’un polar de Manchette par Tardi, Ô dingos, ô châteaux réunit des thèmes chers à l’écrivain : personnages rugueux sans états d’âme, humour noir, violence un peu gratuite… Le récit progresse par paliers, chacun devenant plus tendu et intense que le précédent. Il y a quelques scènes d’anthologie au cours de la course-poursuite sanglante entre la nounou protectrice et ses ravisseurs. Dans cette histoire, tous les protagonistes sont sacrément cintrés et aucun n’attire l’empathie. Le texte d’origine, respecté à la lettre, possède une sorte de réalisme glacial où affleure le désir de choquer.

Une fois de plus, Tardi prouve qu’il a parfaitement digéré le style du romancier. Comment ne pourrait-il pas se sentir à l’aise pour mettre en scène des personnages aussi barrés et une telle violence surjouée ? A l’évidence il s’est régalé des séquences chocs qui traversent le récit (la mémorable tuerie dans le supermarché est un must en la matière) et s’est appliqué comme jamais pour offrir à chaque personnage une trogne digne de son tempérament.

La truculence cynique de Manchette et le dessin au cordeau de Tardi sont pour la première fois réellement en symbiose dans ce road-trip déjanté. J’en viens presque à espérer que cette nouvelle adaptation sera la dernière tant il me semble difficile de faire mieux.


Ô dingos, ô chateaux ! de Manchette et Tardi, Futuropolis, 2011. 96 pages. 19 euros.

L'avis de Wens.

Mon avis sur La position du tireur couché.


Manchette et Tardi - © Futuropolis 2011




mardi 15 novembre 2011

Portrait chinois

J’ai été tagué par Mango et Oliv’ sur le principe du portrait chinois. Chacun proposant une liste différente, je me suis plié (avec plaisir) deux fois au jeu.





Celle de Mango :

Si j'étais ..., je serais...

Un écrivain : Albert Camus.

Un aliment : l’ananas.

Un supplice (gniark gniark) : une sonnerie de téléphone portable.

Un animal : le chat. Joueur, indépendant, gourmand, aimant la sieste, c’est tout moi (il me manque les griffes, la moustache, la souplesse féline et le ronronnement mais avec un peu de bonne volonté, le mimétisme pourrait être parfait).

Une couleur : le noir. C’est la couleur des mots dans les livres. Et j’ai toujours préféré les BD en noir et blanc à celles en couleur.

Une pièce (d’une maison, d’un château, d’un immeuble, au choix) : je ne sais pas si on peut considérer cela comme une pièce de maison mais je me rappelle avec nostalgie la cabane au fond du jardin de mon grand père. En fin de matinée, quand on avait fini de planter les patates, on s’y installait à l’ombre. Il coupait des tranches de saucisson et se servait un muscadet. J’avais droit à un jus de pommes bien mérité. Cette cabane de bric et de broc, je me souviens l’avoir repeinte en rouge vermillon. J’avais une douzaine d’années, ça a été mon premier travail rémunéré.

Une profession : dessinateur de BD. Un doux rêve impossible à réaliser étant donné mes compétences en matière de dessin.

Un objet : un stylo. Pas un stylo plume mais un beau stylo bien lourd en main, à l’encre noire et à l’écriture fine.

Une chanson : Waiting on an Angel de Ben Harper

Un défaut : le désordre. Je suis totalement bordélique, une vraie plaie pour mon entourage.


Celle d’Oliv’ :

Si j'étais ..., je serais...

Un quotidien : J'associe ce mot à un journal, alors pour moi ce serait Paris Turf. Je joue très peu mais j’adore les courses depuis que je suis tout gamin (héritage paternel).

Une bd lue minimum trois fois : le schtroumpfissime, chef d’œuvre de Peyo.

Une blague : alors là, je passe mon tour. Incapable de retenir une histoire drôle. Je pourrais aller en chercher une en quelques clics sur la toile mais je ne vois pas l’intérêt.

Une plage : la plage de Port Leucate, dans l’Aude. J’y ai passé mes vacances d’été pendant des années. Beaucoup de bons souvenirs.

Un restaurant : Le Don Shin, un restaurant chinois où mes filles adorent aller manger.

Un logiciel : word, tout simplement. L’idéal pour rédiger un billet.

Une envie : des vacances, là, tout de suite, avec beaucoup de chaleur et de soleil.

Un festival : On a marché sur la bulle, le festival BD d’Amiens. Un rendez-vous auquel je suis fidèle chaque année. Une ambiance et une équipe super sympa.

Un tatouage : je n’en n’ai pas et je ne me suis jamais posé la question. Pour sortir du lot, je pense qu’il faut éviter le dauphin, le papillon, l’aigle ou le dragon. Disons un mammouth, bien laineux et avec de longues cornes. Après il faut trouver le bon endroit pour le mettre, c’est un autre dilemme.

Un jour de ? le jour de mon mariage, sur une plage de l’île Maurice. Après 15 ans de vie commune et deux enfants, on a décidé de se marier mais on ne voulait pas de la grosse fête avec tout le bazar à organiser. On a donc fait le voyage en amoureux, rien que nous deux. Le témoin de ma femme était le directeur adjoint de l’hôtel et le mien une femme de ménage. L’officier d’état civil (féminin) était en sari et la cérémonie s’est déroulée devant l’océan indien. Le soir, on a dégusté un repas merveilleux sous une paillotte en regardant le soleil se coucher. Ça a été un peu galère au niveau paperasse avec l’ambassade pour valider le mariage en France mais tout s’est arrangé et au bout de 6 mois on a eu notre livret de famille en bonne et due forme. Franchement, c’est plus romantique et moins cheap que Las Vegas, non ? C’était le 30 avril 2009. Un jour de bonheur que je ne suis pas près d’oublier.


Je transmets ce tag à Véro, Phooka et Clara si le coeur leur en dit. Elles peuvent évidemment mixer les deux listes selon leur goût ou leur envie goût.

dimanche 13 novembre 2011

La Maison de Soie : le nouveau Sherlock Holmes

Horowitz - © Calmann-lévy 2011
Edmond Castairs sollicite Sherlock Holmes car il pense qu’un homme cherche à lui nuire. Le lendemain de sa visite, Carstairs est cambriolé. En suivant les traces du voleur, Watson et Holmes vont découvrir un cadavre dans une chambre d’hôtel misérable. Ils ne le savent pas encore, mais ce meurtre va plonger les deux amis dans l’affaire la plus sordide qu’ils aient eu à résoudre.

Un gang de bandits irlandais opérant dans une ville américaine, un cambrioleur assassiné, un enfant torturé, une fumerie d’opium, une sombre prison, une organisation secrète regroupant quelques un des plus respectables membres de la société anglaise… Difficile de faire le lien entre autant d’éléments n’ayant de prime abord aucun rapport. Sauf si on s’appelle Sherlock Holmes…

Lorsque la Conan Doyle Estate (la fondation qui représente les intérêts des héritiers de Conan Doyle) l’a choisi pour imaginer une nouvelle aventure du fameux détective, Anthony Horowitz n’a hésité que quelques secondes. Le challenge était pourtant risqué. Sherlock Holmes fait partie des monuments de la littérature mondiale. Une icône qui possède des fans aussi nombreux qu’exigeants. Ignorant la pression, Horowitz s’est lancé à corps perdu dans le projet. Son idée de départ : un an après la mort de Holmes, Watson a pris la plume pour relater leur toute dernière enquête. Mais parce que l’affaire était trop explosive et compromettait trop de beau monde, le texte resta dans un coffre, son auteur stipulant qu’il ne devait pas être ouvert avant un siècle. Voila pourquoi les aventures de la Maison de soie ne sont publiées qu’aujourd’hui. Une pirouette intelligente qui permet de lancer le récit sur de bons rails.

S’il respecte à la lettre l’univers Holmésien (Holmes, Watson, la gouvernante Miss Hudson, la bande de gamins de Baker Street, l’inspecteur Lestrade…), Horowitz ne tombe pas pour autant dans le plagiat pur et simple. Certes, il reprend les tournures de phrases et la précision des descriptions de Conan Doyle. Certes, son Sherlock Holmes a la même incroyable capacité de déduction et d’analyse que l’original. Mais l’auteur de la série Alex Rider a su se fondre dans le moule tout en imposant sa patte. Le Londres victorien qu’il décrit est d’un réalisme bluffant. L’action du roman se déroule essentiellement dans les quartiers pauvres et les bouges malfamés, ce qui était rarement le cas dans les histoires de Conan Doyle. La maison de Soie lorgne donc par moment avec brio du coté de Dickens. Au niveau de l’intrigue, la mécanique mise en place fonctionne à merveille. Le lecteur se sent d’abord perdu, se demandant où tous ces événements à première vue disparates vont bien pouvoir le mener. Et puis, petit à petit, les pièces du puzzle s’imbriquent et tout s’éclaire. Imparable !

La maison de soie est un vrai « page-turner », un roman addictif que l’on ne lâche pas avant la dernière phrase. Je ne suis pas un spécialiste du célèbre détective mais il me semble que les fans ne devraient pas être déçus.

La Maison de Soie, d’Anthony Horowitz, Calmann-lévy, 2011. 300 pages. 16 euros.

vendredi 11 novembre 2011

Asdiwal : L'indien qui avait faim tout le temps, de Jean Patrick Manchette et Loustal

Manchette et Loustal - © Gallimard 2011
Asdiwal fait partie de la tribu des Tsimshians. Ces indiens qui vivent au Canada, à la frontière de l’Alaska, ressemblent aux esquimaux. Ce que préfèrent les Tsimshians, c’est chasser l’ours et les chèvres sauvages. Ils pêchent aussi des phoques et des morses dont ils aiment la chair grasse. Chez ces gros mangeurs, beaucoup d’adultes deviennent obèses et n’arrivent plus à voir leurs mocassins lorsqu’ils regardent leurs pieds.

Le père d’Asdiwal, qui est un peu magicien, lui a un jour donné des armes enchantées pour attraper les ours. C’est ainsi que le petit garçon est parti à la chasse. Mais l’ours qu’il a poursuivi s’est échappé en grimpant à une échelle  montant tout droit dans les nuages. Asdiwal a suivi l’ours et s’est retrouvé devant Étoile du soir qui n’était autre que la fille du Soleil. Ce dernier, n’a pas apprécié de voir sa descendance fricoter avec un godelureau. « Aussi, pour voir si c’était un bon petit garçon ou une vilaine carne, l’obligea-t-il à toute une série d’épreuves très difficiles… »

Asdiwal est à ma connaissance la seule incursion de Manchette du coté de la littérature de jeunesse. Cette histoire rédigée au cours de l'été 1966 à Paris était destinée à son fils, alors en vacances en Provence. Ce texte pour le moins décousu n’était donc au départ pas prévu pour être diffusé auprès du grand public. Les aventures d’Asdiwal s’enchaînent sans véritable cohérence. Seules semblent compter les nombreuses péripéties qui relancent l’intrigue. Au final, grâce à la truculence de l’auteur, on suit avec plaisir le long chemin qui fera du jeune indien un mari heureux (et obèse !). Le ton est familier et l’humour présent dans de nombreuses tournures de phrases. Un joyeux bazar qui révèle une belle inventivité et qui n’a d’autre but que de divertir le petit lecteur auquel il s’adresse.

Du coté des illustrations, même si j’ai souvent du mal avec le style très raide de Loustal, il me faut reconnaître que son travail est ici parfaitement adapté aux tribulations d’Asdiwal.
Un album à lire à voix haute. La richesse de la langue provoquera les éclats de rire et emportera à coup sûr l’adhésion de l’auditoire.


Asdiwal : L’indien qui avait tout le temps faim de Jean-Patrick Manchette et Loustal, Gallimard Jeunesse, 2011. 48 pages. 14,00 euros. A partir de 5 ans.

Manchette et Loustal - © Gallimard 2011

jeudi 10 novembre 2011

Les Sisters 6 : Un namour de Sister


Cazenove et William - © Bamboo 2011
Wendy est amoureuse de Maxence. Pour la petite Marine, les temps changent. Sa sœur a grandi, ses préoccupations ont évolué. Bien sûr, c’est un plaisir pour la cadette de tenir la chandelle ou d’espionner les deux tourtereaux même si ces derniers apprécient moins, forcément. Mais l’incompréhension s’amplifie entre les Sisters : pourquoi Wendy met des heures à choisir ses fringues et à se pomponner dans la salle de bains ? Pourquoi invite-t-elle des garçons à la maison ? Pourquoi est-elle si triste quand elle surprend Maxence main dans la main avec une autre fille ? Heureusement, les moments de complicité et les chamailleries sont toujours de mise, et si la grande sœur est souvent poussée à bout par la petite, elles gardent l’une pour l’autre une véritable affection.

Humour bon enfant et tendresse sont à nouveau à l’honneur dans ce sixième tome. C’est un plaisir de retrouver ce duo de chipies inspiré par les filles du dessinateur. Il y a évidemment beaucoup de vécu dans les situations décrites, même si le trait est souvent forcé. Le succès de la série est sans doute dû au fait qu’elle s’adresse aussi bien aux enfants qu’aux parents (surtout si, comme moi, on a deux filles à la maison !).

Par rapport aux volumes précédents, les parents, le doudou de Marine et le journal intime sont moins présents. Pour éviter l’impression de déjà vu, les auteurs préfèrent insister sur le fait que leurs héroïnes grandissent : Wendy troque son lit une place contre un lit double et participe à sa première boum, Wendy connaît son premier chagrin d’amour… les préoccupations changent doucement mais l’évolution est tout de même papable.

Coté dessin, le trait élastique de William fait mouche. Mimique des visages, découpage très dynamique et couleurs pastel sont les marques de fabrique de la série.

Sans révolutionner la BD d’humour, Les Sisters restent une valeur sûre et de qualité. Surtout, les enfants adorent suivre les facéties de Marine et Wendy. Rien que pour cela, leurs aventures méritent de figurer dans nombre de bibliothèques familiales.

 
Les Sisters T6 : Un namour de Sisters de Cazenove et William, Éditions Bamboo, 2011. 48 pages. 10.40 euros.  


Cazenove et William - © Bamboo 2011






mercredi 9 novembre 2011

Je, François Villon 1 : Mais où sont passées les neiges d’antan ?

Jean Teulé a choisi de faire naître François de Montcorbier le 30 mai 1431, jour de la pendaison de son père condamné pour vol. Six ans plus tard, sa mère est accusée du même crime et finit enterrée vivante dans la fosse aux chiens, vouée à « souffrir mort et être enfouie toute vive devant le gibet de Montfaucon ». Recueilli et élevé par Guillaume de Villon (dont il prendra le nom vers 1456), chapelain de l’église Saint Benoît le Bétourné, près de la Sorbonne, François suit un enseignement qui doit faire de lui un clerc. Mais le futur grand poète est un piètre élève. Davantage intéressé par les plaisirs faciles et les activités licencieuses, il devient un trublion honni par les bonnes gens du quartier. A la fin de ce premier tome, alors que la police réprime dans le sang une émeute d’étudiants dont il est l’un des meneurs, François tombe dans les bras d’Isabelle de Bruyère, nièce de l’impitoyable évêque d’Orléans Thibault d’Aussigny. Une rencontre qui marquera à jamais la destinée des deux jeunes gens…

Portrait saisissant d’une figure incontournable des lettres françaises, Je, François Villon plonge le lecteur dans l’invraisemblable violence de la fin du Moyen âge. Pendaison, torture, mutilation, prostitution… l’horreur est à chaque coin de rue. Fasciné par tout ce qui est crapuleux, le poète est un individu infect. Totalement incontrôlable, c’est une sorte de rock star avant la lettre dont les excès ne feront que repousser les limites de l’ignominie (notamment lors de son passage dans la bande des coquillards). C’est là tout le paradoxe et la complexité du personnage, à tel point que l’on en vient à se demander comment un homme aussi immonde a pu également être un fabuleux poète ? A l’évidence, il ne fait pas le mal par plaisir. Il semble juste viscéralement attiré par le coté sombre et atroce de son époque.

Pour avoir lu le roman de Jean Teulé, je dois dire que l’adaptation de Luigi Critone est d’une belle fidélité. Quasiment sans aucun récitatif, il parvient à retranscrire en image la quintessence du texte. Il faut dire que l’écriture de Teulé est à la base très visuelle, ce qui facilite les choses. Alternant les scènes contemplatives et celles pleines de frénésie, Critone installe une ambiance où l’horreur et la beauté ne sont jamais très éloignées. Lavis, encrage ou couleur directe, les procédés utilisés illuminent avec finesse la poésie morbide du texte.

Une superbe adaptation qui aura demandé trois ans de travail au dessinateur. Espérons que le second volume restera du même tonneau et qu’il ne faudra pas attendre trop longtemps avant d’avoir le plaisir de retrouver le sulfureux François Villon.


Je, François Villon T1 : Mais où sont passées les neiges d’antan ? de Luigi Critone, d’après Jean Teulé, Éditions Delcourt, 2011. 72 pages. 14.95 euros.





dimanche 6 novembre 2011

Rentrée littéraire 2011 (épisode 11) : Perv, une histoire d'amour de Jerry Stahl

Bobby Srark n’est pas un adolescent verni, c’est le moins que l’on puisse dire. Son père s’est jeté sous un tramway, sa mère fait régulièrement des stages à l’hôpital psychiatrique pour y subir des électrochocs et sa sœur s’est fait la malle au Canada avec un déserteur. Cerise sur le gâteau, il vient de se faire virer de sa prépa et doit retourner à Pittsburgh dans l’appartement familial. Un retour aux sources douloureux et un avenir des plus sombres qui s’annonce pour celui qui se qualifie de « garçon de seize ans acnéique et sexuellement détraqué ».

Alors que la guerre du Vietnam bat son plein, Bobby rêve de partir pour San Francisco, lieu de débauche et de perdition où toutes les utopies semblent pouvoir se réaliser. Grâce à Michelle, son amour d’enfance devenue Hare Krishna (avec sari, crâne rasé et catogan), Bobby fait le grand saut. La fuite vers Frisco de ce duo improbable va malheureusement virer au cauchemar…

Jerry Stahl frappe fort avec Perv, un roman picaresque et décapant. Son héros est un poissard complet qui accumule les échecs et les rencontres hautes en couleur. Tout le charme (si l’on peut dire !) du texte repose sur cette galerie de personnages hors normes croisant la route de Bobby. De Sharon la nymphomane à Mr Schmidlap le tatoueur manchot, de Howard et Henrietta, les retraités séniles à Varnish et Meat les hippies psychopathes, Bobby attire comme un aimant les freaks les plus barrés que l’on puisse imaginer.

La narration à la première personne renforce la sensation de désarroi du jeune homme. Totalement perdu, revenant sans cesse avec nombre de flashbacks sur les épisodes les plus affligeants de son enfance, Bobby tente de comprendre comment il en est arrivé là. Lucide, drôle malgré lui, c’est un héros assez typique de la littérature américaine contemporaine. Et si l’on sourit franchement au début de l’aventure, le tragique de la situation ne fait par la suite qu’empirer jusqu’au chapitre final où l’apparente légèreté laisse place à une véritable angoisse et à un sentiment de malaise pour le lecteur.

Avec Perv, Jerry Stahl révèle un sens aigu de la cruauté doublé d’une ironie mordante. Une plongée truculente et déjantée dans l’Amérique sous acide des années 70. Âme sensible s’abstenir.

Perv, une histoire d’amour, de Jerry Stahl, 13e Note Editions, 2011. 365 pages. 19,00 euros.


Extrait :

« La mort vaincra car : Regarde mon père. Il travaillait comme un malade, et il a fini écrasé par un tramway.
La mort vaincra car : Bordel, même Hemingway s’est enfourné le canon d’un fusil dans la bouche.
La mort vaincra car : Pourquoi ne pas se défoncer toute la journée puisque la vie n’est qu’une succession d’emmerdes meurtrières.
La mort vaincra car : Quand tu y penses, à quoi bon devenir avocat, médecin, ou n’importe quoi d’autre alors que, finalement, être vivant n’est rien qu’un prélude à la mort. »


vendredi 4 novembre 2011

100 héros disparus du journal Spirou

Je suis né en 1975 et mon histoire avec le journal Spirou a dû débuter en 1982 ou 1983. Elle a duré jusqu’en 1989. A quatorze ans, le collégien que j’étais a voulu passer à autre chose, rien de plus normal. Depuis 2004, je suis de nouveau abonné. Un désir irrépressible de retomber en enfance une fois par semaine. C’est toujours un plaisir d’ouvrir la boîte aux lettres et d’y trouver mon Spirou. Bien sûr, le journal à bien changé en presque 30 ans. Les monstres sacrés s’en sont allés. Plus de Roba, de Franquin, de Morris ou de Peyo. Les stars d’aujourd’hui sont Delaf et Dubuc (Les nombrils), Emile Bravo (Spirou et Jules) ou Gazzotti et Vehlman (Seuls). Et pourtant cette semaine, le magazine tire un trait sur la nouvelle génération et redonne la parole aux anciennes gloires avec un numéro spécial Come-Back.

Au sommaire, le Spirou de Tome et Janry, Docteur Poche, Le gang Mazda, Les Bogros, Pauvre Lampil, Tom Carbone, Les Crannibales, Broussaille, Puddingham Palace, Le Boss et Germain et Nous. Mais attention, il ne s’agit pas de republier de vieilles histoires, toutes les pages présentées ont été créées spécialement pour l’occasion. Franchement, que du bonheur. Mon préféré ? Le gag de Pauvre Lampil, d’une lucidité jubilatoire.

Cerise sur le gateau, les abonnés ont droit à un petit supplément qui recense 100 héros disparus du journal. Uniquement des séries interrompues ou qui ne sont plus exploitées en albums. Le guide contient un descriptif de chaque série, avec le nom des dessinateurs et scénaristes et les dates de leurs premières et dernières apparitions dans Spirou.

Ce petit fascicule ne sera pas en vente en kiosque et c’est bien dommage. J’ai pu y redécouvrir quelques perles dont j’avais oublié l’existence. Par ordre alphabétique, cela donne :

- 421 : un agent secret clone de James Bond (1980-1992)
- Le Flagada : un oiseau jaune qui vit sur une île et qui vole grâce à une petite hélice (1961-1988)
- Ginger : un détective privé toujours accompagné de la charmante Véraline (1976-1985)
- Mic Mac Adam : lui aussi détective privé mais plutôt spécialisé dans le surnaturel (1978-1987)
- Les Motards : en quelque sorte les ancêtres du Joe Bar Team (1984-1993)
- Toupet : un adorable bébé qui multiplient les bêtises et casse à coup de marteau tout ce qui lui passe sous la main (1987-2004)
- Les voraces : des vautours philosophes vivant dans la savane et passant leur temps à attendre la mort de leurs futurs repas (1986-1996)

Voila donc un excellent numéro spécial come-back qui sera en kiosque le mercredi 9 novembre et que j’ai eu la chance de découvrir aujourd’hui dans ma boîte aux lettres. Longue vie à Spirou, et s’il n’est pas toujours bon de vivre avec le passé, ça fait quand même sacrément du bien de s’y replonger de temps en temps !

Le retour de Pauvre Lampil dans les pages de Spirou !

jeudi 3 novembre 2011

Dors et fais pas chier

Le marchand de sable est passé pour tous tes amis.
La grenouille dans la mare a cessé de sauter.
Quoi ? Non, tu ne peux pas aller faire pipi.
Tu peux, en revanche, t’endormir sans me faire chier.

Dors et fais pas chier, c’est la complainte du parent désespéré dont l’enfant ne veut pas dormir. A chaque double page un quatrain se terminant par la même supplique : « endors-toi ». Et si au début le père conclut sa demande par « je t’en prie » ou « couche-toi, mon chéri », très vite, le ton change. De « c’est quoi ce bordel » à « fous-moi la paix », la grossièreté va crescendo après un délicieux moment de renoncement : « Un bibi de lait ? OK, je m’en fous, j’en ai marre. De toute façon tu dors pas. Tu fais chier. » Évidemment, à la fin, c’est l’enfant qui gagne et les parents qui ne pourront pas, ce soir encore, « faire péter le DVD ».

Drôle d’album qui n’a pas fini de faire parler de lui. C’est sans doute l’une de ses seules qualités. Il est très facile d’être irrévérencieux, ce qui l’est beaucoup moins c’est de l’être avec un minimum de talent. J’avoue que certains passages m’ont fait rire tandis que d’autres m’ont paru affligeants (comme par exemple : « Ton doudou tu peux te le mettre où je pense. Fais pas chier ferme les yeux »). Et puis il faut bien reconnaître que ce « fais pas chier » affiché sur toutes les pages comme un slogan devient vite lassant.

Et les illustrations me direz-vous. Et bien elles ne relèvent pas le niveau. C’est franchement moche et les couleurs souvent très agressives et forts mal assorties font ressembler l’ensemble au délire psychédélique d’un junkie sous acide.

Un ouvrage à ne pas lire aux enfants et typique d’une certaine nouvelle génération de parents qui considèrent que l’on a plus à être esclaves de ses gosses. C’est une sorte de tabou qui saute enfin avec la mise en scène de cette rage parentale éclatant au grand jour. Le coté outrancier est évidemment à prendre au second degré, mais l’ensemble n’est pas suffisamment drôle pour être convaincant. Sur le même thème, Bénabar à fait beaucoup mieux avec son titre « La berceuse ». Cet avis fort mitigé n’engage évidemment que moi et je ne doute pas que d’autres lecteurs trouveront ce livre formidable, mais quand je lis sur la 4ème de couverture une citation de l’écrivain Jonathan Lethem qui le qualifie de « pur génie », je me dis qu’il ne faut pas non plus pousser le bouchon trop loin.

Bon, et puis faites-pas chier, lisez-le, c’est encore le meilleur moyen de se faire sa propre opinion !


Dors et fais pas chier, d’Adam Mansbach (illustrations Ricardo Cortés), édition Grasset, 2011. 32 pages. 10,00 euros. A ne pas lire aux enfants !

mercredi 2 novembre 2011

Aâma 1 : L’odeur de la poussière chaude

Verloc Nim reprend conscience au sommet d’un volcan. Il ne sait pas où il est ni qui il est. Rejoint par un robot gorille prénommé Churchill, il apprend qu’il se trouve sur la planète Ona(ji). C’est en lisant son journal intime que Verloc parvient peu à peu à remonter le fil des événements. Abandonné par sa femme et ne pouvant revoir sa fille, drogué, marginal, mal dans sa peau et dans son époque, il s’est laissé convaincre par son frère de l’accompagner dans une drôle de mission sur une planète inconnue…

Après l’excellent Lupus, Frederik Peeters revient à la SF avec ce voyage initiatique mêlant action, complot et mystère. Pourquoi la SF ? Parce que ce genre permet d’aborder nombre de sujets très contemporains sans en avoir l’air. Dans Aâma, Peeters décrit à la fois une société marchande très inégalitaire et la prédominance de l’ultratechnologie synonyme de bonheur pour tous. Son héros semble s’être trompé d’époque. Amoureux des livres papiers depuis longtemps disparus, sa technophobie le pousse à refuser les implants et autres « saloperies » qui, s’ils permettent de rester en bonne santé, ôtent toute liberté à celui qui les porte. Utilisant de nombreux flashbacks, le récit donne l'impression au lecteur de recoller lentement les différents morceaux du puzzle, même si nombre de questions ne trouvent aucune réponse dans ce premier tome.

Graphiquement, Peeters avoue avoir été fortement influencé par Moebius. Avec son trait reconnaissable au premier coup d’œil, il se révèle aussi à l’aise dans les étendues désertiques d’Ona(ji) que dans les ruelles sordides d’une ville futuriste. Pour cette dernière, il s’est inspiré du Caire et des mégalopoles indiennes, ces cités où la grande pauvreté côtoie de luxurieux gratte-ciel.

Aâma s’annonce comme une saga au long cours ambotieuse et aux multiples portes d’entrée. Ce premier volume d’introduction met l’eau à bouche. Espérons juste que la suite ne se fera pas attendre trop longtemps.


Aâma T1 : L’odeur de la poussière chaude de Frederik Peeters, Gallimard, 2011. 86 pages. 17 euros.