lundi 23 septembre 2024

Only lovers left alive - Dave Wallis

En Angleterre, tous les adultes se sont suicidés. Incapables de prendre la relève pour assurer un fonctionnement « normal » de la société, les enfants et les ados s’organisent en bandes où seuls les plus forts survivent. Voilà donc le pitch ultra-court et ultra simple de ce roman culte publié en 1964, tellement sulfureux qu’il a été interdit en Irlande.

Dave Wallis y raconte le parcours de Kathie, Ernie, Charlie et quelques autres, quittant Londres pour voyager vers le nord dans un pays en perdition. Un voyage semé d’embûches, de rencontres et de coups durs où rien ne leur sera épargné. Accusé de Nihilisme et d’opportunisme (notamment de surfer sur la vague d’affrontements entre gangs qui ont choqué l’Angleterre conservatrice dans les années 60), Wallis est avant tout un incompris. Son propos n’est pas de dénoncer la stupidité et la violence aveugle d’une jeunesse incapable de « vivre ensemble ». Par définition immature, cette jeunesse essaie de faire face avec ses armes, abandonnée par des adultes dont on ne connaîtra jamais les véritables raisons de leurs suicides de masse. Pour les vivants, l’existence devient forcément chaotique, l’avenir incertain. Plus rien ne sera comme avant mais finalement, est-ce une si mauvaise chose ? N’est-ce pas l’occasion de faire table rase du passé capitaliste et industriel pour repartir sur des bases plus simples et plus saines ?

Cette lecture politique (et socialiste) du roman offre un regard différent sur les jeunes qui se débattent dans ce monde post-apocalyptique. Loin du nihilisme, les personnages cherchent à avancer ensemble, lucides sur le fait que les années à venir s’annoncent compliquées, mais également déterminés à faire en sorte que le futur reste porteur d’espoir. Malgré les apparences, un livre bien plus optimiste que désespéré. C’est en tout cas l'impression qu’il m’a laissé.

Only lovers left alive de Dave Wallis (traduit de l'anglais par Samuel Sfez). Sonatine, 2024. 270 pages. 21,50 euros.









mercredi 18 septembre 2024

Dirty Rose - Marzena Sowa et Benoît Blary

Drôle d’idée d’aller se paumer au fin fond du Wyoming quand on vient de Chicago. C’est pourtant ce qu’a choisi de faire Tom, jeune policier affecté dans un commissariat de cul terreux où ses nouveaux collègues aiment le faire tourner en bourrique. En guise de bizutage, Tom est envoyé chez Rose, une marginale vivant dans un mobile-home accusée par ses voisins de maltraitance animale. Rose est une femme que tout le monde ou presque déteste dans le coin. Parce qu’elle a couché avec un nombre incalculable d’hommes mariés et parce que son casier judiciaire est long comme le bras. Évidemment, Tom va se faire malmener par la harpie locale. Pour autant, il va s’intéresser à son cas et finir par lui venir en aide lorsque son logement sera la cible d’un incendie criminel. Le début d’une véritable amitié ? Faudrait pas pousser non plus !

C’est l’histoire d’un jeune homme aspirant à retrouver une « vie belle et simple ». Un jeune homme idéalisant les grands espaces et les gens qui y vivent. Un jeune homme qui va se retrouver face à une réalité bien moins bucolique. Malgré une situation de départ explosive, force est de reconnaître qu’il ne se passe pas grand-chose dans cet album. Bien sûr il y a quelques temps forts, mais on n’est pas dans l’action à tout va, loin de là. L’approche est plus psychologique, plus contemplative aussi. Dommage que les nombreux personnages (même Rose) ne soient pas plus creusés. Du coup on a la désagréable impression de rester à la surface des choses, il manque un poil d’épaisseur pour nous les rendre véritablement attachants.

Tout n’est pas négatif pour autant, les dialogues sont clairement le gros point fort du récit et le côté « tranche de vie » est très agréable à suivre, même si les enjeux restent dans l’ensemble plutôt anecdotiques. Finalement, c’est avant tout pour son ambiance, notamment graphique, que l’album mérite le coup d’œil. Les aquarelles de Benoît Blary jouent sur les couleurs pour rendre à merveille la lumière si particulière des grands espaces. Une sorte de nature writing en BD, plaisant sans être totalement inoubliable. 

Dirty Rose de Marzena Sowa et Benoît Blary. Delcourt, 2024. 88 pages. 17,95 euros.

Toutes les BD de la semaine sont chez Moka








lundi 16 septembre 2024

Kiffe kiffe hier ? - Faïza Guène

Je me réjouissais de retrouver Doria, vingt ans après. Vingt ans après son adolescence passée entre les immeubles de la cité et le lycée, entre sa maman solo, la psy, l’assistante sociale et les rares copains. Vingt après donc, Doria vit toujours à Bondy, dans le 93. Elle a maintenant 35 ans (c’est mathématique !) et un fils de 7 ans qu’elle élève seule depuis qu’elle a viré son mari et demandé le divorce. Une mère célibataire, sans emploi, qui n’a toujours pas sa langue dans sa poche. On retrouve avec plaisir les marqueurs de son univers : sa mère qu’elle idolâtre, son quartier qu’elle n’a jamais quitté, le cousin Reda ou encore l’indéfectible ami Hamoudi.  

Mettons d’emblée les choses au point et évitons les raccourcis plein de clichés : Doria, c’est de la pure fiction, elle n’est en aucun cas un double de Faïza Guène. Quand elle a mis en scène ce personnage de beurette dans Kiffe Kiffe demain, elle n’avait que 19 ans. Le succès a été foudroyant : 400 000 exemplaires vendus, traduit en 26 langues. La recette qui a fonctionné à l’époque est ici reproduite avec les mêmes ingrédients, remis au goût du jour. Doria a toujours son franc parler légendaire, fait toujours preuve d’une bonne dose d’humour, de lucidité et d’autodérision, abuse des métaphores aussi décalées que parlantes. Sa langue est très orale, sa répartie cinglante. Pas d’amertume dans son discours ni de nostalgie en mode « c’était mieux avant » mais beaucoup d’ironie et de sarcasme. Égale à elle-même, quoi.

Si j’ai apprécié de retrouver le ton de Doria, sa gouaille et ses fulgurances, j’avoue que j’ai eu du mal à m’intéresser vraiment au fond de son discours. Le monologue part dans tous les sens, il n’y a pas de véritable histoire, on passe du coq à l’âne sans prévenir, ça finit par devenir à la fois confus et anecdotique. Entendons-nous, j’ai pris plaisir à retrouver une vieille copine qui m’a bien fait marrer avec ses saillies verbales n’appartenant qu’à elle mais je préfère quand Faïza Guène propose des romans plus « structurés », plus classiques (Les gens du Balto ou Du rêve pour les oufs par exemple). Chacun ses goûts.

Kiffe kiffe hier ? de Faïza Guène. Fayard, 2024. 250 pages. 20,90 euros.

« Laissez-moi vous exposer ma théorie : la raison pour laquelle vos bébés disent d’abord papa, c’est tout simplement parce qu’on appelle les absents. On dit le nom de celui qui ne se trouve pas dans le même espace que soi parce qu’on se demande naturellement où il est passé. Ils ne sont pas débiles les bébés. Faut pas croire. Malgré leur entêtement à ne rien faire d’autre que chier et baver, ils ont du bon sens. Ils disent majoritairement papa parce que vous n’êtes jamais foutus d’être auprès d’eux comme nous le sommes. »





mercredi 11 septembre 2024

On l’appelait Bebeto - Javi Rey

Espagne, années 90. Pendant que Miguel Indurain enchaîne les victoires sur le tour de France, Carlos passe ses étés en appartement avec sa grand-mère. Pas de départ en vacances pour lui, il reste chaque année à Sant Pere, une banlieue industrielle sans âme de Barcelone où il est né. Au programme de ses journées beaucoup d’ennui, quelques sorties à la plage, des séances télé sur le canapé avec mamie et surtout les parties de foot avec les copains. Mais le jour où il manque un joueur pour que leur équipe puissent participer aux tournois organisés quotidiennement par les gosses du quartier, Carlos et sa bande doivent se résoudre à faire appel à Bebeto, grand gaillard plus âgé qu’eux, un peu simplet, souvent mutique, dont la mère souffre de gros soucis psychiatriques. Bebeto le bouche trou à beau être nul au foot, il va peu à peu s’intégrer au groupe d’amis, et Carlos finira même par le considérer comme un véritable camarade.

Il n’y a rien d’autobiographique dans cet album mais il semble évident que Javy Rey s’est inspiré de sa propre enfance pour mettre en scène celle de Carlos. Son récit est poignant sans en avoir l’air. Pas besoin de gros sabots, la narration, à la fois ambitieuse et tout en finesse, déjoue les écueils du mélo dégoulinant. Les étés passent et les priorités changent. Les filles prennent peu à peu le pas sur le foot, on rêve d’aller en boîte et d’avoir son propre moyen de locomotion, on rêve d’ailleurs pour élargir l’horizon bouché d’une vie étriquée.  L’évolution est parfaitement rendue, navigant sans cesse entre les émois, les tourments, les interrogations, les jours de peine et les jours de joie. Surtout, les interactions fonctionnent avec une étonnante fluidité, que ce soit la relation avec les copains, celle, magnifique, avec la grand-mère qui commence à perdre la boule, mais également le lien qui se tisse peu à peu avec Bebeto, ce nigaud pas si simplet qu’il en a l’air, dont le regard sur l’existence dégage un petit quelque chose de lumineux.

J’ai pris beaucoup de plaisir à voir Carlos grandir, passer du monde de l’enfance à celui de l'adolescence. Javi Rey, après avoir œuvré en tant que dessinateur pour divers scénaristes (notamment pour réaliser avec Bertrand Galic et Kris l’excellent « Un maillot pour l’Algérie »), signe en solo un superbe récit initiatique, simple sans être naïf, émouvant et pudique, sensible et nostalgique, tour à tour douloureux et joyeux. Une totale réussite !

On l’appelait Bebeto de Javi Rey. Dargaud, 2024. 144 pages. 24,00 euros.


Toutes les BD de la semaine sont aujourd'hui chez Fanny








lundi 9 septembre 2024

L’appelé - Guillaume Viry

C’est l’histoire de Jean, le fils, mort le 28 mars 1969. C’est l’histoire de Louis, le père, qui a brûlé toutes les affaires de Jean le 28 mars 1970. C’est l’histoire de Joseph, le frère, qui n’a jamais parlé de Jean après sa mort. C’est l’histoire de Julien, le fils de Joseph, le petit-fils de Louis, qui échappe à la conscription en racontant au médecin que le service militaire de son oncle ne s’est pas bien passé en Algérie. Julien, qui va chercher à remonter le fil d’une mémoire familiale effacée après le retour de « l’appelé » Jean. Trois mois passés au début de l’année 1961 en tant que troufion, dont il reviendra dévasté, anéanti, bon pour l’asile.    

Avec Où j’ai laissé mon âme, Jérôme Ferrari a sans doute écrit le roman le plus puissant et le plus inégalable sur la guerre d’Algérie. Il n’empêche que bien d’autres auteurs continuent à se frotter à ce sujet brûlant (Michel Serfati et Joseph Andras par exemple). Guillaume Viry apporte à son tour sa pierre à l’édifice, choisissant pour se faire l’entrelacement des points de vue. Jean, Louis, Joseph et Julien. Ils prennent tour à tour la parole, recollant les morceaux d’une mosaïque éparpillés au fil des décennies. La voix de l’Appelé est celle qui porte le plus. Elle dit l’horreur de la guerre, le comportement barbare de son régiment, les meurtres, les viols, la torture. Elle dit la chaleur, la promiscuité, la fatigue, la peur permanente, les officiers qui humilient, l’évacuation sanitaire au bout de quelques mois seulement, les traumatismes psychologiques qui empêcheront tout retour à la normalité.

Un premier roman épuré à l’extrême, sans majuscules ni ponctuation, dans une forme de versification libre qui n’est pas sans rappeler les feuillets d’usine de Joseph Pontus. C’est court, intense, habité, le texte respirant au rythme du phrasé syncopé de chaque narrateur. Une superbe découverte !

L’appelé de Guillaume Viry. Éditions du Canoë, 2024. 120 pages. 16,00 euros.

« ils me nourrissent
de pilules bleues
des blouses blanches s’approchent
veulent calmer veulent éteindre
éteindre les cris dans la nuit dans le jour
veulent que ça cesse
les blousent blanches ne veulent pas de hurlements
mais moi Jean je crie
évacué du camp de Berrouaghia réformé de l’armée française renvoyé dans mes foyers rayé des contrôles
Marseille Dijon Metz
je suis l’homme rayé
»






mercredi 4 septembre 2024

Rose à l’île - Michel Rabagliati

Juillet 2017. Paul va mal. C’était déjà le cas cinq ans plus tôt dans Paul à la maison et force est de constater que rien n’a vraiment changé depuis. Sa femme l’a quitté, son père vient de mourir, sa fille Rose est partie vivre en Angleterre, il ne parle plus à sa sœur, sa belle famille lui manque et la solitude lui pèse de plus en plus. Heureusement Rose est de retour et elle décide de changer les idées de son papa chéri en l’emmenant faire un séjour sur une île de l’estuaire du St Laurent. Un coin paumé où les habitants sont aussi rares que le wifi. L’été, la nature, les oiseaux, la plage, une maison en bois aux toilettes rustiques, quelques bons bouquins et enfin l’occasion de se changer les idées pour notre grand mélancolique.

Les insulaires sont rares mais tous possèdent une énergie débordante et une joie de vivre qui contrastent avec le spleen de Paul. Ces rencontres lui font du bien et les balades en solitaire vont lui permettre de faire le point, de se remettre dans le bon sens après des mois de dépression. Le texte à la première personne tourne à la confession sans dramatisation. C’est comme d’habitude, à la fois drôle et poignant, plein d’émotion quand il évoque son père et la lettre de remerciements qu’il lui a écrit après sa mort. La réflexion porte également sur son statut d’auteur de BD, la fatigue engendrée par les festivals et la promotion tous azimuts, le fait qu’il est difficile de se renouveler dans le registre de l’autofiction quand on a déjà raconté toute sa vie. Et comme inventer des histoires, ce n’est pas son truc, l’horizon professionnel semble aussi bouché que sa vie personnelle. Heureusement qu’il y a Rose. Celle qui n’était hier encore qu’une fillette affiche fièrement ses vingt-trois printemps. Sa volonté de redonner la joie de vivre à son père est hyper touchante et Paul la décrit avec une tendresse et une admiration qui fendrait l’armure du cœur le plus dur. 

Graphiquement le trait de Michel Rabagliati se reconnait au premier coup d’œil, même si cette fois-ci, au niveau de la forme, tout change. Pas de case, pas de bulle, du crayon plutôt que de l’encre et un objet-livre penchant bien plus du côté du roman illustré que de la BD. Au final, cette liberté d’articulation entre le texte et l’image permet de retranscrire avec précision et poésie un environnement aussi sauvage que chaleureux.


À la fin du séjour, Paul va mieux, il a vu un coin de lumière écarter ses idées noires. Temporairement ou définitivement ? Nous n’aurons pas la réponse. Mais quel plaisir ce fut d’avoir pu partager avec Rose et lui quelques jours sur un petit caillou perdu au milieu d’un immense fleuve.

Rose à l’île de Michel Rabagliati. La Pastèque, 2023. 250 pages. 25,00 euros.



Les BD de la semaine sont à retrouver chez Blandine





jeudi 29 août 2024

Dogrun - Arthur Nersesian

Mary Bellanova, bientôt 30 ans, retrouve son petit ami Primo mort sur le canapé en rentrant chez elle après le travail. Avec dorénavant pour seul compagnon le chien de Primo, elle part à la recherche des proches de ce dernier, afin de mieux comprendre ce qu’a été sa vie avant leur rencontre. Parcourant les rues de l’East village, elle navigue comme une âme en peine dans un New-York undergound, faisant des découvertes surprenantes sur Primo, que certaines de ses anciennes conquêtes considèrent comme « la plus grosse merde que cette ville à la con ait jamais expulsée. »

J’ai découvert Arthur Nersesian avec le réjouissant « Fuck up », récit halluciné de la descente aux enfers d’un pauvre gars poursuivi par la poisse. Il réutilise ici quelques ingrédients de ce roman « culte », à savoir le New-York interlope, un protagoniste dans la dèche, qui galère pour garder un emploi stable et fricote avec tout ce que la ville semble proposer de plus tordu. Niveau changement, il met en scène une jeune femme plutôt qu’un garçon et entremêle à ses déboires sentimentalo-financiers une histoire familiale compliquée. C’est toujours à la première personne, toujours un peu crasseux et sans langue de bois, tout ce que j’aime.

 Mary est lucide sur sa situation, pleine d’autodérision, consciente de ses limites et consciente d’être dans la mouise jusqu’au cou, même si pour ses amies encore plus en galère qu’elle, tout lui sourit : elle ne s’est pas retrouvée avec un gamin sur les bras alors qu’elle n’a pas les moyens de l’élever, elle ne boit pas, elle ne se drogue pas, n’a pas besoin qu’un mec la maltraite et surtout, elle n’est pas complètement folle. Que demander de plus en effet ?

Arthur Neresian fait une fois encore de Big Apple le cœur battant de son roman. Plus apaisé, moins sombre, moins-tragi-comique et jusqu’au-boutiste que Fuck up, ce Dog Run n’en reste pas moins une lecture fort agréable, dressant le tableau haut en couleur d’une faune New-yorkaise aussi excentrique que fascinante.

Dogrun d’Arthur Nersesian (traduit de l’anglais par Charles Bonnot). La croisée, 2024. 272 pages. 21,10 euros.





lundi 26 août 2024

A l’ombre des choses - Anatole Edouard Nicolo

Anatole passe son adolescence en province. « Un enfant moyen dans une ville moyenne ». Un enfant vivant avec sa mère et son grand frère G. dans un foyer social depuis le divorce de ses parents. Pas une enfance simple mais pas de quoi sombrer non plus dans le misérabilisme. Le frangin abandonne l’école et se lance dans la chanson, devenant bientôt une star du rap qui remplit les zéniths. Anatole de son côté se cherche, s’ennuie, fait quelques bêtises, passe ses années de lycéens dans un sport étude en rêvant de devenir footballeur professionnel. Finalement il échouera à Paris, seul dans un studio, avec un job minable. C’est là que le hasard d’une rencontre va changer sa vie et faire de lui un « homme de lettres ».

 Si vous aimez l’autofiction et le transfuge de classe façon Edouard Louis, vous allez adorer. Même si l’image parentale est beaucoup moins écornée que chez Louis, même si le transfuge est moins radical,  la violence moins présente et la question de l’orientation sexuelle bien moins centrale, l’esprit, le ton, le déroulement des événements et la façon de passer de l’enfance au monde des adultes ont beaucoup de similarités. Après, niveau écriture, c’est plus littéraire, ce qui n’est pas difficile me direz-vous étant donné que même le mode d’emploi d’une cafetière électrique est plus littéraire que la prose d’Edouard Louis.

J’avoue, je  n’ai pas été emballé. Je ne me suis pas vraiment attaché à Anatole, je l’ai regardé grandir de loin, sans me sentir concerné par son parcours. Heureusement les chapitres sont courts, le rythme est bon et le narrateur n’est pas un geignard qui passe son temps à s’appesantir sur son sort. Autant de points positifs qui n’ont pas suffi à emporter mon adhésion cela dit.

Un premier roman qui ne manque pas de qualités et saura trouver son public, même si en ce qui me concerne, je risque de le ranger dans la catégorie des « aussi vite lus qu’oubliés ».  

A l’ombre des choses d’Anatole Edouard Nicolo. Calmann-Lévy, 2024. 155 pages. 18,00 euros.






jeudi 22 août 2024

Un destin de Trouveur - Gess

Paris, 1898. Émile Farges est un trouveur, il possède un « talent » lui permettant de localiser des personnes ou des objets en jetant un caillou sur une carte. Grâce à ce don, il aide la police à localiser des criminels et des particuliers à retrouver leurs proches disparus. Une vie consacrée à faire le bien, jusqu’au jour où son talent lui vaut d’être sollicité par « La pieuvre »,  la plus grande organisation mafieuse de la capitale. Impossible pour le trouveur de refuser le contrat sans mettre la vie de sa femme et de sa fille en danger. Une collaboration forcée qui va l’entraîner dans une spirale de violence dont il va devenir malgré lui le rouage principal.

Je passe sous couvert beaucoup d’éléments du scénario qui font de cette histoire un récit bien plus complexe que le simple résumé ci-dessus. L’alternance entre le passé et le présent engendre de nombreux flashbacks éclairant le parcours des protagonistes, notamment l’histoire d’amour entre Émile et son épouse Léonie. Gess a imaginé un Paris de la fin du 19ème siècle sombre et oppressant. L’idée de donner à certains personnages une sorte de superpouvoir (le talent) offre une pincée de fantastique dans un cadre historique des plus réalistes. L’ambiance est glauque, poisseuse, flirtant parfois avec le gothique. Le dessin est aussi torturé que les âmes, les couleurs renforcent l’impression de noirceur qui se dégage d’un environnement où la lumière n’a pour ainsi dire jamais sa place.

Un album dense qui reste, grâce au découpage et aux choix graphiques, d’une parfaite lisibilité. Deuxième tome des « Contes de la pieuvre », une série dont le quatrième volume est attendu dans les semaines à venir, ce Destin de Trouveur dresse le portrait d’un homme épris de justice, prêt à tout sacrifier pour protéger les siens. Une trame plutôt classique mais parfaitement réalisée dont la noirceur dégage au final un charme envoutant.

Un destin de Trouveur de Gess. Delcourt, 2019. 225 pages. 25,95 euros.





lundi 19 août 2024

Camera obscura - Gwenaëlle Lenoir

Le narrateur est photographe dans un hôpital militaire. Son job ? Prendre des clichés de cadavres d’opposants politiques arrivant chaque jour à la morgue et les envoyer à un procureur, afin que le pouvoir en place sache que la répression tourne à plein régime et que les rebelles voulant chasser le président sont punis comme il se doit. Pour le photographe, le boulot est mécanique. Il ne se pose pas de question, en bon fonctionnaire. Jusqu’au jour où les corps d’ados semblant avoir été torturés réveillent en lui une humanité qu’il pensait avoir définitivement perdue. Et alors que les morts s’accumulent, il copie certaines photos sur une carte mémoire, sans vraiment savoir ce qu’il va pouvoir en faire.

C’est l’histoire d’un homme qui entre en résistance un peu malgré lui. Un homme simple, d’abord incapable de sacrifier sa vie de famille et son statut social pour lutter contre l’injustice. Un homme terrorisé par les conséquences que ses agissements pourraient engendrer sur lui et les siens. Un homme finalement emporté par le besoin de dénoncer l’insupportable horreur à laquelle il est confronté, même s’il sait que les risques sont immenses. Un homme lâche et peureux, dépassé par les événements, convaincu que ses actes ne serviront sans doute pas à grand-chose mais également convaincu qu’il est nécessaire de rendre justice à ceux qui sont morts pour la liberté.

Un beau texte à la première personne, sans emphase ni lyrisme excessif. Le narrateur n’est pas un héros, il ne sauvera rien ni personne. Désabusé, effrayé et en même temps en mission pour révéler la vérité, il agit sans trop réfléchir, sans véritable conviction non plus. Ce sont sa fragilité et ses interrogations permanentes qui renforcent son humanité et le rendent attachant. Gwenaëlle Lenoir dresse le portrait tout en nuance d’un opposant politique qui lutte avec ses armes, conscient des limites de son engagement et du fait qu’il n’est qu’un pion sur un échiquier bien trop grand pour lui. C’est simple, beau et touchant.

Camera obscura de Gwenaëlle Lenoir. Julliard, 2024. 215 pages. 20,00 euros.