Elle en a du bol, Penny Harrigan. Stagiaire dans un cabinet
d’avocat, tout juste bonne à faire le café, elle se retrouve le cul à l’air devant Cornelius Linus Maxwell après s’être étalée lamentablement
avec le plateau de cappuccinos qu’elle s’apprêtait à lui apporter. Un Maxwell qui
n’est rien d’autre que l’homme le plus riche du monde doublé d'un Dom Juan que les tabloïds ont surnommé « Orgasmus Maxwell ». Lui qui jusqu’alors avait
épinglé à son tableau de chasse une actrice six fois couronnée aux oscars, la
présidente des États-Unis ou encore la future reine d’Angleterre semble être tombé de manière assez incompréhensible sous le charme de Penny, au point de l'invité à dîner. La jeune femme va vite découvrir que le bellâtre voue
un culte au plaisir féminin et ne cesse de chercher à déclencher chez ses
partenaires des orgasmes dévastateurs grâce à divers jouets de sa
conception. D’abord éblouie par les
torrents de jouissance que Maxwell parvient à provoquer en elle, Penny va
rapidement se rendre compte que quelque chose cloche et que, loin de tout
sentimentalisme, son amant la considère uniquement comme un cobaye. Où comment le conte de fée va virer au cauchemar...
Dès le départ, on se dit que Palahniuk se moque du monde. Qu’il
force le trait, qu’il insiste lourdement sur les codes propres aux Mommy Porn
pour mieux les égratigner. Impossible en effet de prendre au sérieux le délire
du fumeux Cornélius Maxwell, expert implacable de l’anatomie féminine
et de ses secrets se muant en terroriste psychopathe assoiffé d’argent et de
pouvoir. Un maître de l’univers gagnant ses galons en fournissant aux femmes la
drogue la plus dure jamais mise sur le marché, une dépendance à l’orgasme provoquée
et entretenue par ses sextoys tous plus diaboliques les uns que les
autres. L’histoire en elle-même est totalement déjantée, comme tous les
personnages d’ailleurs (avec une mention spéciale pour Baba Barbe-Grise,
prêtresse de la jouissance féminine vivant depuis deux cents ans recluse dans
une grotte du fin fond de l’Himalaya et épuisant tous les disciples qui ont osé
se frotter à son savoir).
Le risque quand on se lance dans un projet aussi parodique,
c’est de rapidement tourner en rond et de finir par tourner à vide. Or ici, ce
n’est jamais le cas. D’abord parce que c’est drôle et ensuite parce que
Palahniuk ne se contente pas de se foutre de la mode érotico-porno actuelle. Son
roman est aussi (et surtout) une satire sociale dénonçant la quête effrénée du
plaisir entretenue par une industrie et des médias aux vues purement
mercantiles. La réflexion sur la manipulation des masses est aussi très
présente et on sent le plaisir qu’a eu l’auteur à mettre en scène puis
dézinguer quelques travers très actuels de notre société.
Un pari compliqué mais parfaitement réussi. Le sens de l’hyperbole
de l’auteur de Fight Club conjugué à son sens de l’ironie mordante offre au
final un pastiche à l’absurdité jouissive. Tout ce que j’aime.
Orgasme de Chuck Palahniuk. Sonatine, 2016. 260 pages. 18,00
euros.