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mardi 4 octobre 2016

Intimidation - Harlan Coben

Voilà, c’est fait, j’ai lu un thriller du grand maître du genre. Enfin il paraît que c’est le grand maître du genre, perso je n’y connais rien en thriller et je passe mon temps à dire que je fuis ce type de roman comme la peste.

Pourquoi cette lecture alors ? Parce que j’ai eu besoin de comprendre. Comprendre pourquoi ce Harlan Coben fascine ma femme à ce point. Pourquoi le soir venu, alors que je l’invite avec toute la conviction nécessaire à faire un gros câlin, elle me snobe pour rester avec Harlan. Et ce n’est même pas une excuse bidon genre « j’ai mal au crâne », non, non, c’est un sincère « attends, je termine mon chapitre » qui s’éternise tellement que je finis par m’endormir en me la collant derrière l’oreille. Donc j’ai voulu savoir ce que ce mec avait de plus que moi. Bordel.

Intimidation, c’est l’histoire d’un secret. Un secret révélé à Adam Price par un inconnu dans un bar. Un secret que sa femme lui cache depuis des années. Après avoir refusé de donner la moindre explication à propos de ce secret, l’épouse disparaît et envoie un mystérieux SMS. Disparition volontaire ? Enlèvement ? Meurtre ? Adam se lance à corps perdu dans une enquête dont il ne sortira pas indemne (je le vends bien, hein !).

La pile d'Harlan Coben au pied de notre lit...


Pourquoi ça fonctionne à ce point ? A vrai dire je me le demande. Ok, il y a un côté addictif. Ok, le gars prend son temps, il soigne les préliminaires, caresse la lectrice dans le sens du poil, la fait frissonner et la réchauffe quand il faut. Il change de point de vue comme on change de position pour offrir une respiration au cœur de l’action avant de mieux revenir aux fondamentaux. Il joue sur le tempo (lent, rapide, trépidant), donne le rythme et offre cette accélération finale qui fait la différence.

Mais punaise, il n'y pas non plus de quoi grimper aux rideaux ! Ça reste un page-turner, un truc dont on dévore les courts chapitres à toute vitesse pour connaître la suite sans s’arrêter sur la profondeur des personnages et de l’intrigue. L’écriture, truffée de dialogues, est plate comme le dos de la main et les grosses ficelles scénaristiques sautent aux yeux, même pour un novice du genre comme moi.

En gros, c’est mécanique : des enchaînements qu’on voit venir de loin, zéro prise de risque, aucune passion. Tout juste se contente-il de faire monter l’intensité crescendo (ce qui est déjà pas mal, je le concède). Pour autant, ce n’est pas parce qu’on a trouvé une technique efficace qu’il est interdit de varier les plaisirs. Où est l‘effet de surprise sinon ? Franchement, monsieur en fait des caisses mais on est à la limite de l’esbroufe. Ok, je suis un peu (beaucoup) de mauvaise foi sur ce coup-là. Mais je déteste l’idée qu’un auteur perturbe ma vie sexuelle, faut me comprendre. L’évidence c’est qu’il sait y faire et que j’ai du mal à soutenir la comparaison. L’enfoiré.

Intimidation d’Harlan Coben. Belfond, 2016. 375 pages. 21,50 euros.









lundi 3 octobre 2016

Hiver à Sokcho - Elisa Shua Dusapin

Sokcho en hiver. Une improbable station balnéaire sud-coréenne, tout près de la frontière ultra-militarisée avec la Corée du Nord. Désertée à cette période de l’année, la pension décrépie où travaille la narratrice accueille un dessinateur de BD français en quête d’inspiration. Entre eux le courant passe en mode alternatif. Elle occupe ses journées entre le ménage, la cuisine et les visites à sa vieille mère. Lui, taciturne, solitaire, lui demande parfois de l’accompagner dans ses sorties et l’ignore le reste du temps. Ils se croisent, s’effleurent, s’éloignent et mettent leurs émotions en sourdine.

Le froid, la neige, l’ennui. Ce premier roman traversé par la mélancolie et dépouillé à l’extrême exhale une atmosphère étrange à la fois pleine de pudeur et de tension érotique contenue. Attente, silences, hésitations, dialogues épurés de tout bavardage excessif et envahissement du désir, cette rencontre de deux solitudes qui s’attirent et se repoussent possède de forts accents durassiens. Franchement, je suis bluffé par la maturité de l’écriture d’Elisa Shua Dusapin. A 24 ans, son utilisation magistrale de l’ellipse, son mépris de la parole vaine, du développement inutile, impressionne. Avec une force d’évocation et de suggestion sidérante, elle va droit au but, à l’essentiel.

De l’indifférence à la naissance du sentiment amoureux, chacun intériorise, conscient que les silences sont plus signifiants que toute parole. La lenteur du récit et les images semblant défiler au ralenti expriment un bouleversement immobile où la passion affleure sans jamais déborder, sans jamais sortir du cadre. Un charme assez inexplicable se dégage de ce texte où les non-dit règnent en maître. Un des premiers romans les plus singuliers de cette rentrée.

Hiver à Sokcho d’Elisa Shua Dusapin. Zoé, 2016. 140 pages. 15,50 euros.





jeudi 29 septembre 2016

Le Garçon : scènes de la vie provinciale - Olivia Resenterra

Punaise, elle n’est pas gaie la vie provinciale telle qu’on nous la dépeint dans ce premier roman ! Une vieille mère et sa vieille fille unique vivent ensemble sous le même toit. La vieille mère est acariâtre, la vieille fille ne la supporte plus. Cette vieille fille unique est la narratrice. Après ses vingt-cinq ans, elle a grossi et arrêté d’aller chez le coiffeur. Elle n’a aucune vie sentimentale, aucun revenu. Son rêve est d’installer une cabane en bois au fond du jardin pour prendre le large, enfin.

Commérages devant la télé en découvrant que le président a une liaison avec une actrice, commérages avec le voisinage, les journées sont tristes, monotones, répétitives. Dans la rue principale du village il y a la maison du père Bavin et de ses deux gamines. Le père Bavin aime « se secouer la bite devant la grande baie vitrée du salon ». On dit aussi qu’il « se tripote quand ses filles invitent des copines à la maison ». Un jour à la fête foraine les deux femmes rencontrent un garçon. La mère se comporte étrangement, le garçon entre dans leur vie, la fille se sent mise à l’écart. Dans un campement gitan installé depuis peu, elle va tenter de trouver des réponses à ses questions.

« Le Garçon », c’est un monde en vase clos, étriqué à l’extrême : « Nous fréquentons principalement les habitants du village, et comme le village n’est pas grand, nous voyons toujours à peu près les mêmes personnes ». C’est la rancœur et la cruauté comme raison d’être, l’amertume chevillée au corps. C’est une drôle de conception de l’amour maternel et de l’amour filial, une vision froide et déprimante de nos villages et de leurs habitants. Au final j’ai aimé ce ton grinçant, ces deux femmes détestables, chacune à leur façon, et cette ambiance délétère. Tout sauf un roman feel-good, et ce n’est pas pour me déplaire !

Le Garçon : scènes de la vie provinciale d’Olivia Resenterra. Serge Safran, 2016. 140 pages. 15,90 euros.






lundi 26 septembre 2016

Watership Down - Richard Adams

J’ai toujours été fan des lapins. Depuis mes lectures du « Jojo Lapin » d’Enid Blyton dans la Bibliothèque rose, depuis le « Pierre Lapin » de Béatrix Potter, depuis la série d’albums de la famille Passiflore illustrés par le talentueux Loic Jouannigot. Plus généralement les univers animaliers et sylvestres me séduisent depuis ma plus tendre enfance, surtout après ma découverte des BD de Raymond Macherot. J’ai entretenu cette passion il y a quelques années avec le fabuleux « Vent dans les saules » de Kenneth Grahame et sa non moins fabuleuse adaptation en bande dessinée par Michel Plessix. Bref, tout ça pour dire que les récits avec des animaux dedans, ça me parle. Il m’était donc inconcevable de ne pas partir à la rencontre des lapins de Watership Down.

Le point de départ de ce roman publié pour la première fois en 1972 et vendu à 50 millions d’exemplaires depuis est simplissime : le jeune Fyveer annonce à son frère Hazel que leur garenne va disparaître suite à une grande catastrophe. Il ne peut pas expliquer pourquoi mais il en a la certitude. Une prémonition. Les deux lapins parviennent à convaincre une poignée de compagnons du danger imminent et quittent les collines verdoyantes qui les ont vus naître en quête d’un nouveau foyer où ils pourront s’installer en toute sécurité. Commence alors une odyssée longue et périlleuse dont personne ne sortira indemne.

Watership Down, c’est la quête d’une terre promise, une histoire de migrants à la recherche d’un monde meilleur. C’est l’histoire d’une communauté en danger permanent qui s’organise, s’adapte et s’unit pour survivre. Une communauté avec ses tensions, ses moments drôles ou émouvants, ses drames. Une communauté consciente qu’il va lui falloir s’agrandir, se reproduire pour ne pas disparaître.

Richard Adams ne donne pas dans le récit animalier anthropomorphique. Ses personnages ont un comportement propre aux lapins, ils griffent, mordent, se battent pour une femelle, tapent de la patte pour prévenir du danger, se font dévorer par les renards, les belettes et les chats. En cela, cette description quasi « naturaliste » m’a rappelé le magnifique « De Goupil à Margaux » de Louis Pergaud. Mais Adams donne une dimension supplémentaire à l’univers qu’il créé en lui offrant une mythologie, une langue spécifique, un Dieu (Krik) et un héros légendaire (Shraavilshâ).

Il y a sans doute une tonne d’interprétations allégoriques à donner à cet exode, cette recherche du paradis, mais je me contenterais d’y voir une aventure au long cours trépidante, incroyablement bien construite et qui m’a passionné de bout en bout. Un grand moment de lecture que je ne suis pas près d’oublier !

Watership Down de Richard Adams. Monsieur Toussaint Louverture, 2016. 542 pages. 21,90 euros.







vendredi 23 septembre 2016

De terre et de mer - Sophie Van der Linden

     - Pourquoi es-tu venu ici.
     - Pour revoir quelqu’un. Une femme. Qui ne répondait plus à mes lettres. Je  voulais savoir pourquoi.
     - Et tu l’as vue ?
     - Oui.
     - Mais si tu es là, c’est que ça s’est mal passé, n’est-ce pas ?
     - En un sens. Disons que j’ai eu des réponses, mais que celles-ci compliquent encore plus les choses. Je me dis qu’il vaut mieux que je reparte…

Ils se sont aimés mais elle est partie. Il lui a écrit mais elle ne lui a pas répondu. Il a donc décidé de lui rendre visite à l’improviste pour obtenir des explications et, éventuellement, recoller les morceaux. Henri débarque donc sur l’île de B. où Youna s’est installée. Il trouve sa maison, s’en approche et frappe à la porte. Elle lui ouvre et lui dit simplement « entre »…

Un livre acheté tout à fait par hasard, à cause de sa couverture (un tableau de Jean-Baptiste Corot). Sophie Van Der Linden écrit par petites touches un roman impressionniste. Elle invite le lecteur à suivre Henri sur l’île, à partager ses rencontres, ses flâneries. On croise ici un restaurateur déballant des denrées venues du continent, là quelques loups de mer attablés dans un troquet, une petite fille courant dans le sable, un marathonien à l’entraînement, un fermier rentrant ses vaches à l’étable, un allemand en fuite, un musicien accueillant, un chat chasseur de chouette ou encore un jeune garçon en vacances chez son oncle.

Une histoire du début du 20ème siècle, à peine esquissée, comme murmurée à l’oreille. Une histoire belle et triste aux accents contemplatifs. Entre vagabondage, nostalgie et amour brisé, on chemine sur la pointe des pieds avec Henri, ses attentes, ses doutes et ses certitudes. Un joli tableau, aussi bref que sensible, hors des modes et du temps. Après, il faut reconnaître que ce roman à l’atmosphère surannée pourra laisser plus d’un lecteur de marbre. Personnellement j’ai aimé cette ambiance un peu désuète, même si je ne suis pas certain qu’il m’en reste grand-chose d’ici peu.   

De terre et de mer de Sophie Van der Linden. Buchet Chastel, 2016. 150 pages. 14,00 euros.




lundi 19 septembre 2016

Je vais m’y mettre - Florent Oiseau

« La vérité, c’est que je n’avais rien branlé. Ou plutôt, je n’avais rien voulu branler. Je m’étais laissé vivre, porté par le courant d’air d’une porte de bistrot entrouverte. Un demi de bière à la main, des espoirs en pagaille. »

Un roman de branleur ! J’adore les romans de branleur. Du moins quand ledit branleur donne dans l’humour et l’autodérision. C’est ici le cas de Fred, quadra désabusé, pochard, célibataire, mal rasé, un poil bedonnant et sans le sou. Un gars qui a accumulé les petits boulots (plongeur, crêpier, imprimeur, caissier au zoo de Vincennes…), qui a profité au max des aides sociales, s’est débrouillé pour toucher une allocation d’adulte handicapé et enchaîner les combines pour ne jamais en faire trop : « Je n’étais pas un bosseur dans l’âme, un amoureux du stakhanovisme et, en règle général, de l’effort, mais s’il s’agissait de magouiller, j’étais prêt à faire des heures supplémentaires sans demander mon reste ».

Le titre sonne comme une promesse, un début de méthode Coué. Finie la glandouille, Fred va s’y mettre. Mais à son rythme : « Aujourd’hui j’arrête. J’arrête de tout arrêter avant de commencer. Terminé l’oisiveté, le vin qui tâche, la sonnerie du réveil à quatorze heures pour une petite sieste, peinard, en milieu d’aprem. On appelle ça la maturité je crois. Cette fois, c’est décidé, je m’y mets ». Une bonne volonté de façade qui ne sera évidemment pas suivie d’effet. Fred va devenir maquereau un peu malgré lui pour rendre service à deux copines michetonneuses. De l’humanitaire comme il dit. Sauf que le métier n’est pas sans risques, et après avoir marché sur les plates bandes d’un voyou rancunier, il va devoir  quitter Paris pour l’Espagne.

Un premier roman qui me va comme un gant. Grinçant, à l’écriture spontanée, très orale, un poil vulgaire, enchaînant les situations cocasses, les interrogations existentielles décalées. Et un personnage lucide quant à ses limites, dont le manque d’ambition et la mollesse exaspérera plus d’un lecteur. Un fainéant  lymphatique comme j’aime, un résigné se contentant du peu qu’il a sans rien chercher de plus et posant sur sa propre situation un regard férocement drôle.

C’est rythmé et plein de gouaille, la galère permanente, la misère, l’alcool et les mauvais choix qui s’accumulent auraient pu faire basculer le tout dans une noirceur poisseuse mais pour le coup, on donne davantage dans le tragi-comique hilarant. Seule la fin m’a déçu, Fred nous laisse en plan comme des vieilles chaussettes alors que la situation exigerait d’en savoir davantage. Mais l’ensemble procure un réel et grand plaisir de lecture, plaisir qu’il serait stupide de bouder.

Je vais m’y mettre de Florent Oiseau. Allary, 2016. 220 pages. 17,90 euros.





jeudi 15 septembre 2016

Et la vie nous emportera - David Treuer

"Ils ont compris que tout ça était vain et qu'ils avaient commis une terrible erreur et ils ont agi comme s'ils me devaient quelque chose [...] et c'est ridicule parce que c'est une dette qu'ils n'auraient jamais pu rembourser"

Août 42. Emma attend avec impatience l’arrivée de son fils Frankie. Le garçon vient rendre une dernière visite à ses parents avant de partir faire ses classes dans l’armée de l’air. Autour de leur résidence du Minnesota perdue au fond des bois, l’ambiance est étrange. Tout le monde est à cran depuis qu’un prisonnier allemand s’est échappé du camp situé sur l’autre rive du lac, en face de la maison familiale. A peine arrivé, Frankie décide de retrouver le fuyard. Il part avec le fusil paternel, accompagné de Félix, le vieil indien en charge du domaine et de Billy, un métis de son âge avec lequel il a grandi et qui est devenu plus qu’un ami. Au détour d’un bosquet, quelques feuilles bougent. Frankie tire, le drame se noue…

Un roman se déployant sur dix ans, entre 1942 et 1952. On y suit les trajectoires tortueuses de personnages liés par un terrible secret. Des destins bouleversés, rattrapés par la petite et la grande histoire. Le déroulement peut paraître décousu, multipliant les points de vue et les ellipses, mais l'ensemble se tient parfaitement. David Treuer entrechoque les trajectoires d'hommes et de femmes d'âges et de conditions différentes. Il tresse un canevas mêlant histoire d'amour, scènes de guerre et vie quotidienne des minorités indiennes pour obtenir une tragédie dont l'issue inéluctable est annoncée dès la première page.

Un roman crépusculaire puissant et plein d'amertume dominé par la culpabilité et l'impossible résilience. J'ai beaucoup aimé le regard porté par l'auteur d'origine Ojibwé sur sa communauté, sans complaisance ni misérabilisme. Et j'ai maintenant très envie de me plonger dans son essai "Indian Roads" qui promet un voyage au cœur des réserves indiennes contemporaines.

Et la vie nous emportera de David Treuer. Albin Michel, 2016. 320 pages. 22,00 euros.







lundi 5 septembre 2016

Soyez imprudents les enfants - Véronique Ovaldé

1983 à Bilbao. Une sortie scolaire au musée et la vision d'un tableau représentant une femme nue bouleverse Atanasia Bartolome, 13 ans. La jeune fille veut en savoir plus sur l'artiste ayant réalisé cette toile, Roberto Diaz Uribe. Un peintre mystérieux qui semble avoir volontairement disparu au faîte de sa gloire. Le hasard faisant bien les choses, Atanasia apprend de la bouche de sa grand-mère qu'Uribe n'est autre que le cousin de son père. Un cousin dont personne ne sait grand chose, artiste fantôme qui l'obsède chaque jour davantage. Bien décidée à retrouver sa trace, elle part à 18 ans pour Paris afin de rencontrer Vladimir Velevine, professeur aux beaux arts et seul spécialiste connu du peintre.

Mon premier Ovaldé. Je découvre une écriture superbe et quelques passages vraiment somptueux. Je découvre une auteure qui a envie de me raconter une histoire, loin de toute auto-fiction, une histoire familiale riche et extrêmement construite s’étalant sur plusieurs siècles de façon non linéaire. Et j'aime beaucoup cette prise de risque.

Malheureusement je n’ai rien ressenti pour les personnages. Je n’ai pas forcément besoin de m’attacher à eux pour apprécier ma lecture, je peux même les détester, ce n’est pas un problème. Le souci est par contre réel lorsqu’ils me laissent indifférent. Et dans ce roman, aucun n’a suscité chez moi le moindre intérêt, que ce soit Atanasia, Velevine, les surfeurs qu’elle rencontre par hasard dans le sud de l'Espagne où le dernier personnage féminin croisant sa route. Pour chacun d’eux, mon encéphalogramme est resté désespérément plat. Concernant Atanasia, son détachement permanent et sa mélancolie « flegmatique » l’ont rendue pour ainsi dire transparente et m’ont gardé à distance.

Impossible néanmoins de nier les qualités d’un texte jonglant avec les époques qui dresse le portrait d’une jeune femme en quête de sens et d’émancipation, d'une jeune femme habitée par le désir de "couper le cordon" pour éviter que sa vie ressemble à celle de ses parents. Une famille décousue, un artiste mystérieux, un récit ambitieux, ce roman possède sans conteste de nombreux atouts. Et même si j'en sors mitigé à cause d'un manque total d'affect pour les personnages, je ne regrette aucunement la découverte, ne serait-ce que pour la très jolie plume d'une auteure que je serai ravi de retrouver à l'avenir.

Soyez imprudents les enfants de Véronique Ovaldé. Flammarion, 2016. 345 pages. 20,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec les rayonnantes Framboise et Noukette.







vendredi 2 septembre 2016

33 révolutions - Canek Sanchez Guevara

« Il le sait, il n'y a rien de positif à attendre d'aujourd'hui. Dans des jours pareils, la vie lui semble un exercice littéraire en vain, un poème expérimental, un traité de l'inutile et du superflu, et il marche lentement, les yeux rivés au sol, avec l'envie de tomber dans le caniveau et de mourir écrasé par l'habitude ».

Tout est rayé chez le trentenaire cubain de ce roman. La vie est un disque rayé, son travail de fonctionnaire est un disque rayé, les pénuries quotidiennes de café ou de cigarettes sonnent comme un disque rayé, sa solitude est un disque rayé se répétant à l’infini. Il a pourtant eu une femme, « maladivement frigide ». « Le mariage n’a pas duré longtemps : un disque rayé de discussions et de reproches dont la détérioration progressive a fini en rigidité cadavérique ». Il traîne donc son spleen seul, le long du Malecon, la célèbre promenade de front de mer de La Havane. Enfant, il avait été un patriote zélé, jusqu’au jour où il a commencé à lire, activité lui offrant une porte ouverte sur un horizon bien plus vaste que son univers et soulignant davantage encore l’étroitesse de son quotidien. Son intérêt récent pour la photo lui offre bien quelques perspectives, mais rien de transcendant. Reste l’éventuel départ. Quitter son île et rêver d’Amérique. Car finalement seule la mer a encore tout d’une promesse…

Beaucoup de mélancolie dans ce court roman déployé en 33 tableaux minimalistes brossés d’une plume désabusée. Sans rage, sans violence mais avec beaucoup de résignation, Canek Sanchez Guevara, le petit-fils du Che, dresse le portrait d’un peuple anesthésié par l’ennui, la soumission et le rhum. Impossible de juger ce personnage neurasthénique en diable que l’on aimerait parfois sortir de sa léthargie à grands coups de pompes dans le derrière tant il est difficile, à notre échelle, d’imaginer la réalité quotidienne d’un cubain lambda.

Après, au niveau des bémols, il y a un vrai goût de trop peu et j'ai trouvé l’écriture sans grand relief. Il faut dire que lorsque je pense à la littérature cubaine et à la mise en scène des petites gens me viennent en tête les romans du sulfureux Pedro Juan Gutierrez dont la prose incandescente donne de l’île une image bien plus enfiévrée. Je ne peux d’ailleurs que vous recommander chaudement la lecture du « Bukowski cubain », écrivain totalement halluciné dont les textes sont disponibles en 10/18 (avec une mention spéciale pour sa « Trilogie sale de la havane » dont il est impossible de ressortir indemne). Fin de la parenthèse et retour au petit-fils du Che, disparu tragiquement début 2015 à l’âge de 40 ans suite à une opération du cœur. 33 révolutions, pourtant prometteur malgré quelques faiblesses, restera donc son premier et seul roman. Dommage, vraiment dommage…

33 révolutions de Canek Sanchez Guevara. Métailié, 2016. 112 pages. 9,00 euros.


Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec la douce Moka.









lundi 29 août 2016

Anatomie d’un soldat - Harry Parker

Le capitaine Tom Barnes a posé le pied sur une mine au cours d’une mission. Il a perdu une jambe au moment de l’explosion et on a dû l’amputer de la seconde après un début de gangrène. De retour en Grande Bretagne, il doit apprendre à vivre avec son corps mutilé. De la douleur atroce à la résignation, du début de la rééducation aux premiers pas avec ses prothèses, c’est un nouveau parcours du combattant semé d’embuches qu’il affronte avec dignité et lucidité, entouré par les siens et par des équipes médicales aussi bienveillantes qu’efficaces.

L’auteur, Harry Parker, a lui-même sauté sur une mine en Afghanistan en 2009. Il connait donc son sujet et aurait pu faire de ce premier roman une autofiction dégoulinante de pathos, s’apitoyant sur son sort à chaque page. Il ne l’a pas fait et c’est tant mieux. Car l’histoire n’est pas ici racontée par le soldat Tom Barnes mais par des objets : le garrot ayant servi à stopper la première hémorragie, la pile ayant provoqué l’explosion, la scie chirurgicale utilisée pour l’amputation, le sac à main de sa mère au moment où on lui a appris la nouvelle, ses prothèses, etc. Quarante-cinq objets prenant tour à tour la parole, avant, pendant et après le drame. Du coté britannique mais aussi du coté des insurgés. Quarante cinq chapitres sans véritable continuité temporelle, éclatés comme une bombe, mélangeant passé, présent et désir d’avenir.

J’ai craint un texte purement descriptif, froid et désincarné. Les objets n’ont pas de sentiments, ils n’ont pas le moindre affect, ils se contentent de décrire les événements, point barre. A la longue le procédé, relevant de l’astuce narrative, serait forcément tombé à plat. Mais Harry Parker a su donner de la consistance et une véritable profondeur à son roman grâce aux dialogues. Car les objets restituent ce qu’ils entendent. Et à travers leurs échanges, les personnages disent la peur, la douleur, la colère, l’angoisse, la honte, l’espoir. Ils expriment leurs différences, leurs divergences, leur compassion et leur incompréhension.

Certes, les objets tiennent le plus souvent le lecteur à distance, ils restent neutres, ils ne sont pas dans le jugement. Ils exposent les faits, décrivent des comportements, rien de plus. Mais parfois les descriptions prennent un tournant inattendu et offrent de purs moments d’émotion, comme cette scène où le père rase avec application son fils tout juste sorti du coma. L'équilibre entre description et émotion donne une force phénoménale à ce texte qui ne dénonce pas la guerre, qui ne donne pas non plus ou dans la glorification des soldats blessés et qui n’exige pas réparation.

Un premier roman lumineux, ambitieux et parfaitement maîtrisé, qui cherche la reconstruction après l’éclatement, la réappropriation d’un corps disloqué par un homme à jamais traumatisé. C’est fort et intense, une expérience de lecture incroyable et mon premier véritable coup de cœur de la rentrée !

Anatomie d’un soldat d’Harry Parker. Bourgois, 2016. 410 pages. 22,00 euros.





vendredi 26 août 2016

Légende - Sylvain Prudhomme

La Crau. Un bout de terre ingrat aux portes d’Arles, « à deux pas des splendeurs des Alpilles, des langues de sable vierge de Camargue, des calanques de Marseille et de Cassis ». Cent trente kilomètres de désert au milieu de la Provence, royaume des bergers et de leurs troupeaux. C’est là que vivent, Nel et Matt, deux amis inséparables. Le premier, photographe, y est né. Le second, anglais, vendeur de toilettes sèches, est réalisateur de documentaires à ses heures perdues. Travaillant à un nouveau film, Matt s’intéresse à l’histoire de « La Chou », boîte de nuit camarguaise mythique, haut lieu des fêtes les plus folles données chaque week-end dans la région pendant les années 70-80.

Le projet prend une nouvelle direction lorsque Matt découvre l’existence de Fabien et Christian, les cousins de Nel, clients assidus de l’établissement. Le premier, laissé à sa grand-mère par des parents partis chasser le papillon à Madagascar, était devenu une figure romantique incontournable d’Arles, régnant sur une cour prête à céder à tous ses caprices. Le second, taiseux, bagarreur, buveur, a sombré peu à peu dans la drogue. Deux enfants terribles, deux étoiles filantes aux trajectoires dramatiques, deux vies aussi brèves qu’intenses. A travers eux, Matt veut « raconter une époque, revisiter une certaine liberté, un joyeux je-m’en-foutisme qui avait un temps régné chez de nombreux hommes et femmes, pour le pire et le meilleur, à mille lieues de l’obsession contemporaine de la vie saine ».

Je ne connaissais pas Sylvain Prudhomme, j’ai découvert avec ce roman une plume délicate et ciselée portant des interrogations existentielles qui m’ont touché en plein cœur. Entre passé et présent, beaucoup d’échos et de correspondances mais aussi de particularités propres à chaque époque. Un texte touchant, d’une grande sensibilité, à la fois nostalgique et très actuel.

« Il avait pensé que la vie de chaque individu, regardée avec assez d’attention, de suffisamment près, racontait infailliblement l’époque à laquelle il avait vécu. Illustrait les espoirs et les peurs qu’avaient eu ses contemporains, la façon dont ils avaient aimé, fait la fête, eu des enfants, craint la mort. Été audacieux ou égoïstes, insouciants ou inquiets, tire-au-flanc ou bûcheurs, constants ou volages, joyeux ou moroses, enthousiastes ou désabusés ».

Légende de Sylvain Prudhomme. Gallimard (L’arbalète), 2016. 292 pages. 20,00 euros.






lundi 22 août 2016

Sous la vague - Anne Percin

Rien ne va plus dans la vie de Bertrand Berger-Lafitte, héritier d’une prestigieuse propriété de Cognac. La crise économique met ses affaires en péril, son ex-femme manigance pour l’écarter du conseil d’administration, sa fille est enceinte d’un ouvrier syndicaliste de son usine d’embouteillage et les actionnaires voudraient céder l’entreprise à des capitaux étrangers. Mais au lieu de se battre, Bertrand fait l’autruche. Il fuit les soucis aux cotés de son fidèle chauffeur Eddy, costaud tatoué, fumeur de joints un peu bourru, confident aussi mystérieux que flegmatique.

Anne Percin porte sur son personnage principal un regard à la fois tendre et mordant. Un personnage qui n’avait rien pour me plaire à la base mais que j’ai trouvé infiniment attachant. J’ai toujours eu un faible pour les mous lymphatiques et résignés qui fuient les problèmes plutôt que de les affronter, je n’y peux rien. Bertrand préfère s’intéresser à un faon blessé, une corneille coincée dans la cheminée ou une portée de chatons plutôt que de défendre ses propres intérêts. Il subit mais surtout il relativise.

Un plaisir de retrouver la plume alerte et l’humour d’une auteure dont je ne connaissais jusqu’alors que les romans jeunesse. Dans cette satire sociale, elle multiplie les situations incongrues pour dénoncer sans avoir l’air d’y toucher la dureté d’une économie de marché dont le pragmatisme n’a que faire des traditions familiales. Les catastrophes ont beau s’enchaîner, Bertrand n’y voit que futilités. L’essentiel est ailleurs, même s’il ne sait pas vraiment où. Drôle, ironique et plus profond qu’il n’y paraît.

Sous la vague d’Anne Percin. Le Rouergue, 2016. 200 pages. 18,80 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec mes chouchoutes Moka et Noukette.


Les avis de Cathulu et Jostein






vendredi 19 août 2016

Un paquebot dans les arbres - Valentine Goby

J’aurais dû attaquer ce billet en vous disant de ne pas le lire parce que de toute façon, connaissant mon admiration sans borne pour Valentine Goby, il ne serait en rien objectif. Mais je ne vais pas le faire car je n’aurais besoin d’aucune mauvaise foi pour vous dire le plus sincèrement du monde à quel point ce roman est formidable et à quel point je vous le recommande sans réserve.

Valentine Goby possède une place à part dans mon panthéon des auteurs français actuels, une place que les autres ne pourront jamais lui ravir. Pourquoi ? Tout simplement parce que les autres n’ont pas écrit Kinderzimmer. J’avoue que je tendais un peu le dos avant de me lancer à l’assaut de ce paquebot dans les arbres. Le roman de l’après Kinderzimmer ce n’est pas rien (même si entre deux il y a eu la très jolie Fille surexposée). Mais j’ai décidé d’attaquer ce texte sans oser la moindre comparaison, qui aurait été de toute façon aussi inutile que malvenue. Et bien m’en a pris.

L’histoire se déroule au début des années 60. On y découvre une famille heureuse : Paul, le père, Odile, la mère et leurs trois enfants Annie, Mathilde et Jacques. Les parents tiennent le café du village, centre névralgique s’il en est. Paul rayonne, attire les foules et suscite l’admiration de tous, y compris de Mathilde. Celle qui n’a malheureusement pas été le garçon attendu après la naissance d’Annie. Celle que Paul appelle son petit gars et qui se comporte comme tel. Celle prête à tout pour attirer l’attention de ce papa n’ayant d’yeux que pour les autres. Quand la tuberculose entre avec fracas dans leur vie, touchant d’abord Paul puis rapidement après Odile, le monde s’écroule. Dans la France des trente glorieuses, seuls les salariés ont droit à la sécu et aux antibiotiques. Pour les autres, direction le sanatorium. Quand les parents s’y retrouvent tous les deux, Mathilde et son petit frère sont placés en famille d’accueil. Alors que les problèmes de santé s’accumulent, que la ruine se profile, que les services sociaux prennent en main et sans humanité la destinée des enfants, Mathilde tente de faire face et de maintenir les siens à flot.

Magnifique portrait d’une jeune fille prête à tout pour affronter bille en tête la fatalité. Conserver les liens familiaux malgré les épreuves, subir la faim, le froid et la misère, soutenir les malades coûte que coûte, ne pas oublier sa propre vie en sacrifiant tout aux autres. Être forte mais pas invincible. S’écrouler et se relever, être soutenue et avancer. Tenir. Jusqu’au bout. Parce qu’il n’y a pas d’autre possibilité, parce que c’est ce qui donne du sens. Mathilde, admirable de ténacité et de fragilité, femme-enfant consciente d’enfiler un costume trop grand pour elle, d’assumer des responsabilités qui ne sont pas de son âge. Elle est belle Mathilde, portée par les mots de Valentine Goby, par le rythme envoûtant de son écriture sans fausse note :

« Mathilde est un funambule en tension, oscillant entre la nécessité d’être Mathilde Blanc, puissante, enchanteresse, fidèle ; et le désir aigu d’être une autre, fragile, légère, avec des rêves à soi. C’est une danse étrange que celle de Mathilde sur ce fil, son corps penchant toujours du même côté, lesté du poids d’amour qu’elle porte à Odile, Paulot et Jacques ; du côté de l’oubli de soi. »

Un roman puissant et lumineux. En toute objectivité.

Un paquebot dans les arbres de Valentine Goby. Actes sud, 2016. 270 pages. 19,80 euros.

L'avis de Clara





jeudi 18 août 2016

Le sérieux bienveillant des platanes - Christian Laborde

J’ai eu envie d’attaquer cette rentrée littéraire en terrain connu, avec un auteur que j’apprécie depuis longtemps. Il faut savoir que Christian Laborde a, il y a près de 30 ans, commis un roman (« L’os de Dionysos ») interdit pour « trouble illicite, incitation au désordre et à la moquerie, pornographie et danger pour la jeunesse en pleine formation physique et morale ». Et rien que pour cela, il gardera à jamais mon admiration la plus sincère !

Ici, j’ai aimé d’emblée retrouver sa plume franche et directe, sans chichi. J’ai aimé croiser dès les premières pages un narrateur fan de Rabelais et de Bukowski, lécheur de cul patenté (oui, j’ai bien dit lécheur de cul et pas lèche-cul, la différence est fondamentale, croyez-moi !).

La preuve :

C’est le genre d’extrait qui met en branle mes sens de lecteur (on ne se refait pas) et annonce un texte à la hauteur de mes attentes. Et pourtant, patatras, rien ne m’a plu par la suite. L’histoire est simple : Tom apprend le décès de son grand-père et descend dans le Sud-Ouest pour assister à l’enterrement. Tom le rocker glandeur qui vivote à Paris en tirant le diable par la queue, Tom l’insoumis amoureux de la belle prostituée Joy, tournant le dos à cette époque qui le fait gerber pour vivre libre. Le road trip jusqu’à la ville de son enfance avec Joy à ses cotés est l’occasion de plonger dans le passé, de remuer les souvenirs de ce grand-père ex-légionnaire auprès duquel il a tout appris. Mais arrivé sur place, une mauvaise surprise l’attend…

J’ai trouvé que c’était un roman de grincheux, qui se voudrait à contre-courant, vent debout face aux modes, aux bobos, à la société de consommation. Un roman qui se voudrait un roman de rebelle, esprit James Dean, mais où tout sonne creux, où tout semble vain. Le roman désuet d’un rebelle en carton dont le sempiternel « c’était mieux avant » m’a rapidement lassé. A charge de revanche monsieur Laborde, je serai évidemment là quand sortira votre prochain publication.

Le sérieux  bienveillant des platanes de Christian Laborde. Editions du rocher, 2016. 130 pages. 14,00 euros.