vendredi 28 avril 2017

A la mesure de l’univers - Jon Kalman Stefansson

Il suffit d’un paysage désolé battu par les vents, d’un océan aux eaux glaciales, d’une île sauvage recouverte de neige, d’une traduction d’Éric Boury et de la plume ciselée de Jon Kalman Stefansson pour faire de moi un homme heureux. En toute subjectivité, j’adore cet auteur et sa petite musique si particulière.

« A la mesure de l’univers » poursuit la chronique familiale débutée avec « D’ailleurs les poissons n’ont pas de pieds ». On y retrouve donc Ari, de retour dans sa ville natale de Keyflavik  après des années passées au Danemark. Ari qui s’apprête à revoir son père mourant, qui vient de quitter sa femme et ne sait plus vraiment où il en est. Et à travers Ari on remonte l’histoire de sa famille sur trois générations, entre « aujourd’hui », « jadis » (c'est-à-dire dans l’entre-deux-guerres) et les années 80. Les chapitres alternent les époques, les lieux et les personnages, montrant chacun à un moment crucial, un moment où il va falloir faire un choix, où tricher avec soi-même ne va plus être possible.

Oddur le grand-père capitaine d’un bateau de pêche, Margret la grand-mère irrésistiblement attirée par le directeur d’école, Pordur leur fils passionné de littérature mais qui ne pourra s’extraire de sa condition de marin, Jakob, le père d’Ari qui deviendra maçon, mais aussi l’horloger Gunnar, Erin, Tryggvi, Aslaug, Svavar, Asmundur ou encore Ana. Des islandais habitués à l’âpreté et aux vents contraires qui ont plus de facilités à affronter les éléments déchaînés que leurs propres tempêtes intérieures.

Stefansson tisse sa toile, comme d’habitude brillamment mais avec moins de flamboyance que dans ses romans précédents. L’écriture est plus sèche, le lyrisme plus contenu et les aphorismes, qui étaient un peu sa marque de fabrique, quasi inexistants. Une évolution certaine et pourtant (en toute subjectivité, je vous le rappelle), le lecteur n’y perd pas au change. Parce que ce diable d’homme sait parler comme personne de la mort, de l’amour et du temps qui passe. Et puis il lui suffit d’une scène, d’une image pour saisir la grâce d’un moment, pour faire plonger dans l’océan un ivrogne décidé à cueillir la lune, pour décrire un visage conservant malgré les années « le souvenir imprécis d’une certaine beauté » ou pour exprimer la tristesse d’une femme à l’enterrement de son mari, « cet homme taciturne, râblé, et aussi dur qu’une pierre » qui ne viendra plus poser une couverture sur ses épaules quand elle regardera les étoiles.

Après, je conçois que la poésie de Stefansson puisse agacer ceux n’y voyant qu’une grandiloquence à la limite du ridicule. Mais ce n’est pas mon cas, vous l’aurez compris. Je crois même que c’est l’écrivain actuel qui me séduit le plus, un écrivain dont la mélancolie sans faux-semblant et la lucidité dénuée du moindre cynisme me touchent en plein cœur.

A la mesure de l’univers de Jon Kalman Stefansson (traduit de l’islandais par Éric Boury). Gallimard, 2017. 440 pages. 22,00 euros.





47 commentaires:

  1. Merci, j'ai lu "d'ailleurs les poissons n'ont pas pieds" à sa sortie, je serai ravie de retrouver cette ambiance et ces personnages. Ce billet est magnifique, merci. J'aime beaucoup le style d'écriture de l'auteur ...L'Islande est une sacrée source d'inspiration...

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  2. Bonjour,
    et bien sans trop m'avancer je pense que c'est le genre d'écriture qui peut me séduire. J'avais déjà noté chez toi "D'ailleurs les poissons n'ont pas de pieds " ce titre étonnant et poétique.
    Merci pour ce bel avis.
    Bisous et bonne journée

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    1. Je serais ravi que tu découvres Stefansson un jour.

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  3. Je l'ai découvert l'an passé avec les Poissons n'ont pas de pieds et je sui fan de son écriture, comme toi j'en apprécie la belle poésie et franchement il apporte un souffle qui mêle classicisme et renouveau, pas pour me déplaire. J'attends un peu mais celui-là sera mien aussi (trop de livres et pas assez de temps !)

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    1. Il faut être dans des conditions idéales pour déguster cette prose savoureuses.

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  4. je me suis rarement autant ennuyé à la lecture d'un roman , en plus traduire le lyrisme islandais n'est pas chose aisée . Qui peut m'expliquer cette image :« Juvé­ni­les jambes, feu qui flambe ».
    un ennui garanti pour tous ceux et toutes celles qui ne se laissent pas bercer (ou berner) par la poésie (mal traduite)

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    1. Tu l'as lu ????
      Pour une fois je ne suis pas du tout d'accord avec toi le traducteur fait un boulot exceptionnel avec tous les romans de cet auteur.

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  5. Pas lu le précedemment, si, pas eu le temps, cette misère mais cet été je m'avale les 2 ;-)
    Des bisous jeune homme <3

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  6. J'ai ses livres précédents à la maison, achetés sur les bons conseils de ma libraire ! Il faudrait que je m'attelle à les lire!

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  7. Je crois me souvenir que je fais partie de ceux/celles que les extraits du premier n'ont pas convaincus, voire ont effrayés.:-) Bon comme c'est une sorte de suite, l'affaire est close. En mode bouclier ON. Je sors de la bib' avec 7 livres...

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  8. je vais passer, ça m'effraie :)

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  9. J'avais beaucoup aimé "les poissons n'ont pas de pieds", je suis ravie de pouvoir découvrir ce nouvel ouvrage.

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  10. Jon Kalman Stefansson!!! <3
    Que je l'aime lui avec ses mots "poèmes", ses mots de mer et d'Islande.
    Je débute justement le troisième de la trilogie "Entre ciel et terre"...
    Que c'est bon de lire un billet pareil!
    Bon samedi Jérôme, bisous

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    1. Je sais que tu es fan et que tu comprends mon engouement <3

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  11. J'avais trouvé Les Poissons... très tristes, très sombres, dépourvus de la lumière d'autres romans de l'auteur. Mais le roman m'avait parlé de façon très personnelle - je crois que c'était encore plus déprimant. Bref, magnifique auteur, mais je vais me tenir à l'écart de ce nouveau titre.

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    1. Surtout qu'il reste clairement dans les mêmes thématiques...

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  12. Je n'ai pas encore osé, peur de ne pas être à la hauteur. Mais je pense que je finirai par m'y mettre.

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    1. Quelle idée de penser ne pas être à la hauteur !

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  13. Je ne sais pas s'il serait pour moi, celui-là. En tout cas, la couverture est très belle, comme souvent chez cet éditeur.

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  14. Je suis toujours sur l'autre saga, je reste "partagée" par l'histoire et pourtant j'aime l'Islande et ce qu'il s'y passe mais je te rejoins pour l'écriture ! Si tu me dis que c'est moins imagé ? :( (Déja "Les poissons...", tu avais moins aimé)Really ?

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    1. Sa première trilogie est pour moi inégalable, j'avoue.

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  15. Ouh là, j'ai un peu tiqué sur le mot "lyrisme"... et les commentaires précédents me freinent un peu... mais c'est vrai que les couvertures sont belles et si ces romans là te plaisent c'est qu'il y a quelque chose à y puiser... nous verrons nous verrons. Une aventure à tenter un jour !

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    1. Une aventure qui mérite d'être tentée selon moi :)

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  16. J'aime bien retrouver la petite musique de certains auteurs, également.

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  17. Je suis moi aussi complètement sous le charme de l'écriture de Stefansson. Je n'ai pas encore lu ce dernier roman mais je lis en ce moment un de ses anciens qu me plaît énormément.

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  18. Il faudrait que je commence par les poissons merci pour l'info !

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    1. C'est mieux en effet de commencer par le commencement^^

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  19. Une certaine trilogie m'attend...

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  20. J'ai vu que D’ailleurs les poissons n’ont pas de pieds était sorti en poche. Je vais commencer par là, un jour, histoire de voir si je me jette ou non sur la suite... ;-)

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    1. Sinon tu peux te lancer dans la première trilogie, elle est encore meilleure.

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  21. Entre ciel et terre m'avait subjuguée... pfff puis d'autres livres sont arrivés et je n'ai même pas continuer la trilogie... et en voilà une autre!

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    1. Je pense que là ce sera un diptyque et non une trilogie ;)

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  22. mmmmh... nan. Je ne suis toujours pas re-convaincue. (je boude de déception depuis Les poissons...)

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    1. Je sais bien que tu boudes et qu'il sera très difficile de te convaincre de revenir vers cet auteur ;)

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  23. Un auteur que je veux découvrir.

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  24. Un livre magnifique. Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous en dites.

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