lundi 6 octobre 2014

A l'origine notre père obscur - Kaoutar Harchi

« Envie brutale de fuir cette maison singulière, aux frontières de l’irréel, cette maison dont les femmes disent qu’elle est le vestige d’un temps ancien, archaïque, une maison de pierres aux chambres carrées, à peine meublées, une maison sans la moindre trace de couleur où règne le silence des cimetières, l’obscurité des forêts, une maison entourée d’un terrain vague, construite à l’écart de la ville par des hommes aidés de femmes dans le but d’isoler d’autres femmes, la maison des délits du corps où l’on ne châtie ni ne violente, où on rééduque, jour après jour, au risque d’y passer des années, par la seule force de l’enfermement. Il faudrait dire de l’emmurement. Aucun gardien, ici, ne surveille les femmes. Elles vivent sous le poids des règles familiales inculquées depuis l’enfance et sont devenues leurs propres sentinelles. »

La maison des femmes est un lieu où sont parquées les recluses, celles convaincues d’avoir fauté, celles qui ont bafoué l’honneur de leur mari et de leur famille, celles qui ont parfois simplement voulu être elles-mêmes. La narratrice y vit avec sa mère. Elle y est née. Devenue adolescente, elle se heurte au silence maternel et ne supporte plus la passivité de cette communauté courbant l’échine sous le joug des traditions. Les circonstances vont lui donner la force de pousser la lourde porte en bois de la bâtisse et d’aller chercher des réponses auprès de ce père qu’elle n’a jamais connu.

Au-delà de la quête des origines, ce texte d’une beauté élégiaque est avant tout un cri de révolte. Contre la complaisance, la résignation de ces femmes acceptant leur sort, ces femmes devenues dépendantes au mal qu’infligent les hommes. C’est une voix qui s’élève pour dire « je viens de vous mais je ne suis pas à vous et je refuse de me sacrifier comme les femmes, depuis des millénaires, se sacrifient ». Sacrifiées « par fidélité, par honneur, par devoir, n’osant pas se lever et se rebeller. On les avait, ces femmes, dressées pour et quand est venu mon tour de choisir quel chemin prendre, il y eut, d’abord, ce besoin viscéral de me dresser contre. Contre elles et leur docilité de petites chiennes effrayées par l’ombre du maître quand moi, moi ma vie, moi mon destin, c’était, ce maître, l’approcher, le sentir, le toucher, et, yeux dans yeux, malgré le souffle court et le soulèvement vif du cœur dans la poitrine, lui murmurer à l’oreille : vois comme je n’ai pas peur de toi. Vois comme je te comprends. Vois comme je t’aime. »

Je suis sorti de ce roman abasourdi par la puissance de l’écriture, sensuelle, heurtée, poétique. L’absence d’ancrage géographique et temporel donne au propos un coté universel. Et mon regard masculin ne peut que constater l’évidence : oui, en se réfugiant derrière le poids des traditions et la force brute, les hommes ne font que signifier leur lâcheté. Incontestablement ma lecture la plus marquante de la rentrée littéraire.

A l'origine notre père obscur de Kaoutar Harhci. Actes Sud, 2014. 164 pages. 17,80 euros.

Les avis de Jostein, Leiloona, Marilyne, Nadael, Noukette, Stephie










49 commentaires:

  1. Les quelques billets lus plus le tien aujourd'hui me font dire que ce sera une lecture indispensable cette année.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je pense aussi que c'est un incontournable de la rentrée.

      Supprimer
  2. Bon, je vois que je suis la seule gênée par la redondance des cahiers intimes et par le style qui colle peu à certaines femmes ;)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pour tout t'avouer, il y a un des carnets qui m'a gêné aussi, mais je n'en ai pas parlé dans le billet.

      Supprimer
  3. Ton avis est une excellente nouvelle, je l'ai acheté très récemment :-)

    RépondreSupprimer
  4. J'ai beaucoup aimé ce roman aussi. La tension très palpable, qui monte d'ailleurs au fil des pages, prend à la gorge et oppresse. Quand je suis sortie de cette lecture, j'avais l'impression de manquer d'air...

    RépondreSupprimer
  5. Ta conclusion dit tout, sur l'écriture, sur le propos sans concession. Lecture marquante de cette rentrée pour moi aussi !
    ( merci pour le lien )

    RépondreSupprimer
  6. Je suis définitivement une grande fan de cette femme... Elle a une voix à part je trouve, et moi, elle me bouleverse...!
    Il ne te reste plus qu'à lire L'ampleur du saccage maintenant, une grosse claque à prévoir aussi !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je lirai L'ampleur du saccage un jour ou l'autre, pas possible autrement.

      Supprimer
  7. On dirait une dystopie. Je retiens la couverture et si je le vois à la bibli, je le prendrai pour le feuilleter.

    RépondreSupprimer
  8. Je n'avais pas particulièrement aimé L'ampleur du saccage. Mais celui-ci me tente.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Et moi j'ai maintenant envie de découvrir L'ampleur du saccage au plus vite.

      Supprimer
  9. C'est vrai ? A ce point-là?
    Ce livre est un peu partout avec globalement de bonnes critiques ( à part Stephie je crois), ce qui tu le sais me fait toujours hésiter, mais je dois dire que ton billet me donne l'impression qu'il serait peut-être l'une des belles lectures de cette rentrée !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne sais pas s'il te conviendrait, il faudrait que tu essaies.

      Supprimer
  10. j'ai essayé de poster un commentaire de ma tablette mais il n'est pas passé, je ne sais pas pourquoi, ton blog "exige"! que je sois sur mon ordi!!!
    je lirai ce livre , tu m'as tenté,

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je sais qu'il y a parfois beaucoup de problèmes pour laisser un commentaire et je n'y trouve malheureusement aucune solution.

      Supprimer
  11. C'est sûr, je finirait pas le lire. Mais je ne sais pas quand.
    Ca ne va pas jusqu'au coup de coeur tout de même?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Non, pas jusqu'au coup de cœur parce qu'il y a un ou deux détails qui m'ont un poil dérangé.

      Supprimer
    2. Irais-tu jusqu'à me dire quoi? Ou tu ne peux pas pour ne rien dévoiler?

      Supprimer
    3. Si tu le lis, on en discutera après et je te dirais tout ;)
      ça a vraiment à voir avec des points très précis.

      Supprimer
    4. ok, par MP je pourrais tout te dire ;)

      Supprimer
  12. Je l'ai noté. Il n'y a que des bonnes critiques ... Tu confirmes !!!

    RépondreSupprimer
  13. je ne l'avais noté, le thème me plombant le moral plus qu'autre chose mais tu me ferais changer d'avis :-)

    RépondreSupprimer
  14. Ce roman fait l'unanimité, il fera très certainement partie de mes lectures cette année.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, pour l'instant, il met tout le monde d'accord.

      Supprimer
  15. Et bien ta note est marquante aussi ! Tu me donnes envie, même si je crains de friser la dépression à la fin de ce roman.

    RépondreSupprimer
  16. Vous êtes tous tellement enthousiastes que c'est difficile de ne pas être tentée !!

    RépondreSupprimer
  17. Franchement, je ne sais pas ce que j'ai mais je trouve toutes les lectures "barbantes", j'ai feuilleté ce roman et l'écriture ( tordue ou poétique?) m'a refroidie (pff).
    Je vais attendre que ça passe.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. T'as qu'à replonger dans un Lansdale pour te remettre dans le bain !

      Supprimer
  18. Je l'ai noté car je voudrais absolument le lire

    RépondreSupprimer
  19. Repéré chez Noukette, je l'avais déjà noté (ouf) (chouette cette impression de ne pas surcharger sa LAL^^).

    RépondreSupprimer
  20. Ce roman à l'air vraiment intéressant! je vais l'ajouter à ma PAL. Merci pour la découverte !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il mérite que l'on s'intéresse de près à son cas.

      Supprimer
  21. Ahahah voilà que je lis enfin ton avis sur le livre sur lequel je travaille (il était temps tu me diras !). Aimerai bien savoir pourquoi ce n'est pas un coup de cœur ?! je crois que je vais t'envoyer petit mot pour savoir quels sont les petits détails qui t'ont dérangé .... (oui suis curieuse moa !)
    Des BISOUS <3

    RépondreSupprimer

Je modère les commentaires pour vous éviter les captcha pénibles de Google. Je ne filtre rien pour autant, tous les commentaires sans exception seront validés au plus vite, promis !