mercredi 4 décembre 2013

Gauguin : loin de la route - Maximilien Leroy et Christophe Gaultier

Quand on évoque Gauguin viennent à l’esprit couleurs chaudes et vahinés, Tahiti et les îles Marquises. Mais en grattant un peu derrière les images d’Épinal on découvre que le bonhomme était un misanthrope « ogre d’égoïsme […] pourfendeur résolu de l’idéologie coloniale, impérialiste et religieuse de son époque. »

En 1901, le peintre quitte Tahiti pour la petite île d’Hiva. Deux ans avant sa mort, il apparaît aigri, fatigué, mais aussi jouisseur invétéré, travailleur acharné, ne crachant pas sur la bouteille et accro à la morphine. Maximilien Leroy entrecroise la trajectoire de l’artiste et celle de Victor Segalen, médecin de marine fasciné par Gauguin et venu à Hiva quelques mois après sa mort pour tenter de mieux cerner la personnalité de celui qu’il finira par qualifier avec admiration de monstre : « Gauguin fut donc un monstre, et il le fut complètement, impérieusement. »

Gauguin est une plaie pour l’administration de l’île. Il incite les autochtones à refuser la loi des colonisateurs, les encourage à boycotter l’école : « N’envoyez plus vos enfants là-bas. Continuez comme vous le faisiez avant, avec votre culture, vos coutumes, vos traditions ! Vous n’avez pas besoin de les écouter. Ils déversent dans vos oreilles toute leur pisse corrompue. » L’église en prend aussi pour son grade, comme les forces de l’ordre qu’il ne cesse d’insulter, ce qui lui vaudra en mars 1903 d’être condamné à trois ans de prison pour diffamation envers un gendarme dans l’exercice de ses fonctions. Une peine qu’il ne pourra effectuer puisqu’il décédera le 8 mai de la même année d’une probable overdose de morphine.

J’aime beaucoup l'univers graphique de Christophe Gaultier, découvert avec son adaptation de Robinson Crusoé. Son encrage épais, son trait un peu charbonneux et son style peu réaliste font ici merveille. Les couleurs sont, dans l’ensemble très sombres et collent parfaitement à l’existence torturée de l’artiste.

Portrait saisissant d’un homme en souffrance, tant physique que psychologique, cet album étonnant écorne avec rigueur et lucidité le statut de héros que beaucoup continuent d’accorder à Gauguin. Dans son oraison funèbre, l’évêque Martin n’hésita pas à affirmer : « Il n’y aurait rien de bien saillant, ici, que la mort d’un triste personnage nommé Gauguin, artiste de renom, ennemi de Dieu et de tout ce qui est honnête… ». Difficile de lui donner tort.

En ce qui me concerne, si je vous dis que ce Gauguin anar et punk avant l’heure m’a beaucoup plu, je suppose que vous serez à peine surpris…

Gauguin : loin de la route de Maximilien Leroy et Christophe Gaultier. Le Lombard, 2013. 84 pages. 20 euros.







32 commentaires:

  1. Gaugain ne m'apparaît pas comme particulièrement sympathique (on peut même dire odieux par moments ?) mais ça m'intéresse cette BD.

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    1. Et encore les auteurs ne parlent pas de sa passion pour les jeunes filles de 13/14 ans. Ce que j'ai aimé dans ce portrait de "fin de vie" c'est le coté "no future" du personnage. Un vrai punk, quoi.

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  2. Un mauvais garçon, ce Gauguin, mais un artiste génial tout de même: il semble bien que ce soit souvent le cas! Curieuse de voir les dessins!

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    1. C'est vrai que les grands artistes sont rarement des enfants sages.

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  3. J'avue que je suis loin d'être fan de ses peintures.

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    1. Tu le seras surement encore moins de la fin de sa vie.

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  4. Alors à tenter peut-être. Je ne pensais pas lire ce titre... malgré Max Le Roy... il faut dire que le "Gauguin" de Li-Ann ne m'avait pas tellement emballée ^^
    Merci du conseil ;)

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    1. Pas lu celui de Li-Ann mais celui-là, dont je n'attendais pas grand chose, m'a agréablement surpris.

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  5. Pas tellement tentée par l'univers de ce peintre non peintre non plus.

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    1. Disons que sont univers, au contraire de ses peintures, est incroyablement sombre.

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  6. Est-ce qu'on peut aimer cette BD sans aimer Gauguin ? :)

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    1. Je crois bien, il est possible de faire la différence entre les qualités de la BD et le personnage dont elle parle.

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  7. Je l'ai et je dois faire le billet (avant 7 jours !). J'ai aimé aussi. Surprise par la personnalité et son mal qui le dévorait.

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    1. Décidément on a les mêmes lectures^^
      Moi il faut que je parle d'Ewilan d'ici peu.

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  8. On enapprend des choses grâce à cette BD, dirait-on ! Je voudrais la trouver en bibliothèque, pour voir le dessin, voir si ça me plairait bien...

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    1. Elle vient tout juste de sortir, il faudra sans doute attendre un peu avant de la trouver à la bibliothèque.

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  9. J'aime beaucoup les biographies en bande-dessinée. Je la note surtout que je ne connais de Gauguin que ses tableaux

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  10. Tu me donnes très envie de la découvrir !

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  11. Je ne sais pas si j'adhérerais au style et au dessin mais une chose est sûre la vie de Gauguin m'intéresse, alors pourquoi pas ?

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    1. Le dessin est particulier mais j'aime beaucoup le trait de Christophe Gaultier.

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  12. Je ne connaissais pas du tout cet aspect de la vie de Gauguin... il est vrai que c'est loin d'être mon peintre préféré !
    Malgré les qualités que tu décris pour cette BD, je passe mon tour, je ne suis pas très fan de ce style.

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    1. Je comprends. Si tu n'aimes pas Gauguin et qu'il ne t'intéresse pas tu n'as aucune raison de lire cet album.

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  13. Après lecture de ton billet j'ai bien envie de découvrir cette BD même si le graphisme ne m'attire pas a priori...

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  14. Un moyen original de découvrir ce peintre de talent.

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  15. il n'était pas soupçonné de pédophilie non ? a cause de sa passion pour les jeunes vahinées...

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    1. Par rapport à cette question, il est précisé dans l'avant-propos de l'album : "Ses plus ardents défenseurs tiennent cependant à signaler qu'il était courant, aux Marquises, de voir des femmes mariées et enceintes dès l'âge de 13 ou 14 ans."

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  16. Je ne connais pas du tout mais comme j'ai également bien aimé le travail de Christophe Gaultier sur l'adaptation de Robinson Crusoé j'y jetterai certainement un oeil...

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    1. Tiens, ça m'étonne que tu sois passé à coté de cet album^^

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