jeudi 6 juin 2013

Crimes et jeans slim - Luc Blanvillain

Adé, 15 ans, n’a trouvé qu’une solution pour survivre au lycée : devenir la reine des pouffes. Chaque matin elle s’arrête chez sa grand-mère pour se changer, abandonnant pantalons classiques, robes austères et manteaux informes pour enfiler jean slim ou leggings, haut moulant et ceintures écarlates. Ainsi déguisée, elle n’a pas à subir les moqueries et autres méchancetés que les bimbos de sa classe réservent aux élèves trop studieuses dans son genre. Mais le jour où un serial killer s’attaque au club des pétasses et fait disparaître ses membres les plus « éminents » d’une balle entre les deux yeux, Adé se dit qu’elle a peut-être fait une erreur…     

Un roman jeunesse à l’écriture enlevée qui se lit avec facilité. Beaucoup d’humour (noir), une touche d’ironie et de cynisme et une (petite) dose de suspens rendent l’ensemble fort agréable. Les personnages sont caricaturaux à souhait mais bien campés : Adé, son « petit copain » Thibault et son frère Rod, mais aussi le prof de français que personne n’écoute, celui de sport, séduisant en diable, la CPE qui a appris à faire face à toutes les situations grâce aux nombreux stages proposés par l’éducation nationale, l’intendant radin, l’homme de ménage un peu simplet et un duo de policiers qui n’a pas inventé l’eau chaude. Les chapitres sont courts, tout s’enchaîne avec fluidité et quelques fausses pistes ainsi que de nombreux cadavres (cinq filles, un prof et un chat) viennent pimenter le déroulement de l’enquête : classique mais efficace.

Bon j’ai quand même quelques bémols. Les motivations du tueur sont au moins aussi simplistes que l’état d’esprit des adolescentes qu’il honnie. Par ailleurs, considérer qu’à partir de douze ans les filles deviennent des monstres de superficialité est un raccourci un peu facile. Surtout, c’est la fin qui m’a déplu. Vraiment très tirée par les cheveux, limite ridicule tant le comportement des protagonistes est peu crédible. Dommage, cela gâche quelque peu l’impression favorable laissée dans les deux cents premières pages.

Au final, j’ai quand même passé un très bon moment et je ne me suis pas ennuyé une seconde. C’est une évidence, ce roman doit parfaitement convenir au public auquel il s’adresse.  


Crimes et jeans slim de Luc Blanvillain. Le livre de poche, 2013. 255 pages. 5,90 euros. A partir de 11-12 ans.


Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Lasardine et sa P’tite sardine, Canel et sa Miss et Lili et sa Charlotte. Quand à moi je n’ai pas pu convaincre ma pépette n°1 de se joindre à nous mais je garde ce roman sous le coude et je compte bien lui proposer à nouveau dans quelques temps.

L’avis de Valérie (que je remercie au passage de m'avoir fait découvrir ce titre), celui de sa fille Eléa et celui de Noukette.



mercredi 5 juin 2013

Hôtel particulier - Guillaume Sorel

Émilie met fin à ses jours dans sa  baignoire. Une fois morte, son âme va hanter le vieil immeuble où elle habitait. Naviguant d’appartement en appartement, elle découvre le quotidien et le vrai visage de ses voisins. Des gens seuls, perdus, au bord du gouffre, des couples infidèles, une sorcière acariâtre qui tue les animaux, un peintre voyeur mais aussi de drôles de personnages, comme cette petite fille enfermée dans un placard ou cet homme organisant des orgies avec de célèbres héroïnes de romans qu’il fait sortir de sa bibliothèque. Émilie se demande pourquoi elle doit subir un tel sort, elle se demande si sa situation est appelée à durer éternellement. Un vieux chat va devenir son confident. Ils peuvent se parler, l’animal est le véritable maître de l’immeuble, celui qui sait tout sur tout le monde. Pour Émilie, c’est une nouvelle vie qui commence…

Un album totalement inclassable, à l’ambiance envoûtante, et parsemé de magnifiques citations littéraires (Rimbaud, Pouchkine, Lewis Caroll, Baudelaire…). Le fantôme de la jeune femme flotte sur un monde étrange, en apesanteur, nimbé de mélancolie. La narration peut sembler décousue mais Sorel a construit son histoire comme une succession de nouvelles se déroulant dans le vase clôt de l’immeuble et dont le fil conducteur serait cette âme qui traverse les murs. L’occasion pour lui de dresser quelques portraits inquiétants, troublants ou réalistes. Hommage aux contes fantastiques de Poe et Maupassant, Hôtel particulier entretient une sorte de doute permanent, entre rêve, folie, surnaturel et réalité, le tout saupoudré d’une belle dose de sensualité. Difficile pour le lecteur de s’y retrouver mais a-t-on toujours besoin d’explications rationnelles ? N’est-il pas délicieux de se laisser mener par le bout du nez dans ce halo d’étrangeté qui nous enveloppe dès les premières pages ?   

Pour ce qui est du dessin, c’est tout simplement sublime. Sorel est depuis longtemps un de mes dessinateurs préférés. Ici, il a travaillé au lavis, usant d’un noir et blanc vaporeux rehaussé de nombreuses nuances de gris. Son art du cadrage et l’attention particulière donnée à la lumière fait de chaque planche un petit bijou de fluidité et d’équilibre. J’aime par ailleurs beaucoup les personnages qu’il met en scène, notamment les femmes, qui sont tout sauf des pin-up. Le visage marqué, le cheveu filasse et des courbes parfois un peu trop généreuses, elles sont justes réelles et non fantasmées.

Un album empreint d’une sombre poésie et d’un esthétisme aussi rare que fascinant. Ai-je vraiment besoin de vous dire que j’ai aimé ?
 


Hôtel particulier de Guillaume Sorel. Casterman, 2013. 104 pages. 17 euros.








mardi 4 juin 2013

Le premier mardi c'est permis (17) : L'endroit et l'envers

Parce que le célèbre rendez-vous de Stéphie fête ce mois-ci ses deux ans, j’ai voulu marquer le coup à ma façon. Pas de présentation de livre coquin aujourd’hui mais un texte coquin écrit par mes soins. Cette courte nouvelle, c’est tout nouveau pour moi, j’espère que vous saurez vous montrer indulgent. En fait j’en ai eu l’idée après que Cess m’ait fait découvrir le premier chapitre du roman Beautiful Bastard (d’ailleurs elle en parle aujourd’hui, allez-vite lire son billet). J’ai trouvé ça tellement affligeant, tellement mauvais que je me suis dis, n’importe qui peut faire une daube pareille. Et comme je suis vraiment n’importe qui, je m’y suis collé. Bon, je n’ai pas pu faire aussi gratuitement vulgaire que la clit litt actuelle. Le porno pour le porno, pas moyen et puis je crois que cela aurait été ridicule. Donc j’ai fait de mon mieux, comme j’ai pu. A vous de voir…


L’endroit et l’envers

Une étude notariale, c’est mieux que rien. Et puis, qu’est-ce que vous voulez faire avec un brevet des collèges et un CAP au raccroc ? Elle était donc secrétaire à l’étude de Maître Garnier. Une des, parce que, sur les deux étages de la grosse maison bourgeoise adossée au musée, à l’ombre de la cathédrale, une dizaine de femmes s’affairait devant autant d’ordinateurs. Une savante hiérarchie présidait à la dévolution des tâches. Le premier clerc aboyait ses consignes. – les cloisons étaient minces et tout un chacun l’entendait, lors de la réunion des cadres, sermonner son second, un quinqua boutonneux aux grosses lunettes de myope, et glapir, éructer, tempêter, tonner contre Mlle Dupuis, la chef du « pool dactylos » comme il continuait de la nommer – d’ailleurs lui-même persistait à taper ses brouillons sur une Remington hors d’âge pour laquelle on peinait à trouver des rubans encreurs.

Ce dont s’occupait précisément Maryline Levasseur. Elle avait bénéficié d’un beau concours de circonstances pour obtenir ce poste. Le vieux notaire, Maître Garnier père, était un ami du grand-père Levasseur : ils avaient des souvenirs communs dans les Aurès ; ils y avaient essoufflé leurs convictions républicaines. Ernest Levasseur était décédé de son « mal au poumon » l’automne de cette même année où sa petite-fille, successivement et dans cet ordre, entrait dans la vie active et se laissait passer la bague au doigt. Ç’avait été, la noce, la dernière joie de l’aïeul.

L’époux de Maryline était un de ces jeunes gens comme on en voyait beaucoup dans les années quatre-vingt-dix : avides de reconnaissance sociale, pétris d’ambitions, inévitablement glabres et soucieux de s’entourer très vite d’un quarteron de marmots. L’Emmanuel que je vous cause alimentait en automobiles « de standing » la bonne société beauvaisienne et bientôt isarienne puisque le jeune homme, ne vous l’ai-je pas dit ?, nourrissait un projet de carrière assez costaud. La SARL Dumortier lui confia, deux ans plus tard, la direction de la succursale de Saint-Aubin-en-Bray. Il eut vite fait d’étendre son emprise sur les départements circonvoisins, poussant jusqu’à la grande banlieue de Rouen à l’ouest et aux abords de Pontoise vers le sud. Le grand écart, me direz-vous. Justement ! C’est ici que cette histoire se noue.

Les lectrices prudes pourront sauter –  si j’ose dire – le paragraphe qui vient. Qu’elles sachent simplement que vers la Noël les tests confirmèrent la grossesse de Maryline.

Pour les autres, il n’est pas inutile de préciser, dans les limites qu’impose la décence, les conditions dans lesquelles le couple Lehallier – on notera au passage l’incontestable francité du patronyme – pratiquait l’exercice conjugal. Le samedi soir on dînait à la lumière tamisée d’un lampadaire à gradateur. Le mari glissait dans la chaîne un cédé de Puccini. « La Bohème » avait leur préférence. Emmanuel se faisait tendre, « Que gelida manina, Quelle petite main gelée ! Laisse-moi la réchauffer… » Il n’en fallait pas plus pour faire fondre Maryline. Elle noyait son regard – bleues, qu’elle les avait, les mirettes – dans la braise volcanique des quinquets d’Emmanuel (il fut longtemps poursuivi par une conjonctivite tenace). Et quand, au second tableau, Mimi reconquiert Marcello, « l’effluvio del desio tutta m’aggira… », la jeune épousée se laissait prendre la main, glisser les bas, soulever la robe et, chastement, lui s’activait. Sans atteindre les performances chiraquiennes – dix minutes, douche comprise – la chose était réglée avant que la Tebaldi, dans cette version dirigée par Tullio Serafin à l’académie Sainte-Cécile de Rome, n’expire dans les bras de Rodolfo. N’allez pas croire cependant que Maryline s’astreignît à la tâche sans en retirer de satisfaction. Une fois même le missionnaire dut s’y reprendre à deux fois ; tandis qu’il s’échinait, elle ressentit brusquement une vague de chaleur lui emplir le ventre et un soupir lui échappa. Lui, rugissait, les yeux exorbités, avant de glapir comme une âme en peine en l’éperonnant. Il eut la délicatesse de s’en excuser.

Quand elle se retrouva avec un polichinelle dans le tiroir, les effusions sabbatiques cessèrent évidemment. Hélas la grossesse ne se passa pas comme prévu. Elle fit une fausse couche et, lors du curetage, le scalpel du chirurgien lui enleva définitivement tout espoir de maternité. Dès lors le gars Lehallier donna à sa libido de nouveaux terrains de jeu et Maryline s’absorba dans ses tâches secrétariales. Elle milita au Secours Catholique, entra dans une chorale et prit part assidûment aux déambulations dominicales d’un club de randonneurs.

C’est là que notre histoire la trouve. On est en 2001, disons au début juin. Elle a la trentaine. A l’étude elle s’est rendue indispensable et Maître Garnier fils envisage de lui confier la succession de Mlle Dupuis qui, après avoir perdu dents et cheveux (avantageusement remplacés par prothèse et perruque), se voit abandonnée dorénavant par son acuité visuelle. Heureusement pour elle, elle ne se verra pas mourir…
Mais je parlais de Maître Garnier deuxième du nom. Fils tardif de l’Hubert, remarié après un veuvage décent avec une jeune femme qui… que… une jeune intrigante quoi, pour tout dire à peine française car de père italien et de mère corse. Sa photo était parue plusieurs fois dans les pages des magazines, au bras de mondains en vogue. A quarante-deux ans, sa beauté éclatait et son fils en hérita. Je dis « son » fils car, sur la paternité, d’innombrables rumeurs circulèrent. Hubert Garnier s’en accommoda et témoigna envers le rejeton une tendresse dont on ne l’eût pas cru capable. Et Félix, ma foi, la lui rendit. Il fit son droit à Assas puis suivit, quatre années durant, les cours de l’Institut des métiers du notariat à Tours (02.47.05.52.84) dont il sortit major de promotion.

Quand Félix prit possession du bureau paternel, les méthodes changèrent. C’était un dirigeant résolument moderne, il tablait sur les vertus individuelles, ne craignait pas de s’afficher à Paris dans un petit cénacle de patrons progressistes et méprisait Laurence Parisot. On lui prêta très vite des sympathies à gauche et il poussa le goût du sulfureux jusqu’à se faire photographier dans la gazette locale en compagnie de Jean-Louis Borloo, venu dans la ville préfectorale présider une réunion de l’Union cantonale des démocrates et indépendants. D’ailleurs, dans le salon feutré du second où il recevait ses hôtes de qualité, il fit encadrer la pochette du 25cm où un Georges Brassens, cheveux et moustache noirs, veste de velours fauve, colle son oreille au pavillon d’un phonographe ; le vinyle est de 58 et le premier titre en est « Le pornographe »… Mais n’anticipons pas. Provocateur et capable d’écarts par rapport aux ceusses de sa caste mais meneur d’hommes intransigeant. Ton sec, cassant, sûr de lui, « un vrai macho » se disait Maryline in petto. Fallait le voir déchirer froidement sans un mot tout dossier comportant la moindre faute d’orthographe. Et quand la secrétaire éclatait en sanglots d’avoir été si durement rabrouée, il lui jetait avec dédain une pièce de deux euros, « Allez vous acheter des Kleenex© ! »

Il ne fut pas long à repérer les compétences de Maryline Lehallier qui grimpa deux étages et se retrouva sous le feu des jalousies. Quand son mari fit affaire avec lui autour d’une Porsche GT3 (6 cylindres à plat, 4 soupapes, distribution par chaîne, 180000 deutsche marks quand même…), elle osa le convier à dîner. Elle avait mis les petits plats dans les grands, mijoté un tagine d’agneau à la figue tandis qu’Emmanuel se chargeait des vins. Félix arriva, ponctuel, un énorme bouquet de roses blanches à la main… Du repas il y a peu à dire, sinon que la conversation, exclusivement masculine, roula sur la Ligue 1 où l’école nantaise venait de damer le pion aux grosses cylindrées. « C’est comme en amour », lâcha Manu, et les deux hommes éclatèrent de rire. On avait déjà pas mal bu et un peu de grivoiserie ne déparait pas. Maryline sourit poliment et s’éclipsa dans la cuisine vaquer à la vaisselle. Elle s’étonnait des éclats tonitruants de son patron, à qui les silences entendus des secrétaires ne prêtaient guère d’aventures ; de Manu au contraire la voix pâteuse et la syntaxe incertaine lui étaient habituelles en toutes circonstances où l’alcool coulait d’abondance ; il ne tarderait pas à s’assoupir dans le canapé... Dans les tintements des assiettes et l’entrechoc des verres, elle perçut des mots qui ne laissaient guère de doute sur la conversation masculine, elle rougit à certains. Aussi décida-t-elle, une fois desservi le café et les tasses, de prétexter d’une grosse fatigue pour monter dans la chambre. Dix minutes plus tard, elle éteignait la veilleuse et s’abandonnait à Morphée.

Elle ne sentit pas, dans la nuit, le drap glisser à ses pieds, sa nuisette se relever jusqu’à la taille et ses jambes s’écarter, livrant passage à un souffle. Prise dans son rêve, elle ne ressentit d’abord qu’une douce chaleur gagnant le milieu de son corps. Le zéphyr sur les poils de son pubis l’éveilla. Machinalement elle allongea le bras pour saisir le drap mais sa main tomba sur une chevelure. Elle n’eut pas le temps de s’en étonner car brusquement une humidité inhabituelle lécha ses petites lèvres avec une infinie caresse, s’insinua dans les plis de son prépuce et lapa le gland de son clitoris. Une fois, deux fois, puis goulûment. Un élancement subit lui arracha un soupir. Elle se garda bien d’ouvrir les yeux. Jamais encore Emmanuel n’avait aventuré la langue en ces contrées dont elle-même ne devait qu’à l’inadvertance du gant de pressentir que peut-être ils renfermaient des trésors interdits. La langue à présent balayait la longue fente avec application et, chaque fois qu’elle parvenait au sommet de sa trajectoire, une onde de plaisir l’inondait. Un fourmillement d’aiguilles dans tout le bassin. Elle sentit durcir la pointe de ses seins cependant que des paumes à présent effleuraient l’intérieur de ses cuisses. C’était une sensation nouvelle, comme si son corps s’éveillait. Les baisers déposés dans le creux de l’aine étaient d’une telle délicatesse qu’elle dut réprimer un sanglot. Des bras passèrent doucement sous ses jambes pour relever son bassin. Dans le mouvement, elle sentit le frais de la nuit entrer dans son sexe qui était complètement ouvert. Le tiède de la salive le noya tout aussitôt, cependant que la nervosité maîtrisée de la langue lui tira un frémissement. Il lui semblait qu’à chaque poussée buccale elle se creusait davantage mais que, du plus profond de ces endroits-là que jamais elle n’avait osé nommer, montait une lame de fond qui n’attendait qu’à déferler.

Emmanuel laissa glisser la langue dans la petite vallée que dessinaient ses fesses. Un frisson lui creusa les reins mais les caresses de l’homme sur ses rondeurs détendirent sa contraction, lui ouvrant son déduit. Sa langue s’immobilisa sur le méat obscur, elle le titilla, il finit par s’ouvrir, elle y plongea plusieurs fois vélocement, écartant sa rosette. Maryline à cet instant se sentait dans un état d’abandon qu’elle n’avait jamais connu, dont elle n’avait même jamais soupçonné qu’il pût exister. Ses quelques incursions dans le domaine du sexe se limitaient aux tolérances de la décence. Elle savait bien qu’Emmanuel faisait de fréquents accrocs à la fidélité mais elle n’imaginait pas qu’il pût faire autre chose avec ces femmes que « raidir, ramoner, décharger » comme elle l’avait une fois entendu dans un film trivial. Il y avait là-dedans quelque chose d’animal, comme sont les hommes, elle le savait bien. Et pour elle l’exercice n’était qu’un devoir. Parfois, à l’étude, se faisaient jour des conversations un peu scabreuses. Elle prenait garde de s’en mêler et finissait par se lever sous un prétexte ou sous un autre. Ces choses-là n’étaient pas pour elle.

Elle inspira profondément quand la bouche d’Emmanuel, mordillant son clitoris, lui traversa le corps d’une flèche brûlante. Elle fit mine de se troubler dans son sommeil. L’homme s’écarta quelques instants, elle sentit ses mains se poser plus haut dans le lit, sous ses aisselles. Elle entendait distinctement son souffle très près de son visage. Et alors, lentement, avec infiniment de lenteur, il poussa son sexe en elle. Elle le sentit glisser, prendre possession de son corps, emplir l’immense vide que ses caresses avaient creusé. Comme si elle, elle enveloppait son corps à lui, comme si elle l’avalait. Elle aurait voulu, à cet instant précis, lui mordre la bouche, se jeter sur son visage, sur son cou, boire tout ce qu’il avait de liquide en lui. S’effondrer dans un chaos des sens. Mais il eût fallu renoncer à jouer les belles endormies.

Emmanuel maintenant allait et venait à un rythme mesuré. Elle sentait que tout en elle lui facilitait la tâche en lubrifiant abondamment son dard. Elle fondait sous les assauts. Elle s’étonna de ne pas hurler tant le corps lui brûlait. Elle eut la sensation d’être en apnée dans un bain juste trop chaud. L’homme arqua brusquement les reins en une ultime poussée. Elle eût voulu que son sexe lui fendît le corps jusqu’en haut et elle sentit la rosée divine se ruer en elle. Sa  gorge palpita longtemps. Elle eut un goût sucré dans la bouche. Alors l’homme expira interminablement.

Puis il y eut le léger bruit de la poignée de la porte, un glissement de pas sur le parquet, des froissements d’habits… Le sexe de l’homme s’échappa avec lenteur. Et de nouveau des baisers sur ses chairs en feu, une tendresse de langue sur ses petites lèvres. Deux mains saisirent ses hanches et la soulevèrent. Un corps se glissa sous le sien, dans le biais du lit, et elle sentit la dureté d’un mandrin contre son pubis. Elle se retint de japper quand à nouveau son sexe livra passage. Les mains l’assujettirent contre le torse de l’homme qui s’agita, d’abord avec délicatesse, puis avec des élans qui, très vite, lui firent à nouveau chanter l’introït. Elle en était là de la grand-messe quand le diacre, quittant le tabernacle, frotta longuement sa chandelle contre son périnée avant de trouver l’entrée de la sacristie. Jamais on n’avait forcé cette porte mais le servant y mit tant de conviction qu’elle détendit ses muscles et laissa le chibre aller à son gré au plus profond de son fignedé. Ainsi éperonnée, elle ne pouvait que s’abandonner. Le cierge coulait de partout. C’est alors qu’elle sentit, sur le devant, un intrus forcer la porte pour la saillir. Instantanément elle jouit. Les deux braquemards menèrent une folle sarabande, mettant son corps à vif, la brûlant par tous les bouts, la soubresautant comme un sac de noix, la souquant par devant er par derrière sans qu’elle ne sache plus où était la proue et où la poupe et, quand elle fut au comble de la godille, une déferlante la submergea. Elle perdit pied, elle sombra, elle s’époumona dans des halètements d’ânesse, elle y alla de son périple, elle mourut.

Puis il y eut des froissements d’habits, des glissements de pas sur le parquet, un baiser léger déposé sur ses lèvres. Elle frissonna au picotement de la moustache. La poignée de la porte  joua. Elle fut seule. Le corps anéanti.

***

« C’est parfait, Mme Lehallier, parfait ! »
Elle venait de remettre à Maître Garnier fils un épais dossier sur le règlement de la succession Di Pozzi, un peintre de renom dont les héritiers se déchiraient et entre qui le conflit semblait sans autre issue que le tribunal. Une ultime réunion de conciliation était prévue le surlendemain. Le travail de Maryline Lehallier était une merveille de diplomatie, et d’une telle minutie que tous les cas trouvaient une réponse imparable.
« Je ne sais comment vous remercier… »
Il la regarda avec quelque chose d’une sincère reconnaissance. Il avait dénoué sa cravate et reposé son stylo sur la table. Maryline se leva, contourna le bureau. Elle osa glisser la main vers son visage. Il ne bougea pas. Du doigt elle parcourut la longueur de ses lèvres, d’une commissure à l’autre ; revint en sens inverse, l’ongle effleurant la moustache, qu’il avait fine et soigneusement taillée. Elle souleva lentement sa robe blanche. En dessous, elle était nue. Elle mit la main sur sa nuque et doucement elle attira le visage de Félix Garnier jusqu’à son ventre.

lundi 3 juin 2013

Les joueurs - Stewart O’Nan

« Ils allaient passer leurs derniers jours en tant que mari et femme comme les tout premiers, presque trente ans auparavant, aux chutes du Niagara, comme si, de l’autre coté de la frontière, loin de toute créance domestique qui sapait leur quotidien, ils avaient une chance de se retrouver l’un l’autre.  »

Dès le premier paragraphe on sait comment les choses vont se terminer. Rien ne va plus pour Art et Marion Fowler. Depuis qu’il l’a trompée, le lien s’est brisé. Elle s’est vengée avec une collègue de travail mais ça n’a rien arrangé. Puis le départ de leurs deux enfants a créé un grand vide. Sans compter la crise financière qui les a mis au chômage. Avant de divorcer et de déclarer officiellement leur banqueroute, avant de perdre leur maison et ce qu’ils ont accumulé au cours d’une vie de labeur, ils décident de revivre leur lune de miel. C’est Art qui a eu l’idée. Retourner aux chutes du Niagara le temps du week end de la St Valentin pour essayer de sauver leur couple. Elle n’y croit pas une seconde mais elle n’a pas osé dire non...

Ils ont pris le car pour se rendre sur place. Art trimballe leurs dernières économies, quelques milliers de dollars, dans un sac de sport. Il est décidé à tout miser à la roulette, quitte ou double.  Il a aussi dans la poche une bague hors de prix qu’il lui offrira quand ils seront au restaurant. « Ils seraient peut-être fauchés lundi matin, en instance de divorce, mais il ne cesserait jamais d’essayer de la rendre heureuse, aussi impossible que cela fût. » Marion passe son temps à bougonner. Elle n’arrête pas de lui envoyer des piques, de minuscules rebuffades qu’il encaisse sans sourciller. Ne supportant plus sa perpétuelle prévenance, elle aimerait qu’il proteste, s’insurge : « Pourquoi cela l’ennuyait-elle à ce point qu’il fasse tout pour lui plaire ? En un sens, il faisait du forcing, une manière sournoise d’imposer les choses. » Le lendemain de leur arrivée, ils font l’amour et elle le regrette aussitôt, ne voulant pas lui donner de faux espoirs...  

On se dit que l’on va assister à un naufrage, à l’autopsie d’un couple qui part en lambeaux. On a l’impression d’être chez Carver avec ces petites gens au bord d’un précipice sentimental et financier. On enfile les habits du voyeur, on se glisse dans leur intimité, impatient de les voir sombrer. On se dit aussi que ce couple pourrait être le notre. Par moments on voudrait faire comme Art, on voudrait  y croire. Surtout qu’il y a quelques signes allant dans le bon sens. Mais tout reste fragile, ils marchent sur un fil usé jusqu’à la corde. Empêtrés dans leurs habitudes, ils n’ont plus la force de se disputer. Leurs conversations se résument à des formules toutes faites permettant à chacun de rester à distance. Marion est la plus paumée des deux : « Qu’avait-elle fait de sa vie ? L’espace d’un instant, rien ne lui vint. Elle était devenue une femme et une mère. Une amante, brièvement, médiocrement. Elle avait fondé un foyer, travaillé, épargné, voyagé. Tout cela avec lui. Pour lui, grâce à lui, malgré lui. Dès le début, parce qu’elle n’était alors qu’une jeune fille, elle avait cru avoir trouvé l’âme sœur, que cela leur conférait quelque chose de spécial, qu’ils étaient au-dessus des autres couples de leur connaissance. Cela lui avait servi de leçon. Elle jura qu’on ne l’y reprendrait pas, que personne ne lui referait le coup. » 

Stewart O’Nan semble prendre un malin plaisir à fracasser le rêve américain, insidieusement, presque en silence. Mais ce n’est pas si simple. La rédemption n’est jamais loin. Et si, après tout...
  
Un roman que j’ai dévoré en deux jours, fasciné par ce couple à la dérive. La narration est imparable et met à nu les personnalités de chacun. Percutant et sacrément bien ficelé, une découverte et une révélation. Il faut absolument que je trouve les autres titres de cet auteur.

Les joueurs de Stewart O’Nan. L’olivier, 2013. 210 pages. 19,50 euros. 




dimanche 2 juin 2013

On était bien à Amiens...

On était bien à Amiens hier après-midi. Un rayon de soleil, plein de BD, des auteurs sympa comme tout, une ambiance détendue, les ingrédients étaient réunis pour que les 18èmes rendez-vous de la bande dessinée soient un bon moment. Surtout j’ai eu la chance de passer quelques heures en charmante compagnie avec Moka et Aurélia. On a papoté bouquins bien sûr, mais pas que, on a partagé quelques dédicaces et au final j’ai vraiment eu l’impression que tout était passé trop vite. En tout cas c’était un vrai plaisir d’arpenter les allées du salon à vos cotés, j’espère que vos élèves se rendent compte de la chance qu’ils ont d’avoir des profs de lettres comme vous !

Niveau dédicace, je ne pouvais pas repartir sans avoir vu Frédéric Maupomé et Stéphane Sénégas les auteurs d’Anuki. J’étais de toute façon en service commandé, pépétte n°2 tenant absolument a avoir un dessin de son petit indien préféré dans le tout nouvel album reçu à la maison cette semaine. Mission accomplie, chef ! Deux auteurs souriants, disponibles et prenant le temps nécessaire pour réaliser de belles dédicaces. Que demander de plus.






J’ai aussi profité de ma venue sur le salon pour acheter le second volume de l’intégrale de La balade de Yaya, une série jeunesse vraiment épatante. Et comme le dessinateur chinois de la série était sur place, il m’a fait une bien jolie Yaya !

Ma troisième rencontre avec un auteur a été la plus enrichissante. Il n’y avait personne à la table de Laurent Maffre et comme je souhaite depuis très longtemps découvrir son album Demain, demain consacré au bidonville de Nanterre dans les années 60, j’ai sauté sur l’occasion. Laurent Maffre est d’une simplicité et d’une gentillesse rare. Pendant vingt minutes, on a échangé sur son travail, les techniques qu’il utilise et on a surtout parlé impression, un domaine que j’ai la chance de bien connaître. Il m’a notamment expliqué les modifications qu’il a apportées à chaque réimpression de son album (on est aujourd’hui à la troisième). Venant d’acheter la première édition sur le stand du festival, je n’ai pas eu l’album dans sa meilleure version mais au moins je sais quels changements ont été effectués.

Quelques petits regrets quand même, notamment ne pas avoir pu discuter avec Marc Lizano, trop sollicité, ni avec Hautière et Hardoc auxquels j’aurais aimé annoncer de vive voix que leurs Lulus font partie de la prochaine sélection du prix des jeunes lecteurs. Pas bien grave au final…


Pour ce qui est des achats, je suis reparti avec évidemment Yaya et Demain, Demain mais aussi le coffret contenant le dernier volume du Vent dans les sables du magicien Michel Plessix. Je dis magicien parce que ce dessinateur me fascine totalement depuis des années. Il était présent hier mais il fallait passer par un tirage au sort pour espérer obtenir une dédicace (trop de demandes) et je n’avais pas vraiment envie de me prêter au jeu. Mais j’ai pu le voir en action et à sa manière très particulière de tenir un crayon, on se demande comment il parvient avec une technique si peu académique à trousser des dessins aussi fabuleux.




Autre achat, Loin des yeux de Luke Pearson, un auteur anglais qui m’a régalé avec sa série jeunesse Hilda et qui s’est lancé cette fois-ci dans un album pour les plus grands où, dixit la 4ème de couverture, il "étudie les derniers jours d’une relation amoureuse sur le point de sombrer, à travers ses non dits, ses doutes et ses regrets". Un programme alléchant, non ?







Et enfin, dernier mais pas des moindres, Hôtel particulier, le nouveau one shot de Guillaume Sorel. Parce que ce dessinateur est lui aussi fabuleux et parce qu’un album qui s’ouvre sur un poème de Rimbaud ne peux pas être foncièrement mauvais. J’ai convaincu Moka de se le procurer également (en fait il a suffi qu’elle regarde la première planche pour se décider), j’espère qu’elle ne va pas être déçue…





Une après midi de rêve donc. Un gros bisou à Moka et Aurélia pour leur gentillesse et ces quelques heures passées ensemble, on remet ça quand vous voulez ! 









vendredi 31 mai 2013

Le mur de mémoire - Anthony Doerr

« En esprit, on peut voyager dans le temps, aller d’un pays à l’autre, passer du passé au présent, de la mémoire à l’imagination. »

Les nouvelles qui ouvrent et ferment ce recueil justifient à elles seules sa lecture. Dans la première, Alma, veuve vivant sur les hauteurs de Cape Town, a la mémoire qui flanche. Depuis plusieurs années, elle se rend chez un médecin qui récupère les souvenirs dans des cartouches et les introduit dans un appareil permettant aux patients de les revoir autant de fois qu’ils le souhaitent. Un procédé pratique et salutaire pour replonger dans les bons moments du passé, mais les cartouches d’Alma semblent attirer la convoitise d’un drôle de duo de cambrioleurs… Dans la dernière, l’octogénaire Esther est frappée par de terribles crises d’épilepsie qui la projettent en pleine seconde guerre mondiale, à l’époque où elle n’était qu’une orpheline juive d’Hambourg échappant par miracle à la déportation. Parmi les autres histoires, on découvrira un couple désirant par tous les moyens avoir un enfant, une jeune américaine envoyée en Lituanie chez son grand-père après le décès soudain de ses parents, une vieille femme chinoise contrainte de quitter son village bientôt envahi par les eaux suite à la construction d’un barrage ou encore un père attendant le retour de son fils soldat, mobilisé en Corée du sud.

Au fil des six textes, Anthony Doerr démontre qu’il est sans conteste l’un des plus talentueux nouvellistes américains. La mémoire est ici au cœur de son propos. La vieille chinoise constate avec lucidité : « Tous les souvenirs finissent par être engloutis. Le progrès est une tempête et les ailes de chaque chose sont balayées par elle. » Doerr mêle l’imagination et la science, le présent et le passé. Il créé des univers en apesanteur où s’allient avec brio le mystère et l’émotion. L’humanité qui jaillit de chacun de ses personnages touche en plein cœur. Chaque nouvelle est parfaitement ciselée, les dialogues et les situations sonnent justes, même quand un soupçon de fantastique fait irruption.  

Avec son écriture puissante et maîtrisée, tout en fluidité, Anthony Doerr impressionne. Anne parlait dans son billet d’élégance et de sensibilité, je crois que c’est tout à fait ça. Et je la remercie de m’avoir chaudement recommandé la lecture de ce recueil, j’ai passé un moment délicieux.  

   
Le mur de mémoire d’Anthony Doerr. Albin Michel, 2013. 285 pages. 21,50 euros.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Marilyne

L’avis d’Anne qui nous a donné envie de faire cette lecture commune. Ceux de Nathchoco et de Clara tout aussi enthousiastes.



jeudi 30 mai 2013

Résultats du petit concours...

Une vraie bonne surprise de constater que ce petit concours a attiré autant de monde. J’ai dû changer les règles parce que certains participants ont lu ou vont lire l’un des deux titres. J’ai donc décidé de faire deux tirages différents comme cela les choses seront plus claires.

On va donc commencer avec Wilderness. Petite précision, j’ai fait tomber l’exemplaire en le sortant de ma bibliothèque et il y a un coup sur le coin supérieur de la couverture. Je m’en excuse, je suis un vrai maladroit et le pire c’est que j’ai l’impression que c’est héréditaire... Bon j’espère que ça ne gâchera pas le plaisir de lecture du gagnant, ce roman est une petite merveille. J’ai glissé 25 noms dans le chapeau...


J’ai tout secoué très fort et voila le résultat :


Félicitations à Natiora, c'est elle qui va avoir la chance de découvrir l'histoire d'Abel... 

Et pour Màn, même procédé, sauf que vous étiez 27 sur la ligne de départ :


And the winner is... 


Bravo à Soukee !

Merci à tous d'avoir participé. Les gagnantes doivent me contacter par mèl afin de me donner leurs coordonnées. Promis, je vous enverrai les livres au plus vite. 

DERNIÈRE MINUTE : j'ai gagné un livre à la kermesse de l'école samedi dernier. Il a fallu que ce soit un thriller alors que j'ai horreur de ça. Je m'en débarrasse l'offre donc avec plaisir au premier ou à la première qui manifeste son envie de le recevoir dans les commentaires de ce billet. N'hésitez pas à me faire signe...





mercredi 29 mai 2013

Batchalo - Le Galli et Bétend

Février 1939, dans une ville de Bohème. Les nazis enlèvent des enfants tziganes pour mener des expériences abjectes au nom de la pureté raciale. Leurs parents partent à leur recherche, accompagnés d’un « gadjo » prénommé Josef, mais ils sont rapidement arrêtées par la police et déportés au camp de travail de Lety puis à Auschwitz. Placés dans une section baptisée Zigeunerlager (camp tzigane aussi appelé « camp de famille » puisque les déportés peuvent y rester avec les leurs) ils vivent dans des conditions difficiles, notamment à cause des ravages provoqués par le typhus. Le 22 mars 1943 a lieu le premier gazage de tsiganes et dans la nuit du 1er août 1944, Himmler expédie dans les chambres à gaz les survivants du « camp de famille ».

Un album très documenté qui revient avec une grande rigueur historique sur le génocide tsigane, une tragédie qui, rappelons-le, n’a été reconnue par le parlement européen que le 3 février 2011. Un pan méconnu de l’holocauste où l’on découvre les terribles motivations du Reich : pour le docteur Ritter, chef de L’institut de recherche pour l’hygiène raciale et la biologie de la population, les tsiganes représentent un danger de dégénérescence pour les allemands. Il préconise donc dans un premier temps le rassemblement de cette communauté dans des camps de travail forcé et la stérilisation massive. Son but est d’éviter tout métissage et, à terme « d’éliminer ces êtres indignes de la société. »

Michaël Le Gali a aussi souhaité mettre en valeur les traditions propres au peuple rom, leur vocabulaire, leurs croyances, leur façon de rendre la justice, leur passion pour la musique et la difficulté pour eux, nomades dans l’âme, de se voir à ce point priver de liberté de mouvement dans les camps. Liant la petite et la grande histoire, il insère dans son récit une part non négligeable de fiction, notamment à travers le personnage de Josef, le gadjo témoin et narrateur de ce voyage au bout de l’horreur. C’est sans doute dans cette part de fiction que réside les quelques faiblesses de l’album. La voix de Josef est souvent trop « neutre », comme détachée des événements qu’elle relate, d’une froideur presque clinique. Il manque ce petit supplément d’émotion qui aurait donné à l’ensemble davantage d’ampleur.

Au niveau graphique, le dessin réaliste et le choix des tons sépia donnent une patine particulière parfaitement adaptée au propos.

Un album instructif abordant un sujet trop méconnu, qui sonne comme un hommage des plus sincères au peuple tsigane et à la tragédie qui l’a frappé. Il est juste regrettable qu’il soit plus didactique que poignant.
 


Batchalo de Le Galli et Bétend. Delcourt, 2012. 80 pages. 14 euros.








mardi 28 mai 2013

Le phare des sirènes - Rascal et Régis Lejonc

Ange est élevé par son oncle depuis le décès de sa mère. Un oncle pêcheur de harengs et une vie tranquille dans une cabane en bois au bord d’une falaise. Mais un jour le tonton ne rentre pas de la pêche. Ange le cherche, il retrouve sur le sable sa casquette bleu marine et des morceaux de son bateau. Quelques temps plus tard, alors qu’il regarde l’océan avec une longue-vue, le jeune garçon aperçoit une forme échouée sur la plage. Pensant que c’est la dépouille de son oncle, il se précipite et s’arrête, essoufflé, devant le corps d’une sirène : « Sa queue couverte de fines écailles était écorchée par endroits et laissait apparaître une chair rose semblable à celle des saumons. Accrochées à ses cheveux, de minuscules étoiles de mer parsemaient, ça et là, sa longue chevelure. » Cette sirène prénommée Swidja, il va la ramener à la cabane pour la soigner. Cette sirène, il va en tomber fou amoureux. Elle va lui faire découvrir son royaume et lui ouvrir un infini champ de possibles...   

Mais la guerre éclate. Les hommes sont enrôlés de force. Sur le front, Ange est grièvement blessé. Il se réveille avec « la gueule d’un monstre. La gueule à faire peur. La gueule cassée. » Retournant sur la falaise de son enfance après sa sortie de l’hôpital, il trouve la cabane en ruine et accepte un poste de gardien de phare. 45° de latitude nord, 35° de longitude est. Le phare des sirènes. Depuis, il attend le retour de Swidja : « Un jour, je sais qu’elle me reviendra et qu’elle m’emmènera dans son palais de corail blanc. J’éteindrai alors la lumière crue du phare et nous nous en irons loin, bien loin sous la couverture des vagues. » 

Bon on ne va pas y aller par quatre chemins : je suis raide dingue du Phare des sirènes. Depuis sa sortie, ce titre ne m’a jamais quitté. Comme un gosse, je l’ai relu des dizaines de fois et je suis toujours bouleversé par cette histoire. Pourquoi me direz-vous ? Parce qu’on y parle d’amour, de mort et de solitude. Parce qu’on y découvre la folie des hommes. Parce que c’est beau, triste et douloureux. Parce que ça ressemble à une vie. Parce que l’écriture de Rascal, très littéraire, fait de ce texte un petit bijou. Parce que les illustrations pleine page de Régis Lejonc sont autant de tableaux dans lesquels on plonge avec délice. Parce que cet ouvrage très grand format prouve si besoin en était encore que les albums ne sont pas uniquement destinés aux enfants et que certains d’entre eux s’adressent à un public beaucoup plus mature.

Une merveille comme on en rencontre peu dans une vie de lecteur. 


Le phare des sirènes de Rascal et Régis Lejonc. Didier jeunesse, 2007. 60 pages. 19,90 euros. A partir de 10-11 ans.

Une lecture commune un peu spéciale aujourd’hui puisque je la partage avec Mo’ et Noukette, deux de mes blogueuses préférées. Les réunir sur cet album qui me tient tant à cœur est un vrai plaisir. En espérant qu’elles ont apprécié cette touchante histoire d'amour. De toute façon si ce n’est pas le cas je boude…


PS : petite info pour mes lectrices communes : avez-vous remarqué que la couverture est en fait la toute dernière image de l’album ? Regardez bien la page finale puis fermez le livre et vous comprendrez pourquoi je vous dis ça (bon je fais le malin mais c’est parce que l’auteur me l’a dit sinon je serais passé à coté...).     






lundi 27 mai 2013

A pas de loup - Zemanel et Madeleine Brunelet

Siou est un petit loup qui n’aime pas rester seul. Il voudrait bien suivre sa mère mais il ne sait pas encore marcher comme il faut. Sa mère lui a promis : «  Tu m’accompagneras quand tu marcheras comme un vrai loup. » En voyant une grenouille passer devant lui en sautillant, Siou se dit : « peut-être faut-il faire ainsi pour marcher comme un vrai loup ? » Mais à l’évidence ce n’est pas le cas. Il va par la suite tenter d’imiter le papillon, le serpent ou le blaireau mais il constate qu’aucun de ces animaux ne marche comme les loups…    

Un petit album sans prétention qui, je l’avoue, ne me laissera pas un souvenir impérissable. Ce récit en randonnée des plus classiques n’est pas d’une folle originalité. Petit Loup avance et chaque rencontre est prétexte à une nouvelle tentative pour, enfin, réussir à marcher comme un vrai loup. Le problème c’est que le texte est plutôt fade, il n’y a aucun humour et on se lasse assez vite de ces pérégrinations qui s’avèrent au final sans grand intérêt. Le dessin est sympa mais, là encore, il n’y a pas de quoi sauter au plafond. De jolies couleurs pastel tout de même et un personnage dont la bonne bouille pourra séduire les enfants.   

Loin d’être une pépite, donc. Disons que c’est le genre d’histoire idéale en petite lecture du soir, de celle que l’on partage avec plaisir avec son petit bout, même si je doute que cet album soit quotidiennement réclamé à corps et cris.


A pas de loup
de Zemanel et Madeleine Brunelet. Père Castor-Flammarion, 2013. 24 pages. 4,40 euros. A partir de 4-5 ans.