jeudi 28 février 2013

Sur les nerfs - Larry Fondation

Fondation ©
Le Livre de Poche 2013
Il y a quand même de drôles de loulous dans la littérature américaine actuelle. Des gars sortis de nulle part qui ont été ouvriers, soldats, camionneurs, bûcherons ou que sais-je encore. Des autodidactes qui racontent leur Amérique cauchemardesque et c’est pas joli à voir. Je pense à Donald Ray Pollock, à l’indien emprisonné pour meurtre Joël Williams, à Benjamin Whitmer, à Eric Miles Williamson ou encore à Frank Bill (je vous en parle tout bientôt). Larry Fondation est de la même trempe. Médiateur de rue depuis plus de 20 ans, il connaît les pires endroits de Los Angeles comme sa poche. C’est à l’évidence dans son quotidien qu’il puise son inspiration.    

Fondation, c’est un peu comme si Carver oubliait pour un temps les petites gens et allait traîner ses guêtres du coté des damnés de la terre. Dans son Los Angeles, on est loin d’Hollywood. On y trouve des crétins qui font boire de la vodka pure à un gamin de quatre ans hyperactif pour l’assommer un bon coup. Des gangs qui sortent les flingues à la moindre broutille. Dans les quartiers sinistrés, on s’occupe en tirant sur les rats au fond des caves désaffectées ou alors on se bourre la gueule en fumant du crack sur des parkings à l’abandon. 

L’écriture est minuscule, fragmentaire. Certains textes font à peine quelques lignes. De la microfiction qui vous saute à la gorge. Une juxtaposition de petites séquences formant un tout désordonné ou la violence et le désenchantement prédominent. Une peinture froide, glaciale même de ces populations misérables qui ont perdu toute humanité. Pas de jugement, aucune empathie, juste un coup de projecteur furtif sur une forme de déchéance absolue.

A bien des égards, la construction de ce recueil m’a fait penser à la dernière partie du cultissime Last Exit to Brooklyn de Selby qui s’intitule Coda : on saute de personnage en personnage, de lieux en lieux dans un périmètre très restreint. C’est électrique, sans fioriture, nerveux à souhait. Tout ce que j’aime.

Est-ce que pour autant je vous conseillerais une telle lecture ? Surement pas. Trop peur de me faire enguirlander si au final vous en concluez  que c'est trop barré ou sans queue ni tête. Moi en tout cas j’y ai trouvé mon compte.

Allez, un petit extrait pour vous mettre dans le bain. C’est une nouvelle qui a pour titre Tu veux bien ? Je la reproduis en entier (je vous ai prévenu, c'est de la microfiction):

"Il n’a pas vraiment aimé frapper le vendeur avec la crosse de son pistolet, mais il aimait le fric. Il s’était toujours dit que les magasins d’alcool devaient avoir pas mal de cash.
Il a pris le bus pour rentrer à la maison.
Elle avait les pieds sur le canapé en simili-cuir.
- J’ai braqué le magasin, il lui a dit. Tu veux bien baiser avec moi, maintenant ?
"

Sur les nerfs de Larry Fondation. Le livre de poche, 2013. 120 pages. 5,10 euros. 


mercredi 27 février 2013

Ghostopolis - Doug Tennapel

Frank Gallows est un agent de la force d’intervention de l’immigration surnaturelle.  Son boulot consiste à traquer les fantômes se dissimulant chez nous pour les renvoyer dans leur monde. Mais Gallows est un peu au bout du rouleau et a tendance à forcer sur la bouteille. Pas étonnant donc qu’au cours d’une intervention il envoie sans le faire exprès Garth, un gamin bien vivant, au royaume des morts. Viré manu-militari par son patron, Gallows décide néanmoins d’aller lui-même rechercher Garth à ses risques et périls. Pendant ce temps le jeune garçon découvre les joies de Ghostopolis, la ville des fantômes, où un mystérieux tyran fait régner la terreur...

Un billet un peu particulier aujourd’hui puisque ma comparse préférée en matière de BD (à savoir Mo’) m'a proposé de réaliser une lecture commune vraiment commune. Kesaco ? Et bien au lieu de donner notre avis chacun dans notre coin, on les regroupe dans un seul et même billet. Un peu d’indulgence, c’est une première tentative. En tout cas l’exercice m’a beaucoup plu. Il faut pas mal d’échanges pour arriver à un résultat correct mais c’est aussi tout l’intérêt de la chose. Merci pour cette lecture commune vraiment commune Mo’, ce fut un plaisir. On recommence quand tu veux^^

Ma courtoisie légendaire m’impose de laisser en premier la parole à ma partenaire :

Mo’ :
Tout d’abord, j’ai vite plongé dans l’histoire. Découvrant progressivement Garth, puis Franck… puis Garth… ces deux personnages aussi différents que complémentaires ont de suite eu ma sympathie. La maladie incurable de Garth titille notre empathie, le côté looser paresseux de Franck nous fait comprendre que nous n’avons rien à craindre de ce gars-là.
Le rythme narratif est pourtant assez linéaire. Outre quelques passages qui orientent radicalement l’intrigue dans une nouvelle direction, l’action n’est pas (pour moi) le point fort de cet album. Il se situerait plutôt du côté de la construction des deux personnages principaux ; c’est à eux que les clés de compréhension de Ghostopolis sont données (un monde qui a ses codes, ses règles, son histoire… sa prophétie !). Doug TenNapel soigne donc leur présentation ainsi que celle des personnages secondaires que l’on prend le temps d’accueillir (qui est-il ? que fait-il ? que veut-il ?...). Le lecteur dispose donc en permanence de toutes les cartes pour se repérer dans cet univers fantastique. De même, l’auteur n’hésite pas à casser son rythme narratif lorsqu'il s’emballe, donnant ainsi l'opportunité à ses « créatures de papier » d’analyser la situation et d’inventer un plan d’action. Doug TenNapel jongle en permanence avec le comique de situation qui, outre le fait de faire rire, dédramatise la situation et ouvre cet album à un large lectorat. Loin d’être alambiqué, le scénario emmène donc le lecteur dans un monde qui lui semblera à la fois étranger (on y côtoie momies, squelettes, fées, loup-garou, gobelins…) et familier (ceux qui l’habitent reproduisent en partie les règles du monde des vivants). Quelques clins d’œil épicent la lecture, à l’instar de cette référence à la Genèse où il est dit que Dieu créa la Terre en six jours et il s’est reposé le septième… dans Ghostopolis, le grand architecte de ce monde imaginaire se nomme Joe, « il a posé chaque brique de Ghostopolis pour que les fantômes aient un endroit pour vivre. Certains disent qu’il lui a fallu six jours pour tout construire, d’autres parlent d’un milliard d’années… ». D’autres références sont à relever (peut-être) comme la présence des sept royaumes de Ghostopolis qui pourraient être une allusion aux sept rois de Rome, ou à l’Apocalypse « Les sept étoiles sont les anges des sept Eglises et les sept candélabres sont les sept Eglises ») voire des Sept royaumes de Cinda Williams Chima voire… rien de tout cela, le chiffres sept n’est certainement que le fruit du hasard (bien que certains articles me fassent penser le contraire : ici, ici et de manière fréquente sur son autre blog).

Pure fiction ? Simple coïncidence avec les textes du Nouveau testament ? Jérôme, comment as-tu perçu cette histoire et son intrigue ? Quels effets ont-elles eu sur toi ?

Jérôme :
J’avoue que j’ai eu un peu de mal à rentrer dans l’album. Les univers fantastiques, c’est pas vraiment mon truc. Après, j’ai aimé les différentes figures qui composent le royaume des ténèbres. Squelettes, momies, fantômes, gobelins, etc, c’est plutôt bien trouvé et c’est parlant pour le lectorat, quel que soit son âge. Contrairement à toi je n’ai pas vu les références au nouveau testament (mon inculture en matière de religion est affligeante !) mais j’ai apprécié  le fait que le grand architecte de ce monde imaginaire soit un géant noir. S’il avait été une géante noire, cela aurait été encore mieux de mon point de vue mais c’est déjà une trouvaille originale et qui sort des sentiers battus.
Après, l’intrigue en elle-même ne m’a pas passionné. Une mission d’exfiltration assez classique finalement, tout comme l’affrontement final entre Garth et Vaugner qui m’a rappelé certains combats de Godzilla. Le grand méchant de l’histoire manque par ailleurs singulièrement d’épaisseur. Pas assez retors à mon goût ce gros vilain ! Même le personnage de Garth m’a paru assez fade. Finalement, Frank Gallows est de loin celui que j’ai préféré : paresseux, aigri, alcoolique, de mauvaise foi, avec une bonne dose d’humour souvent grinçant, c’est tout ce que j’aime. L’autre personnage qui m’a bien plu est le roi des squelettes. Ses aspirations à fuir les mondanités dues à son rang, sa volonté de vivre l’aventure par lui-même et ses blagues souvent foireuses apportent beaucoup de fraîcheur. Donc pour moi les personnages secondaires sont plus intéressants que l’histoire en elle-même.

Et ce n’est pas la première fois que nos ressentis sont radicalement opposés !! Et côté dessins… Mo’ ?

Mo’ :
Le graphisme quant à lui est on ne peut plus ludique même si effectivement, ce n’est pas ce qui se fait de plus beau en la matière. Une ambiance visuelle en noir et blanc aurait certainement mieux servi cet univers graphique (comme en témoignent les planches originales que l’on voit dans cette vidéo). Les couleurs sont parfois très appuyées, ce qui égaye l’univers et donne une touche récréative aux événements qui ont lieu. Là encore, j’imagine que la présence de la couleur a la même utilité que le comique de situation utilisé dans la narration : permettre à cet album de disposer d’un large lectorat. Je pense que petits et grands pourront parfaitement se saisir de cette aventure. Je ne pourrais lui reprocher que l’absence d’aplats qui impose un univers en 2D qui m’a parfois laissée sur ma faim, d’autant que les fonds de cases sont souvent négligés.

Cependant, j’imagine aisément que mon compagnon de lecture commune (Jérôme) n’a peut-être pas savouré cette déferlante de couleurs artificielles…. Jérôme ?

Jérôme :
Euh, il faut vraiment que l’on parle des couleurs ? Quand je regarde le générique  en première page et que je vois deux coloristes et huit assistants coloristes, je me dis qu’il faut s’attendre au pire ! Et en effet, c’est pas joli-joli. Des couleurs tellement froides, tellement « assistées par ordinateur » qu’elles perdent toute leur saveur. Si au moins elles avaient été utilisées à bon escient pour combler par endroit la pauvreté des décors, elles auraient servi à quelque chose mais ce n’est pas le cas. Parce que pour le coup il ne s’est pas foulé à ce niveau-là Mr TenNapel. Une profusion de gros plans pour cacher la misère et lors des scènes de combat ou de poursuites, rien d’autres que les protagonistes et quelques traits pour souligner le mouvement. La ville des fantômes aurait mérité plus de détails architecturaux, c’est incontestable.
Niveau dessin, l’encrage épais n’est pas pour me déplaire et j’ai souvent trouvé quelques comparaisons avec le travail de Frederik Peeters dans Koma (en moins bien quand même). Le découpage est quant à lui intelligent avec l’alternance entre des scènes « mouvementées » dans lesquelles TenNapel est très à l’aise et d’autres plus calmes, souvent teintées d’une jolie émotion.

Au final c’est pour moi du bon divertissement, pas l’album du siècle mais une lecture très agréable et réellement tout public, ce qui n’est pas si courant de nos jours.

Une lecture que nous partageons avec Mango




Les chroniques : David, Choco, Joëlle.


Tennapel © Milady 2012

mardi 26 février 2013

La servante et le catcheur - Horacio Castellanos Moya

Castellanos Moya
© Métailié 2013
Après un détour (réussi) par le roman d’amour adolescent, je replonge les mains dans le cambouis avec un récit se déroulant au Salvador pendant la guerre civile.

Le viking, une ancienne star locale du catch, fait partie des escadrons de la mort. Avec ses acolytes, il embarque, torture et fait disparaître sans aucun discernement un nombre incalculable d’opposants au régime. Des étudiants, des « communistes » et tous ceux qui leur apportent une aide quelconque, même les médecins qui tentent de les soigner lorsqu’ils sont blessés suite à des affrontements avec la police. Depuis peu les éléments subversifs multiplient les actes anti-régime, de la manifestation qui dégénère en guérilla urbaine à l’attentat terroriste. Dans ce chaos permanent, la vieille servante Maria Elena tente de survivre. Elle habite avec sa fille, une infirmière qui vient de trouver une place en or à l’hôpital militaire dirigé par le gouvernement, et son petit fils, entré depuis peu dans la clandestinité. Maria Elena et le Viking se connaissent depuis longtemps. Parce que ses nouveaux patrons viennent de subitement disparaître, elle demande à l’ancien catcheur s’il peut leur venir en aide. Mais une fois que les prisonniers sont amenés dans les cachots du Palais noir, il n’y a plus rien à faire pour eux. Seules l’horreur et la mort les attendent...

Horacio Castellanos Moya plonge au cœur de la terreur. Il tisse avec une diabolique précision le canevas d’une implacable dramaturgie. Une danse macabre où la violence est omniprésente. Alternant les points de vue (celui du viking puis celui de la servante, du petit fils révolutionnaire et enfin de sa mère), l’auteur déroule un style neutre et indirect, d’une froideur clinique. Il n’omet aucun détail, même le plus sordide. Tout est net, précis, nerveux, tranchant comme une lame. Un sens de la tragédie où chaque maillon s’imbrique jusqu’à l’inéluctable dénouement.   

Un roman qui secoue furieusement, qui projette le lecteur au beau milieu d’une guerre civile, à la fois du coté des militaires et des insurgés. Âpre, corsé, brûlant, La servante et le catcheur montre sans aucune forme de jugement la montée de la violence et son expression la plus crue. Aussi fort que dérangeant.

La servante et le catcheur, d’Horacio Castellanos Moya. Métailié, 2013. 236 pages. 18 euros. 

lundi 25 février 2013

Le procès - Stéphane Henrich

Heinrich © Kaléidoscope 2013
C’est une affaire tragique qui va être traitée devant le tribunal des animaux. Bertrand Loup est accusé d’avoir dévoré un agneau, ce qu’il ne nie pas. Mais selon lui, seule la faim l’a poussé à tuer. Tout l’enjeu du procès est de savoir si l’accusé peut bénéficier de circonstances atténuantes ou doit au contraire subir la peine capitale.

Les témoins défilent à la barre. Le sanglier, voisin du loup, déclare qu’il n’a jamais connu quelqu’un d’aussi gentil. La taupe affirme qu’elle a tout vu mais personne ne la prend au sérieux. Les trois petits cochons, amis de la victime, lui reprochent son inconscience : « il faut être fou pour monter dans la voiture d’un loup. » Puis défilent les experts ayant étudié le caractère du loup avant l’intervention de l’avocat général qui ne trouve aucune excuse à l’accusé. Heureusement son défenseur maître Bouledogue fait preuve d’une belle éloquence. Au final, le tribunal se retire pour délibérer. Quel sera le verdict ?

Un album sacrément bien fichu, à la fois drôle et didactique. Tous les rouages d’un procès sont décortiqués. Invité sur les bancs du tribunal, le petit lecteur découvre le rôle de chaque intervenant, des témoins à l’avocat général en passant par les enquêteurs, les experts et les jurés. Et l’air de rien, toute la complexité des décisions de justice est mise en lumière. Le loup est-il un infâme criminel ou la simple victime de ce fléau abominable et incontrôlable qu’est la faim ? Difficile de se faire une idée définitive. En tout cas la légèreté reste de mise malgré le sérieux du propos. La taupe aveugle qui a tout vu, le clin d’œil au trois petits cochons, le président qui ne pense qu’à faire évacuer la salle au moindre bruit et quelques échanges savoureux entre les différents protagonistes font sourire. Tout comme la référence à Jules Renard, tueur de poule, en dernière page.

Un album aussi savoureux qu’instructif qui mérite vraiment le détour.

Le procès de Stéphane Henrich. Kaléidoscope, 2013. 32 pages. 13,20 euros. A partir de 5-6 ans.

Heinrich © Kaléidoscope 2013





samedi 23 février 2013

Nos étoiles contraires - John Green

Green © Nathan 2013
Je suis un lecteur curieux. J’aime plein de genres différents mais faut pas pousser. En fait, ce qui me plait c’est la littérature qui gratte, qui pique, une littérature nerveuse et à vif. J’apprécie plus que tout naviguer avec les sans grades, les paumés, les losers. Me perdre dans les vapeurs d’alcool et de vomi, me rouler avec eux sur un couvre lit crasseux dans la chambre d’un hôtel miteux  aux murs tâchés de graisse et de tabac. Par pour rien que mon idole littéraire s’appelle Bukowski. Un gars qui a écrit  « se gratter les hémorroïdes jusqu’au sang, c’est meilleur que la baise. » Un gars qui a intitulé une de ses nouvelles « Tous les trous du cul de la terre et le mien. » Bref, un insupportable misanthrope alcoolique dont la plume corrosive et drôlissime m’enchante depuis plus de vingt ans.

Tout ça pour dire que passer de Bukowski à un roman mettant en scène des ados cancéreux en phase terminale, c’est faire un grand écart auquel  mon entrejambe et ma curiosité de lecteur risquaient de ne pas résister.  Pourquoi m’y lancer alors, me direz-vous. Parce que quand Stéphie, Noukette, Hérisson et Leiloona font du même roman un coup de cœur, ça interpelle. Et comme en général l’avis de ces quatre lectrices expertes n’est pas à prendre à la légère, vous vous dites que ce serait couillon de passer à coté d’un texte qu’elles ont adoré. Alors du coup vous foncez à la librairie…

Nos étoiles contraires, c’est l’histoire d’Hazel et d’Augustus. Ils se rencontrent dans un groupe de soutien pour cancéreux. Elle a 16 ans et un cancer de la thyroïde dont les métastases ont migré vers les poumons. Condamnée à plus ou moins brève échéance, elle s’accroche sans se plaindre. Lui a eu une tumeur osseuse sur une jambe et a dû être amputé. Semble depuis en rémission. Pas envie de vous en dire beaucoup plus mais sachez juste qu’entre eux, le courant va tout de suite passer. Sachez aussi qu’il est question d’un livre et d’un écrivain antipathique en diable. Sachez pour finir que Nos étoiles contraires est un petit bijou. 

C’est un bijou parce que les malades que l’on rencontre sont des jeunes gens avant tout. Certes ils souffrent dans leur chair et ont plus souvent qu’à leur tour le moral dans les chaussettes. Mais ils font preuve d’une belle lucidité, d’une bonne dose d’humour et d’une délicieuse répartie. Et puis ils envisagent l’amour pour ce qu’il devrait toujours être : quelque chose de simple et de léger, une évidence face à laquelle il ne sert à rien de résister. Et c’est aussi et surtout un bijou parce que John Green n’a pas l’indécence de nous faire croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et qu’à  la fin une issue favorable est possible. Tout cela sans aucun pathos. Je pourrais ajouter que j’ai aimé ce vieux salopard de Van Houten comme j’ai aimé la dignité des parents d’Hazel, leur approche « intelligente » et tellement touchante de la maladie de leur fille. En fait je crois que j’ai tout aimé, la finesse du propos, ces personnages incarnés à la psychologie tellement bien construite que je ne suis pas près de les oublier. Nombreux sont ceux avant moi à avoir qualifié ce texte de « lumineux ». Je crois que c’est tout à fait ça.

Non, je n’ai pas pleuré en refermant ce livre. Pas même un sanglot dans la gorge. Il n’empêche. Cette magnifique histoire m’a touché, m’a secoué, m’a fait sourire, m’a profondément ému  et a fendu le cœur de pierre que l’on me prête (à juste titre) depuis des années. Un livre dont il ne faut pas avoir peur malgré le terrible sujet qu’il aborde. Un livre que je n’ai pas fini de prêter, assurément.

Nos étoiles contraires de John Green. Nathan, 2013. 330 pages. 16,50 euros.

Les avis de Hérisson ; Leiloona ; Noukette ; Stéphie.




vendredi 22 février 2013

Valentine remède - Jeanne Benameur

Benameur
 © Thierry Magnier 2002
Quand son père et sa mère se disputent, Valentine a beaucoup de chagrin. Un jour où elle se fait mal à la cheville, elle constate que ses parents se précipitent pour la consoler et oublient de se disputer. Alors Valentine devient malade chaque fois qu’elle entend crier dans la maison. D’abord de faux maux de ventre qui se transforment peu à peu en véritable douleur puis en vomissements. Seule la tendresse d’une maman pourra l’apaiser ainsi que la certitude que « les disputes, c’est pas si grave, elles passent... »

Un petit texte de rien du tout. Trois fois rien. Et pourtant la prose de Jeanne Benameur fait mouche. Pas besoin de grands effets de manche pour décrire la douleur de cette enfant qui intériorise son angoisse au point de s’en rendre malade. Quelques jolies phrases, une parabole autour d’un petit oiseau et le tour est joué. Du grand art !    

Valentine remède de Jeanne Benameur. Thierry Magnier, 2002. 46 pages. 5,10 euros. A partir de 9 ans.

Un billet qui signe ma seconde participation
au challenge Jeanne Benameur de Noukette


jeudi 21 février 2013

Ma nouvelle vie - Isabelle Lortholary

Lortholary © Casterman 2012
Violette vit seule avec sa mère à Paris. Quand cette dernière lui annonce qu’elles vont déménager dans l’Ariège, le coup est rude à encaisser. Quitter ses copains et la grande ville pour se retrouver dans une vieille baraque nichée au cœur d’un petit village, voila une perspective qui n’enthousiasme pas la jeune fille. Pour autant, la découverte de la vie rurale lui réserve de bien belles surprises et peu à peu Violette apprivoise son nouvel environnement au point d’oublier définitivement Paris sans aucun regret.  

Un roman jeunesse trop simple et trop simpliste. Trop simple parce que Violette accepte avec facilité le départ de la capitale annoncé quasiment la veille du déménagement. Comment peut-elle ne pas sortir de ses gonds et se révolter contre une situation qu’elle trouve intolérable ? Il manque à l’évidence quelques scènes de rébellion pré-adolescente pour pimenter l’ensemble. Trop simpliste ensuite parce que la rivalité Paris/province, qui tourne largement à l’avantage de cette dernière, ne cesse d’accumuler les clichés navrants : dans son village, les commerçants l’appellent par son prénom (la belle affaire) ; dans son village, elle peut se promener seule dans les rues (c’est bien connu les pédophiles kidnappeurs d’enfants n’agissent que près des champs Élysées) ; dans son village, le dimanche, tout le monde met son beau costume, va à la messe puis déjeune en famille (dans les années 50 peut-être mais aujourd’hui…) ; dans sa classe, ses nouveaux camarades trouvent qu’elle est toujours habillée à la mode (évidemment puisqu’elle vient de Paris alors que, c’est bien connu, les cul terreux se fringuent comme des sacs à patates) ; et quand elle écrit à son ancienne école, personne ne prend la peine de lui répondre (c’est bien connu les parisiens sont de sales individualistes qui ne pensent qu’à eux alors qu’en province l’altruisme est un art de vivre).

Vous l’aurez compris ce texte m’a profondément agacé, d’une part parce qu’il est d’un parti pris aussi flagrant que ridicule (je le dis d’autant plus facilement que je ne suis pas du tout parisien) et d’autre part parce qu’il est cul-cul la praline en diable. Et ce jusqu’à la dernière phrase, puisqu’il se termine au moment où la mère de Violette lui propose de partir une semaine en vacances et que la gamine refuse, préférant rester au village pour lire dans le grenier de la vieille maison au milieu des araignées. Bien sûr, bien sûr…

Ma nouvelle vie  d’Isabelle Lortholary. Casterman, 2012. 84 pages. 6,75 euros. A partir de 9 ans.

mercredi 20 février 2013

Black Hole - Charles Burns

Burns © Delcourt 2006
Chris et Keith sont deux lycéens vivant dans la région de Seattle au beau milieu des années 70. Tous deux vont contracter une MST qui fait des ravages parmi la jeunesse locale. La Crève (c’est le nom de cette maladie) provoque des mutations physiques aussi aléatoires qu’incontrôlables et transforment ceux qu’elle contamine en abominables freaks. Pour ne pas subir la vindicte de la population qui les rejette, les malades se réfugient en forêt et vivent en groupe, condamnés à la marginalité. D’abord bien décidés à cacher leur situation, Chris et Keith vont peu à peu sombrer à leur tour, incapables de gérer les conséquences physiques et morales engendrées par la Crève.
    
C’est Cristie qui m’a donné envie de découvrir cette œuvre majeure de la BD made in USA. Black Hole est un roman graphique fleuve d’une richesse incroyable. Charles Burns y décrit, sous couvert d’un récit à dominante horrifique, l’enfer de l’adolescence : transformation des corps, éveil du désir, peur de l’avenir, violence des rapports sociaux, rien n’est épargné à ces jeunes lycéens en perdition. Sans doute pas un hasard si le récit se déroule pendant les années 70. Burns veut tirer un trait définitif sur le Flower Power de la décennie précédente. Le monde n’est pas paix et amour, les jeunes n'ont aucune perspective et les drogues sont souvent le point de départ de mauvais trips où les éléphants roses sont remplacés par d’insupportables cauchemars. Malgré ce nihilisme assumé, Black Hole garde une incontestable part de poésie. Une forme de romantisme à l’ancienne, noir, désespéré, crépusculaire. Le dessinateur a lui-même qualifié son œuvre de « romance d’horreur ». C’est incontestablement la définition la plus juste. 
     
La force du récit tient aussi pour beaucoup dans le trait glacé de Burns. Un noir et blanc d’une vertigineuse profondeur qui vous plonge au cœur des tourments de ces ados attachants. Le découpage est pourtant simplissime mais les figures torturées, souvent montrées en gros plan, et le traitement hallucinatoire de certaines scènes ont quelque chose de fascinant. Une espèce d’attirance malsaine, presque morbide, qui hypnotise.  

A l’évidence, Black Hole est une œuvre incontournable de ces quinze dernières années. Un pavé qui se dévore à pleines dents et qui ne s’oublie pas de sitôt.               


Black Hole de Charles Burns. Delcourt, 2006. 368 pages. 29,95 euros.

Les avis de Mango, Cristie, Mo', Yvan


Burns © Delcourt 2006


Eisner Award 2006 du meilleur album (réédition)






lundi 18 février 2013

Sans même nous dire au revoir - Kentarô Ueno (Kana)

Ueno © Kana 2011
« A tous mes lecteurs français. En réalité, j’aurais préféré que l’on fasse connaissance avec un manga plus joyeux, mais malheureusement, celui que vous tenez entre les mains est empreint d’une grande tristesse. Certaines personnes pourront trouver son propos trop « cru » et, de ce fait, ressentir pour lui de l’aversion. Cependant, au-delà des questions de goût pour ce manga, la mort est inévitable pour tout le monde. J’ai donc dessiné ce manga, persuadé qu’il trouvait là sa raison d’être. »

Un préambule de l’auteur pas si anodin tant le sujet qu’il aborde est sensible. Kentarô Ueno raconte dans ce manga le décès de sa femme et le deuil qui s’ensuivit. Le 10 décembre 2004, à minuit, le mangaka trouve sa chère Kiho allongée dans la cuisine, face contre terre. Une crise cardiaque foudroyante. Malgré l’arrivée des secours, elle ne pourra être réanimée.

Ueno décrit avec minutie les heures, les jours, les semaines et les mois qui ont suivi. La préparation de la crémation, la venue de la famille, le dernier adieu. Le retour à la maison avec l’urne contenant les cendres. L’homme est brisé par cette tragique disparition. Il se replonge dans les souvenirs, effrayé à l’idée d’oublier son grand amour, la mère de son enfant, âgée de 10 ans à l’époque des faits. Beaucoup de dignité dans ces pages pas racoleuses pour deux sous. A aucun moment Ueno ne cherche à tirer des larmes au lecteur. Il veut juste  revenir sur le long cheminement lui ayant permis, peu à peu, de se reconstruire. Kiho était une femme fragile, sujette à de terribles crises d’asthme et souffrant d’une profonde dépression. Pourtant il n’avait de cesse de la supporter et de l’aider : « Pouvoir être ensemble nous rendait heureux. Dans les moments difficiles, c’est merveilleux d’avoir un nom à murmurer, m’avait dit Kiho. Autrefois, ce nom me servait de lumière dans l’obscurité. C’est si dur, il n’y rien à faire. »    
   
L’honnêteté et la simplicité du propos rendent ce récit autobiographique bouleversant. Une justesse de ton à priori impossible à trouver. Il aurait été si facile de donner dans le mélo pur et dur pour faire pleurer dans les chaumières. Ueno ne cède jamais à cette tentation. Sans doute parce que ce manga n’a pas été réalisé à chaud mais avec quelques années de recul. Il sonne à la fois comme un dernier hommage et une thérapie cathartique nécessaire pour, enfin, pouvoir avancer. Sans doute le manga le plus mature qu'il m'ait été donné de lire jusqu'à présent.

« Merci d’avoir été » est-il écrit au début du recueil. Une épitaphe que j’aimerais voir figurer sur ma tombe.        
Je dois la découverte de ce one shot à Tristan, nouveau chroniqueur manga de la revue Les années. Il a présenté deux titres pour l’instant (le 1er était La plaine du Kantô de Kazuo Kamimura) et à chaque fois il a tapé dans le mille en ce qui me concerne. Vivement le prochain numéro !

PS : son billet est tellement mieux que le mien que je vous le mets ci-dessous.     

Sans même nous dire au revoir  de Kentarô Ueno. Kana, 2001. 272 pages. 12,70 euros. 

Ueno © Kana 2011






samedi 16 février 2013

Les remèdes du docteur Irabu - Hideo Okuda (Wombat)

Okuda © Wombat 2013
Il faut vraiment avoir perdu tout espoir pour se rendre en consultation chez le docteur Irabu. Ce psychiatre obèse qui vit encore chez sa mère et roule dans une Porsche caca d’oie vous accueille en vous proposant d’emblée une piqûre sans même savoir ce qui vous amène. Ladite piqûre est effectuée par Mayumi, infirmière sexy en diable, un poil exhibitionniste et aussi froide qu’un glaçon. Le rituel est immuable, à chaque visite une piqure. Il faut dire qu’Irabu, en vrai fétichiste, bave et est excité comme une puce en voyant l’aiguille s’enfoncer dans la chair. A un patient en érection depuis des jours n’arrivant pas à calmer sa crise de priapisme, il balance un terrible coup de genou dans l’entrejambe comme base du traitement. Aucun effet bien entendu, si ce n’est une douleur abominable pour le patient et un éclat de rire pour le lecteur (même si j’ai aussi grimacé et serré les dents en découvrant ce passage). Dans les quatre autres nouvelles du recueil, on croisera une jeune femme narcissique persuadée d’être suivie en permanence par des pervers, un lycéen accro à son portable, un fumeur souffrant de toc et craignant dès qu’il sort de chez lui d’avoir oublié un mégot mal éteint dans son cendrier ou encore un homme tellement obsédé par la natation qu’il finit par mettre son couple en danger. 

Tous ces gens débarquent dans son bureau en pleine crise et plutôt que de chercher à régler le problème, Irabu commence par encourager le patient à entretenir son malaise. En fait, le médecin souhaite le pousser à bout pour qu’il se rende compte par lui-même de la pathologie qui le touche et puisse y apporter la solution appropriée. On ne cesse en découvrant ses pratiques de se demander si le docteur Irabu est un génie ou un parfait crétin. J’avoue qu’en refermant le recueil je suis incapable de me faire un avis définitif sur la question.

Une bien belle surprise. C’est drôle, barré à souhait comme j’aime et puis l’écriture est simple et coule toute seule, un vrai plaisir. Sans compter que l’air de rien Hideo Okuda appuie là où ça fait mal en abordant quelques névroses assez caractéristiques de la société japonaise.

Trois recueils des aventures du docteur Irabu ont été publiés au Japon. Le second a remporté le prestigieux prix Naoki en 2004. La série, avec plus d’un million d’exemplaires vendus a connu un énorme succès dans son pays d’origine et a été adaptée à la télé, au cinéma et en manga. Grâce aux éditions Wombat, il est maintenant possible de la découvrir chez nous. Franchement, si vous aimez les personnages aussi désopilants qu’improbables, il serait dommage de vous en priver.   

Les remèdes du docteur Irabu d’Hideo Okuda. Wombat, 2013. 282 pages. 20 euros.