lundi 7 février 2011

Les Mendiants des mers, tome 1 : Le Sceau de Ran

A l’aube de ses 16 ans, Rol Cortishane est chassé de l’île sur laquelle il a grandi par des villageois qui accusent sa famille de sorcellerie. Juste avant de mourir, son grand père lui ordonne de se rendre à Ascari pour trouver refuge auprès du mage Psellos. Prenant la mer en pleine nuit sur une embarcation de fortune, Rol parvient à rejoindre Ascari. Accueilli dans la tour de Psellos par la belle Rowen, il devient domestique au service de celui que son grand père lui a recommandé. Formé par Rowen à l’art des assassins, il découvre que le sang qui coule dans ses veines est celui de Ceux d’Avant, des créatures très anciennes considérées par certains comme des anges déchus. Ce lourd héritage va conduire le jeune homme à s’exiler sur les mers pour tenter de laisser derrière lui un passé qu’il veut oublier.

Le sceau de Ran, c’est de la fantasy ultra classique, même si le texte a la particularité de se composer de deux parties très distinctes. La première ressemble à un roman d’initiation : Ran découvre un nouvel environnement, vit ses premiers émois sexuels, tombe amoureux, prend conscience de ses capacités particulières et du destin extraordinaire qui l’attend. C’est la partie qui a le plus de profondeur. Le héros doute et se construit, la description de la vie et du fonctionnement politique d’Ascari permet de mieux appréhender la richesse de l’univers présenté et les personnages secondaires de Rowen et Psellos sont assez fascinants. Dans la seconde moitié du roman, l’intrigue devient uniquement de l’aventure au long cours avec succession d’affrontements sur terre et sur mer et enchaînement d’événements plus trépidants les uns que les autres. Du pur divertissement, sans autre véritable prétention.

Un texte à la construction originale donc, qui se lit d’une traite. Rien de révolutionnaire certes, mais du travail bien fait. L’auteur connaît sur le bout des doigts l’univers maritime et le récit est truffé de termes de marine plus techniques les uns que les autres. Personnellement, cela ne m’a pas gêné le moins du monde, même si je n’y connais strictement rien en vocabulaire marin. Le seul souci, dans la seconde partie, concerne le coté « superhéroïque » de Rol. Dès que la situation devient désespérée il se transforme en une sorte de « Hulk » invincible. Limite ridicule, cela enlève tout intérêt aux combats. Le héros n’est pas suffisamment fragile, il souffre à peine à la fin de la bataille et l’on sait que rien ne peut lui arriver grâce à son super pouvoir. Difficile, dans ces conditions, de développer une quelconque empathie pour un tel personnage lorsque l’on ce rend compte que finalement rien de bien méchant ne peut lui arriver.

Reste que ce premier tome laisse présager d’intéressants développements par la suite. Les retrouvailles avec Rowen s’annoncent sulfureuses et les affrontements avec les bionariens devraient se multiplier. Une saga de fantasy à découvrir donc, même si le second volume n’est pas encore prévu en France.

Les mendiants des mers T1 : le sceau de Ran, de Paul Kearney, Le Livre de Poche, 2010. 426 pages. 6.95 euros.

L’info en plus : Au départ, Les mendiants des mers devaient compter quatre tomes, mais après la publication du second, l’éditeur anglo-saxon a décidé d’arrêter la série alors que le troisième volume était entièrement rédigé. Comme depuis Paul Kearns a attaqué une nouvelle saga intitulée The Macht, il y a fort à parier que l’on ne connaisse jamais le fin mot des aventures de Rol Cortishane.

Ouvrage lu dans le cadre d’un partenariat entre Livraddict et le Livre de Poche. Merci à eux !

vendredi 4 février 2011

Mon papi

Ah, ce Papi ! Heureusement qu’il est là. Quand je perds mon doudou ou mon livre préféré, c’est à lui que je peux confier mon chagrin. Le jour où j’ai fait percer mes oreilles, c’est lui qui m’a accompagné et a chanté une berceuse pour calmer ma douleur. Et quand ma première dent est tombée, il n’y a que lui qui a pu m’approcher et me rassurer. Papi, il vivait tout seul dans une grande maison avec son chien Biscotte. Mais il a dû déménager dans un endroit bien particulier où il y a plein de gens de son âge. Et là, c’est lui qui est devenu inconsolable, loin de sa maison et surtout de son chien. J’ai beau lui rendre visite tous les jours, impossible de le consoler, Papi ne sera plus jamais le même…

Y-a-t-il des albums de littérature jeunesse qui peuvent faire pleurer les enfants ? Si vous pensez que la réponse est non, lisez-donc celui-là et on en reparle après. En fait, la question à se poser concerne plus le sens de la démarche des auteurs. Le pire serait de tomber gratuitement dans le pathos le plus dégoulinant. Ici, il me semble que ce n’est pas le cas, même si on en n’est pas loin. Le but est plus de faire comprendre à l’enfant que rien n’est immuable, qu’avec le temps qui passe notre entourage et notre environnement le plus proche peut vite être bouleversé. Papi ne meurt pas mais sont état ne lui permet plus de rester chez lui. Cette situation est terrible, triste mais sans doute aussi inéluctable. C’est tout à la fois le problème de la dépendance et de la façon dont on traite la vieillesse dans nos pays occidentaux qui est abordé en filigrane.

Pour être honnête, si je trouve le texte touchant, je reste totalement hermétique face aux illustrations. Elles sont certes très évocatrices de la tendresse et de la douleur partagées par le grand père et sa petite fille mais je n’accroche pas du tout à ces collages où mouvements des personnages et proportions sont trop "biscornus". C’est un avis tout ce qu’il y a de plus personnel et je ne doute pas qu’il y ait des amateurs pour ce genre de traitement graphique si particulier.

On ne tombe pas tous les jours sur un album dont le l’histoire peut remuer grands et petits. Après, c’est une affaire de sensibilité. Je l’ai lu à ma fille de 5 ans qui va plusieurs fois par mois voir son arrière grand-mère à la maison de retraite. Sa première réflexion à la fin de la lecture a été de me dire : « Dis donc papa, qu’est-ce qu’ils pleurent les gens dans ton livre ».

J’aimerais beaucoup avoir d’autres avis concernant cet album. Malheureusement, il semble indisponible chez l’éditeur depuis quelques semaines. En attendant une éventuelle réimpression, espérons qu’il soit facilement trouvable en bibliothèque.

Mon papi, de David Bouchard et Josée Bisaillon, Les 400 coups, 2009. 32 pages. 13,90 euros. A partir de 5 ans.

L’info en plus : Mon papi fait partie de la sélection du prix Chronos 2011, catégorie maternelle. Ce prix, créé en 1996 par la Fondation Nationale de Gérontologie, propose aux participants de lire des ouvrages ayant pour thème les relations entre les générations, la transmission du savoir, le parcours de vie, la vieillesse et la mort. Plus d’infos sur le site du prix : http://www.prix-chronos.org/index.htm

jeudi 3 février 2011

Concours Ernest et Rebecca



Suite à la publication du billet présentant l'univers d'Ernest et Rebecca, je vous propose de gagner ce mois-ci les tomes 1 et 2 de la série. Plus exactement, le premier nom qui sortira du chapeau gagnera le magnifique fourreau sorti à l'occasion des fêtes de fin d'année et regroupant ces deux tomes alors que les deux suivants remporteront uniquement le tome 1.  Il y aura donc trois gagnants en tout (j'espère que vous arrivez à suivre parce que je n'ai pas l'impression d'être très clair...).

Comme d'habitude, 3 questions, 3 bonnes réponses et le tour est joué.

Le personnage ci-dessous est le héros d'une série de Strips publiés par Guillaume Bianco dans les suppléments du journal Spirou. Quel est son nom ?

a) Gloupik
b) Hot Dog
c) Epictète

Je suis un oiseau tout noir et un brin philosophe. Je suis, je suis...


Comment s'appelle le médecin souffre-douleur de Rebecca ?

a) Dr Mamour
b) Dr House
c) Dr Fakbert


Dr House, vous êtes sûr ?

Dans le troisième tome de la série qui vient de sortir, Rebecca passe ses vacances chez ses grands parents, Pépé Bestiole et Mémé...

a) Tambouille
b) Débrouille
c) Gribouille


Vous avez jusqu'au jeudi 10 février 2011 à minuit pour participer. Les réponses sont à envoyer à l'adresse suivante : dunebergealautre@gmail.com

Les belges, les suisses, les québecois, les habitants des Dom/Tom et tous les membres de l'union europénne peuvent participer.










mercredi 2 février 2011

Ernest et Rebecca

Rebecca a six ans et des défenses immunitaires plutôt faiblardes. Résultat, elle passe la plupart de son temps couchée au fond de son lit avec de la fièvre. A la maison, il y a Coralie, sa grande sœur de 14 ans, ado rebelle qui reste le plus souvent enfermée dans sa chambre et bien sûr papa et maman. Mais ces derniers temps, ils se disputent tout le temps. A tel point que papa a déménagé chez son frère.

Un jour, alors qu’il pleut à verse, Rebecca décide d’aller dans le jardin chasser les grenouilles. Mais plutôt que de trouver des batraciens, elle se retrouve nez à nez avec Ernest, un microbe qui va devenir son meilleur ami. Ernest, c’est le genre de microbe qui vous veut du bien, un peu comme les vaccins qui provoquent des réactions immunitaires positives. Du coup, quand le virus de la varicelle ou celui du tétanos s’approchent trop près de la petite fille, Ernest intervient pour éviter toute propagation. Et puis, comme Rebecca vit très mal la séparation de ses parents, heureusement que son microbe préféré reste à ses cotés pour l’aider à affronter cette difficile épreuve.

Avec Ernest et Rebecca, Guillaume Bianco montre une nouvelle facette de son incroyable talent. Toujours cette vision si particulière de l’enfance, entre rêverie et dure réalité, entre légèreté et réflexion plus dense. Rebecca est une enfant seule par la force des choses (parents souvent absents et grande sœur qui a d’autres préoccupations). Elle est fragile et espiègle, peut devenir insupportable ou se transformer en pile électrique en un quart de seconde. Une gamine touchante, très affectée par la séparation de ses parents et l’arrivée de Sam, le nouveau petit ami de sa maman. Dans le troisième volume qui vient de sortir, la série gagne en épaisseur. En vacances à la campagne, Rebecca découvre la vie sous un autre jour et apprend tout un tas de chose sur la nature et les étoiles grâce à son Pépé Bestiole. Un tome qui conjugue la poésie de Jojo (Geerts) et des décors ruraux dignes des Souvenirs de Mamette (Nob).

Dans une interview publiée le mois dernier dans le magazine DBD Guillaume Bianco définit à merveille l’esprit de sa série : « c’est une série amusante où les enfants peuvent se reconnaître, tout en trouvant parfois des solutions à leurs problèmes. Je regrette toutes ces séries qui ne sont que divertissement. Tout comme je regrette les BD inaccessibles dès la couverture. Modestement, j’essaie de mixer les deux, c’est-à-dire un scénario avec un peu de profondeur, illustré par un dessin accessible à la Disney ou très manga. »

Tout est dit. Ernest et Rebecca est une magnifique série, tout en tendresse. Un régal pour petits et grands dès 8 ans.

PS : Petite info pour ceux qui vont lire ce billet aujourd'hui : si cette série vous intéresse, revenez faire un tour par ici demain car le concours du mois de février vous permettra peut-être de gagner le tome 1 et le tome 2 !


Ernest et Rebecca de Guillaume Bianco et Antonello Dalena, Le Lombard. 46 pages. 10.45 euros. A partir de 8 ans.




L’info en plus : Le dessinateur Antonello Dalena publie aux éditions du Lombard une autre série mettant en scène jeune fille, scénarisée par Rodrigue. Sybil la fée cartable narre les aventures de Nina, une ado qui découvre un jour une fée en ouvrant sa trousse dans la salle de classe. Une série jeunesse pleine de fraîcheur et très girly dont le 3ème tome doit sortir ce mois-ci.





La BD du mercredi


Le challenge Pal sèche de Mo'

lundi 31 janvier 2011

American Falls

Un enfant invité à une fête d’anniversaire va se mettre tous les participants à dos. Une jeune mexicaine est tuée par un junkie. Un serial killer rentre dans sa chambre crasseuse après avoir commis l’irréparable. Un ado tombe amoureux de sa baby-sitter et fugue avec elle avant de commettre un hold-up. Des culs-terreux du fin fond du Mississipi s’entretuent dans un road house un soir de concert. Voila juste quelques exemples de nouvelles contenues dans ce recueil de Barry Gifford. Il y en a bien d’autres, à l’ambiance totalement différentes : certaines se déroulent en Tunisie, en Egypte, en France, en Italie… Mais les plus pertinentes sont celles qui radiographient le déclin de l’Empire américain.

Barry Gifford est l’auteur culte de Sailor et Lula. C’est lorsqu’il se transforme en chroniqueur des maux de son pays que son œuvre prend une dimension époustouflante. Le problème de ce recueil c’est qu’il y a trop de différences entre les textes. A tel point que l’on se demande si l’on n’est pas dans un ouvrage collectif tant l’ensemble apparaît hétéroclite. Tout cela ressemble à du collage d’éléments tellement disparates qu’il est difficile d’y déceler un quelconque fil conducteur. Autre point important, le fait que Gifford aime faire basculer ces textes dans les toutes dernières phrases. Un peu comme un peintre qui, après s’être consciencieusement appliqué sur sa toile, la déchire à coup de cutter.

Un recueil étrange donc, un peu bancal. Néanmoins, je suis content d’avoir découvert un auteur américain d’importance qui porte un regard acéré sur la décrépitude de la nation américaine. Pour finir et vous donner un aperçu du contenu, je vous mets ce petit extrait qui est en fait la quatrième de couverture. C’est d’ailleurs suite à la lecture de ce texte que je me suis décidé à acheter le livre, même si au final, ce n’est qu’une infime facette du recueil et de sa très grande variété.

« Tico Mariposa emmena Cookie Cruz dans sa chambre, au-dessus du bar Buena Suerte, au coin des avenues 16 de Septiembre et Pancho Villa. Fatiguée après sa journée de travail, Cookie n'était pas pressée d'aller préparer le dîner pour sa mère; alors, elle accepta le shoot qu'il lui proposa. A un moment, elle tomba dans les pommes ; quand elle se réveilla, Tico était en train de la violer. Elle se mit à crier si fort qu'il lui flanqua son poing droit dans la mâchoire. Elle saignait et pleurait ; Tico la retourna pour essayer de la lui coller dans le cul.

Cookie se traîna à quatre pattes, saisit une petite lampe sans abat-jour et la balança derrière elle, dans la figure de Tico ; l'ampoule vola en éclats. Tico lâcha Cookie ; elle se releva d'un bond mais, trop étourdie par la drogue pour tenir sur ses pieds, elle retomba et le regarda. [...] Tico se redressa sur les genoux, enleva lentement les morceaux de verre de sa figure. Puis il tendit le bras et saisit un pistolet qu'il pointa sur elle. »

Extrait de « Deux récits de frontière ».

American Falls, de Barry Gifford, 13e note éditions, 2009. 240 pages. 19,00 euros.

L’info en plus : Les éditions 13e note ont publié en septembre 2010 un roman de Gifford intitulé Une éducation américaine. L’histoire, à Chicago dans les années 1950-1960, de Roy, enfant de parents divorcés qui s'entend mal avec ses beaux-parents successifs et mène, très jeune, une double existence : celle d'un écolier sage, et celle d'un jeune adulte travaillant le samedi pour gagner un peu d'argent de poche et aider sa mère.



mercredi 26 janvier 2011

Coeur de glace

Le carrosse dans lequel se trouve la petite Gerda est attaqué sur un chemin de campagne par des ogres. Avant d’être dévorée par ces derniers, elle se lie d’amitié avec une enfant ogresse et lui raconte son histoire. Depuis des années, Gerda est sur les routes à la recherche de son ami Kay. Celui-ci a un jour été enlevé par la Reine des Glaces et depuis, Gerda se dirige vers le nord car elle pense que c’est là-bas que se trouve le palais de la Reine. Avant d’atterrir chez les ogres, elle a dû s’enfuir du jardin d’une vieille sorcière qui voulait la transformer en plante et elle a involontairement détruit le château d’une princesse qui était en réalité un horrible monstre. Lorsque son amie ogresse la relâche, Gerda peut enfin accomplir sa quête et retrouver Kay. Mais le garçon est-il toujours celui dont elle rêve ?

Marie Pommepuy et Patrick Pion ont choisi de s’attaquer à l’un des plus célèbres contes d’Andersen pour mieux le dynamiter. Des sept parties originelles de La Reine des neiges, les auteurs n’ont gardé que les épisodes pouvant être clairement mis en images : l’attaque des brigands, l’enlèvement de Kay, la sorcière du jardin, la princesse tyrannique… Mais si Andersen proposait un conte somme toute assez classique avec des méchants finalement assez bienveillants, Pommepuy et Pion donnent une vision macabre, étrange et sombre en écartant ce qu’ils considèrent être des bondieuseries inutiles : diable, anges, cantiques, prières… Leur version très librement adaptée se révèle effrayante et la fin, pleine d’amertume face à la réalité des choses, ne laisse aucune place à l’optimisme. Disons que la maxime finale de cet anti-conte de fées pourrait être : « Ils ne vécurent pas heureux et n’eurent jamais aucun enfant. »

Patrick Pion a jusqu’alors publié des séries où l’influence graphique était à chercher du coté des comics (Megaron ou Chrome). Il change ici totalement de registre pour proposer des planches dans un style « gravures d’avant la BD », entre vieux livres illustrés et images d’Epinal. Des couleurs plutôt ternes, une ambiance angoissante et torturée que certains pourront qualifier de gothique. Le coté pesant des épreuves que doit subir Gerda est en tout cas parfaitement rendu. Une histoire sombre, très sombre, voila ce qui se cache derrière ce Cœur de glace

Une adaptation très moderne et très personnelle dont certains aspects pourront déranger plus d’un lecteur. A ne pas mettre entre toutes les mains donc, et surtout pas celles des enfants.

Cœur de glace, de Marie Pommepuy et Patrick Pion, Dargaud 2011. 70 pages. 14.95 euros.





L’info en plus : Marie Pommepuy est plus connue sous le pseudonyme de Kerascoët, signature qu’elle utilise pour les projets menés à quatre mains avec son compagnon Sébastien Cosset. Leur série Miss pas Touche a notamment été récompensée en 2007 par le prix Jeune talent de la BD décerné par les magasins Virgin. Le second tome a quant à lui fait partie des 20 indispensables de l’année 2007 sélectionnés par les membres de l’ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande dessinée).





La BD du mercredi, c'est chez Mango


Le challenge Pal sèche de Mo'

Ma 1ère contribution au challenge Women BD de Theoma


lundi 24 janvier 2011

Le trottoir au soleil

Le bonheur de faire son marché le dimanche matin. Et cette sieste que l’on s’autorise en semaine au milieu de l’après-midi alors que les autres sont en plein boulot. Sans oublier le petit tour chez le brocanteur, les chaises du jardin du Luxembourg ou bien encore ce repas en terrasse, un soir d’été, dans une station balnéaire vendéenne…

Entre apologie de l’oisiveté, joie simple de la contemplation, déambulations tranquilles et réflexions générales sur l’ordre des choses, Philippe Delerm distille avec délectation ces plaisirs minuscules qu’il affectionne. Autant d’instantanés où le décor est planté en quelques mots. Bien souvent c’est une question d’ambiance, de ressenti ou alors un simple flash back sur des moments délicieux.

Le trottoir au soleil, c’est du Delerm pur jus. L’auteur de La dernière gorgée de bière va là où on l’attend. Les fans seront comblés et ses détracteurs ne risquent pas de changer d’avis sur son compte. Bien sûr, c’est assez inégal, mais la déception de tomber sur quelques lignes un peu fades ne dure jamais longtemps. L’intérêt de l’exercice, pour le lecteur, c’est que si un texte ne nous accroche pas, on peut très vite rebondir sur le suivant. En fait, on ne sait jamais où se cache la pépite, ces deux ou trois pages parfaitement ciselées qui vont nous procurer un rare plaisir. Delerm l’avoue à la fin d’un paragraphe : il se sent dérisoire avec son envie de dire les choses bonnes. Mais cette vision par trop optimiste ou sereine de l’existence fait aussi parfois du bien dans notre quotidien on ne peut plus anxiogène.

Un livre à déguster à petite dose qu’il serait malvenu de dévorer d’une traite. Ce modeste recueil demande une lecture morcelée : dix ou vingt pages et on le referme pour y revenir quelques heures ou quelques jours plus tard. Mon texte préféré ? On n’est pas invité, une réflexion féroce sur ces cérémonies de mariage où les familles des futurs époux se regardent en chiens de faïence. Bénabar en ferait surement une belle chanson !

Le trottoir au soleil, de Philippe Delerm, Gallimard, 2011. 178 pages. 14.90 euros.

L’info en plus : Le même jour que Le trottoir au soleil est sorti en poche (Folio) le précédent roman de Philippe Delerm, intitulé Quelque chose en lui de Bartleby. C’est l’histoire d’Arnold Spitzweg, un employé de la Poste qui créé un jour un blog sur lequel, à contre-courant du discours ambiant, il fait l'éloge de la lenteur. A sa grande surprise, ses écrits intimes séduisent des milliers d'internautes, ce qui le confronte à une subite et inattendue notoriété.

vendredi 21 janvier 2011

Krotokus 1er, Roi des Animaux

Au royaume de Croland, le lion Krotokus 1er règne en tyran absolu. Aidé de sa garde personnelle et de son conseiller le chimpanzé Shita, il terrorise ses sujets, passant son temps à dormir et à se goinfrer dans son Château d’Os. Mais depuis peu, le peuple gronde. Il réclame l’application de la loi : si le roi ne se trouve pas un héritier avant la 13ème lune, il faudra organiser des élections. Pour éviter de perdre son trône, Krotokus a besoin que son fils Pupus se marie au plus vite afin de devenir l’héritier. Le problème, c’est que Pupus, depuis sa naissance, ne s’intéresse qu’aux garçons et passe son temps à jouer avec ses copains guépards.

Shita imagine un mariage blanc entre Pupus et une princesse papillon du pays des Danaïdes. Ainsi, le peuple verra dans le jeune lion son nouveau roi alors qu’il ne sera en fait qu’une marionnette manipulée par son père, ce dernier gardant le royaume entre ses pattes de fer. Le plan semble parfait, mais c’est sans compter sur les hyènes rebelles qui, pour éviter que le mariage puisse avoir lieu, enlèvent la princesse papillon…

Caryl Férey se lance avec Krotokus dans une énorme farce, enchaînant péripéties improbables et aventures trépidantes. Surtout, il dresse une galerie de personnages tous plus truculents les uns que les autres : Krotokus le tyran ridicule, Shita le conseiller sournois, le rusé Renard, l’efféminé Pupus, la naïve princesse papillon et sa servante la vache pâquerette… On a rarement vu un tel casting, même dans les fables de La Fontaine.

L’autre intérêt majeur réside dans le fait que le texte possède plusieurs niveaux de lecture. Pour les enfants, l’humour, l’aventure et la destitution finale du tyran seront les points marquants. Les plus grands verront quant à eux dans l’enchaînement des événements des clins d’œil à l’histoire et même à l’actualité récente : mainmise des patrons sur les salariés (sur l’île des éléphants), protectionnisme exacerbé et lutte contre l’immigration (sur l’île aux vieux) ou encore la recherche de légitimité des régimes dictatoriaux à travers le développement du tourisme (sur l’île de Komodo). Bref, Krotokus est une vraie fable, jubilatoire et fort bien menée, même si la fin apparaîtra peut-être trop simpliste aux adultes. A conseiller en tout cas à ceux qui veulent passer un bon moment de lecture avec une œuvre de littérature jeunesse que l’on pourra partager en famille entre plusieurs générations.

Krotokus 1er, roi des animaux, de Caryl Férey, Pocket Jeunesse, 2010. 219 pages. 14.90 euros. A partir de 9 ans.

L’info en plus : Caryl Férey est aussi et surtout un auteur de polars pour adultes dont le dernier roman, Zulu, a collectionné les récompenses : Prix Nouvel Obs et BibliObs du roman noir 2009 ; Grand prix des lectrices de Elle 2009 (policier) ; Prix Jean Amila 2009 ; Grand prix de littérature policière 2008.

mercredi 19 janvier 2011

De briques et de sang

Janvier 1914. Un crime a eu lieu au familistère de Guise, près de Saint Quentin. On a retrouvé le corps d’Aristide Latouche, un ouvrier, égorgé dans les jardins de l’usine. Lorsque que l’on découvre un mois plus tard le cadavre de la veuve Granger dans la piscine, les familistériens commencent à se regarder en chiens de faïence. Qui ose s’en prendre aux membres de la communauté ? Tandis que la police pense rapidement avoir bouclé l’affaire en arrêtant un suspect, le journaliste de l’Humanité Victor Leblanc va mener sa propre enquête, aidé d’une jeune familstérienne prénommée Ada.

Mais au fait, c’est quoi le familistère ? En 1846, Jean-Baptiste Godin, ancien ouvrier devenu ingénieur et ayant fait fortune dans le domaine du chauffage et des appareils ménagers, s’installe à Guise pour fonder une usine qui emploie plus de 300 salariés. En 1859, il lance la construction du Palais Social, un ensemble de bâtiments pour loger les ouvriers. Le complexe comprend, en plus des logements et de l’usine, une école, une pouponnière, des commerces, des jardins et une piscine. Surtout, les habitants du Palais sont propriétaires à titre collectif de l’ensemble du familistère. Les bénéfices dégagés par l’entreprise chaque année sont redistribués aux familistériens ou investis pour améliorer leur cadre de vie. Le projet de Godin, c’est une sorte d’utopie sociale réalisée. En 1914, le familistère compte près de 1500 habitants et, au seuil de la guerre, les tensions sont palpables chez les ouvriers…

Hautière et François rendent hommage à leur région (la Picardie) et à un incroyable projet industriel et social de la fin du 19ème siècle. La vie au familistère est magistralement restituée : la promiscuité, la solidarité qui se lézarde au fil des événements politiques que connaît le pays, la méfiance des familistériens à l’égard du monde extérieur… tout n’était pas rose au sein de cette communauté si particulière. Et plutôt que de se lancer dans une BD purement didactique racontant l’histoire du Palais Social, ils ont préféré mâtiner leur intrigue d’éléments propres au roman policier. Et ce choix fonctionne car les meurtres et l’enquête du journaliste ne sont pas qu’un prétexte pour éviter le coté parfois scolaire du documentaire. Les motivations du tueur se comprennent parfaitement et cette petite histoire dans la Grande est très finement pensée.

Pour les dessins, David François a modélisé tout le site du familistère en 3D grâce à un logiciel spécifique, ce qui lui a permis de respecter les proportions des bâtiments d’une case à l’autre. Les personnages et les détails sont réalisés sur papier puis scannés avant d’être intégrés dans le décor virtuel. C’est à partir de ce premier jet imprimé que l’encrage est effectué de manière traditionnelle avant une colorisation assistée par ordinateur. Cela donne au final une ambiance graphique sombre aux textures grises et un peu sales qui collent parfaitement au paysage industriel du familistère, au ciel bas de la Picardie et à l’époque troublée à laquelle se déroulent les événements.

S’il fallait chercher dans cette BD une quelconque filiation, il faudrait regarder du coté de Maurice Leblanc ou plus surement chez le Rouletabille de Gaston Leroux. Quoi qu’il en soit, voila une belle occasion de découvrir un pan méconnu de notre patrimoine social, à une époque où l’utopie n’était pas encore un vain mot.

De briques et de sang, de Régis Hautière et David François, KTSR, 2010. 146 pages. 16 euros.



L’info en plus : Régis Hautière et David François ont collaboré pour la première fois en 2006. Dans L’étrange affaire des corps sans vie (éditions Paquet), ils mettaient en scène la traque d’un serial killer en 1898 dans une ville de Province. L’ouvrage est aujourd’hui épuisé mais on le trouve encore facilement d’occasion.



La BD du mercredi, c'est chez Mango

Le challenge Pal sèche de Mo'

lundi 17 janvier 2011

Code 1879

A Londres, suite à une série de meurtres, la police doit faire appel à un généalogiste pour trouver le point commun entre les différentes victimes. Toutes ne se connaissaient pas, toutes sont d’âge et de catégories socioprofessionnelles différentes et toutes n’ont pas été tuées de la même façon, mais on a retrouvé sur chacune d’elle le code 1A137 « tatoué » avec un objet tranchant sur une partie du corps. Or, ce code correspond à ceux utilisés par les services municipaux pour enregistrer les naissances et les décès dans les registres d’état civil. Très vite, le généalogiste se rend compte que le code correspond à celui du certificat de décès d’un certain Albert Beck, poignardé en 1879 au même endroit et le même jour que la première victime du tueur. Apparemment, l’assassin actuel reproduit les meurtres perpétrés par un serial killer londonien de la fin du 19ème siècle. Pendant que la police utilise des méthodes traditionnelles, le généalogiste tente de comprendre le fonctionnement et les mobiles du psychopathe en décortiquant les registres et les archives criminelles du Londres victorien. Une course contre la montre s’engage pour stopper les méfaits du tueur avant que celui-ci achève sa sinistre besogne et ne disparaisse définitivement…

Dan Waddell s’est lancé dans un pari osé en choisissant de faire d’un généalogiste le héros d’une série policière. On pense généralement que la généalogie est un loisir de retraités aux cheveux blancs qui aiment par dessus-tout le silence et la poussière des salles d’archives. Rien de franchement glamour ni de trépidant. Et pourtant, son héros, Nigel Barnes, vous happe littéralement lorsqu’il se lance avec gourmandise sur les traces du tueur en dépouillant les registres d’états civils et les journaux du 19ème siècle. Son imparable méthode, la façon dont l’enquête évolue au fil des découvertes généalogiques et le suspens insoutenable des cinquante dernières pages où tout se joue en fonction du résultat de ses recherches… Il y a là de quoi embarquer le lecteur le plus réticent.

Oh, il y a bien quelques écueils. Déjà, l’écriture (ou la traduction) n’est pas exceptionnelle. C’est correct, sans plus. Ensuite, on peut se demander pourquoi, alors que le compte à rebours avant le dernier meurtre est enclenché, la police ne fait pas appel à d’autres généalogistes pour accélérer les recherches historiques. Enfin, la figure de l’inspecteur chargé de mener l’enquête réunit tous les clichés du genre : un flic bourru et solitaire au passé chargé qui passe son temps libre à boire du vin, on a déjà fait plus original. Mais ces quelques points faibles sont balayés d’un revers de la main lorsque l’on est plongé dans cet implacable mécano où les pièces se mettent en place les unes après les autres avant l’apothéose finale.

Il est injuste de constater qu’un polar d’une telle qualité soit passé complètement inaperçu au moment de sa sortie au mois d’octobre. Sans doute un problème de calendrier. C’est typiquement le genre d’ouvrage à déguster sur la plage en plein été. En tout cas je vous aurais prévenu. On à affaire ici à du très bon dans le genre. Et puis si vous êtes fan de la série télé Cold Case, dites-vous bien que ce Code 1879 est fait pour vous !

Code 1879, de Dan Waddell, Rouergue, 2010. 280 pages. 20 euros.
L'info en plus : Dan Waddell a sorti un second volume des aventures de son généalogiste en août 2009. Espérons que le premier opus aura suffisamment de succès pour que les éditions du Rouergue décident de le publier en france.