mardi 27 mai 2025

Toxique - Matthias Bourdelier

Pervers narcissique, harceleur, passif-agressif, ghosteur, zéro rep, faux romantique, dominateur ou manipulateur compulsif… la diversité des comportements toxiques semble (malheureusement) infinie. À travers une série d’histoire courtes, Matthias Bourdelier met en scène des situations toxiques traitées de façon humoristique. Relations amoureuses, sexuelles, sociales ou amicales, famille, travail, politique, tout y passe, entre absurde et réalisme.

Beaucoup de cynisme dans chaque histoire, une volonté d’appuyer là où ça fait mal, de décrire des situations du quotidien qui exposent la mécanique toxique avec une indiscutable limpidité. Les scénettes se limitent pour la plupart à des conversations entre deux protagonistes. C’est souvent très bavard mais au moins chacun peut développer son argumentaire (et dévoiler d’autant plus sa nature toxique). Le prisme de l’humour et de l’absurde permet une certaine mise à distance par rapport au sujet, même si les comportements inappropriés sautent aux yeux du lecteur sans ambiguïté. 


Niveau dessin, on est clairement dans la veine de Fabcaro et Emmanuel Reuzé qui, esthétiquement, se révèle parfaite pour une telle forme d’humour et un tel format (petit livre carré).

Un recueil foisonnant, qui a le mérite d’aborder un sujet grave sous un angle décalé où le second degré règne en maître.

Toxique de Matthias Bourdelier. Expé éditions, 2025. 145 pages. 17,95 euros. 




Les BD de la semaine sont à retrouver chez Blandine !







lundi 26 mai 2025

L’envers de la girafe - Pascal Dessaint

Gaspard est chargé de la télésurveillance d’un quartier de Toulouse. Lucas est passionné par les girafes et ne supporte plus sa mère grabataire. Zélie l’écolo observe avec rage les bûcherons élaguer les arbres qu’elle admire depuis son balcon, sous le regard inquiet de son compagnon Pierre, expert dans le transport de produits dangereux. Ahmed l’élagueur fait son job sans se poser de question, et tant pis si Zélie le traite de tous les noms. L’homme à la craie, lui, dresse l’inventaire des fleurs de bétons qui poussent au bord des trottoirs et dans les fissures des maisons. Son voisin, obsédé par les pelouses tondues au millimètre, ne supporte pas qu’il laisse son jardin ressembler à une forêt vierge. Autant de personnages qui vont se croiser de plus ou moins près, et sûrement pas pour le meilleur…

Un roman choral à la sauce Dessaint, c’est l’assurance de naviguer en eaux troubles. Personnages loufoques, situation inattendues, tension qui monte crescendo et final pour le mois surprenant, difficile de ne pas se laisser embarquer dans ce tourbillon tragi-comique. Ils sont tellement touchants ces bras-cassés aux combats dérisoires, chercheurs de bonheur illusoire. Les marqueurs de l’œuvre de Dessaint sont évidemment présents, entre solitude, marginalité et humanité. Et comme d’habitude, le fond du récit se double d’une maîtrise narrative ne souffrant d’aucune fausse note. Malicieux, culotté et cruel, cet envers de la girafe m’a permis de retrouver avec plaisir un auteur que j’apprécie particulièrement !

L’envers de la girafe de Pascal Dessaint. Rivages, 2025. 205 pages. 20,00 euros.



mercredi 21 mai 2025

Plus loin qu’ailleurs - Chabouté

« J’ai rêvé de partir, j’ai été contraint de rester… Alors je suis parti en restant. J’ai voulu les quatre coins du monde, j’ai eu les quatre coins de la rue… »

Il est veilleur de nuit dans un parking. Vingt ans qu’il n’est pas parti en vacances, qu’il se lève quand tout le monde se couche, qu’il se couche quand tout me monde se lève. Il n’a jamais vu la tête de ses voisins, n’a jamais dit bonjour à son facteur. Jamais de lumière dans sa vie, à part celle d’une ampoule électrique. Une vie de hibou qui va bientôt connaître une parenthèse enchantée, en Alaska. Quinze jours dans le Klondike, sur les traces des chercheurs d’or du 19ème siècle. La nature sauvage à perte de vue, de quoi en prendre plein les yeux…

Chabouté fait du Chabouté et c’est parfait comme ça ! Un noir et blanc intense et profond, une science du cadrage époustouflante, l’incroyable expressivité des visages, des silences qui en disent bien plus que de longs discours. Et toujours ces variations sur la solitude, l’attention portée à ce qui nous entoure, ces détails insignifiants tellement porteurs de sens pour qui sait les observer. Notre homme s’attarde sur des petits riens, des éléments de décor, des déchets sur le sol, des personnes qu’il ne fait que croiser mais dont il analyse chaque mouvement. Il compile ses notes dans un carnet de voyage merveilleusement poétique. Et puis quoi d’autre ? Eh bien rien de plus. Juste une petite musique qui nous emporte avec douceur et humanité, qui nous pousse à la réflexion sur le quotidien et sa routine aveuglante. 

Qu’il est bon de lire une histoire simple et positive, déroulée avec la maîtrise envoutante qui caractérise l’auteur de Fables amères. Tout en sensibilité, sans un mot ou une image de trop, il fait de l’insignifiant un récit aussi apaisant que passionnant. Chapeau bas monsieur Chabouté !

Plus loin qu’ailleurs de Chabouté. Vents d’Ouest, 2025. 150 pages. 24,00 euros.  


Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Noukette



Toutes les BD de la semaine sont à retrouver chez Noukette








mercredi 14 mai 2025

Les vacances chez pépé-mémé - Guillaume Bouzard

Tout est dans le titre !
En vacances chez pépé-mémé, on s’attache à des animaux qui vont finir dans notre assiette ou en charpie sous les roues du tracteur, on profite du grand air et des toilettes au fond du jardin, on ne fait pas un drame au moindre bobo et on doit composer avec des voisins francs du collier. En plus pépé-mémé n’ont pas beaucoup de temps à accorder à leurs petits-enfants et quand ils acceptent de jouer avec eux, c’est pour tricher à la belotte. Bref, quand on va à la campagne chez Fernand et Colette, les vacances s’annoncent forcément inoubliables, même si la liberté accordée ne se conjugue pas forcément avec le bonheur assuré.

Un album de Bouzard, ça ne se refuse pas. Comme d’habitude, l’auteur de Jolly Jumper ne répond plus a composé une galerie de personnages hilarants. Les grands-parents bien sûr mais aussi le petit Ethan qui enchaîne « les accidents », Paulo le libidineux ou Marie-Claude la commère, tous participent à leur façon au grand n’importe quoi de cet album sans filtre. L’humour est noir, trash, irrévérencieux, parfois très « pipi/caca » et les enfants, maltraités par mère-nature, sont plus souvent rabroués que consolés par leurs aïeux.

Amateurs de finesse et de bon goût, passez votre chemin. Chez pépé-mémé, on rit gras et on ne s’en prive pas. Franchement, ça fait du bien de piétiner à ce point le politiquement correct. D’ailleurs, il y a longtemps que je n’avais pas autant rigolé en lisant une BD !

Les vacances chez pépé-mémé de Guillaume Bouzard. Fluide glacial, 2025. 55 pages. 14,90 euros.



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mercredi 7 mai 2025

Shinkirari : Derrière le rideau, la liberté - Murasaki Yamada

On ne connaît pas son prénom. On sait juste qu’elle est mariée et qu’elle a deux enfants. Son quotidien de femme au foyer se résume le plus souvent à s’occuper du ménage et de sa progéniture, tout en étant au service de son mari dès que celui-ci franchit le seuil de la porte. On la suit pas à pas dans ses colères, sa fatigue, sa charge mentale, ses petits moments de bonheur aussi, parce que le tableau plutôt sombre de sa vie s’éclaire parfois de touches de lumière. Trente-six chapitres en tout, autant de petits rien semés sur le chemin d’une existence dédiée au service des autres avant de penser à soi-même.

Murasaki Yamada, décédée à 60 ans en 2009, est une icône du manga alternatif, adulée notamment par Hayao Miyazaki. Ce recueil regroupe des histoires courtes publiées entre 1981 et 1984, histoires qui oscillent entre deux formes de relations, celle que l’héroïne entretient avec ses enfants et celle qu’elle entretient avec son mari. Mais au final, le sujet central du manga reste la relation fondamentale qu’elle entretient avec elle-même et la façon dont elle juge sa vie de femme au foyer, à la fois éprise de liberté et incapable de s’imaginer très longtemps loin des siens. Une sorte d’autofiction avant l’heure puisque Murumada était elle aussi maman de deux jeunes enfants au début des années 80 et qu’elle vivait dans un appartement identique à celui de son héroïne. Graphiquement le trait est minimaliste, parfois proche de l’illustration de mode. Une forme d’épure et d’abstraction se dégage de sa mise en scène, où les décors restent très peu présents. Un choix esthétique à la fois déstabilisant et plein de charme.

Plus de quarante ans après sa publication, Shinkirari reste une œuvre inclassable, dénonçant tout en délicatesse le patriarcat et dressant avec subtilité, poésie et mélancolie, le portrait touchant d’une femme japonaise sur le chemin de l’émancipation. 

Shinkirari : Derrière le rideau, la liberté de Murasaki Yamada (traduit du japonais par Sara Correia). Kana, 2024. 380 pages. 18,95 euros.







lundi 5 mai 2025

Bastion - Jacky Schwartzmann

Jean-Marc, célibataire nouvellement retraité, profite de la vie lyonnaise à son rythme, sans prise de tête. En tout cas jusqu’au jour où il apprend que son meilleur ami Bernard s’est engagé dans l’équipe de campagne d’Éric Zemmour en vue de la présidentielle. Inquiet pour son copain, Jean-Marc décide de se joindre à lui pour récolter des parrainages. Il n’a certes aucune affinité pour le candidat d’extrême droite mais il ne voit pas de meilleure façon de protéger celui qu’il considère comme son frère. Problème, une fois à l’intérieur de la mouvance zemourienne, Jean-Marc découvre que la branche lyonnaise du parti prévoit des actions d’éclat risquant de mettre en péril la république.

Un pauvre retraité n’ayant rien demandé qui se retrouve associé à des activités criminelles, c’est typiquement le genre de personnage que Jacky Schwartzmann adore mettre en scène. Il ajoute ici une dimension politique en plongeant au cœur de l’ultra-droite lyonnaise. Ce faisant, il décortique avec une précision chirurgicale le fonctionnement d’une telle mouvance et en profite pour dresser, à sa façon unique, les portraits de bras cassés allant du supporter de foot à l’amateur de grosses voitures en passant par l’entrepreneur véreux et le flic ripoux. Le résultat est savoureux, plein de gouaille, sans langue de bois et ponctué de saillies à l’encontre des politiques de tous bords qui font mouche par leur limpide pertinence.

L’auteur de l’inoubliable Mauvais coûts garde une tendresse particulière pour les petites mains, qui agissent sans véritablement appréhender les tenants et les aboutissants de leurs actes. Aucune pitié par contre envers les donneurs d’ordre et les idéologues purs et durs dont le but est clairement de renverser la démocratie pour instaurer une autocratie réactionnaire, raciste et homophobes, entre autres joyeusetés. Bref, du Jacky Schwartzmann pur jus qui me réconcilie avec un auteur dont les dernières publications avaient parfois peiné à me convaincre.

Bastion de Jacky Schwartzmann. Seuil, 2025. 300 pages. 19.90 euros.