vendredi 20 juillet 2012

Kingdom Hearts ou quand Disney se lance dans le manga

Shiro © Pika 2012
Sora vit paisiblement sur une île paradisiaque. Lorsque des êtres énigmatiques font irruption sur l’île pour y semer la désolation, Sora découvre son statut d’élu de la Keyblade, une clé gigantesque aux pouvoirs stupéfiants. Propulsé dans un univers parallèle, il se retrouve dans l’étrange ville de Traverse et va y rencontrer Donald et Dingo. Ces deux-là ont besoin du porteur de la Keyblade pour retrouver le roi Mickey qui a mystérieusement disparu. Commence alors un long périple au cours duquel cet improbable trio va visiter de nombreux mondes issus de l’univers Disney.

Adapté du jeu vidéo éponyme, Kingdom Hearts est une série qui s’adresse clairement aux jeunes lecteurs. Personnellement, je dois avouer que je n’ai pas accroché du tout (en même temps, je n’ai plus grand-chose à voir avec un jeune lecteur, ceci explique peut-être cela). L’intrigue m’a parue confuse en diable et le dessin très fouillis n’aide pas à suivre l’enchaînement des événements. Il faut dire aussi que je ne connais pas du tout le jeu vidéo d’origine, ce qui n’est pas fait pour aider. Quelques points positifs tout de même, notamment le sens de lecture occidental (choisi dès la 1ère publication au Japon), les chapitres très courts qui donnent beaucoup de rythme et l’action omniprésente qui ravira les amateurs de combats épiques, sans oublier le fait que la série ne comptera en tout que 4 tomes et que les deux premiers sont sortis le même jour (idéal pour les impatients).

Pour moi cependant, rien à faire, ce Kingdom Hearts m’a laissé de marbre. Voir Donald et Dingo dans un manga, j’avoue que c’est un petit choc, surtout qu’en ce moment je suis en train de lire les intégrales de Carl Barks (La dynastie Donald Duck) et Floyd Gottfredson (L’âge d’or de Mickey Mouse). Forcément, face à ses deux grands maîtres, le trait d’Amano Shiro fait pâle figure.

Tout cela pour dire que je préfère laisser ce manga au public auquel il s’adresse. Une question de génération sans doute…

Kingdom Hearts T1 d’Amano Shiro. Pika, 2012. 134 pages. 7,05 euros.



Shiro © Pika 2012

mercredi 18 juillet 2012

Le jour où… France info, 25 ans d’actualités

© Futuropolis 2012
En 2012, France info fête ses 25 ans. C’est l’une des seules radios que j’écoute régulièrement (avec France culture et RTL2). Dans l’atelier d’imprimerie que j’ai longtemps fréquenté, France Info tournait du matin au soir. Souvent couverte par le bruit des machines, on arrivait quand même à suivre l’actualité, même épisodiquement. Au milieu des années 90, quand j’étais à la fac, c’est sur France info que j’écoutais en direct le résultat des courses. Cette rubrique hippique a depuis disparu mais à l’époque, si on n’avait pas de minitel, il fallait attendre les journaux du lendemain pour connaître les résultats et les rapports. Bref, tout ça pour dire que j’ai grandi avec France info et que c’est une radio qui me tient à cœur.

Pour fêter les 25 ans de la station, Futuropolis réédite l’album paru en 2007, enrichi d’une cinquantaine de pages. Vingt-sept événements majeurs du dernier quart de siècle sont racontés et illustrés par les plus grands auteurs actuels : David B., Guy Delisle, Kris, Blutch, J-C Denis, Joe Sacco, Baru, Davodeau, Rabaté, j’en passe et des meilleurs. De la fatwa contre Salman Rushdie à l’élection de François Hollande en passant par la chute du mur de Berlin, le massacre de la place Tienanmen, le 11 septembre 2001 ou encore l’élection de Barack Obama, c’est une plongée au cœur de l’histoire la plus récente qui est proposée ici.

Les limites d’un tel exercice sont toujours les mêmes. D’un auteur à l’autre, le traitement du sujet, fort différent, peut séduire ou laisser de marbre. Tout est question de point de vue, chacun s’emparant des événements à sa façon sans forcément donner dans le documentaire. Ce sont d’ailleurs les histoires racontées de manière très personnelles qui m’ont le plus séduit. Ma préférée ? La finale de la coupe du monde 1998 vécue de manière très décalée par J-C Denis. J’ai aussi beaucoup aimé la tempête de décembre 1999 vue par Étienne Davodeau ou encore la canicule de 2003 selon Rabaté.

Graphiquement, c’est un régal. Difficile de faire autrement avec un album regroupant la crème des dessinateurs actuels. Vraiment idéal pour découvrir la grande diversité de la BD d’aujourd’hui.

Au final, Le jour Où… est un recueil dense et varié qui remet sous le feu des projecteurs quelques-uns des plus grands moments d’actualité de ces 25 dernières années. Aussi instructif qu’utile, notamment pour ceux qui ont une mémoire de poisson rouge…

Le jour où… France info, 25 ans d’actualités. Futuropolis, 2012. 265 pages. 25 euros.


Un grand merci à Libfly et aux éditions Futuropolis pour la découverte.


JC Denis © Futuropolis 2012

Kris et Thierry Martin © Futuropolis 2012



lundi 16 juillet 2012

Modeste et Pompon

Franquin © Le Lombard 2006
Rebelote. Après vous avoir présenté l’année dernière quelques incontournables de ma bibliothèque BD, je renouvelle l’opération avec d’autres grands classiques de la bande dessinée franco-belge d’après-guerre. Pour ce qui est de la présentation, je conserve le modèle des billets précédents, toujours inspiré par ce que propose l’excellent PG Luneau sur son blog. Allez, on attaque cette saison 2012 avec Modeste et Pompon, une série trop méconnue du génialissime André Franquin.

1955. En conflit avec Dupuis pour une sombre histoire de gros sous, Franquin claque la porte de l’éditeur de Spirou et trouve refuge chez Raymond Leblanc, responsable du journal de Tintin. Pour Leblanc, l’arrivée de Franquin est une aubaine, l’occasion rêvée d’instaurer un peu d’humour dans une publication jusqu’alors exclusivement dédiée aux séries d’aventure. En guise de préambule, le dessinateur ne reçoit que de vagues recommandations : pas de vulgarité et pas de gamins des rues, ce créneau étant déjà occupé par les Quick et Flupke d’Hergé. Après quelques jours de réflexion, Franquin apporte ses premières planches. Elles mettent en scène un couple non marié dont les relations sont uniquement basées sur l’amitié. Une petite révolution pour l’époque, de telles représentations sociales n’ayant jamais été mises en scène dans la bande dessinée européenne. Modeste et Pompon voient donc le jour dans les pages de Tintin le 19 octobre 1955.

Avec cette série, Franquin se lance dans le gag en une planche, une nouveauté pour lui. Pour seconder Modeste et Pompon, il créé Félix, un cousin représentant de commerce aussi volontaire que maladroit et un trio de neveux toujours prompts à faire des blagues. Plus tard, lorsque Goscinny et Greg signeront les scénarios, ils mettront en scène deux insupportables voisins Dubruit et Ducrin. A partir de cette galerie de personnages bien campée, Franquin va jouer sur le registre plutôt classique de l’humour domestique et s’appliquer à installer sa série au cœur des années 50. Visuellement, il s’attache à retranscrire le modernisme propre à l’après-guerre, notamment en matière de design. Tables, chaises, fauteuils et vases sont fortement inspirés des créateurs italiens de l’époque. Ne souhaitant pas trop s’appuyer sur la documentation, il va rapidement laisser libre cours à son imagination et inventer son propre mobilier. Le résultat est tellement bluffant que des responsables du musée d’art moderne de la ville de Paris vont le solliciter pour commercialiser une série de vases ressemblant à ceux présents dans la maison de Modeste. Le projet restera au stade de l’étude mais il montre à quel point Franquin a révélé à travers cette série d’insoupçonnées qualités de designer.

En 1957, le dessinateur enterre la hache de guerre avec Dupuis et créé pour le magazine Spirou le personnage de Gaston Lagaffe. Problème, son contrat avec Tintin s’étalant sur 5 ans, Franquin doit pendant plusieurs mois mener de front les deux séries. A l’issue de longues négociations, il cède les droits de Modeste et Pompon à Maurice Leblanc en échange de sa liberté. La série, d’abord reprise par Attanasio, passa ensuite entre les mains de nombreux autres dessinateurs (Walli, Loup, Mitteï). Franquin, de son coté, aura réalisé 183 planches entre 1955 et 1959.

Œuvre trop méconnue d’un génial créateur, Modeste et Pompon offre la vision synthétique d’une époque. Rien que pour cela, elle mérite que tout amateur de BD digne de ce nom se penche avec attention sur son cas.

Plus grandes forces de cette série :

• La représentation fidèle et bon enfant d’une époque éprise de légèreté après les années noires de la seconde guerre mondiale.

• La richesse des personnages secondaires qui font tout le sel de la série.

• Les gags signés Goscinny et surtout Greg (on les reconnaît car leur nom apparaît au bas des planches) se révèlent bien meilleurs que ceux imaginés par le seul Franquin. Greg aura réalisé sur cette série près de la moitié des scénarios.

• Le trait de Franquin qui préfigure ce que sera Gaston Lagaffe. A noter par exemple que l’irascible voisin Mr Durcin ressemble trait pour trait à Mr Boulier, le comptable des éditions Dupuis qui n’aura de cesse de réprimander le pauvre Gaston.

Ce qui m’a le plus agacé :

• Le premier album de la série est dans l’ensemble assez moyen. Franquin découvre la mécanique du gag en une planche et le résultat n’est pas toujours à la hauteur. Difficile d’imaginer à la lecture de ces premiers gags qu’il va devenir quelques années plus tard un maître en la matière.

• La reprise de la série par de nombreux autres dessinateurs n’a fait que l’affadir. A tel point qu’aucun des albums « post-Franquin » ne présente à mes yeux un quelconque intérêt.

• Le fait que les albums de Modeste et Pompon signés Franquin ne soient plus commercialisés aujourd’hui. Depuis une intégrale de 120 pages publiée par Le Lombard en 2006 et aujourd’hui épuisée, aucune réédition n’a vu le jour. Scandaleux !


Franquin © Le Lombard 2006

Carte d’identité de la série :

Auteurs : André Franquin
Date de création : 1955
Nombre d'albums : 4 (série terminée)
Éditeur : Le Lombard


dimanche 15 juillet 2012

Le Prince écorché

Lawrence © Bragelonne 2012
A 10 ans, le prince Jorg d’Ancrath a assisté au massacre de sa mère et de son frère par les troupes d’un ennemi juré de son père. Ce dernier n’a pas daigné laver cet affront dans un bain de sang. Ronger par une insupportable soif de vengeance, Jorg a quitté le château de son enfance et a pris la tête d’un groupe de hors-la-loi semant la terreur et la désolation dans le royaume. A bientôt 14 ans, le prince est décidé à rentrer chez lui pour s’emparer de ce qui lui revient de droit. Mais entre traitrise et magie noire, c’est un chemin pavé d’embûches qui l’attend...

Une éternité que ne je ne m’étais lancé dans une saga de Fantasy. Pour moi, c’est un genre trop enfermé sur lui-même, totalement incapable de se renouveler. Pire encore, je déteste la propension des éditeurs à présenter chaque nouvelle trilogie comme un pur chef d’œuvre. Ce Prince écorché n’échappe pas à la règle : « Un premier tome qui marque les débuts fracassants d’un nouvel auteur » (l’éditeur), « Le meilleur livre que j’ai lu de toute l’année » (Peter V. Brett), « Un page-turner sombre et implacable » (Robin Hobb). Ben voyons... Toutes ces tirades dithyrambiques censées prouver au lecteur blasé que cette fois-ci, promis juré, il a entre les mains un livre incontournable, me sortent par les yeux. Je veux bien reconnaître que pour un premier roman, Mark Lawrence s’en tire plutôt bien. Son univers tient debout et son héros est bien campé, c’est un fait. Pour autant, il reste quelques maladresses. Les dialogues sonnent parfois creux, il y a quelques longueurs et les scènes d’action, un brin mollassonnes, sont loin d’égaler celles de David Gemmel (Waylander).

En fait, je crois que ce qui m’a séduit au départ, c’est le coup de la bande de hors-la-loi sanguinaires. J’ai fait un rapprochement avec les fameux coquillards de Villon et je me suis laisser tenter. Problème, le prince Jorg n’a rien à voir avec le célèbre poète. C’est un sale gosse bouffi d’orgueil et absolument insupportable. Tellement tête à claque que l’on en viendrait presque à souhaiter sa disparition dans les pires tourments. Pour le coup, il s’agit là d’une certaine originalité. Autre originalité, les références à des auteurs comme Platon et Sénèque ou encore à la Bible. Du coup, on en vient à se demander si le monde de Jorg n’est pas une vision du futur où la Terre serait retombée en plein Moyen-âge après une catastrophe nucléaire. Un peu comme dans la planète des singes, quoi.

Le Prince écorché signe donc le début d’une énième épopée de Fantasy tout ce qu’il y a de plus classique. Ce n’est pas en soi un gros problème, pour peu que le lecteur sache d’emblée qu’il ne va pas tomber sur le chef d’œuvre annoncé. Pour ma part, vous l’aurez compris, j’en resterais à ce premier tome.

Le Prince écorché, de Mark Lawrence, Bragelonne, 2012. 382 pages. 21 euros.

samedi 14 juillet 2012

Marineman 1 : Une question de vie ou de mer

Churchill © Glénat 2012
Steve Ocean est un océanographe devenu présentateur d’une émission de télé à succès. Mais sous cette chevelure blonde, ce sourire ultra-bright et ce corps bodybuildé se cache un lourd secret. Steve, recueilli enfant sur une plage par un couple de scientifiques, est en effet capable de respirer sous l’eau et de nager à une vitesse phénoménale. Lorsque la vérité éclate au grand jour, le jeune homme doit faire face à un déferlement médiatique sans précédent qui sera le point de départ d’une aventure aussi dangereuse qu’improbable…

Je ne suis pas fan des comics de super héros, mais alors pas du tout. Quand mon libraire m’a proposé de me prêter celui-ci en début de semaine, je n’ai pas osé dire non. Résultat, une lecture divertissante, pas révolutionnaire pour deux sous mais qui reste néanmoins agréable si l’on accepte d’avaler tous les poncifs du genre. Marineman est un peu un hommage aux classiques des années 60 et fait notamment furieusement penser à Superman. Après, qui dit hommage dit tout sauf originalité. De beaux héros musculeux avec leur combi néoprène et leur passé ténébreux, il y en a déjà eu des tonnes. Ici, l’environnement marin représente une petite particularité mais, à y regarder de plus près, les comics ont déjà donné dans le super héros aquatique avec Namor ou Aquaman.

Finalement, c’est ce coté old schhool qui m’a séduit. Loin des personnages torturés qu’il est de bon ton de mettre en scène par les temps qui courent, Ian Churchill a choisi de faire de Marineman un homme simple, humble et profondément gentil (qui a dit un peu neuneu ?). Du coté des méchants, on donne là aussi dans le classique avec un vieux nazi sur le retour et un homme pieuvre à la force colossale tout droit sorti d’une sournoise manipulation génétique.

Graphiquement, je dois reconnaître que ce style typiquement DC/Marvel me laisse de marbre. Ces dessins réalisés à la palette graphique et ses couleurs entièrement assistées par ordinateur se révèlent au final d’une grande froideur et manquent singulièrement d’âme. Mais bon, cela ne nuit en rien à la fluidité de l’ensemble, c’est le principal.

Bref, voila un hommage réussi à l’âge d’or des comics qui ne révolutionne pas le genre mais dont le classicisme un brin suranné séduira à l’évidence plus d’un lecteur.


Marineman T1 : Une question de vie ou de mer de Ian Churchill. Glénat, 2012. 208 pages. 16,95 euros.



Churchill © Glénat 2012


mercredi 11 juillet 2012

Herakles 1 d’Edouard Cour

Cour © Akileos 2012
A ma connaissance, il n’y a jamais eu d’adaptation des douze travaux d’Hercule en BD. Et même si cette épopée a connu de nombreuses représentations au cours des siècles sur tout type de supports (céramique, sculpture, peinture…), le pari du passage à la bande dessinée n’avait jusqu’alors pas été tenté. Il aura fallu le culot d’un dessinateur néophyte fraîchement sorti de son école de design pour qu’un tel projet voit le jour.

S’écartant de l’iconographie classique, Édouard Cour propose un trait souple et nerveux qui n’est pas sans rappeler par moments celui de Christophe Blain (Isaac le pirate). Respectant à la lettre la chronologie et les événements de cette fresque mythologique incontournable, le jeune auteur distille à chaque chapitre une inventivité graphique remarquable. Son découpage ultra-dynamique alterne avec brio les séquences d’action pure et les passages sans texte au cours desquels le héros se refait une santé entre deux travaux. Ajoutez à cela des couleurs crépusculaires dominées par les tons ocre et des dialogues au niveau de langue beaucoup plus familier que soutenu et vous obtiendrez un album qui sort vraiment de l’ordinaire.

A noter par ailleurs que physiquement, Herakles est loin du bellâtre musculeux représenté par les artistes antiques. Le fils de Zeus s’affiche en effet ici sous les traits d’un balourd hirsute et taciturne toujours plus prompt à l’action qu’à la réflexion.

Ce premier tome regroupe huit travaux. J’avoue que la redécouverte de ces derniers m’a permis de me rendre compte à quel point ma mémoire avait besoin d’être rafraîchie. En dehors du nettoyage des écuries d’Augias et de l’affrontement avec l’hydre de Lerne, il ne me restait en effet plus grand-chose des exploits d’Herakles dont la découverte remonte pour moi au collège.

Une chose est sûre, en associant la retranscription fidèle de l’épopée mythique à une originalité graphique et un ton très modernes, Édouard Cour signe un premier album de haute voltige. Une très belle surprise.           

Herakles T1 d’Edouard Cour. Akileos, 2012. 154 pages. 18,30 euros.
Cour © Akileos 2012




samedi 7 juillet 2012

Le roi n’a pas sommeil de Cécile Coulon

Coulon © Viviane Hamy 2012
C’est un bled paumé de l’Amérique profonde. Une scierie, un troquet, un shérif, un médecin... Tout se sait, rien ne s’oublie. William Hogan y a acquis le domaine de ses rêves, une vaste propriété où les arbres sont centenaires. De son union parfois tumultueuse avec Mary est né le petit Thomas. Un gamin frêle, sensible, taciturne, ombrageux. A la mort du père, Thomas se retrouve seul avec sa mère. Une vie simple et heureuse. Mais le temps passe, le gamin grandit et les événements vont façonner peu à peu sa personnalité. L’enfant sage va laisser sa place à un jeune adulte en proie aux pires tourments. Il faudra cet accident épouvantable pour que les choses basculent définitivement...

Ce n’est pas pour rien que l’on trouve une citation de Steinbeck en exergue du premier chapitre. L’influence de l’auteur des Raisins de la colère est ici évidente. Difficile d’imaginer que Cécile Coulon n’a que 22 ans tant son écriture exprime déjà une belle maturité. Une grande sobriété, pas de chichi ni d’envolée lyrique, juste quelques métaphores parfaitement troussées. Tout tient dans la force d’incarnation de personnages disséqués jusqu’à l’os. Proche d’une certaine oralité, la prose est celle d’une raconteuse d’histoire qui vous prend par la main et vous demande de vous laisser guider.

Chronique familiale, Le roi n’a pas sommeil est aussi et surtout une ballade tragique. Le malheur de Thomas ne lui appartient pas, il lui tombe dessus sans crier gare. En filigrane, on décèle une volonté de décortiquer un modèle de vie à priori idyllique où la part d’ombre de chacun peut à tout moment venir brouiller les cartes.

Un roman puissant et maîtrisé.

Le roi n’a pas sommeil, de Cécile Coulon. Viviane Hamy, 2012. 142 pages. 17 euros.

vendredi 6 juillet 2012

Bec-en-Fer ou le Moyen âge en BD pour les jeunes lecteurs

Pesch © l'àpart 2012
Bec-en-Fer est un baron qui souhaite par tous les moyens faire disparaître son neveu le comte Phildor dont il est le seul héritier. Apprenant que Phildor va être présenté à la jolie damoiselle Bryndelhène en vue d’un mariage, le vil corbeau ourdit un plan diabolique pour empêcher que les noces se déroulent.

Il n’y a pas d’erreur dans la phrase précédente, j’ai bien dit corbeau. Car dans cette série animalière et moyenâgeuse qui a vu le jour dans les pages du Magazine Le Pèlerin en 1961, tous les personnages sont représentés sous les traits d’oiseaux. Créée par Jean-Louis Pesch, plus connu pour sa reprise de Sylvain et Sylvette,  Bec-en-fer est une BD historique pour jeunes lecteurs très documentée mais qui se singularise aussi par une bonne dose d’humour et de fantaisie. Secondé par Robert Philippe, directeur de l’institut d’histoire de l’université du Mans, le dessinateur ne lésine pas sur les détails : costumes, armes, harnachement des chevaux, architecture des bâtiments, tous ces éléments ont été réalisés à partir de documents iconographiques et littéraires de l’époque. Le cadre chronologique se résume à l’année 1412, au moment où Charles VI, sombrant dans la folie, laisse son royaume plonger dans la guerre civile entre bourguignons et armagnac. Pour contrebalancer le coté quelque peu scolaire de son propos, Pesch opte pour des dialogues empreint d’une certaine modernité. Il dresse également une galerie de personnages secondaires aussi loufoques que savoureux, notamment la sorcière Brandade, amoureuse transie de Bec-en-fer.

Beaucoup de points positifs donc, qui devraient faire de cette série cinquantenaire une très agréable publication jeunesse. Malgré tout, force est de reconnaître que les aventures du baron corbeau ont plutôt mal vieilli. Trop de texte, trop de récitatifs, trop de cases par planches, un découpage trop classique… Sans compter que certaines références apparaissent datées et ne parlent pas du tout aux enfants d’aujourd’hui (par exemple, présentant un troubadour fort célèbre à l’époque, la voix-off le compare à Pierre Dac dans l’émission "Les français parlent au français"). J’ai testé cet album sur ma fille de dix ans et elle a à peine lu les cinq premières pages avant de s’en désintéresser totalement. Même pour moi, la lecture a parfois été pénible. Il y a bien quelques calembours qui font sourire mais il faut avouer que même dans ce domaine, Pesch n’est pas à la hauteur du Goscinny d’Iznogoud.


Tout ça pour dire que si cette réédition pourra intéresser les sexagénaires désireux de relire une BD ayant bercé leur enfance, je doute fort que le jeune public d’aujourd’hui tombe sous le charme de cet irascible corbeau.

Bec-en-Fer T1 : Le complot de Bec-en-fer de Jean-Louis Pesch. L’àpart, 2012. 48 pages. 12,50 euros. Dès 9 ans. 

Pesch © l'àpart 2012

mercredi 4 juillet 2012

Thermae Romae 3 de Mari Yamazaki

Yamazaki © Casterman 2012
A force de voyager dans le temps et de ramener de chacune de ses pérégrinations de nouvelles idées révolutionnaires pour améliorer les thermes romains, l’architecte Lucius Modestus est devenu une véritable star dans son domaine. Engagé par l’Empereur Hadrien, Modestus a construit des bains qui plaisent au peuple, suscitant de nombreuses jalousies au sein de sa corporation. Considéré comme le principal artisan de la popularité d’Hadrien, il provoque également le courroux de certains sénateurs prêts à tout pour le faire disparaître…

Toujours aussi plaisantes, les aventures de Lucius. Les deux premiers tomes avaient posé les bases d’une trame certes un poil farfelue mais qui laissait néanmoins apparaître de belles promesses. L’aspect répétitif est ici moins présent même si le déroulement de chaque chapitre respecte plus ou moins la même mécanique : confronté à un problème d’ordre technique ou à une demande difficile à honorer, Lucius tombe à l’eau, se retrouve dans le Japon actuel et découvre la solution à son problème en étudiant les procédés mis en œuvre au pays du soleil levant. Ce troisième tome s’ouvre sur une histoire au long cours s’étalant sur près de 80 pages et se termine par un insupportable cliffhanger. De quoi briser quelque peu la « monotonie » et donner davantage de peps à l‘ensemble.

Les petits entractes au cours desquels Mari Yamazaki disserte sur son œuvre et son amour immodéré pour les bains et la Rome antique s’intercalent une fois encore entre chaque chapitre et offrent une respiration fort agréable.

Bref, vous l’aurez compris, cette série assez inclassable me plaît beaucoup et je serai une fois de plus au rendez-vous pour la sortie du quatrième tome prévue cet automne.             

Thermae Romae T3  de Mari Yamazaki, Casterman, 2012. 190 pages. 7,50 euros. 


Yamazaki © Casterman 2012





mardi 3 juillet 2012

Le premier mardi, c'est permis (8) : Pierre Louÿs, oeuvre érotique

Louÿs © Robert Laffont 2012
Pierre Louÿs est l’auteur, entre autres, d’Aphrodite et de La femme et le pantin, deux romans de facture classique ayant connu un réel succès au moment de leur publication à la toute fin du 19ème siècle. Mais c’est aussi et surtout l’auteur d’une œuvre érotique considérable dont les nombreux manuscrits retrouvés après sa mort dans son hôtel particulier (plus de 400 kilos !) ont malheureusement été dispersés par ses héritiers dans des collections particulières. Reste que de nombreux textes ont été publiés sous le manteau dans les années 1920 et continuent à l’être de nos jours dans des éditions beaucoup moins confidentielles.

L’œuvre érotique rassemblée ici sur plus de 1000 pages montre l’incroyable diversité des textes abordés par l’écrivain : poèmes, dialogues, monologues, roman, contes, parodies, récits, pièces de théâtre, etc. Il y en a vraiment pour tous les goûts. Il faut dire que notre homme était un inépuisable érotomane. Que retenir de ce foisonnement ? Quelques thèmes sont récurrents et singularisent cette œuvre aussi décomplexée que sulfureuse : le saphisme, la prostitution, la sodomie, la scatologie et l’inceste sont les plus marquants. Si les dialogues et les monologues sont savoureux, j’ai trouvé la poésie sans grand intérêt, au contraire des parodies et des contes, plutôt truculents. Parmi les curiosités inclassables présentes dans le recueil, notons ce « Catalogue chronologique et descriptif des femmes avec qui j’ai couché » datant de 1892 dans lequel Louÿs note avec une minutie clinique chacune de ses parties de jambes en l’air. Petit exemple : « Nom oublié, 1890. Environ 25 ans. Petite brune. Baisée le 28 janvier 90, pendant un entracte de Carmen que je voyais pour la 1ère fois. Dans un hôtel, rue des lombards. » Charmant, non ? Une autre liste est sobrement intitulée « Enculées » et fait référence, comme son nom l’indique et avec moult détails, à chaque fille sodomisée par ses soins.

Reste le cas du seul roman proposé dans cette énorme somme, Trois filles de leur mère. Jean Paul Gougeon, biographe de Louÿs qui en signe la préface n’hésite pas à ranger ce roman "parmi les plus grands textes érotiques jamais écrits", et à le comparer aux œuvres les plus abouties de Sade et de Bataille. Pour lui, ce texte constitue « la profanation la plus violente de cet univers bourgeois et familial qui était celui de l’auteur, et que celui-ci se plait à bafouer tout au long de plusieurs centaines de pages. » Trois filles de leur mère serait un récit en partie autobiographique s’inspirant des rapports que l’écrivain a eu avec la femme et les filles du poète José Maria de Hérédia. Louÿs y décrit les relations d’un jeune homme de vingt ans et d’une prostituée trentenaire ayant trois filles peu farouches. Je ne suis pas spécialement pudibond (c’est le moins que l’on puisse dire) et je pensais que rien ne me choquerait plus en matière de littérature mais je dois bien avouer que ce texte m’a donné la nausée. Repoussant toutes les limites de la pornographie, Louÿs enchaîne les descriptions de scènes plus inacceptables les unes que les autres. Passe encore pour les relations incestueuses entre la mère et ses filles ou encore la scatologie la plus innommable mais il m’a été impossible de supporter la description minutieuse des ébats du narrateur avec une gamine de 10 ans nymphomane et adepte de la sodomie. Première fois de ma vie que je découvre la pédophilie en littérature et je dois bien reconnaître que j’ai du mal à m’en remettre. Dans la revue Lire du mois de juin, Baptiste Liger écrit à propos de ce volume : « Si son évocation, très décomplexée, de la pédophilie peut heurter, l’amoureux de la littérature se réjouira cependant devant certaines curiosités expérimentales. » Dans le Magazine Littéraire, Xavier Houssin s’extasie et enfonce le clou : « rien n’est sérieux, rien n’est triste, rien n’est violent, rien n’est angoissant. Louÿs est un poète qui met tout en images, qui joue avec les mots. » N’en déplaise aux critiques professionnels, le modeste lecteur que je suis, père d’une fillette de 10 ans, ne peut pas accepter pareille ignominie.  

Alors oui, je veux bien reconnaître que les écrits de Louÿs regroupées ici constituent une œuvre majeure et incontournable de la littérature érotique française mais il n’empêche que certains aspects sont à mes yeux beaucoup trop dérangeant pour que j’apprécie de quelque manière que ce soit ce type de lecture.

Œuvre érotique, de Pierre Louÿs, Robert Laffont, 2012. 1030 pages. 30 euros. 


En espérant ne pas avoir trop plombé l'ambiance, je file chez Stephie pour découvrir de nouvelles lectures inavouables proposées dans son incontournable rendez-vous mensuel.