lundi 5 mars 2012

André Laude : printemps des poètes 2012

La 14ème édition du printemps des poètes commence aujourd'hui. Jusqu'au 18 mars, je vais tenter de consacrer quelques billets à la poésie. Je ne suis pas du tout un spécialiste, pas même un amateur éclairé, mais j'avoue que j'apprécie lire un poème de temps en temps. Rien de classique, plutôt du très contemporain. Et pour commencer cette série de billets, j'ai mis à jour un texte publié il y a déjà fort longtemps et consacré au trop méconnu André Laude, de loin mon poète préféré.
J’ai découvert André Laude pour la première fois en 1995. C’était par un matin d’hiver, dans les rayonnages de la BU de la fac d’Amiens. J’étais en 2ème année de DEUG de lettres modernes et on étudiait la littérature engagée. A coté des grand noms (Hugo, Vallès et les autres) se trouvaient une tripotée d’auteurs parfaitement inconnus pour moi : Han Ryner, Georges Darien, le poète Eugène Bizeau, Georges Navel, Ludovic Massé, Eugène Pottier (L’Internationale), Henry Poulaille ou encore Jean-Baptiste Clément (Le Temps des cerises). Tous étaient présentés avec brio par Thierry Maricourt dans son Histoire de la littérature libertaire en France (éditions Albin Michel). C’est donc là, en feuilletant cet ouvrage devant une étagère de la BU que j’ai rencontré André Laude. Thierry Maricourt le présentait comme un poète rebelle dont l’engagement (a)politique lui valu, entre autres, quelques tortures pendant la guerre d’Algérie.

Rapidement, je cherchais à trouver des recueils du sieur Laude mais sa production était tellement confidentielle qu’aucun libraire ne put me trouver le moindre de ses titres. Je finis par en dénicher un à la bibliothèque municipale. Et là, le choc fut total. Habitué aux enseignements universitaires qui ramenaient souvent la poésie à un pur exercice formel, je découvrais une voix pleine de bruit et de fureur.

André Laude est né en 1936 à Paris dans une famille pauvre, d’un père occitan et d’une mère bretonne. Subjugué par la poésie de Rimbaud, il devient un peu par hasard journaliste (il pigera notamment très longtemps pour le journal Le Monde et fera des émissions à France Culture). Jamais encarté, il souscrit aux thèses des communistes libertaires. Fervent défenseur de l’indépendance algérienne, il mena tous ses combats comme un révolté. Ce grand solitaire n’a jamais rien possédé. Il a vécu dans le dénuement et les vapeurs d’alcool. Une sorte de clochard céleste incontrôlable, fieffé mythomane. Ses détracteurs lui reprochent d’avoir souvent mordu la main qui venait de le nourrir. Il avait fait sienne la phrase du poète surréaliste belge Achille Chavée : « Je suis un vieux peau-rouge qui ne marchera jamais dans une file indienne. »

La poésie d’André Laude est une poésie à hauteur d’homme. Balayant d’un revers de la main toute forme de versification, il offre des textes flamboyants, souvent proches du surréalisme. Dans sa magnifique Histoire de la poésie française, Robert Sabatier cite Alain Bosquet : « La vertu d’André Laude est précisément, malgré la brutale clarté de ses textes, de leur garder une charge d’enchantement, de mélodie et de pureté intacte. » André Laude éructe ses poèmes. Il emporte le lecteur dans un tourbillon de mots semblant parfois incontrôlé, un peu comme un jazzman se lance dans une impro sans fin. Mais sa petite musique prend aussi souvent les accents du blues le plus pur, celui qui vous donne des frissons.

André Laude est mort le samedi 24 juin 1995 dans une petite chambre de Belleville. Épuisé par la solitude, l’alcool, le manque de confort matériel, il s’est laissé emporter… Sentant la fin arriver, il a griffonné un dernier poème, retrouvé près de son corps :

Ne comptez pas sur moi
Je ne reviendrais jamais
Je siège là-haut
Parmi les élus
Près des astres froids
Ce que je quitte n’a pas de nom
Ce qui m’attend n’en a pas non plus
Du sombre au sombre, j’ai fait
Un chemin de pèlerin
Je m’éloigne totalement sans voix
Le Vécu m’a mille et mille fois brisé, vaincu
Moi le fils des Rois.

Ultime tour de force pour un poète qui aura marqué à jamais ma vie de lecteur. Les Éditions de la Différence ont publié en octobre 2008, toute l’œuvre poétique d’André Laude dans un recueil de plus de 700 pages. Il trône fièrement dans ma bibliothèque. Il m’arrive souvent de le parcourir au hasard. J’y ai corné les pages contenant mes poèmes préférés. Je retrouve pendant quelques minutes cette voix singulière, le cri d’un homme entier, sans concession. Je passe alors un moment de pur bonheur et je comprends pourquoi la lecture est devenue pour moi une activité vitale.

Allez, avant de se quitter, un petit dernier pour la route :

Calmement j’annonce les temps neufs
Calmement j’annonce les revendications
De soleil et de chair du peuple
Calmement je vous crache à la gueule
si vous dites que tout ceci n’est pas de la poésie
Calmement j’écris ce qui précède
Et ce qui va suivre
En sachant bien que la langue
Doit coller à la vérité des hommes
Qu’elle doit se faire humble, salir ses mains
A l’huile des moteurs
Se vêtir de gros draps
Trainer dans les taudis et les hôpitaux
Visiter les solitaires les malades les angoissés les humiliés et offensés
Boire avec les ouvriers des trains du petit jour
Calmement je vous répète que je me fous
De savoir si les esthètes les branleurs du verbe
Auront ou n’auront pas la nausée
En lisant ces paroles absolument sincères qui ne cherchent pas l’absolu

dimanche 4 mars 2012

Gatsby le Magnifique

Fitzgerald © Gallimard 2012
Dans l’Amérique des années 20, le narrateur, Nick Carraway, a quitté son Middle West natal pour venir s’installer à New York et apprendre le métier de courtier en valeurs. Préférant ne pas vivre en ville, Nick emménage dans le quartier de West Egg, à Long Island. Une banlieue chic où son plus proche voisin, Jay Gatsby, organise de somptueuses fêtes dans sa non moins somptueuse villa. Gatsby est un personnage mystérieux. Certains affirment qu’il a été espion à la solde des allemands durant la première guerre mondiale. D’autres ont entendu dire qu’il mène des activités douteuses. Personne en tout cas ne sait réellement d’où vient sa fortune. Devenu rapidement l’ami et le confident de Gatsby, Nick comprend surtout que si cet homme multiplie les réceptions extravagantes, c’est dans le but d’attirer chez lui la belle Daisy Buchanan, un amour de jeunesse aujourd’hui mariée à un autre et qu’il souhaite ardemment reconquérir.

Gatsby est le chef d’œuvre de Fitzgerald. Un roman à ranger parmi les classiques de la littérature américaine. C’est surtout une satire mordante de l’égoïsme d’une partie de la société obnubilée par la gloire et l’argent. Le récit est traversé par l’amertume, la mélancolie et le constat de la vacuité de l’existence. Sur le personnage de Gatsby plane l’ombre du désenchantement. Il représente une sorte d’homme-enfant bercé par la nostalgie de ses souvenirs amoureux d’avant guerre.

La construction du roman et son découpage en neuf chapitres ne relèvent pas du hasard. Dans les quatre premiers Fitzgerald célèbre la jeunesse, l’espoir, l’éclat de la fête. Dans les chapitres six à neuf, c’est la mélancolie qui l’emporte. Gatsby réalise son rêve mais il perd ses illusions, le drame se noue, il pleut quasiment tout le temps. Le changement d’atmosphère est radical. Entre ces deux parties très différentes se trouve le 5ème chapitre, point central où tout bascule. C’est celui des retrouvailles entre Gatsby et Daisy, celui à partir duquel l'amoureux transi va doucement glisser vers son funeste destin.

Fitzgerald a écrit son roman pendant un séjour en France, à un moment où Zelda, l’amour de sa vie, le trompe avec un autre. Une situation qui le poussera dans une crise sentimentale extrême. Il déclarera d’ailleurs : « J’ai arraché Gatsby le magnifique de mes entrailles dans un moment de détresse. » Que retenir de ce texte magnifique ? Peut-être simplement une vérité trop souvent vérifiée : « Tout s’écroule lorsqu’un rêve poursuivi pendant des années devient une réalité. »

Gatsby le magnifique, de Francis Scott Fitzgerald. Folio, 2012. 200 pages. 6.20 euros.

 
Un  grand merci à Babelio et aux éditions Gallimard de m’avoir fait découvrir ce texte incontournable.



Ce billet signe ma 1ère participation au challenge d'Asphodèle intitulé Fitzgerald et ses contemporains.

samedi 3 mars 2012

Les enfants de la mer 1 de Daisuke Igarashi


Igarashi © Sarbacane 2012
Umi et Sora (en japonais : la mer et le ciel) sont deux enfants qui ont été élevés par des dugongs (mammifères marins herbivores de la famille des lamantins). Capables de vivre sous l’eau, leurs extraordinaires capacités sont étudiées par les scientifiques d’un aquarium. Ruka, la fille d’un océanographe va devenir leur ami et partager avec eux les secrets de la mer...

La transposition du mythe de l’enfant sauvage élevé non pas par des loups mais par des mammifères marins est une idée originale et plutôt bien trouvée. Tout comme le fait de mettre en scène non pas un mais deux enfants dont les caractères sont très différents. Pour le reste, j’ai eu du mal à être embarqué. Cette fable animiste et très écolo ne m’a fait ni chaud ni froid. Une lecture poussive, un vrai manque d’intérêt pour les développements de l’intrigue, à tel point que je ne me soucis guère de savoir pourquoi des milliers poissons disparaissent partout dans le monde et pourquoi nombre d’autres deviennent lumineux et se rassemblent près des côtes ou vivent Umi et Sora (le fin mot de l’histoire sera sans doute dévoilé dans le second tome). Je ne sais pas, il faut peut-être avoir une sensibilité plus maritime que terrienne pour apprécier ce récit à sa juste valeur ? En tout cas pour moi l’alchimie n’a pas fonctionné.

Par contre, si le scénario m’a laissé de marbre, j’ai beaucoup aimé le dessin. Daisuke Igarashi possède une vraie patte, un trait élégant assez éloigné des standards propres aux mangas les plus commerciaux. Les scènes sous-marines, notamment, sont magnifiques.

Oserais-je dire que ce manga n’a été pour moi qu’un coup dans l’eau ? Un peu facile. Disons plus simplement que je suis passé à coté. J’ai vraiment l’impression que c’est une question de sensibilité et je reste persuadé que ce titre aux qualités indéniables va rencontrer le succès qu’il mérite. D’ailleurs je n’ai pour l’instant lu que des avis positifs à son sujet.


Les enfants de la mer T1 de Daisuke Igarashi. Sarbacane, 2012. 320 pages. 15 euros.


Igarashi © Sarbacane 2012


vendredi 2 mars 2012

L’écureuil et la lune / L’écureuil et l’étrange visiteur

Meschenmoser ©
Minedition 2012
Petit coup de projecteur aujourd’hui sur le travail de l’illustrateur allemand Sebastian Meschenmoser qui mérite vraiment que l’on s’attarde sur son cas. Je l’ai découvert il y a quelques années avec l’album L’écureuil et la lune. Le voila de retour aujourd’hui avec un nouvel ouvrage mettant en scène le même personnage et intitulé L’écureuil et l’étrange visiteur.

Dans L’écureuil et la lune, l’écureuil se réveille un beau matin en constatant avec stupeur que la lune est tombée sur sa maison pendant la nuit. Persuadé que quelqu’un l’a volée, il s’imagine déjà accusé à tort et condamné à passer le reste de ses jours en prison. Il s’en débarrasse donc en la faisant tomber de la branche sur laquelle elle repose. Problème, la lune atterrit sur le dos d’un hérisson et reste coincée dans ses épines. Un bouc qui passe par là veut délivrer le pauvre animal et fonce sur la lune, l’embrochant avec ses cornes. Voici donc la lune sur les cornes du bouc, avec le hérisson toujours accroché à l’astre « si gros, si rond et si jaune » tandis que l’écureuil ne peut que constater les dégâts. Comment tout cela va se terminer ? Ne comptez pas sur moi pour vous donner le fin mot de l’histoire !

L’écureuil et l’étrange visiteur raconte l’histoire d’un ours qui se réveille un beau matin en découvrant qu’un être bizarre, tout bleu, est posé sur sa tête. Trouvant ce visiteur inquiétant, l’ours tente de lui échapper. Il raconte sa mésaventure à l’écureuil et celui-ci en déduit qu’un petit être tout bleu terrorisant un ours gigantesque ne peut que venir d’une autre planète. Sans doute veut-il enlever le plantigrade et l’emporter dans son vaisseau spatial pour mener des expériences scientifiques. A partir de là, l’ours, l’écureuil et leurs amis vont tout faire pour ne pas tomber dans les griffes du soi-disant extraterrestre…

J’adore cet univers rempli d’animaux pas fute-fute mais tellement attachants ! C’est drôle, bien mené et il y a une sorte de douceur et de poésie très particulière qui fait mouche auprès des enfants. Sans compter que si le premier titre est résolument dans le registre de l’humour, le second aborde l’air de rien la question de la différence, de cet autre que l’on craint tout simplement parce qu’on ne le connaît pas.

Autre gros point fort, évidemment, la qualité des illustrations : aucun encrage, un travail tout en finesse aux crayons de couleurs, des animaux dont les attitudes sont parfaitement rendues et des décors fourmillant de détails. Une petite merveille !

Un vrai coup de cœur pour ces albums à partager absolument avec les enfants. Quand on tombe sur des titres d’une qualité pareille, il n’est pas difficile de les convaincre que les livres et la lecture leur feront toujours passer de bons moments.

L’écureuil et la lune (réédition) de Sebastian Meschenmoser. Minedition, 2012. 44 pages. 10 euros. A partir de 3 ans.

L’écureuil et l’étrange visiteur
de Sebastian Meschenmoser. Minedition, 2012. 60 pages. 14 euros. A partir de 3 ans.



Meschenmoser © Minedition 2012


Meschenmoser © Minedition 2012

jeudi 1 mars 2012

Les années n°4

Au sommaire de ce quatrième numéro, des portraits d'Eric Holder et de Marcel Paul, une nouvelle de Michel Lalet, la chronique du professeur Hernandez, Trenet revisité, deux chroniques livres consacrées au Silence de la mer de Vercors et à Retour à Killybegs, le dernier roman de Sorj Chalandon et la présentation de recueils de nouvelles de Christian Bobin et Marie-Sabine Roger. De mon coté, je vous parle de l'adaptation en BD du dernier des Mohicans.

Si vous souhaitez recevoir la revue par mèl, il suffit de me contacter : dunebergealautre@gmail.com

Téléchargez le n°4

Le numéro 5, prévu le 15 mars, sera un spécial guerre d'Algérie.




mercredi 29 février 2012

Cent mille journées de prières : livre premier

Loo Hui Phang et Sterckeman
© Futuropolis 2011
Louis, 8 ans, est un enfant taciturne et solitaire. Il vit seul avec sa maman dans une petite ville normande. Il ne sait rien de son père, en dehors de ses origines asiatiques. Sa mère, française, ne lui en a jamais parlé. A l’école, Louis l’eurasien est habitué au racisme ordinaire de ses petits camarades qui le traitent de « fils de Bruce Lee ». Il n’a pas d’ami et cela lui convient très bien. Un jour, ne supportant plus de le voir tout le temps seul, sa mère lui offre un canari. Ce nouveau compagnon va devenir le confident de l’enfant jusqu’à l’arrivée d’une famille de réfugiés cambodgiens. Ces gens ont connu son père. Peu à peu, les coins du voile vont se lever et sa mère va devoir lui révéler la vérité...

Un terrible secret de famille, un enfant en souffrance, les stigmates d’une guerre épouvantable... tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce récit intimiste un concentré d’émotion. Avec beaucoup de pudeur, les auteurs dressent le portrait touchant d’un jeune garçon en quête d’identité. L’analyse de ses réactions est fine et sonne juste et la progression du récit, très lente, est d’une grande délicatesse. Si j’avais un reproche à faire, il concernerait les personnages secondaires : pourquoi une voisine acariâtre dont le mari sort de prison pour la terroriser ? Pourquoi un camarade de classe dont le père s’est suicidé ? Pourquoi une grand-mère mourante ? Il y a là comme une volonté d’en rajouter dans le pathos. Comme si absolument tous les protagonistes devaient être en souffrance pour se mettre au diapason de Louis. Il me semble au contraire qu’il aurait été plus judicieux d’équilibrer les choses en offrant ici ou là quelques « respirations » positives.

Graphiquement, Michaël Sterckeman navigue entre un découpage classique en gaufrier plus ou moins régulier et une mise scène onirique qui retranscrit à merveille les angoisses de Louis. L’utilisation d’une bichromie de noir et de gris colle à l’aspect terne et triste de l’existence des différents personnages. Les visages sont peut-être un peu trop figés et manquent d’expressivité mais le dessin reste dans l’ensemble très efficace et accompagne sobrement le récit.

Une belle histoire qui sombre néanmoins par moments un peu trop facilement dans la dramaturgie pure et dure. Mais le personnage de Louis est tellement attachant que mon impression concernant ce premier tome reste largement positive. J’attends donc la conclusion de ce diptyque avec une certaine impatience.

Un album découvert grâce à Mo' qui, une fois de plus, m'a donné l'occasion de lire un album que je ne serais jamais aller checrher par moi même . Un grand merci à elle.

L'avis de Mo'
L'avis de Madoka
L'avis de Choco


Cent mille journées de prières T1 de de Loo Hui Phang et Michaël Sterckeman. Futuropolis, 2011. 120 pages. 20 euros.


Loo Hui Phang et Sterckeman © Futuropolis 2011

samedi 25 février 2012

Le sillage de l’oubli

Machart © Gallmeister 2012
Texas, 1895. Klara Skala meurt en donnant naissance à son quatrième garçon, Karel.

Texas, 1910. Vaclav, le mari de Klara, élève seul ses fils, à la dure. Propriétaire d’une des plus grosses exploitations agricoles de la région, il bichonne ses chevaux de course et laisse trimer ses enfants dans les champs de coton, derrière la charrue. Il faudra un pari perdu pour que ses trois ainés quittent la ferme et se marient avec les filles de Guillermo Villasenor, un riche espagnol.

Texas, 1924. Karel a hérité des terres de son père. Il n’a plus de relations avec ses frères depuis des années. Marié, père de deux fillettes, sa femme est sur le point de mettre au monde leur troisième enfant…

Pour son premier roman, Bruce Machart frappe fort. Possédant un sens évident de la dramaturgie et du découpage, il déroule une histoire ample et vaste, une fresque familiale tragique et sombre. Effectuant des allers-retours dans le temps, il dévoile les zones d’ombre avec parcimonie, alternant montées d’adrénaline et scènes plus contemplatives, descriptions des travaux de la ferme et courses de chevaux frénétiques. Le personnage de Karel est le point central du roman. Sa naissance a plongé la famille dans le tourment. C’est à cause de lui que les enfants Skala ont grandi sans leur mère dans un environnement aussi brutal et dénué de toute affection. Il porte comme un fardeau ce sentiment de culpabilité, cette blessure béante impossible à refermer.

Un récit superbe, une prose sensuelle, attentive au moindre détail. Machart est un conteur. Il prend son temps et sait exactement où il veut emmener le lecteur. Après David Vann, Pete Fromm et Howard Mc Cord, les éditions Gallmeister peuvent se targuer d’avoir trouvé une nouvelle pépite. A l'évidence, un écrivain est né.

Le sillage de l’oubli, de Bruce Machart, éditions Gallmeister, 2012. 335 pages. 23.60 euros.



vendredi 24 février 2012

Ernest et Rebecca 4 : Le pays des cailloux qui marchent

Bianco et Dalena © Le Lombard 2012
Enfin ! Après deux ans d’absence, Ernest et Rebecca reviennent. Pas trop tôt ! Pour ceux (honte à eux) qui ne la connaîtraient pas, cette série narre les aventures d’une petite fille à la santé fragile dont le meilleur ami est un microbe (un vrai microbe, pas un petit frère pot de colle ou je ne sais quoi d’autre). Entre la séparation récente de ses parents et la crise d’adolescence de sa grande sœur de 15 ans, Rebecca n’a pas une vie facile. Mais cette gamine pétillante et drôle possède des ressources insoupçonnées et a déjà charmé de nombreux lecteurs.

Dans le troisième tome, Rebecca passait ses vacances à la campagne chez son pépé. Ce nouvel épisode démarre par un long trajet en voiture. Toujours en vacances, la petite fille va découvrir la nouvelle maison de son père au bord de la mer, au pays des cailloux qui marchent…

Je ne sais pas quand cet album sortira. Probablement en juin. Comment se fait-il que je puisse déjà en parler ? Tout simplement parce que le magazine Spirou le propose en prépublication à partir du mercredi 29 février. Mais comme je suis abonné, je reçois mon exemplaire avec une semaine d’avance. Voila, vous savez tout (même si vous vous en fichez un peu, je le sens bien^^). La prépublication va s’étaler sur six semaines. Je ne peux donc vous parler pour l’instant que des 9 premières pages. Et franchement c’est toujours aussi excellent. Rebecca malade en voiture, ça vaut le détour !

Bref, vous l’aurez compris, Ernest et Rebecca est une série que je recommande plus que chaudement (voir mon billet sur les tomes 1 et 2). D’ailleurs je ne suis pas le seul, les avis enthousiastes sont légions sur la toile : Véro, Mathilde, Erato, Petite Noisette, Snow

Ernest et Rebecca T4 : Le pays des cailloux qui marchent Guillaume Bianco et Antonello Dalena, Le Lombard, 2012. 46 pages. 10.60 euros. A partir de 8 ans.


Bianco et Dalena © Le Lombard 2012

jeudi 23 février 2012

Dégoûtant !

Guilloppé et Chapron
© Glénat 2010
Arno le crapaud est amoureux de Linette la rainette. Aujourd’hui, c’est décidé, il va lui déclarer sa flamme ! Malheureusement, à chaque fois qu’il s’apprête à se lancer, il est interrompu par de surprenants obstacles…

Un album mignon comme tout mais pas seulement. Les enfants y trouveront à la fois une belle histoire d’amour et une réflexion sur la protection de l’environnement. Attention, ne vous méprenez pas, les auteurs ne donnent pas dans le militantisme écolo forcené. Ils abordent la question de manière simple et très parlante.

L’ouvrage s’organise en double-pages combinant illustrations expressives et couleurs pétaradantes. Parce qu’il y a très peu de texte et que les événements s’enchaînent de manière linéaire, l’histoire s’avère facile à suivre pour les apprentis lecteurs qui voudront se lancer en solitaire. Sinon, en lecture offerte, c’est également un régal. Pour peu que l’adulte joue avec les intonations de sa voix et enfile tour à tour le costume du crapaud et celui de la reinette, le succès sera garanti.

Dégoûtant ! d’Antoine Guilloppé et Glen Chapron. Glénat, 2010. 32 pages. 10 euros. A partir de 3 ans.


Guilloppé et Chapron
© Glénat 2010

mercredi 22 février 2012

Nu-men 1 : guerre urbaine

Néaud © Quadrants 2012
Moitié du XXIème siècle, en Europe. Alors que des bouleversements climatiques ont rayé de la carte l’Amérique du Nord et ont ravagé l’Afrique, le néolibéralisme s’est imposé comme la seule doctrine politique mondiale, creusant de façon démesurée l’écart entre riches et pauvres. La colère gronde et les manifestations de la population se multiplient. Appelée pour contenir une émeute urbaine, la brigade d’intervention du sergent Anton Csymanovic doit faire face à l’effondrement d’un immeuble vétuste. En essayant de sauver une petite fille restée devant le bâtiment, le chef de la brigade est enseveli sous les décombres. Au même moment, un objet lumineux apparaît au-dessus des ruines. Tous les témoins les plus proches de la scène, irradiés par les rayons émanant de l’objet, sont enlevés par une officine gouvernementale et emmenés dans un bunker isolé…

Changement complet de registre pour Fabrice Néaud, chantre de l’autobiographie dessinée depuis la publication de son célèbre Journal (4 volumes parus chez chez Ego comme X). Avec Nu-men, il se lance dans une vaste saga d’anticipation mêlant politique fiction et science-fiction. Ce premier tome possède les défauts propres à ce type de mise en bouche. Pour installer son univers et son intrigue, l’auteur se montre très bavard et densifie au maximum le récit. Résultat, les personnages sont nombreux, les situations complexes et le déroulement des événements n’est pas toujours évident à suivre. Autre souci, l’impression générale de déjà vu. Le complot gouvernemental, la situation mondiale post-apocalyptique intenable, le développement des nanotechnologies et l’apparition de « transhumains » capables de voler par leurs propres moyens, il n’y a là rien de bien nouveau sous le soleil. Malgré tout, il faut reconnaître la méticulosité avec laquelle Néaud a construit ce volume « d’installation ». Les informations sont diffusées au compte goutte mais l’on sent déjà que rien n’a été laissé au hasard. De la situation géopolitique aux questions sociétales, tout a été pensé dans les moindres détails. Par ailleurs, les dialogues sont crus mais sonnent juste et la violence, omniprésente, est adaptée au contexte.

Graphiquement, malgré des cadrages serrés et un grand nombre de cases par planche, l’ensemble reste très lisible. L’influence des comics est assez évidente, tant au niveau du trait que des couleurs même si plusieurs passages m’ont également rappelé des séquences du Akira de Katushiro Otomo.

Au final, si je suis impressionné par la richesse de l’univers mis en scène, mon sentiment général reste mitigé. Peut-être parce que je ne suis pas un habitué de la SF en BD ou tout simplement parce que ces 48 pages laissent en bouche un goût de trop peu. Trois tomes sont pour l’instant prévus mais l’auteur assure que si le succès est au rendez-vous, il a déjà en tête des développements bien plus importants. Une affaire suivre, donc…

Nu-men T1 : guerre urbaine de Fabrice Néaud, éditions Quadrants, 2012. 48 pages. 13,95 euros.


Néaud © Quadrants 2012