mercredi 11 août 2010

Le fond de la jarre

Fès, début des années 50. Le narrateur raconte la jeunesse d’un garçon de sept ou huit ans, cadet d’une famille de onze enfants. Le père, membre de la confrérie des selliers, parvient à faire vivre chichement mais dignement les siens. Surnommé Namouss (le moustique), le petit dernier découvre le monde qui l’entoure avec l’insouciance de l’enfance.

Du mariage de son frère à l’activisme indépendantiste qui va précéder la fin du protectorat français, Namouss traverse une époque charnière de l’histoire de son pays. Sa vie quotidienne est rythmée par l’école, les jeux dans le quartier avec les copains, les matchs de foot, la découverte du cinéma et l’importance primordiale de la famille.

Abdellatif Laâbi porte un regard plein de tendresse sur sa jeunesse sans jamais tomber dans l’idéalisation. Bien sûr, il y a les charmes sans fin de la médina. Bien sûr, il y a l’image de la mère, Ghita, femme au caractère bien trempé qui l’a profondément marqué. Bien sûr, le trait est peut-être parfois forcé lorsqu’est présentée une galerie de personnages plus extravagants les uns que les autres. Mais l’auteur ne cherche pas à écrire une carte postale pour lecteurs en mal de romantisme « made in Maroc ». Son ton sait se faire critique, notamment lorsque sont abordés le ramadan (un mois d’ennui où la vie s’arrête) ou l’école coranique, qu’il a d’ailleurs très peu fréquenté. Le petit garçon se languit souvent, il s’interroge aussi sur ses premiers émois sexuels et se passionne pour les leçons de choses de son maître venu de France, Monsieur Cousin.

Le fond de la jarre porte un regard lucide sur une enfance pas forcément plus difficile qu’une autre, mais que l’auteur se refuse de sacraliser.

La prose est fluide, elle coule sans accroc, embarquant le lecteur avec réalisme dans le Maroc de l’après-guerre. Point de lyrisme pour enjoliver la vie au Maghreb à cette époque. Le ton est juste, oscillant entre humour et gravité.

Au final, un très beau texte, pétrit d’intelligence et de sensibilité.

Le fond de la jarre, d’Abdellatif Laâbi, éditions Folio, 2010. 276 pages. 5.60 euros.

L’info en plus : Abdellatif Laâbi n’est pas seulement romancier, c’est aussi (et surtout) un très grand poète. Le second volume de son œuvre poétique publié aux éditions de La Différence a notamment été récompensé par le prix Goncourt de la poésie 2009.

Ouvrage lu dans le cadre d’un partenariat entre Livraddict et les éditions Folio.
Merci à eux !

vendredi 6 août 2010

Winter

Été 1987. Rick Bass et son amie Elisabeth partent sur les routes dans une vieille guimbarde. Leur but : trouver un endroit calme et isolé, loin de tout, pour pouvoir travailler au calme. Respectivement écrivain et peintre, ces artistes à l’âme bohème se lancent dans une quête quasiment perdue d’avance. Sans un sou et cherchant plus que tout l’isolement, ils ne parviennent pas à dénicher le lieu magique qui les comblera. Visitant successivement le Nouveau Mexique, l’Arizona, le Colorado, l’Utah, le Wyoming et l’Idaho, c’est finalement au Montana qu’ils trouveront leur bonheur, en faisant le gardiennage hivernal d’une maison dont le riche propriétaire vit en Floride. Dans une vallée perdue, au fin fond d’une région montagneuse, l’écrivain originaire du sud profond (Mississipi) va vivre un hiver des plus rigoureux. Du 13 septembre au 7 mars, il relate dans son journal intime les événements qui vont jalonner sa découverte d’un univers lui étant totalement inconnu.

La vallée du Yaak compte une soixantaine d’habitants, tous semblant plus isolés les uns que les autres. Dans ce monde de montagnards taiseux où la nature tient une place prépondérante, le couple d’étrangers va trouver sa place, en douceur. L’émerveillement devant la diversité et la liberté des animaux, les paysages d’une infinie beauté, les préoccupations quotidiennes très terre à terre (couper du bois, faire de longues ballades, vivre au ralenti) et forts éloignées des turpitudes de la société consumériste qu’ils exècrent sont autant d’éléments qui vont transformer ce séjour en véritable coup de foudre pour une vallée qu’ils ne quitteront plus.

Alors que retenir de ce journal de bord ? A vrai dire pas grand-chose. Le problème avec ce genre d’exercice c’est que l’on est dans un registre hyper-intime dont le but premier n’est pas forcément la diffusion auprès d’un large lectorat. Résultat, les événements relatés sont loin d’être passionnants pour un observateur extérieur. Entre les soucis de tronçonneuse et les pannes de voiture, il ne se passe pas grand-chose. Certes la solitude des habitants de la vallée et l’aspect contemplatif qui se dégage de certaines réflexions exercent un certain charme, mais cela reste trop peu. Il n’y a surtout aucun fil conducteur d’une journée à l’autre, les non événements se succèdent sans lien apparent, donnant à l’ensemble un coté déstructuré qui constitue une vraie faiblesse. Bref, l’ennui n’est jamais très loin pour le lecteur. Il apparaît soudain à l’ombre d’un mélèze centenaire et ne vous quitte plus pendant plusieurs pages. Difficile alors d’éprouver beaucoup de plaisir à la lecture de ses mini-chroniques, certes authentiques et très réalistes, mais qui manquent singulièrement d’épaisseur. Finalement, c’est typiquement le genre d’écrit qui trouverait sa place dans un magazine proposant par exemple une chronique par semaine. Réunie en un seul recueil, la recette est trop indigeste.

Quitte à choisir un ouvrage de Nature Writting, je préfère de très loin  Indian Creek  de Pete Fromm, qui a au moins le mérite d’être un récit souvent fort drôle et dont l’histoire est parfaitement structurée.

Malgré tout, en refermant Winter, il reste l’agréable sentiment d’avoir découvert à travers ce texte une des dernières régions sauvages des États-Unis.

Winter, de Rick Bass, éditions Folio, 2010. 260 pages. 6.60 euros.

L’info en plus : En 2007, Rick Bass a publié un autre ouvrage entièrement consacré à sa très chère vallée. Intitulé  Le livre de Yaak, ces nouvelles chroniques du Montana ont été publiées en France par les éditions Gallmeister. Le recueil est dans ma PAL depuis bientôt deux ans, j’avoue qu’après la déception Winter je ne sais pas si j’aurais le courage de m’y plonger un jour.

Ouvrage lu dans le cadre d’un partenariat entre Livraddict et les éditions Folio. Merci à eux !

lundi 26 juillet 2010

Le Chat qui courait sur les toits

Il était une fois un pays où régnait un roi bon et magnanime. Au moment où commence cette histoire, la joie règnait d’autant plus que tout le royaume saluait l’arrivée du prince héritier. Aux fêtes de la naissance succédèrent les réjouissances du baptême. Tout semblait donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais soudain, une terrible malédiction frappa le nouveau-né. En effet, chaque fois que son regard croisait celui d’un animal, il en prenait les traits, tout en conservant son corps d’humain. Ses parents, affolés, décidèrent de le cloitrer dans sa chambre afin que personne jamais ne puisse découvrir son terrible secret. Quinze printemps passèrent ainsi, jusqu’au jour où, décidé à découvrir le monde, le prince s’enfuit et partit sur les routes…

En vieux baroudeurs habitués à imaginer des histoires pour les enfants (ils avaient publié ensemble en 2004 La Grande Tambouille, trois livres illustrés consacrés aux fées, aux sorcières et aux lutins) René Hausman et Michel Rodrigue mènent leur barque avec une facilité déconcertante. Respect de la trame propre au conte, humour, poésie, découpage parfaitement maîtrisé, citations de références classiques (des extraits de Cyrano de Bergerac et du Capitaine Fracasse sont insérées dans le texte)… tout y est. Contrairement aux albums où Hausman assure scénario et dessin, la fin est ici positive (lisez le Prince des écureuils, vous comprendrez de quoi je veux parler !). Il manque peut-être à ce Chat qui courait sur les toits le coté âpre et cruel qui laisse un petit arrière goût amer en fin de lecture. Mais les histoires problématiques peuvent aussi parfois s’arranger, tout simplement.

Que dire de l’illustration ? Ben, c’est beau, vraiment très beau. Aux pinceaux, l’enchanteur Hausman fait une fois de plus des merveilles. Ses dessins ont la patine et le charme des images d’antan. Un peu comme les chromos que nos parents et nos grands-parents collectionnaient dans les tablettes de chocolat ou les pots de chicorée Leroux. Hausman est sans doute l’un des derniers artisans de l’illustration. Rien n’est jamais bâclé, tout est toujours peaufiné à l’extrême. L’à peu près n’a pas ici sa place. C’est devenu tellement rare que l’on déguste chaque case avec un réel plaisir.

Voila donc un très joli conte, respectant les canons du genre et somptueusement illustré. Pour ne rien gâché, la dernière image, sous forme de clin d’œil, est finement trouvée. Un vrai régal !



Le Chat qui courait sur les toits, de René Hausman et Michel Rodrigue, Éditions Le Lombard, 2010. 60 pages. 14,50 euros.


L’info en plus : les éditions Dupuis vont rééditer en octobre l’intégrale des fables de La Fontaine illustrées par Hausman. Publiée une première fois il y plus de 30 ans, cette intégrale conjugue avec bonheur les mythiques fables et les bestiaires réalistes et fantastiques propres à Hausman. Un superbe cadeau de Noël en perspective !

mercredi 21 juillet 2010

Miss Annie

Miss Annie est une jeune chatte de quatre mois. Lors du premier chapitre, elle fait découvrir au lecteur son univers : ses maîtres d’abord. Il y a Claude, un écrivain tardant à rencontrer le succès, sa femme Laurence et leur fille Sarah. Son environnement ensuite : le bureau, la chambre de Sarah, la cuisine, le canapé sur lequel elle aime faire ses griffes, etc.

Le rêve de Miss Annie est d’aller voir ce qui se passe autour de la maison. Elle n’est jamais sortie et s’imagine le monde extérieur comme un lieu plein de découvertes et d’aventures. Un jour où une fenêtre est restée ouverte, elle décide de faire le grand saut. Dehors, elle rencontrera les chats du quartier et découvrira l’amitié mais aussi le danger…

Le trait de Flore Balthazar paraît au premier abord très simple et peut parfois sembler hésitant (c’est sa première BD publiée). Mais on se rend assez vite compte qu’elle sait rendre avec beaucoup de minutie les différentes attitudes propres aux félins. De plus, le point de vue se focalise à hauteur de Miss Annie (on ne voit par exemple que les jambes des humains, jamais plus). L’exercice est difficile mais le rendu très cohérent. Le découpage en gaufrier est quant à lui classique (8 cases par planches, jamais plus, jamais moins) et bien adapté à la narration. Celle-ci est linéaire, les événements se déroulant en continu. Il sera donc très facile aux plus jeunes lecteurs (dès 8 ans) de comprendre les tenants et les aboutissants de l’histoire.

Mettre en scène un chat dans une BD est tout sauf original. Cependant, Frank Le Gall a su trouver le ton juste. Sa Miss Annie est espiègle, joueuse, très gaffeuse mais aussi pleine de bon sens. Ceux qui ont ou ont eu un chat souriront en retrouvant de nombreuses situations ou réactions qui sentent bon le vécu.

Un album délicieux, tout en simplicité. Son gros point fort : il est vraiment tout public. Les amoureux des chats (et ils sont nombreux !) se régaleront évidemment, mais il peut aussi être lu par les enfants, les grands parents et tout ceux qui veulent passer un bon moment avec une BD bien faite et sans prise de tête. Paru dans l’anonymat des sorties estivales, voila un titre à offrir et à faire découvrir d’urgence.

Miss Annie, de Flore Balthazar et Frank Le Gall, Éditions Dupuis, 2010. 78 pages. 13,50 euros.



L’info en plus : Si Frank Le Gall est ici scénariste, il est aussi (et surtout) un dessinateur confirmé. Je ne saurais que vous conseiller son excellente série Théodore Poussin dont le premier tome de l’intégrale vient de sortir. Une grande série d’aventure mettant en scène un jeune homme qui, dans les années 1920, part en Extrême-Orient à la recherche du capitaine Steene. Un classique indispensable publié dans le journal Spirou à partir de 1984.

vendredi 16 juillet 2010

Entremonde

Mélanie Tamaki est une ado solitaire au physique plutôt ingrat. Élève médiocre, elle vit seule avec sa mère. Cette dernière est dépressive et fortement portée sur la boisson. Un soir, alors que Mélanie rentre chez elle, elle trouve la maison vide. Le téléphone sonne : la personne au bout du fil lui annonce que sa mère a été kidnappée. Pour la retrouver, la jeune fille va devoir se rendre dans l’Entremonde, une sorte de monde parallèle où vivent de bien étranges créatures.

Hiromi Goto a imaginé un univers vraiment original où se mêlent le fantastique, les légendes urbaines et les contes folkloriques. Les créatures de l’Entremonde font parfois penser aux personnages peuplant les histoires de fantômes de la tradition chinoise (notamment dans les Contes et chroniques de l’étrange recueillis par le lettré Pou Song-Ling au 17ème siècle). Mais le propos ne se limite pas au folklore. C’est aussi une quête initiatique censée permettre à une adolescente de franchir le difficile passage de l’enfance vers le monde des adultes.

Voila donc un roman jeunesse somme toute très classique qui se distingue néanmoins par la richesse de son univers. Mais c’est aussi là que le bât blesse. L’organisation entre les trois royaumes est fort compliquée à comprendre et finalement assez peu intéressante. La lecture du prologue, censée éclaircir tout cela, pose en fait les bases de cette complexité et tend à refroidir le lecteur. D’ailleurs, le prologue et l’introduction sont-ils bien utiles ? En intégrant les informations de ces deux préambules à l’intérieur du texte et en commençant l’histoire sans donner aucun indice sur le sens des différents événements, le roman aurait gagné en épaisseur. Avec l’intro et le prologue, tout le coté mystérieux disparaît avant la lecture et c’est un peu dommage. En fait, on veut être sûr que l’enfant qui va se lancer dans le livre possède toutes les clés avant d’attaquer. Cette simplification va à mon avis à l’encontre de ce que doit être la littérature, c'est-à-dire quelque chose qui ne vous tombe pas tout cuit dans le bec mais qui demande un minimum d’effort.

Autre souci, le peu d’empathie que l’on ressent pour le personnage principal. Mélanie est très « lisse ». Elle subit les événements, se montre courageuse quand la situation l’exige et se sort des situations les plus périlleuses grâce à l’intervention d’un tiers (la rate de jadeoù les corbeaux notamment). Ce n’est pas un personnage marquant. Elle manque d’ambivalence, de ce coté clair/obscure qui fait que chaque individu n’est jamais tout noir ou tout blanc. Trop pure, trop innocente, trop pétrie de bons sentiments, elle en deviendrait presque ennuyeuse.

De même, le coté spirituel de sa quête m’a gonflé. Clairement, l’épisode du brouillard à la sortie de l’Entremonde est une mise à l’épreuve de sa foi. Tout comme les réflexions de sa mère lorsqu’elle lui dit que les mondes sont en train de pourrir et de se détériorer parce que l’on doute de l’existence des esprits.

Attention cependant, malgré ces quelques défauts et surtout parce que je juge ce livre à travers le prisme de mon regard d’adulte ayant perdu beaucoup de ses illusions, il est évident que l’histoire peut faire mouche auprès du public auquel elle est destinée. Quelle petite fille ne prendrait pas tous les risques pour sauver sa mère ?

Bref, vous l’aurez compris, cette lecture ne m’a pas emballé mais j’insiste, c’est un roman qui peut tout à fait trouver son public et plaire à bon nombre d’ados. Personnellement, je n’y ait pas trouvé mon compte, rien de plus.

Entremonde, de Hiromi Goto, Éditions Baam !, 2010. 316 pages. 14 euros. Dès 13 ans.

L’info en plus : Si Entremonde est le premier ouvrage d’Hiromi Goto traduit en Français, cette auteur canadienne d’origine japonaise a publié deux autres romans très remarqué par la critique dans son pays. Chorus of Mushrooms (1994) a notamment gagné le prix du premier roman des écrivains du Commonwealth en 1994. Le second, The Kappa Child (2001) a remporté le James Tiptree Jr. Memorial Award (prix récompensant un ouvrage de sicence fiction ou de fantasy). Ces deux romans sont destinés aux adultes. C’est également en 2001 qu’est sorti son premier roman jeunesse, The Water of Possibility. Malheureusement, dans l’attente d’une éventuelle publication en français, ces titres ne peuvent pour l’instant être lus que dans la langue de Shakespeare. Avis aux amateurs.


Ouvrage lu grâce à blog-o-book dans le cadre d’un partenariat avec les éditions Baam !. Un grand merci à eux !

vendredi 9 juillet 2010

La monstrueuse histoire d'un petit garçon moche et d'une petite fille vraiment très laide

Lulu est un petit garçon moche (tellement laid qu’il n’a pas l’air d’être humain) qui ne connaît rien au monde. Ses parents ne se sont jamais occupés de lui et il vit seul, enfermé dans le grenier de la maison familiale. Il a un frère et une sœur, des jumeaux vraiment très beaux, mais insupportables et profondément idiots. Un matin, Lulu se réveille et la maison est vide. La guerre s’est déclarée et sa famille s’est enfuie. Lulu va alors quitter son grenier. En chemin, il rencontrera une petite fille également très laide avec laquelle il poursuivra sa route…

Une question s’impose lorsque l’on referme cet album : qu’est-ce que c’est que ce truc ? Déjà, le titre. Peut-être a-t-on cherché à faire dans l’original pour se démarquer de la concurrence ? En tout cas, pas facile de le noter en pense-bête sur un petit post-it avant d’aller à la librairie. Mais bon, à la limite, passe encore.

Les illustrations ensuite. C’est terne, une sorte de bichromie où les couleurs sont tristes à pleurer (rien de plus normal avec un sujet pareil, mais tout de même). On va sans doute nous sortir l’argument de l’univers à la Tim Burton pour qualifier positivement le style de l’illustrateur. S’il y a un vague petit air de ressemblance, on est quand même loin du compte.

L’histoire, enfin. Alors là, pour le coup, c’est mon gros coup de gueule. Le point de départ est classique et un brin gnangnan, mais il peut se défendre : oui, il n’y a pas que l’apparence, oui certains physiques «difficiles» cachent une pureté d’âme exceptionnelle. Et après ? C’est là que tout s’enchaîne et que l’on perd le fil : c’est la guerre. La famille disparaît. Lulu part à la recherche d’une petite fille aussi moche que lui.

Et on en rajoute dans les détails sordides : « c’était une petite fille vraiment très laide couverte de clous en or plantés un peu partout dans le corps. Certains étaient enfoncés dans ses yeux mouillés de chagrin mais les larmes ne s’écoulaient pas simplement de ses yeux, elles coulaient de tout son visage, la peau de porcelaine fissurée comme un vase rempli d’eau qui se brise. »

Et les deux enfants de s’automutiler : « Pour être certain de ne jamais plus être séparés, Lulu découpa la petite fille vraiment très laide en plein milieu du ventre, il lui enleva un bras, une jambe, puis fit de même avec lui. »

Et peut-être qu’après tout, tout cela n’est qu’un vilain rêve.

J’avoue humblement que je n’ai rien compris et surtout, c’est bien là le pire, que ce texte ne m’a pas touché une seule seconde. C’est gratuitement glauque, on en fait des tonnes dans le coté horrifique et désespéré de la situation sans aucune légèreté.

Finalement, on se demande à qui s’adresse cet album. La quatrième de couverture nous apprend que c’est un conte moderne « pour les vilains gamins et pour tous ceux qui sommeillent en chacun de nous ». Soit. Une chose est certaine. Si je lis ça un soir à mes filles de 5 et 8 ans, c’est le cauchemar assuré.

Il me semble que les auteurs ont juste voulu se faire plaisir sans penser à un quelconque public destinataire. Après tout, pourquoi pas puisqu’un éditeur les a suivi dans leur démarche créative. Personnellement, j’ai l’impression d’être face à une œuvre sans intérêt autre que celui de terrifier l’éventuel petit lecteur qui aura eu le courage d’attaquer la première page.

Alors que reste-t-il pour sauver cet album ? Son prix ? Même pas. 16,50 euros pour 36 pages dans un petit format carré 21x21 cm, on n’est pas loin du foutage de gueule. Décidément, il est rare qu’un ouvrage de littérature jeunesse cumule autant de points négatifs. Attention cependant, cet avis n’engage que moi et j’encourage d’autres lecteurs à découvrir cette monstrueuse histoire. J’aimerais beaucoup savoir si c’est moi qui suis à coté de la plaque où si mon point de vue très négatif est partagé.
D'autres avis bien plus positifs sur le site de l'éditeur : http://www.desrondsdanslo.com/Monstrueuse.html /
Et le site de Ludovic Huart : http://www.wix.com/LudovicHuart/ludovichuart/Page%2010


La monstrueuse histoire d'un petit garçon moche et d'une petite fille vraiment très laide, de Ludovic Huart et Fabrice Backes, éditions Des ronds dans l’O, 2010. 36 pages. 16,50 euros. A partir de ? ans.

L’info en plus : Les Ronds dans l’O est un petit éditeur de bandes dessinées qui s’est notamment fait remarqué en 2009 grâce à la publication de l’excellent album collectif En chemin elle rencontre..., un recueil regroupant des histoires courtes sur le thème des violences faites aux femmes.

lundi 5 juillet 2010

Indian Creek

A l’automne 1978, Pete Fromm s’apprête à passer sa troisième année à l’université du Montana. Il apprend par hasard que le Fish and Game Department de l’Idaho (l’équivalent de l’ONF) cherche quelqu’un pour s’occuper de 2,5 millions d’œufs de saumon implantés dans le bras d’une rivière. Le job est à priori simplissime : veiller sur les œufs pour leur permettre de passer l’hiver sans geler afin qu’ils puissent entamer leur grande migration vers l’océan dès le printemps. De la mi-octobre à la mi-juin, Pete Fromm va donc passer huit mois au cœur des montagnes rocheuses, seul sous une tente. Séduit par les récits de trappeurs que lui a racontés un copain de fac, il s’est embarqué dans cette aventure sans aucune expérience de la vie en pleine nature, encore moins l’hiver.

Tour à tour bucheron, braconnier, chasseur de lynx et éleveur d’œufs de saumon, il raconte avant tout une aventure humaine inoubliable pour un jeune de 19 ans. La rudesse de l’hiver dans cette partie de l’Idaho est particulièrement difficile à supporter : neige, blizzard, températures polaires… Pete Fromm va s’adapter. Pour éviter la monotonie, il multiplie les activités et apprend à découvrir la beauté de la nature qui l’entoure. Et malgré quelques moments de doute et de déprime passagère, il gardera de son passage à Indian Creek un souvenir impérissable.

De prime abord, on pourrait penser que ce récit a beaucoup de points communs avec Into the Wild. En fait, les deux textes sont très différents. Déjà, dans Indian Creek, les événements sont racontés par celui qui les a vécus. Ensuite, les motivations de Pete Fromm n’ont aucun rapport avec celles de Christopher McCandless. Il n’y a chez lui aucune volonté de fuir la société. Il veut juste jouer les trappeurs et vivre des aventures qu’il s’imagine déjà raconter à ses petits enfants, rien de plus. Enfin, le texte de Pete Fromm se termine parfaitement bien et est souvent assez drôle, ce qui n’est évidemment pas le cas d’Into the Wild.

D’ailleurs, l’auteur a la finesse de ne pas embarquer le lecteur dans d’interminables réflexions philosophiques sur le sens de la vie alors que son expérience de la solitude en milieu hostile aurait pu facilement l’entraîner dans cette voie. Il préfère, sans nier les difficultés, insister sur les bons moments et les petites anecdotes concernant son quotidien.

Indian Creek est un roman que l’on peut sans problème classer parmi les œuvres de Nature Writing (genre littéraire mêlant observation de la nature et considérations autobiographiques). C’est frais, vivifiant et très joliment écrit. A découvrir d’urgence pour tous ceux qui sont en manque d’air pur et de nature sauvage.

Indian Creek, de Pete Fromm, éditions Gallmeister, 2010. 238 pages. 9 euros.

L’info en plus : Les éditions Gallmeister viennent de publier le second ouvrage de Pete Fromm traduit en français. Avant la nuit est un recueil de nouvelles ayant pour cadre les paysages du Montana et de l'Ouest. Avis aux amateurs de grands espaces !


lundi 21 juin 2010

Waylander


Le roi est mort, vive le roi ! Le peuple Drenaï n’a pas pu faire sienne cette phrase traditionnelle censée célébrer la venue d’un nouveau monarque. Pour les Drenaïs, c’est la désolation qui a succédé à la mort du roi Niallad. Les ennemis vagrians ont envahi le pays, détruisant tout sur leur passage. Les quelques îlots de résistance restants sont sur le point de tomber. Le dernier espoir repose sur un homme, Waylander, le voleur d’âme. Ce tueur légendaire doit retrouver l’armure de bronze, le seul objet censé donner aux combattants Drenaïs la force suffisante pour repousser l’envahisseur. Mais peut-on faire confiance à Waylander ? Après tout, c’est lui qui a assassiné le roi.

Bienvenue dans le monde charmant et bucolique de David Gemmell. On y étripe à tour de bras, on viole femmes et enfants, on tue avec une froideur inhumaine... On philosophe aussi de temps en temps sur la foi ou le sens de la vie. Mais l’action reprend toujours très vite le dessus. Gemmel a l’intelligence de ne pas s’embourber dans une succession de scènes de combat qui deviendraient rapidement indigestes. La narration n’est pas linéaire en termes d’espace. On passe sans transition d’un lieu à l’autre, d’un protagoniste à l’autre. Cela permet d’éviter le ronronnement et donne au récit beaucoup de dynamisme.

Les scènes d’action sont à l’évidence le point fort du roman. L’auteur est très à l’aise dans les descriptions de combat. Elles se visualisent avec facilité. Tout se passe avec une fluidité remarquable, sans fioriture et avec un réalisme sidérant. Par ailleurs, le moins que l’on puisse dire, c’est que David Gemmel n’épargne pas ses lecteurs. Il fait disparaître sans sourciller de nombreux personnages pour lesquels on éprouve une réelle sympathie. Waylander est donc un texte violent et sans concession qui décrit crûment une guerre impitoyable. C’est ce qui fait son charme pour certains ou au contraire constitue un défaut rédhibitoire pour d’autres.

Alors, des points faibles ? Bien sûr, qui n’en n’a pas ? Déjà, pour les « gros lecteurs » de Fantasy, Waylander n’est qu’une variation de plus sur le sempiternel thème du héros- indestructible-qui-cache-en-lui-une-blessure-intime-et-qui-va-mener-à-bien-sa-quête-malgré-les-embûches-à-surmonter. Personnellement, étant un novice dans le genre, cet aspect déjà-vu et rabâché des dizaines de fois ne m’a pas gêné. Par contre, j’ai eu plus de mal avec quelques dialogues trainant en longueur, notamment les échanges entre soldats Drenaïs lors du siège de la forteresse de Purdol. Disons que le texte aurait gagné en concision en perdant une vingtaine de pages de blabla sans réel intérêt.

Pour conclure, je ne regrette pas d’avoir découvert l’univers de David Gemmel avec le premier tome (chronologiquement) du cycle Drenaï. Un vrai bon moment de lecture, dépaysant et sans prise de tête. Je me laisserai tenter sans problème par Waylander II lorsqu’il sortira en poche.

Waylander, de David Gemmel, Éditions Milady, 2008. 442 pages. 7 euros.

L’info en plus : Le dernier roman du cycle Drenaï est annoncé par Bragelonne pour l’été. Les épées du jour et de la nuit raconte la résurrection de Druss et Skilgannon. Mille ans après leur mort, ils vont combattre la diabolique et éternelle reine noire. A paraître le 16 juillet 2010.

Lu dans le cadre du défi de printemps de Livraddict et du challenge La fantasy pour les nuls de Craklou.
 
 

lundi 14 juin 2010

Le rayon de la mort

Andy est un lycéen américain semblable à beaucoup d’autres. Si ce n’est qu’il est orphelin et qu’il vit avec son grand-père. Si ce n’est également qu’il se découvre un jour des super pouvoirs en fumant sa première cigarette. A chaque bouffée inhalée, ses forces décuplent. Cette découverte ne va pas le bouleverser plus que ça de prime abord. Son copain Louie l’imagine déjà patrouiller dans les rues, faisant la chasse à tous les malfrats du coin, mais Andy à du mal à le suivre. Et puis dans cette petite ville du New Jersey, il y a peu de torts à redresser. Certes, Andy va s’attaquer à quelques petites frappes pas vraiment à la hauteur, mais il va surtout commencer à utiliser ses pouvoirs pour des raisons plus personnelles. C’est alors que les choses vont basculer du mauvais coté…

Daniel Clowes est dans son jardin avec cette histoire au départ banale qui devient rapidement effrayante. L’évolution psychologique d’Andy est la clé de voute du récit. Le portrait dressé d’une middle class américaine qui s’ennuie à mourir sonne juste. L’élément fantastique permet de montrer qu’il faut peut de choses pour transformer un ado lambda en justicier. Mais toute la problématique du récit tient dans cette notion de justice. Andy rend la justice selon ses propres critères. L’ouverture et la fin de l’histoire nous montre un Andy devenu adulte. Il se considère comme un sage : « Je n’ai jamais fait de mal à quiconque ne le méritait pas. Ma justice est clémente avant tout.» C’est d’ailleurs au bas de la deuxième page de l’album que tout est dit : « Je m’efforce toujours de faire ce qui est juste. […] Mais Bon Dieu que peut faire un homme seul face à quatre milliards de connards ? ».

Le rayon de la mort raconte donc essentiellement la construction d’une personnalité complexe qui va tomber dans les pires déviances. Et force est de reconnaître que ça fait froid dans le dos…

Graphiquement, Daniel Clowes est un adepte de la ligne claire à l’européenne. Son découpage alterne le très classique en gaufrier avec deux ou trois pages complètement déstructurées à la construction vraiment originale. Le récit est découpé en historiettes d’une ou deux pages, jamais plus. Il se dégage de l’ensemble un coté vintage particulièrement séduisant.

C’est bien beau tout ça, mais est-on en face du chef d’œuvre annoncé par tous les critiques dignes de ce nom ? En fait tout l’art de Daniel Clowes tient dans cette propension à délivrer son message sans avoir l’air d’y toucher. Tout en finesse. Mais doit-on pour autant considérer cet auteur comme un génie du 9ème art, comme le sont d’ailleurs beaucoup d’auteurs nord-américains portés au pinacle par la presse bobo/intello (Télérama et Technikart en tête) ? Franchement, je ne crois pas. Attention, ne me voyez pas là en pourfendeur de la pensée unique ou je ne sais quelle autre étiquette à la c… C’est juste que cet album est certes bon, fort bien réalisé et surtout excellemment édité (félicitations aux éditions Cornélius pour la qualité de la maquette et du produit fini), mais il souffre de quelques passages sans véritable intérêt. Disons que l’histoire aurait pu être quelque peu écourtée sans que cela nuise à l’ensemble. Je me suis d’ailleurs surpris à voir poindre l’ennui au cours de la lecture. Mais force est de reconnaître que l’impression d’ensemble reste très positive et que je ne regrette aucunement d’avoir découvert ce titre. C’est juste que pour, ma part, je ne crierais pas au chef d’œuvre, même si je sais pertinemment que Le rayon de la mort sera sans doute récompensé à Angoulême l’année prochaine. Tant pis, une fois de plus, je ne me reconnaîtrais pas dansde le palmarès du plus grand festival BD de France. Mais c’est une autre histoire…

Le rayon de la mort, de Daniel Clowes, éditions Cornélius, 2010. 64 pages. 16 euros.

L'info en plus : Les éditions Cornélius publieront à la rentrée un nouveau volume de Daniel intitulé Wilson. L’histoire d’un homme qui cherche à reprendre sa vie en main avant de replonger dans la déprime quotidienne. Une réflexion sur la médiocrité humaine à paraître le 23 septembre 2010.





Le Roaarrr challenge de Mo'
 

lundi 7 juin 2010

Tête de chien


L’histoire des Eriksson est celle d’une famille norvégienne de la seconde moitié du 20ème siècle. La rencontre entre Askild et Bjork, les grands parents, scelle le destin familial pour plusieurs générations. Cela se passe à Bergen, à la fin des années 30. Pendant la guerre, Askild passe deux ans dans les camps allemands. Marqué à jamais par cette expérience il revient en Norvège méconnaissable. Bjork épouse malgré tout ce fantôme revenu d’entre les morts, et après avoir séjourné quelques temps chez la belle-mère paternelle, le couple part s’installer à Stavanger. Mais l’expérience est de courte durée et les Eriksson reviennent bien vite à Bergen où Askild achète un terrain pour construire une maison. Entre temps, leurs trois enfants sont nés. Il y a Niels junior, l’ainé, Anne Katrine et Knut, le petit dernier.

Viré des chantiers navals de Bergen pour cause d’alcoolisme aggravé, Askild emmène les siens au Danemark. C’est là que la tragi-comédie des Eriksson va prendre toute son ampleur…

Le narrateur se nomme Asger. C’est le petit fils d’Askild et Bjork, le fils de Niels junior. Il retrace la saga familiale avec le plus de détails possibles, n’omettant aucun des moments importants. De ses grands-parents à ses parents en passant par son oncle et sa tante il déroule le fil dévénements souvent hauts en couleurs. Askild est un alcoolique passionné de cubisme. Bjork, une grand-mère volage qui se prend de passion à la fin de sa vie pour les cercles de jeu. Niels junior, surnommé feuille de chou, va connaître une enfance difficile à cause de ses oreilles surdimensionnées. Anne Katrine accuse un retard mental qui fait d’elle « un gros légume pâle ». Quand à Knut, c’est un gamin perturbé qui va très vite fuir ses parents pour voyager au long cours. Et puis il y a Stinne, la sœur du narrateur, Leila sa mère et des figures secondaires importantes tels que Tête de pomme, La Bonde, Madame Maman ou encore Thor Gunnarsson, le médecin amant de Bjork. Cette pléthore de personnages rend la lecture exigeante. Il faut beaucoup d’attention pour ne pas se perdre dans le flot des événements racontés et s’y retrouver parmi tous les membres de la famille.

Mais quel plaisir de se plonger dans ce roman déjanté et cocasse. Cette famille d’allumés notoires fait parfois penser à une troupe de freaks en goguette qui passe son temps à déménager (notamment lors de l’arrivée à Stavanger quand la famille traverse la ville dans une carriole tirée par un vieux canasson). On passe en deux pages du rire aux larmes. Le tableau dressé par l’auteur est bigarré à souhait. La palette des situations et des personnages présentés est d’une folle richesse. L’humour est aussi très présent, le langage est parfois très cru parfois onirique, l’intrigue vous surprend en permanence… Bref, voila tout simplement un grand roman.

A l’évidence, Morten Ramsland a lu Knut Hamsun (le plus célèbre écrivain norvégien du 20ème siècle) et son fabuleux roman La Faim. Il a sans doute aussi lu le Bandini de John Fante. On y retrouve la même truculence dans la description d’une famille vraiment pas comme les autres qui mérite que l’on s’attarde sur son cas avec la plus grande attention. Je ne pensais pas retrouver un jour une telle filiation chez un auteur européen. La surprise est d’autant plus belle et je ne peux que vous encourager à lire et à faire lire Tête de chien.

Comme quoi les écrivains scandinaves ne savent pas faire que des polars. Et c’est tant mieux !

Merci à Blog-O-Book et à Folio de m’avoir fait découvrir ce petit bijou.

Tête de chien, de Morten Ramsland, Folio, 2010. 465 pages. 7,70 euros.

L’info en plus : la littérature danoise reste encore assez confidentielle en France. Pourtant, le pays natal d’Andersen possède d’excellents auteurs contemporains. C’est notamment le cas de Carsten Jensen, dont le roman Nous, les noyés, vient de paraître aux éditions Libella-Maren Sell. Une épopée maritime de plus de 700 pages qui raconte l'histoire de trois générations de marins du port de Marstal, ville située sur une île de la Baltique, au sud du Danemark, entre 1848 et 1945. Un roman d'aventures qui présente le destin d'hommes quittant la rocaille de Terre-Neuve pour des destinations lointaines. Récompensé par de nombreux prix : Danske Banks Litteraturpris 2007. Prix Olof Palme 2009 (Suède). Prix Gens de mer 2010. Avis aux amateurs de grand large !

Apparemment, je ne suis pas le seul à avoir apprécié : ChocoPicwick, Mazel ont aussi beaucoup aimé.