vendredi 23 mars 2012

Soldats de sable

Higa © Le Lézard Noir 2011
J’avoue avoir un peu tiqué en découvrant dans ma boîte aux lettres ce manga envoyé par Choco dans le cadre du loto BD de Mo’. Un récit de guerre, pas mon truc ça ! Sur la seconde guerre mondiale et la bataille d’Okinawa en plus, encore moins mon truc. Surtout, je pensais que le point de vue serait ultra patriotique avec des kamikazes élevés au rang de martyrs à tous les coins de page. Je m’apprêtais donc à me lancer dans une lecture des plus indigestes lorsque j’ai parcouru la postface. Et là, pour le coup, j’ai été sacrément rassuré. L’auteur y précise en effet que son but était de mettre en valeur les témoignages de villageois ayant vécu et subi les horreurs de la bataille. Une sorte de devoir de mémoire, notamment envers ses parents, natifs de l’île.

Ce manga est en fait un recueil de nouvelles. La plus poignante est sans conteste celle que Susumu Higa consacre à la mémoire de sa mère, une femme remarquable qui, pendant le conflit, n’a vécu que pour protéger ses enfants. Mais le mangaka parle aussi du traumatisme ressenti par les autochtones, en grande partie à cause du jusqu’auboutisme de l’armée japonaise qui s’est souvent mêlée aux civils, en a enrôlé de force un très grand nombre et n’a pas hésité à assassiner ceux qui tentaient de lui résister. Au final, les sujets abordés sont tous très différents. Seul point commun évident, la présence de ces petites gens dont l’histoire avec un grand H ne parle que trop rarement. Le propos est limpide, la situation infernale vécue par tous les protagonistes japonais de la bataille d’Okinawa est clairement exposée et l’antimilitarisme qui affleure dans chaque nouvelle est amené avec suffisamment de finesse pour ne pas sombrer dans la prise de position simpliste.

Si je devais émettre une réserve, elle concernerait le dessin, assurément pas le point fort de cet ouvrage. Le trait de Susumu Higa manque de souplesse, les visages sont figés et laissent difficilement transparaître les émotions mais le découpage rend l’ensemble très lisible, c’est bien là l’essentiel.

Un superbe recueil proposé par les éditions Lelézard Noir. Et une bien belle découverte que je dois à Choco. Nul doute que sans elle je n’aurais jamais posé les yeux sur ce manga, ce qui aurait quand même été fort regrettable !


Soldats de sable de Susumu Higa, Le Lézard Noir, 2011. 252 pages. 21.00 euros.  


Higa © Le Lézard Noir 2011 



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mercredi 21 mars 2012

Thermae Romae 1 et 2

Yamazaki © Casterman 2012
A Rome, en l’an 128 de notre ère, sous le règne de l’empereur Hadrien, Lucius Modestus est un architecte sans grand talent. Spécialisé dans la conception et la construction de thermes, ses projets sont systématiquement refusés car son employeur considère que ses idées sont d’un autre âge. Déprimé, il se rend avec un ami dans un bain public et se retrouve aspiré par un trou au fond du bassin. Transporté dans l’espace et le temps, Lucius se réveille de nos jours au milieu d’un sentô (bain public japonais). De retour dans son époque, il va s’employer à reproduire les innovations découvertes dans le japon du XXIe siècle, ce qui fera de lui une célébrité et le mènera à côtoyer l’empereur en personne.

Au cours de chaque chapitre, Lucius voyage dans le temps et découvre un nouveau procédé technique qu’il met en application dès son retour à Rome. Présentées comme cela, les choses pourraient rapidement paraître très répétitives. C’était d’ailleurs ma grande crainte au début du premier volume. Mais finalement l’écueil est surmonté avec brio car l’auteur propose une vraie progression de l’intrigue. Au fil des chapitres, on voit évoluer l’état d’esprit de l’empereur ou encore la jalousie soulevée chez ses confrères par l’insolente réussite de Lucius. Surtout, ce dernier n’est pas présenté comme un simple technicien sans âme. Il doit faire face à un douloureux divorce et on le voit même tenter de régler ses problèmes d'érection ! Mélanger la petite et la grande histoire n’est pas d’une folle originalité mais la recette reste efficace. Grâce aux va-et-vient de Lucius entre son époque et la nôtre, l’auteur confronte les pratiques thermales de deux civilisations vouant aux bains publics un amour irraisonné. Entre chaque chapitre, des commentaires et des photographies enrichissent le propos et éclairent davantage encore la problématique venant d’être traitée. Pour les pointilleux, il faut bien reconnaître que la Rome antique de Mari Yamasaki est plus fantasmée qu’historiquement irréprochable, mais de mon point de vue, peu importe. De toute façon, quand on imagine qu’un architecte de l’an 128 peut voyager dans le temps, on peut se permettre quelques largesses quand à la véracité historique !

Graphiquement, le trait est réaliste et assez précis, notamment dans la reproduction des bâtiments, des vêtements et des objets de la vie courante.

Voila donc un manga plein de fraîcheur (normal, me direz-vous !), à la fois léger et instructif, qui m’a beaucoup séduit. La série, terminée au Japon, compte en tout six tomes. Le troisième sortira chez nous en juin et je serai avec plaisir au rendez-vous.


Thermae Romae T1 et T2 de Mari Yamazaki, Casterman, 2012. 190 pages. 7,50 euros.


Yamazaki © Casterman 2012
 
 
 




Ce billet signe ma seconde participation aux 10 jours japonais de Choco




mardi 20 mars 2012

Jintarô, le caïd de Shinjuku

Akiyama © Le Lézard Noir 2011
« Tu crois que je suis qui ? C’est quoi mon nom ? Dis-le ! ». Son nom, c’est Jintarô, le caïd de Shinjuku. Si vous ne savez pas qui il est, vous ne ratez pas grand-chose. Surtout, si vous ne connaissez pas son nom, c’est plutôt bon signe, ça signifie que vous n’avez pas encore eu affaire à lui. Jintarô est préteur sur gages. Un gros bourrin moche comme un pou et fringué comme un yakuza, aussi violent que vulgaire. Un obsédé sexuel qui, quand un client ne peut pas payer, demande à sa femme de régler les dettes en nature. Son quotidien est rythmé comme du papier à musique : « Je fais des bénéfices au péril de ma vie le jour et la nuit je m’adonne aux plaisirs de l’alcool et de la chair ». Tout un programme !

Dans une interview à la fin du recueil, l’auteur précise qu’il a voulu créer un personnage qui soit vraiment un sale type. Pour le coup c’est réussi. Son comportement et son faciès sont à vomir. Sans parler de son langage. Un petit exemple pour vous mettre dans le ton ? « La chatte des gonzesses c’est comme l’ouverture d’un porte-monnaie. Dès que tu montres de l’argent, elle s’ouvre grand. » La classe, non ?

Ce one-shot compte en tout et pour tout six chapitres. Comme Jintarô meurt à la fin, on se doute qu’il n’y aura jamais de suite. En même temps, difficile d’imaginer des millions d’aventures tant le personnage est stéréotypé. Et puis il vaut mieux déguster ce manga à petite dose pour éviter la nausée.

Le dessin de George Akiyama est ultra vintage. A tel point que j’ai longtemps cru que c’était un manga des années 70 avant de découvrir que la première publication des aventures de Jintarô datait de 1995. La gueule du prêteur sur gages, c’est quand même quelque chose ! Et puis les nombreuses scènes de sexe, sans être totalement explicites sont proches d’une forme de psychédélisme très étonnant.

De la série B trash et sans concession, assumée à 200% par l’auteur qui reconnaît que quand il créé son histoire, il ne réfléchit pas du tout, préférant dessiner comme il sent. Au final, je ne garderais pas un souvenir impérissable de ce titre même si je reconnais qu’il pourra séduire les amateurs de seinen atypiques. Une belle initiative en tout cas des éditions du Lézard noir que de faire découvrir en France un manga si particulier même si, chez cet éditeur, je préfère largement le sulfureux Vagabond de Tokyo.


Jintarô, le caïd de Shinjuku de George Akiyama. Le Lézard Noir, 2011. 184 pages. 18 euros.


Akiyama © Le Lézard Noir 2011




Ce billet signe ma première participation aux dix jours japonais de Choco

samedi 17 mars 2012

Le Diable, tout le temps de Donald Ray Pollock

Pollock © Albin Michel 2012
Dans l’Amérique des années 50-60, il ne fait pas bon vivre au fin fond de l’Ohio ou de la Virginie Occidentale. On y rencontre en effet de drôles de loustics. Il y a d’abord Willard Russell, vétéran de la guerre du pacifique travaillant dans un abattoir. Lorsque sa femme contracte un cancer incurable, il se met à sacrifier des animaux dans le jardin devant son fils Arvin. Mais il y a aussi Henry Dulap, avocat véreux et sa femme nymphomane, le prédicateur Roy Laferty et son cousin invalide Theodore, le shérif alcoolique Lee Bodecker ou encore le pasteur Teagardin dont l’un des passe temps favoris consiste à engrosser les jeunes filles de sa congrégation. Surtout, il y a Carl et Sandy. Ces deux là profitent de leurs vacances pour piéger les auto-stoppeurs ayant le malheur de monter dans leur voiture. Les trajectoires de ses personnages vénéneux ne vont cesser de se mélanger dans un maelstrom ravageur.
  
Encore un premier roman américain d’une grande puissance. Une belle leçon pour nos auteurs français qui se contentent le plus souvent de barboter dans l’autofiction sans saveur. Donald Ray Pollock ne s’interdit aucun excès. Rarement un texte aura aussi bien porté son titre. Le diable est en effet  présent dans ou autour de chacun de ces êtres en perdition. Il y a bien ici où là quelques âmes pures, mais aucune ne résistera aux damnés et aux prédateurs qui jetteront sur elles leur dévolu.

La prose est affutée comme un rasoir et l’auteur déploie un incroyable talent pour lier les histoires et les destins. Le lecteur se laisse mener par le bout du nez et voit les pièces du puzzle s’assembler avec limpidité. Imparable ! Un texte violent, sans concession, aussi glaçant que fascinant. Après Le sillage de l’oubli et avant Clandestin, ce nouveau détour du coté des romans américains me conforte dans l’idée qu'en 2012 cette littérature restera encore, et de loin, ma préférée. Un dernier mot tout de même sur la jaquette de couverture qui est juste abominable et ne rend pas du tout hommage, c'est peu de le dire, au talent de l'auteur.

Le Diable, tout le temps, de Donald Ray Pollock, Albin Michel, 2012. 370 pages. 22 euros.

PS : on me souffle à l'oreille que cette couverture est un clin d'oeil à Jackson Pollock, le peintre américain fer de lance de l’Action painting. Ok, je veux bien, mais alors c'est du sous-sous Pollock !

L'avis d'Athalie

L'avis de Nathalie


vendredi 16 mars 2012

Les années n°5 : spécial guerre d'Algérie

A l’occasion du cinquantenaire des Accords d’Evian, voici un numéro spécial de 12 pages consacré à la guerre d’Algérie. C’est bien sûr à travers la littérature que nous abordons ce sujet. Nous nous ferons largement écho de vos réactions et commentaires dans le prochain numéro.

Téléchargez le n°5

Rendez-vous le 31 mars, ici même, pour le numéro 6.


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Bonne lecture !


jeudi 15 mars 2012

Locke and Key 1 : Bienvenue à Lovecraft

Hill et Rodriguez
© Milady 2010
Après avoir échappé de justesse aux psychopathes qui ont assassiné leur père, les enfants de la famille Locke déménagent chez leur oncle sur l’île de Lovecraft dans un drôle de manoir. Tyler l’ainé et sa sœur Kinsey ont été très traumatisés par les événements. Le premier pense être responsable de la mort de son père et la seconde se coupe de plus en plus du monde extérieur tandis que leur mère sombre chaque jour davantage dans l’alcool. Seul Bode, six ans, semble avoir digéré la tragédie. Le gamin passe son temps à fouiner dans le manoir et il découvre une porte aux étranges pouvoirs. Autre découverte, une créature charmeuse et terrifiante qui vit au fond d’un puits dans le jardin et semble s’intéresser de près au bambin. Lorsque l’assassin de leur père s’échappe de sa cellule, les Locke savent qu’ils vont sans doute vivre un nouveau cauchemar…

A force de lire les avis enthousiastes d’Yvan sur les différents volumes de cette série, j’ai fini par craquer. Mes bonnes résolutions de début d’année (acheter moins et me focaliser sur ma PAL monstrueuse) n’auront tenu que deux mois. Que voulez vous, on ne se refait pas !

Alors Locke & Key, c’est vraiment une tuerie ? Le coup du manoir mystérieux n’avait au départ rien de bien original (il faut dire que depuis que je regarde les épisodes de Scooby-Doo avec mes filles je peux vous dire que je m’y connais en manoir lugubres et surprenants). Là, c’est un fait, on est loin de Scooby Doo. Le scénariste Joe Hill, fils de Stephen King, a su tisser une toile d’une redoutable efficacité. Le lecteur n’est pas pris pour couillon, c’est rien de le dire. La densité de chaque chapitre est telle qu’il faut continuellement rester attentif. Flash back, changement de décor au détour d’une case, protagonistes apparaissant succinctement et revenant de manière plus importante 100 pages plus loin... pas question de survoler le récit sous peine de s’y perdre totalement. Sans compter que les clés aux pouvoirs magiques surprenants cachées un peu partout dans la maison peuvent être une source inépuisable de rebondissements plus spectaculaires les uns que les autres. La tension palpable à chaque page rend cette série aussi angoissante qu’addictive. Je ne suis pas du tout fan des thrillers et des récits d’épouvante gores à souhait mais là je me suis laissé embarquer avec une étonnante facilité. Et n’allez pas croire que les choses sont édulcorées : ça cogne, ça saigne et ça fout vraiment les jetons par moments !

Graphiquement, le trait épais du chilien Gabriel Rodriguez ne m’emballe pas plus que ça. A noter tout de même l’importance qu’il accorde au regard de chaque personnage pour souligner les émotions et sa grande maîtrise des scènes où l’horreur et la terreur explosent sans crier gare.

Locke & Key a eu sur moi le même effet que Walking Dead : au départ réticent, pas fan du genre, je me suis laissé convaincre par les avis enthousiastes et au final j’ai découvert une série tout simplement remarquable. Seul problème, mes bonnes résolutions vont une fois de plus passer à la trappe et je vais m’empresser d’aller acheter la suite !

Locke and Key T1 : Bienvenue à Lovecraft de Joe Hill et Gabriel Rodriguez. Milady Grpahics, 2010. 168 pages. 14,90 euros.

Hill et Rodriguez © Milady 2010
 
Les avis de Yvan, Phooka, Ptitetrolle, Mr Zombi

mercredi 14 mars 2012

Kililana song 1 de Benjamin Flao

Flao © Futuropolis 2012
Archipel de Lamu, au large du Kenya. Une région paradisiaque pour l’instant encore épargnée par le tourisme de masse où les pêcheurs utilisent des bateaux traditionnels à voile et où chacun vit dans une grande simplicité. Le petit Naïm, 11 ans, préfère passer ses journées au grand air plutôt qu’à l’école coranique, au grand dam de son frère. Ce dernier le pourchasse dans les rues tortueuses du port pour le ramener par la peau des fesses sur les bancs de la classe. Suivant les traces de Naïm, le lecteur rencontre une galerie de personnages hauts en couleur : un capitaine hollandais traficoteur qui passe son temps à jurer comme un charretier, une jeune femme usant de ses charmes pour plumer des expat’ français snobinards et affairistes, un vieux sage philosophe où encore un sorcier animiste sur le point d’être exproprier. Une intrigue un brin décousue qui sert surtout de prétexte à la découverte d’une région naturelle n’étant pour l’instant par encore passée sous le rouleau compresseur de la modernité.

Au départ, l’auteur comptait réaliser un carnet de voyage classique. Mais à force de rencontres, d’anecdotes glanées ici ou là et surtout d’une envie irrépressible de faire une BD plutôt qu’une compilation d’aquarelles, Benjamin Flao s’est lancé dans ce diptyque au premier tome plus que prometteur. Naïm, son gamin débrouillard et cynique a tout de Tom Sawyer. L’histoire se déroule d’ailleurs à hauteur d’enfant, c’est ce qui fait tout son charme.

L’autre point fort de l’album tient évidemment à la qualité du dessin. Un trait proche du crayonné, des décors somptueux et des couleurs chaudes. C’est splendide ! Surtout, l’alternance entre les séquences dynamiques et celles plus contemplatives donne beaucoup de variété au récit. De la même manière, l’auteur fait se succéder des cases ultra fouillées et d’autre beaucoup plus épurées. A l’arrivée, ce parti pris graphique rend la narration très lisible et lui enlève toute lourdeur.

Des reproches ? Difficile de savoir où l’histoire va nous mener (même si pour moi, l’intérêt de l’album est ailleurs). Certains ne manqueront pas non plus de souligner que Benjamin Flao présente une Afrique de carte postale et ignore quelques réalités kenyanes comme l’intégrisme religieux, la grande pauvreté, le sida ou les guerres ethniques. Certes, mais on n’est pas ici dans le reportage à la Joe Sacco, plutôt dans le dépaysement version Hugo Pratt. La filiation avec le père de Corto Maltese est d’ailleurs évidente et assumée par l’auteur. Pour moi, le but est atteint, j’ai passé un moment de lecture délicieux qui m’a emmené loin, très loin de ma tristounette Picardie. Rien que pour cela, chapeau bas Mr Flao et merci pour la balade.

L'avis de Mo'.

Kililana song T1 de Benjamin Flao, éditions futuropolis, 2012. 128 pages. 20 euros.


Flao © Futuropolis 2012

Flao © Futuropolis 2012

Flao © Futuropolis 2012


mardi 13 mars 2012

La leçon de pêche - Heinrich Böll et Emile Bravo

Böll et Bravo © P'tit Glénat 2012
Dans un petit port de la côte ouest, un modeste pêcheur assoupi dans sa barque est réveillé par un touriste curieux. Ce dernier lui demande pourquoi il n’est pas en mer alors que le temps est parfait pour la pêche. Le pêcheur de lui répondre qu’il est déjà sorti le matin même et qu’il est revenu avec suffisamment de homards et de sardines pour ne pas avoir à retourner en mer une seconde fois. Le touriste lui explique alors que s’il sortait à nouveau il pourrait ramener davantage de poissons. Et s’il continuait chaque jour sur le même rythme, il pourrait bientôt troquer sa barque contre un bateau à moteur puis en acheter un second, se constituer une flotte de chalutiers, construire un hangar frigorifique pour stocker se pêche avant, à terme d’ouvrir sa propre conserverie. En gros, le petit pêcheur pourrait devenir un capitaine d’industrie si seulement il se donnait la peine de travailler plus. Mais sa conception de la vie est différente…

Une fable d’Heinrich Böll, prix Nobel de littérature en 1972, magistralement mise en images par Emile Bravo. Le texte date de 1963 mais il résonne encore aujourd‘hui où la valeur travaille semble pour beaucoup être le seul symbole possible d’accomplissement. Böll propose une réflexion sur la vanité, sur l’ambition démesurée, sur le capitalisme sauvage qui pille les ressources naturelles, bref sur quelques maux propres à notre monde actuel. Le propos est simple et immédiatement compréhensible pour les enfants. Les dessins de Bravo, comme toujours, privilégient la lisibilité. L’alternance entre des illustrations pleine page et des cases de BD évite la monotonie et donne du rythme. A noter également la qualité de l’édition avec un format à l’italienne et une jaquette dont le verso cache une magnifique illustration panoramique.

Un album idéal pour développer l’esprit critique des tout-petits. Et puis c’est pas tous les jours que l’on peut se vanter de lire à ses enfants un prix Nobel de littérature !


La leçon de pêche d’Heinrich Böll et Emile Bravo, Glénat, 2012. 40 pages. 12,20 euros. A partir de 4 ans.


Böll et Bravo © P'tit Glénat 2012

dimanche 11 mars 2012

Chronique de la dérive douce de Dany Laferrière

Laferrière © Grasset 2012
1976. Dany Laferrière fuit la dictature haïtienne et atterrit à Montréal : « J’ai vingt-trois ans aujourd’hui et je ne demande rien à la vie, sinon qu’elle fasse son boulot. J’ai quitté Port-au-Prince parce qu’un de mes amis a été trouvé sur une plage la tête fracassée et qu’un autre croupit dans une cellule souterraine. Nous sommes tous les trois nés la même année, 1953. Bilan : un mort, un en prison et le dernier en fuite. » Sans amis, sans toit et sans emploi, il découvre la ville : « Je marche toute la nuit dans la nouvelle cité. Je ne connais pas encore les quartiers qu’on ne doit pas traverser ni les filles qu’il est dangereux d’aborder. Dans un mois j’aurai perdu cette innocence. » Le choc des civilisations est parfois difficile à affronter : « Chacun muré dans son univers. J’ai quitté une capitale de bavards invétérés pour tomber dans une ville de mordus du silence où les gens préfèrent regarder la télévision plutôt que de s’adresser à leur voisin. La distance qui les sépare semble parfois infranchissable et cela se reflète dans cette agitation pour esquiver le regard de l’autre.» Le jeune homme du sud trouve un emploi à l’usine et surtout, il doit traverser son premier hiver dans une ville du nord. Une épreuve terrible ! Heureusement, la littérature, l’alcool et les femmes lui permettront de mieux affronter l’exil...

J’ai découvert Dany Laferrière en l’an 2000, avant un séjour estival à Montréal. Je voulais absolument lire des écrivains du cru avant de partir et j’étais tombé sur son premier roman, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, dans la très jolie collection Motifs du Serpent à plumes. Un vrai coup de cœur pour ce texte audacieux, drôle et sans concession. Depuis, j’ai lu tous ses ouvrages sortis en France. Il me manquait cette Chronique de la dérive douce publié au Canada en 1994. Un roman d’initiation à la prose poétique et précise qui relate à la fois une entrée dans la ville et une entrée dans la vie. J’y ai retrouvé avec plaisir ce narrateur faussement candide qui pose un regard plein de fraîcheur sur la mégalopole qu’il découvre. J’ai aimé son apologie de l’oisiveté, une prise de position dans laquelle je me retrouve totalement à l’heure où on nous bassine avec la valeur travail comme seul accomplissement possible pour l’être humain. J’ai aimé les références littéraires toujours aussi présentes, j’ai aimé ce personnage qui passe son temps à lire et à regarder les filles passer (deux activités dans lesquelles je me retrouve aussi totalement !), bref j’ai passé un excellent moment de lecture, comme d’habitude avec cet auteur !

Chronique de la dérive douce, de Dany Laferrière, Grasset, 2012. 220 pages. 16 euros.

samedi 10 mars 2012

Michel Butor : Printemps de poètes 2012 - Des recueils de poésie à gagner !

Michel Butor, né en 1926, est un auteur français mondialement connu pour son ouvrage La modification mais il serait injuste de réduire son œuvre à ce titre emblématique du Nouveau roman. Depuis des décennies, cet auteur creuse un sillon singulier et ne cesse de surprendre ses lecteurs. Récit, essai, collaborations avec des peintres, des musiciens ou des photographes, Butor n’hésite jamais à se lancer dans de nouvelles aventures littéraires. La publication de ses œuvres complètes en treize volumes par les éditions de La Différence est en cours depuis 2006.

En poésie, il se révèle un prosateur hors pair n’hésitant pas à connecté ses textes avec l’actualité. Son style très moderne conjugue recherche formelle et préoccupations contemporaines.

Autrefois, j'ai bu du café
en particulier en Égypte
où j'aimais bien mâcher un peu
le dépôt du fond de la tasse

Aujourd'hui je dois m'abstenir
mais je recherche son odeur
qui ramène une rue d'enfance
où chantait un torréfacteur

Quand je suis allé au pays
où Rimbaud tirait du café
j'ai senti la nécessité
de tenter la cérémonie

Près des églises troglodytes
dans l'exaltation du voyage
boire d'une seule gorgée
le café de toute une vie

(La cérémonie du café. Octogénaire, 2006)

Si vous souhaitez découvrir ce poète, je me propose de vous offrir le recueil Octogénaire, publié par les éditions des Vanneaux à l'occasion de ces 80 ans. Pour le recevor, rien de plus simple, il vous suffit de me laisser vos coordonnées dans la rubrique contact. J'ai plusieurs exemplaires disponibles, n'hésitez pas à en faire la demande !

Butor © Éditions des Vanneaux 2006

vendredi 9 mars 2012

Betty Blues

Dillies © Paquet 2003
Rice le canard est un trompettiste de talent qui écume chaque soir les bars du Westwood. Fou de jazz, il est aussi fou amoureux de sa petite amie, la jolie Betty. Alors le jour où cette dernière le quitte pour un gros chat roi de la finance, Rice noie son bourdon dans l’alcool, jette sa trompette du haut d’un pont et décide de prendre le premier train. Atterrissant dans une scierie où il rencontre un hibou terroriste qui lui redonne foi en la musique, Rice pense s’être remis sur les rails. Betty quant à elle, comprendra trop tard que l’argent ne fait pas le bonheur...

Suite à une infâme conspiration de talentueux blogueurs dont je tairais les noms (Mo', Oliv, Joelle, Chtimie, Mango), je me suis retrouvé dans l’obligation de lire cet album. Ben, oui, à force de parcourir leurs avis tous plus positifs les uns que les autres, je ne pouvais pas faire autrement que de plonger la tête la première dans ce récit animalier sortant des sentiers battus. Huit ans avant l’excellent Abélard, Renaud Dilliès imaginait déjà une histoire mettant en scène un canard. Les points communs entre les deux œuvres existent. Le canard et son chapeau, bien sûr, mais aussi, la cruauté de certains fieffés salopards, la fin, tragique, qui attend les deux personnages principaux, ainsi que la rencontre d’un ami qui représente un véritable soutien dans les moments les plus difficiles. Mais à mon avis les différences sont plus marquées. D’abord, Rice n’a pas la naïveté d’Abélard. Ce n’est pas un perdreau de l’année ! Ensuite, et c’est là le plus important à mes yeux, Betty Blues est une vraie histoire d’amour, contrairement à Abélard qui tient davantage du récit d’initiation. Une histoire d’amour qui, comme une évidence, va mal finir. La place tenue par Betty est d’ailleurs très importante. Son personnage de papillon de nuit attirée par les lumières de l’argent et les vapeurs de champagne se révèle touchant et très humain.

Niveau dessin, le trait de Dilliès est ici plus tortueux, peut-être un peu moins abouti, ce qui n’est pas pour me déplaire. L’utilisation systématique du gaufrier de six cases par planches est ultra répétitive et souligne quelques faiblesses en terme de découpage et de mise en scène mais cela ne nuit aucunement à la lisibilité. Un mot sur les couleurs d’Anne-Claire Jouvray, souvent en clair-obscur, qui collent parfaitement à l’ambiance mélancolique qui traverse l’album.

Un roman graphique tout en finesse sur un sujet qui, s'il n’a rien d’original et se décline depuis la nuit des temps, garde ici un charme et une petite musique inimitables. Une incontestable réussite !


Betty Blues de Renaud Dillies. Paquet, 2003. 78 pages. 15 euros.

Dillies © Paquet 2003




(Fauve) Alph-Art du meilleur premier album 2004

jeudi 8 mars 2012

Léon-Gontran Damas : Printemps des poètes 2012

Damas est un des trois grands noms de la négritude avec Césaire et Senghor. J’ai entendu son nom pour la première fois en 1992, l’année où j’ai passé mon Bac de français. Notre prof nous avait préparé un groupement de textes pour l’oral sur ce mouvement littéraire typique du XXème siècle. Un choix audacieux de sa part, je m’en rends compte maintenant. Qu’elle en soit aujourd’hui remerciée car j’ai pu grâce à elle découvrir des textes et des auteurs qui m’ont beaucoup marqué.

Damas se singularise quelque peu de Césaire et Senghor par le fait que son engagement politique est moins prononcé. Né en Guyane en 1912 dans une famille métissée, il rejette l’éducation bourgeoise que sa mère veut lui inculquer. C’est dans son premier recueil poétique, Pigments, qu’il exprime le mieux, non sans violence, un malaise profond, celui d’une personnalité qui ne trouve plus ses repères. Et puisque le thème de cette édition du Printemps des poètes est l’enfance, l’occasion m’est donnée de présenter le poème Hoquet qui est pour moi le plus représentatif de sa quête d’identité.



Et j'ai beau avaler sept gorgées d'eau
trois à quatre fois par vingt-quatre heures
me revient mon enfance
dans un hoquet secouant
mon instinct
tel le flic le voyou

Désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m'en

Ma mère voulant d'un fils très bonnes manières à table
Les mains sur la table
le pain ne se coupe pas
le pain se rompt
le pain ne se gaspille pas
le pain de Dieu
le pain de la sueur du front de votre Père
le pain du pain
Un os se mange avec mesure et discrétion
un estomac doit être sociable
et tout estomac sociable
se passe de rots
une fourchette n'est pas un cure-dents
défense de se moucher
au su
au vu de tout le monde
et puis tenez-vous droit
un nez bien élevé
ne balaye pas l'assiette


Et puis et puis
et puis au nom du Père
du Fils
du Saint-Esprit
à la fin de chaque repas

Et puis et puis
et puis désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m'en


Ma mère voulant d'un fils mémorandum

Si votre leçon d'histoire n'est pas sue
vous n'irez pas à la messe
dimanche
avec vos effets des dimanches

Cet enfant sera la honte de notre nom
cet enfant sera notre nom de Dieu
Taisez-vous
Vous ai-je ou non dit qu'il vous fallait parler français
le français de France
le français du Français
le français français


Désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m'en

Ma mère voulant d'un fils
fils de sa mère

Vous n'avez pas salué voisine
encore vos chaussures de sales
et que je vous y reprenne dans la rue
sur l'herbe ou la Savane
à l'ombre du Monument aux Morts
à jouer
à vous ébattre avec Untel
avec Untel qui n'a pas reçu le baptême


Désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m'en

Ma mère voulant d'un fils très do
très ré
très mi
très fa
très sol
très la
très si
très do
ré-mi-fa
sol-la-si
do

Il m'est revenu que vous n'étiez encore pas
à votre leçon de vi-o-lon
Un banjo
vous dîtes un banjo
comment dîtes-vous
un banjo
vous dîtes bien
un banjo
Non monsieur
vous saurez qu'on ne souffre chez nous
ni ban
ni jo
ni gui
ni tare
les "mulâtres" ne font pas ça
laissez donc ça aux "nègres"


(Léon-Gontran Damas, Pigments, 1937)


Et n'oubliez pas de vous rendre chez Sophie pour découvrir les contributions poétiques d'autres blogueurs.

mercredi 7 mars 2012

Octobre noir

Daeninckx et Mako © ad libris 2011

Pour ses copains, Vincent est chanteur dans un groupe de rock lycéen. Pour sa famille, Vincent reprend sa véritable identité, celle d’un jeune algérien prénommé Mohand. Pas simple pour lui de trouver sa place dans la France de 1961, au moment des « événements d’Algérie ». Le soir du 17 octobre, Vincent et son groupe doivent se produire au Golfe Drouot, dans un tremplin pouvant leur ouvrir les portes de l’Olympia. Mais à cette même date le FLN a décidé de mettre sur pied une grande manifestation pour protester contre le couvre-feu imposé aux algériens de la région parisienne par la préfecture de police. Partagé entre ses copains et l’envie de soutenir son peuple, Mohand prend le métro avec son père pour se rendre à la manif mais il s’éclipse discrètement avant le terminus pour filer au Golfe Drouot. En rentrant chez lui ce soir là il apprend que sa sœur Khelloudja, bravant l’interdiction paternelle, s’est jointe à la manifestation et est depuis introuvable…

Vingt-sept ans après la publication de son très beau roman Meurtres pour mémoire, Didier Daeninckx reprend la plume pour parler de la terrible soirée du 17 octobre 1961. Il assume son engagement pour l’indépendance et mâtine son propos de considérations sociales et politiques. Avant la manif, le lecteur découvre ainsi le triste quotidien des travailleurs algériens, leurs logements insalubres et leurs difficultés à joindre les deux bouts. La plongée au cœur du « plus grand massacre d’ouvriers, à Paris, depuis la répression de la Commune en 1871 » est elle aussi saisissante : un soir d’automne triste et humide, une pluie glaciale, ces hommes marchant gravement, sans cris, sans drapeaux et sans armes. Puis c’est la curée, les CRS sont lâchés : coups de feu, coups de matraque, coups de grâce infligés aux blessés, arrestations ultra-violente, la Seine qui se teinte du sang des victimes...

Vieux complice « BD » de Daeninckx depuis des années, Mako donne dans la sobriété. Son trait à l’encrage épais est réaliste et efficace. Avec ces grandes cases, ce découpage simple qui retrace fidèlement la chronologie des événements, ces couleurs forcément sombres, l’album est visuellement très réussi.

A travers le portrait de Khelloudja, le romancier rend hommage à Fatima Bédar, une jeune algérienne de 15 ans qui a absolument voulu manifester ce jour-là et dont le cadavre sera retrouvé le 31 octobre près du canal St Denis. Suicide, conclura la police. Une fois encore avec Daeninckx la petite histoire rejoint la grande. Et une fois encore, son évocation de la « Saint-Barthélemy musulmane » se révèle d’une rare puissance.

Octobre noir de Didier Daeninckx et Mako, éditions ad libris, 2011. 60 pages. 13, 05 euros.

Allez, un petit bonus puisque nous sommes en plein printemps des poètes, je vous offre le poème de Kateb Yacine qui conclut l’album :

« Peuple français, tu as tout vu
Oui, tout vu de tes propres yeux.
Tu as vu notre sang couler
Tu as vu la police
Assommer les manifestants
Et les jeter dans la Seine.
La Seine rougissante
N’a pas cessé les jours suivants
De vomir à la face
Du peuple de la Commune
Ces corps martyrisés
Qui rappelaient aux Parisiens
Leurs propres révolutions
Leur propre résistance.
Peuple français, tu as tout vu,
Oui, tout vu de tes propres yeux,
Et maintenant vas-tu parler ?
Et maintenant vas-tu te taire ? »


Daeninckx et Mako © ad libris 2011


Une BD offerte par Valérie dans le cadre du loto de Mo’. Un grand merci à elles !




mardi 6 mars 2012

Le premier mardi, c'est permis (5) : Comment rater sa vie sexuelle

Rose et Dannam
 © La Musardine 2012
Rappelez-vous, je me plaignais le mois dernier de cette littérature érotique à l’eau de rose qui met scène des apollons trop membrés et trop endurants pour être vrais. Je me prenais à rêver de héros masculins lambda pétris de défauts et très éloignés de ces inaccessibles surhommes. Alors quand je suis tombé l’autre  jour sur cet ouvrage annonçant fièrement en 4ème de couverture qu’il s’adressait « à tous ceux qui en ont assez qu’on leur demande d’être des bêtes au lit », « à tous ceux prêts à renoncer au culte de la performance », je pensais voir trouvé une vraie pépite. Malheureusement ma joie a été de courte durée...

La première partie, consacrée à l’attitude du loser sexuel avant la drague, est sans aucun intérêt. Soyez repoussant, sentez mauvais, oubliez la brosse à dents et le dentifrice, choisissez la coupe de cheveux la plus ringarde possible et le pseudo le plus pourri sur un site de rencontre, c’est la certitude de rater sa vie sexuelle mais aussi sa vie sociale et pour le coup je trouve ça complètement ridicule. Sans compter le petit paragraphe bien macho : « Les filles sont tout à fait incapables de comprendre quoi que ce soit à l’argent, sinon pour le dépenser [...] Donc, pas d’hésitation, donnez-leur des leçons d’économie pour les faire fuir. » (no comment !). J’ai très rapidement survolé ces pages pour m’intéresser à la seconde grande partie traitant de la sexualité (en même temps si les auteurs étaient cohérents, cette partie n’aurait pas lieu d’être puisque vu les conseils prodigués avant la drague, il est totalement impossible d’imaginer amener qui que ce soit dans son lit après la drague, même un animal de compagnie).

Peu importe, la partie consacrée au sexe est quand même la plus agréable à lire (heureusement) tant le catalogue de conseils proposés pour être un gros nul au lit donne le vertige. Les choses ne sont pas tout à fait présentées de cette façon là mais c'est ainsi que je les ai interprétées :

- pour éviter l’érection ? Il faut manger gras, avoir 3 grammes d’alcool dans chaque bras, s’être masturbé frénétiquement dans les heures précédant le rapport, etc.

- L’anatomie féminine à maltraiter ? Rien de plus simple : commencez par les seins en broyant le soutien gorge à 125 euros puis malaxez-moi ça comme une bonne pâte à pain ou utilisez les pinces à tétons SM dès la première rencontre, l’effet de surprise sera parfait. Si vous devez vous pencher sur le cas du clitoris, frottez-le comme quand vous récurez la cuisinière au tampon jex. Succès garanti !

- Les préliminaires ? Vous avez le choix : 1) les oublier 2) les bâcler.

- Le cunnilingus ? C’est pas compliqué, pour le foirer totalement, prenez un air dégoutté, croquez le petit bouton à pleine dent ou, plus subtil, bavez comme un bouledogue assoiffé et essuyez vous la bouche sur la dentelle de sa nuisette, elle sera ravie.

- La fellation : l’hygiène douteuse ou la tentative d’étouffement par exemple sont de bonnes entrées en matière. Le must ? Jouir sans prévenir, surtout si c’est une fellation sans capote. Madame va adorer.

Je vous fais grâce des chapitres sur la sodomie, les positions nulles au lit ou le mauvais usage des sextoys, il faut bien garder un peu de suspens...

Au final, on n’est pas loin du totalement lamentable. Seule partie à peu près valable (et encore), celle présentant le top 7 des nuls au lit : de l’égoïste (celui qui disparaît dans les 20 secondes suivant une éjaculation rapide en grognant « Putain, ça fait du bien ») au sûr de lui qui ne peut rien apprendre de nouveau en matière de sexualité en passant par le sportif (celui qui transforme le moindre petit missionnaire en séance de pompes), les portraits dressés sont assez justes et plutôt rigolos. Il n’empêche, il n’y a pas grand-chose à sauver de cet anti-manuel du sexe. Je sais bien qu’il faut prendre un bouquin pareil au 6ème ou au 7ème degré pour en apprécier la quintessence mais là, j’ai beau chercher, je ne la vois pas cette fameuse quintessence. C’est à se demander comment les éditeurs peuvent accepter de publier des torchons pareils. Peut-être parce qu’ils savent qu’il y aura des couillons comme moi pour les acheter !

Comment rater sa vie sexuelle de Stéphane Rose et Marc Dannam. La Musardine, 2012. 170 pages. 13,20 euros.




lundi 5 mars 2012

André Laude : printemps des poètes 2012

La 14ème édition du printemps des poètes commence aujourd'hui. Jusqu'au 18 mars, je vais tenter de consacrer quelques billets à la poésie. Je ne suis pas du tout un spécialiste, pas même un amateur éclairé, mais j'avoue que j'apprécie lire un poème de temps en temps. Rien de classique, plutôt du très contemporain. Et pour commencer cette série de billets, j'ai mis à jour un texte publié il y a déjà fort longtemps et consacré au trop méconnu André Laude, de loin mon poète préféré.
J’ai découvert André Laude pour la première fois en 1995. C’était par un matin d’hiver, dans les rayonnages de la BU de la fac d’Amiens. J’étais en 2ème année de DEUG de lettres modernes et on étudiait la littérature engagée. A coté des grand noms (Hugo, Vallès et les autres) se trouvaient une tripotée d’auteurs parfaitement inconnus pour moi : Han Ryner, Georges Darien, le poète Eugène Bizeau, Georges Navel, Ludovic Massé, Eugène Pottier (L’Internationale), Henry Poulaille ou encore Jean-Baptiste Clément (Le Temps des cerises). Tous étaient présentés avec brio par Thierry Maricourt dans son Histoire de la littérature libertaire en France (éditions Albin Michel). C’est donc là, en feuilletant cet ouvrage devant une étagère de la BU que j’ai rencontré André Laude. Thierry Maricourt le présentait comme un poète rebelle dont l’engagement (a)politique lui valu, entre autres, quelques tortures pendant la guerre d’Algérie.

Rapidement, je cherchais à trouver des recueils du sieur Laude mais sa production était tellement confidentielle qu’aucun libraire ne put me trouver le moindre de ses titres. Je finis par en dénicher un à la bibliothèque municipale. Et là, le choc fut total. Habitué aux enseignements universitaires qui ramenaient souvent la poésie à un pur exercice formel, je découvrais une voix pleine de bruit et de fureur.

André Laude est né en 1936 à Paris dans une famille pauvre, d’un père occitan et d’une mère bretonne. Subjugué par la poésie de Rimbaud, il devient un peu par hasard journaliste (il pigera notamment très longtemps pour le journal Le Monde et fera des émissions à France Culture). Jamais encarté, il souscrit aux thèses des communistes libertaires. Fervent défenseur de l’indépendance algérienne, il mena tous ses combats comme un révolté. Ce grand solitaire n’a jamais rien possédé. Il a vécu dans le dénuement et les vapeurs d’alcool. Une sorte de clochard céleste incontrôlable, fieffé mythomane. Ses détracteurs lui reprochent d’avoir souvent mordu la main qui venait de le nourrir. Il avait fait sienne la phrase du poète surréaliste belge Achille Chavée : « Je suis un vieux peau-rouge qui ne marchera jamais dans une file indienne. »

La poésie d’André Laude est une poésie à hauteur d’homme. Balayant d’un revers de la main toute forme de versification, il offre des textes flamboyants, souvent proches du surréalisme. Dans sa magnifique Histoire de la poésie française, Robert Sabatier cite Alain Bosquet : « La vertu d’André Laude est précisément, malgré la brutale clarté de ses textes, de leur garder une charge d’enchantement, de mélodie et de pureté intacte. » André Laude éructe ses poèmes. Il emporte le lecteur dans un tourbillon de mots semblant parfois incontrôlé, un peu comme un jazzman se lance dans une impro sans fin. Mais sa petite musique prend aussi souvent les accents du blues le plus pur, celui qui vous donne des frissons.

André Laude est mort le samedi 24 juin 1995 dans une petite chambre de Belleville. Épuisé par la solitude, l’alcool, le manque de confort matériel, il s’est laissé emporter… Sentant la fin arriver, il a griffonné un dernier poème, retrouvé près de son corps :

Ne comptez pas sur moi
Je ne reviendrais jamais
Je siège là-haut
Parmi les élus
Près des astres froids
Ce que je quitte n’a pas de nom
Ce qui m’attend n’en a pas non plus
Du sombre au sombre, j’ai fait
Un chemin de pèlerin
Je m’éloigne totalement sans voix
Le Vécu m’a mille et mille fois brisé, vaincu
Moi le fils des Rois.

Ultime tour de force pour un poète qui aura marqué à jamais ma vie de lecteur. Les Éditions de la Différence ont publié en octobre 2008, toute l’œuvre poétique d’André Laude dans un recueil de plus de 700 pages. Il trône fièrement dans ma bibliothèque. Il m’arrive souvent de le parcourir au hasard. J’y ai corné les pages contenant mes poèmes préférés. Je retrouve pendant quelques minutes cette voix singulière, le cri d’un homme entier, sans concession. Je passe alors un moment de pur bonheur et je comprends pourquoi la lecture est devenue pour moi une activité vitale.

Allez, avant de se quitter, un petit dernier pour la route :

Calmement j’annonce les temps neufs
Calmement j’annonce les revendications
De soleil et de chair du peuple
Calmement je vous crache à la gueule
si vous dites que tout ceci n’est pas de la poésie
Calmement j’écris ce qui précède
Et ce qui va suivre
En sachant bien que la langue
Doit coller à la vérité des hommes
Qu’elle doit se faire humble, salir ses mains
A l’huile des moteurs
Se vêtir de gros draps
Trainer dans les taudis et les hôpitaux
Visiter les solitaires les malades les angoissés les humiliés et offensés
Boire avec les ouvriers des trains du petit jour
Calmement je vous répète que je me fous
De savoir si les esthètes les branleurs du verbe
Auront ou n’auront pas la nausée
En lisant ces paroles absolument sincères qui ne cherchent pas l’absolu

dimanche 4 mars 2012

Gatsby le Magnifique

Fitzgerald © Gallimard 2012
Dans l’Amérique des années 20, le narrateur, Nick Carraway, a quitté son Middle West natal pour venir s’installer à New York et apprendre le métier de courtier en valeurs. Préférant ne pas vivre en ville, Nick emménage dans le quartier de West Egg, à Long Island. Une banlieue chic où son plus proche voisin, Jay Gatsby, organise de somptueuses fêtes dans sa non moins somptueuse villa. Gatsby est un personnage mystérieux. Certains affirment qu’il a été espion à la solde des allemands durant la première guerre mondiale. D’autres ont entendu dire qu’il mène des activités douteuses. Personne en tout cas ne sait réellement d’où vient sa fortune. Devenu rapidement l’ami et le confident de Gatsby, Nick comprend surtout que si cet homme multiplie les réceptions extravagantes, c’est dans le but d’attirer chez lui la belle Daisy Buchanan, un amour de jeunesse aujourd’hui mariée à un autre et qu’il souhaite ardemment reconquérir.

Gatsby est le chef d’œuvre de Fitzgerald. Un roman à ranger parmi les classiques de la littérature américaine. C’est surtout une satire mordante de l’égoïsme d’une partie de la société obnubilée par la gloire et l’argent. Le récit est traversé par l’amertume, la mélancolie et le constat de la vacuité de l’existence. Sur le personnage de Gatsby plane l’ombre du désenchantement. Il représente une sorte d’homme-enfant bercé par la nostalgie de ses souvenirs amoureux d’avant guerre.

La construction du roman et son découpage en neuf chapitres ne relèvent pas du hasard. Dans les quatre premiers Fitzgerald célèbre la jeunesse, l’espoir, l’éclat de la fête. Dans les chapitres six à neuf, c’est la mélancolie qui l’emporte. Gatsby réalise son rêve mais il perd ses illusions, le drame se noue, il pleut quasiment tout le temps. Le changement d’atmosphère est radical. Entre ces deux parties très différentes se trouve le 5ème chapitre, point central où tout bascule. C’est celui des retrouvailles entre Gatsby et Daisy, celui à partir duquel l'amoureux transi va doucement glisser vers son funeste destin.

Fitzgerald a écrit son roman pendant un séjour en France, à un moment où Zelda, l’amour de sa vie, le trompe avec un autre. Une situation qui le poussera dans une crise sentimentale extrême. Il déclarera d’ailleurs : « J’ai arraché Gatsby le magnifique de mes entrailles dans un moment de détresse. » Que retenir de ce texte magnifique ? Peut-être simplement une vérité trop souvent vérifiée : « Tout s’écroule lorsqu’un rêve poursuivi pendant des années devient une réalité. »

Gatsby le magnifique, de Francis Scott Fitzgerald. Folio, 2012. 200 pages. 6.20 euros.

 
Un  grand merci à Babelio et aux éditions Gallimard de m’avoir fait découvrir ce texte incontournable.



Ce billet signe ma 1ère participation au challenge d'Asphodèle intitulé Fitzgerald et ses contemporains.

samedi 3 mars 2012

Les enfants de la mer 1 de Daisuke Igarashi


Igarashi © Sarbacane 2012
Umi et Sora (en japonais : la mer et le ciel) sont deux enfants qui ont été élevés par des dugongs (mammifères marins herbivores de la famille des lamantins). Capables de vivre sous l’eau, leurs extraordinaires capacités sont étudiées par les scientifiques d’un aquarium. Ruka, la fille d’un océanographe va devenir leur ami et partager avec eux les secrets de la mer...

La transposition du mythe de l’enfant sauvage élevé non pas par des loups mais par des mammifères marins est une idée originale et plutôt bien trouvée. Tout comme le fait de mettre en scène non pas un mais deux enfants dont les caractères sont très différents. Pour le reste, j’ai eu du mal à être embarqué. Cette fable animiste et très écolo ne m’a fait ni chaud ni froid. Une lecture poussive, un vrai manque d’intérêt pour les développements de l’intrigue, à tel point que je ne me soucis guère de savoir pourquoi des milliers poissons disparaissent partout dans le monde et pourquoi nombre d’autres deviennent lumineux et se rassemblent près des côtes ou vivent Umi et Sora (le fin mot de l’histoire sera sans doute dévoilé dans le second tome). Je ne sais pas, il faut peut-être avoir une sensibilité plus maritime que terrienne pour apprécier ce récit à sa juste valeur ? En tout cas pour moi l’alchimie n’a pas fonctionné.

Par contre, si le scénario m’a laissé de marbre, j’ai beaucoup aimé le dessin. Daisuke Igarashi possède une vraie patte, un trait élégant assez éloigné des standards propres aux mangas les plus commerciaux. Les scènes sous-marines, notamment, sont magnifiques.

Oserais-je dire que ce manga n’a été pour moi qu’un coup dans l’eau ? Un peu facile. Disons plus simplement que je suis passé à coté. J’ai vraiment l’impression que c’est une question de sensibilité et je reste persuadé que ce titre aux qualités indéniables va rencontrer le succès qu’il mérite. D’ailleurs je n’ai pour l’instant lu que des avis positifs à son sujet.


Les enfants de la mer T1 de Daisuke Igarashi. Sarbacane, 2012. 320 pages. 15 euros.


Igarashi © Sarbacane 2012


vendredi 2 mars 2012

L’écureuil et la lune / L’écureuil et l’étrange visiteur

Meschenmoser ©
Minedition 2012
Petit coup de projecteur aujourd’hui sur le travail de l’illustrateur allemand Sebastian Meschenmoser qui mérite vraiment que l’on s’attarde sur son cas. Je l’ai découvert il y a quelques années avec l’album L’écureuil et la lune. Le voila de retour aujourd’hui avec un nouvel ouvrage mettant en scène le même personnage et intitulé L’écureuil et l’étrange visiteur.

Dans L’écureuil et la lune, l’écureuil se réveille un beau matin en constatant avec stupeur que la lune est tombée sur sa maison pendant la nuit. Persuadé que quelqu’un l’a volée, il s’imagine déjà accusé à tort et condamné à passer le reste de ses jours en prison. Il s’en débarrasse donc en la faisant tomber de la branche sur laquelle elle repose. Problème, la lune atterrit sur le dos d’un hérisson et reste coincée dans ses épines. Un bouc qui passe par là veut délivrer le pauvre animal et fonce sur la lune, l’embrochant avec ses cornes. Voici donc la lune sur les cornes du bouc, avec le hérisson toujours accroché à l’astre « si gros, si rond et si jaune » tandis que l’écureuil ne peut que constater les dégâts. Comment tout cela va se terminer ? Ne comptez pas sur moi pour vous donner le fin mot de l’histoire !

L’écureuil et l’étrange visiteur raconte l’histoire d’un ours qui se réveille un beau matin en découvrant qu’un être bizarre, tout bleu, est posé sur sa tête. Trouvant ce visiteur inquiétant, l’ours tente de lui échapper. Il raconte sa mésaventure à l’écureuil et celui-ci en déduit qu’un petit être tout bleu terrorisant un ours gigantesque ne peut que venir d’une autre planète. Sans doute veut-il enlever le plantigrade et l’emporter dans son vaisseau spatial pour mener des expériences scientifiques. A partir de là, l’ours, l’écureuil et leurs amis vont tout faire pour ne pas tomber dans les griffes du soi-disant extraterrestre…

J’adore cet univers rempli d’animaux pas fute-fute mais tellement attachants ! C’est drôle, bien mené et il y a une sorte de douceur et de poésie très particulière qui fait mouche auprès des enfants. Sans compter que si le premier titre est résolument dans le registre de l’humour, le second aborde l’air de rien la question de la différence, de cet autre que l’on craint tout simplement parce qu’on ne le connaît pas.

Autre gros point fort, évidemment, la qualité des illustrations : aucun encrage, un travail tout en finesse aux crayons de couleurs, des animaux dont les attitudes sont parfaitement rendues et des décors fourmillant de détails. Une petite merveille !

Un vrai coup de cœur pour ces albums à partager absolument avec les enfants. Quand on tombe sur des titres d’une qualité pareille, il n’est pas difficile de les convaincre que les livres et la lecture leur feront toujours passer de bons moments.

L’écureuil et la lune (réédition) de Sebastian Meschenmoser. Minedition, 2012. 44 pages. 10 euros. A partir de 3 ans.

L’écureuil et l’étrange visiteur
de Sebastian Meschenmoser. Minedition, 2012. 60 pages. 14 euros. A partir de 3 ans.



Meschenmoser © Minedition 2012


Meschenmoser © Minedition 2012

jeudi 1 mars 2012

Les années n°4

Au sommaire de ce quatrième numéro, des portraits d'Eric Holder et de Marcel Paul, une nouvelle de Michel Lalet, la chronique du professeur Hernandez, Trenet revisité, deux chroniques livres consacrées au Silence de la mer de Vercors et à Retour à Killybegs, le dernier roman de Sorj Chalandon et la présentation de recueils de nouvelles de Christian Bobin et Marie-Sabine Roger. De mon coté, je vous parle de l'adaptation en BD du dernier des Mohicans.

Si vous souhaitez recevoir la revue par mèl, il suffit de me contacter : dunebergealautre@gmail.com

Téléchargez le n°4

Le numéro 5, prévu le 15 mars, sera un spécial guerre d'Algérie.