mercredi 14 novembre 2012

Mine, une vie de chat

Pandolfo et Risbjerg
© Sarbacane 2012
Léon est un grand gaillard taciturne et un peu gauche. La solitude lui pèse, même si son meilleur ami Gaspard veille sur lui avec bienveillance. Le jour où Léon croise la route d’une chatte noire au regard envoûtant  sa vie bascule. Non seulement la chatte s’installe dans son petit appartement sous les toits et ne le lâche plus d’une semelle, mais surtout, un matin, à la place de l’animal, il trouve à ses cotés une superbe jeune femme nue. Décontenancé, persuadé qu’il est en train de rêver, Léon se demande par quel tour de passe- passe un tel miracle à pu se produire…

Mine, c’est le nom de la jeune fille mais c’est aussi le titre de ce joli roman graphique qui a de faux airs de conte fantastique. Le schéma narratif quinaire propre au genre y est d’ailleurs parfaitement respecté : situation initiale, élément déclencheur, péripéties, résolution, situation finale, tout y est. Mais au-delà des aspects purement techniques, Mine est aussi et surtout une belle histoire d’amour riche de personnages hauts en couleur. Les auteurs ont su créer un univers original et personnel laissant une grande part à la rêverie et aux déambulations.

    
Graphiquement, j’aime beaucoup le trait libre et souple du danois Terkel Risbjerg. Du noir et blanc épuré à l’encrage épais, presque charbonneux, qui fait la part belle aux mouvements. Ce dessinateur a longtemps travaillé dans l’animation, notamment comme storyboarder, et cela se ressent dans son découpage ultra-dynamique et très pêchu. A noter que le personnage de Léon rappelle Broussaille, un héros lunaire et poétique créé à la fin des années 80 dans le magazine Spirou par Bom et Frank Pé. Un bémol toutefois dans ce concert d'éloges, la construction trop elliptique donne parfois l’impression que le récit manque de profondeur.

Quoi qu’il en soit, si ce coup d’essai n’est pas tout à fait un coup de maître, voila néanmoins deux jeunes auteurs plus que prometteurs. C’est d’ailleurs tout ce que j’aime dans le catalogue BD de Sarbacane. On innove, on prend des risques et on n’hésite pas à sortir des sentiers battus pour proposer au lecteur des ouvrages toujours surprenants (rappelez-vous Le chien gardien d’étoiles ou encore Sous l’eau, l’obscurité).   

Mine, une vie de chat, d’Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg. Sarbacane, 2012. 174 pages. 22 euros.

PS : Rien à voir avec ce qui précède mais ceux ou celles qui souhaitent découvrir ma voix de velours (tu parles !!!!), peuvent m'entendre pour la troisième fois dans le cadre de  l'émission de radio La vie des livres. Je présente cette fois-ci L'enfance d'Alan, un des albums que j'ai le plus apprécié ces dernières semaines. Personnellement, je n'écoute jamais mes piètres prestations car j'ai horreur d'entendre ma voix mais si le cœur  vous en dit, je vous donne le lien : http://www.libfly.com/l-enfance-d-alan-emmanuel-guibert-livre-1686153.html
Et dites-vous bien que l'exercice n'étant pas facile, l'indulgence doit être de mise ;)


Pandolfo et Risbjerg  © Sarbacane 2012

Pandolfo et Risbjerg  © Sarbacane 2012









lundi 12 novembre 2012

C’est pour mieux te manger !

Rogier © Poisson Soluble 2012
L’auteur prévient dès la première phrase : « Il était encore une fois un Petit Chaperon rouge qui s’en allait porter une galette et un pot de saindoux chez sa mère-grand ». Sauf que cette fois-ci les choses se passent un peu différemment. Tout d’abord, on croise les trois petits cochons. Ensuite, la maison de mère-grand est sacrément effrayante (voir extrait ci-dessous). Enfin, le Petit Chaperon n’a rien d’une petite fille sans défense…

Un album qui ne paie pas de mine mais dont la mécanique parfaitement huilée finit par emporter l’adhésion. Françoise Rogier installe une ambiance oppressante grâce à une belle utilisation du noir, du rouge et du gris. Au fil des pages, la tension monte, jusqu’à la révélation finale où l’on découvre qu’il est parfois bon de jouer à se faire peur.

  
Un ouvrage que j’ai testé sur ma fille de 7 ans. Sa première lecture achevée, elle me le rend en me disant : « J'aime pas, c’est trop court ! » Une sentence aussi réductrice qu’injuste mais qui sortait du cœur.  Peut-être parce qu’elle se lance depuis peu dans les petits romans et qu’elle considère (à tort) que les albums ne sont plus de son âge. Le lendemain matin, elle reprend le livre. Je vois qu’elle s’attarde plus longtemps sur chaque page. L’ayant refermé, elle le tend à sa grande sœur et lui dit : « Tiens, lis ça, c’est trop marrant ! » Depuis, elle l’a relu pas mal de fois. L’évolution de son point de vue est intéressante à plus d’un titre et montre que c’est un album qui s’appréhende sur la durée. Nul doute aussi pour les plus jeunes qu’une lecture à voix haute de l’adulte peut apporter une dimension supplémentaire à l’aspect à la fois drôle et quelque peu inquiétant de l’histoire. Au final, plus qu’une énième variation autour du Petit Chaperon rouge, C’est pour mieux te manger possède un ton original et quelque peu décalé qui en fait une lecture hautement recommandable.
 
C’est pour mieux te manger ! de Françoise Rogier. L’atelier du poisson soluble, 2012. 26 pages. 15 euros. A partir de 4-5 ans


L'avis de Mo'
 

Rogier © Poisson Soluble 2012

samedi 10 novembre 2012

Les accusées de Charlotte Rogan (rentrée littéraire 2012)

Rogan © Fleuve Noir 2012
Août 1914. Alors que la guerre s’annonce en Europe, le transatlantique Impératrice Alexandra croise vers l’Amérique du nord avec à son bord de riches passagers fuyant le conflit à venir. Mais soudain, au milieu de nulle part, entre l’Angleterre et les États-Unis, c’est le naufrage. A peine quelques dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants peuvent prendre place à bord des chaloupes de sauvetage. Parmi eux, Grace Winter, 22 ans, qui vient de se marier et était en route pour Boston afin de rencontrer sa belle famille. Grace est la narratrice. Elle raconte vingt et un jours à la dérive en plein océan, dans une coquille de noix surchargée (39 personnes alors que la capacité maximale est limitée à 30) où les tensions se sont accentuées de jours en jours. La faim, la soif, le froid, l’humidité, les éléments déchaînés et les plus faibles qui ne survivront pas. Si Grace relate son histoire, c’est avant tout pour essayer de comprendre pourquoi, une fois revenues sur la terre ferme, elle et deux de ses camarades d’infortune furent accusées de meurtre avec préméditation à l’encontre de celui qui avait pris le commandement de la chaloupe.   

Une vraie bonne idée au départ de ce premier roman. Un huis-clos tragique, une tension palpable, des caractères que tout oppose et en filigrane une question métaphysique fondamentale : jusqu’où l’être humain est capable et a le droit d’aller pour sa survie ? Au cours du procès, le procureur interpelle les trois femmes : «  Et pourquoi avez-vous survécu ? Pourquoi n’avez-vous pas toutes les trois succombé aux éléments ? Pourquoi n’avez-vous pas dépéri, pourquoi n’êtes-vous pas tombées malades comme tant d’autres ? Quelqu’un de visiblement fort n’aurait-il pas choisi une voie plus noble et sauté à la mer pour sauver ses compagnons ? ». Et l’une d’elles de lui répondre : « Qui est véritablement noble ? Vous l’êtes, vous ? »

Tout cela est fort original et alléchant mais malheureusement, à la lecture, les déceptions se sont enchaînées. D’abord l’écriture est d’une platitude affligeante. Ensuite, les confidences de Grace n’ont rien de passionnantes. Les passages à bord de la chaloupe sont constamment entrecoupés par des considérations sur son mariage, sa sœur ou sa future belle-mère qui ont au final bien peu d’intérêt. Et même les scènes se déroulant à l’intérieur de l’embarcation ne m’ont pas convaincu. En fait, je crois que dès le départ je n’y ai pas cru. J’aurais voulu plus de réalisme, de bruit, d’odeurs forcément nauséabondes liées aux problèmes d’hygiène, bref, d’une description clinique de cette insupportable promiscuité. Tout semble aseptisé à l’extrême, comme si ce n’était qu’un jeu, une petite farce pour faire frissonner les lecteurs en mal de sensations fortes (et artificielles).      
  
Pour faire court, je me suis fait ch… alors qu’il y avait matière à trousser un récit passionnant. Dommage. 

 
Les accusées de Charlotte Rogan. Fleuve Noir, 2012. 260 pages. 18,90 euros. 

L'avis d'Ys






vendredi 9 novembre 2012

Heq : Le chant pour celui qui désire vivre de Jorn Riel et Benjamin Flao

Riel et Flao  © Sarbacane 2012
C’était il y a mille ans. A peine entrée dans l’âge adulte, Shanuq l’inuit fut enlevée par les indiens des forêts, ceux que l’on appelait les Hommes-Chiens. Mariée de force au chef Shapokkee, elle lui donna un enfant qu’elle prénomma Heq, comme son grand-père maternel. Fuyant les indiens avec son fils accroché sur le dos, Shanuq fut recueillie par des chasseurs venus de la côte. Elle trouva rapidement sa place dans la communauté. Par la suite, elle eut deux autres enfants, un garçon qu’elle prénomma Tyakutyik et une fille, Pukiq. Heq se révéla à l’adolescence un leader charismatique aux pouvoirs de chaman. C’est lui qui, après de nombreuses péripéties, mena les siens vers L’inlandsis, le pays de tous les inuits.
   
Une superbe adaptation en album d’un ouvrage paru en poche en 2001 aux éditions 10/18. Il y a d’abord le texte de Jorn Riel. Le lecteur se voit proposer une plongée quasi ethnographique dans le quotidien des tribus ancestrales du Grand Nord. Sous la forme de la fiction, il découvre les mythes et la culture inuit. Le récit mélange aventure, émotion, violence et sauvagerie. Le froid, l’âpreté de la nature, la vie dans des conditions extrêmes, tous ces éléments sont rendus avec force détails et précisions. Une grande place est également occupée par la quête de spiritualité.  Il y a ensuite le dessin de Benjamin Flao. Chaque illustration pleine page est un petit tableau. Le travail sur la lumière et les couleurs est remarquable et participe grandement à installer l’ambiance envoutante qui traverse le texte. Pour couronner le tout, il y a l’objet-livre lui-même. Du très grand format (24 x 38 cm) au cartonnage épais et au papier brillant du plus bel effet.

Au final, il suffit de se pelotonner au coin du feu et de se laisser embarquer pour les étendues infinies et glacés du Grand Nord canadien. Un voyage inoubliable !   
 

Heq : Le chant pour celui qui désire vivre de Jorn Riel et Benjamin Flao. Sarbacane, 2012. 62 pages. 19,90 euros. A partir de 10 ans

Riel et Flao  © Sarbacane 2012


Riel et Flao  © Sarbacane 2012


mercredi 7 novembre 2012

Trois ans, trois enfants



Il y a trois ans jour pour jour je publiais mon premier billet. Je n’avais à l’époque aucune autre ambition que celle de partager quelques impressions de lecture avec les trois pleupleux qui échoueraient par hasard sur cette page d’accueil. C’était un coup d’essai qui, je n’en doutais pas me connaissant, ne durerait de toute façon que très peu de temps. Et puis j’ai eu quelques commentaires, j’ai fureté à droite à gauche sur d’autres blogs et j’ai fait des rencontres virtuelles qui ont piqué mon intérêt. Au final, la machine s’est lancée et je n’ai pas arrêté depuis.


Beaucoup de plaisir donc, c’est le moteur principal. Mais aussi une volonté de continuer à naviguer d’une berge à l’autre, des albums pour enfants à la littérature érotique, de la BD au manga en passant par les classiques et les auteurs contemporains. Trop peu de fantasy et de polars, c’est un fait, mais je me soigne. Jamais de Bit Lit ni de Chick Lit (faut pas pousser), encore moins de thrillers ou de roman horrifiques (petite nature, le gars). En tout cas beaucoup de découvertes délicieuses glanées ici ou là sur la blogo. C’est un plaisir de tomber sur un billet qui vous donne vraiment envie, de se lancer dans la lecture et d’aller ensuite remercier celui ou celle qui vous l’a recommandé.

Bref vous l’aurez compris, je m’amuse beaucoup depuis trois ans et je compte bien fêter encore quelques anniversaires.

A part ça, je serai sans doute moins présent en 2013 puisque si tout va bien et comme vous l’avez peut-être compris en lisant le titre de ce billet, la famille va s’agrandir en février. Presque huit ans après n°2, ça va faire tout drôle de voir débarquer un petit bout à la maison. S’il n’y pas erreur sur la marchandise, ce sera encore une fille. Moi qui pensais peut-être chroniquer quelques albums sur les chevaliers, les pirates ou les dinosaures, je vais rester quelques temps encore avec les princesses et les univers girly (ouh, les clichés !). En tout cas, trois filles plus ma femme, ma vie va devenir un enfer ! Ne vous étonnez donc pas si je vous donne moins de nouvelles en 2013. Entre toutes mes pépètes et le boulot, il y a risque de surmenage.

En attendant et pour fêter tout ça, rien de tel qu’un petit concours. Les règles sont simples puisqu’il n’y en a pas. Il vous suffit de laisser un commentaire, disons jusqu’au 15 novembre minuit, pour participer. Je fais le tirage au sort et les deux premiers noms qui sortent du chapeau choisissent le titre qu’ils veulent parmi ceux affichés dans l’index à droite. Ça vous va ? Bon je ne prendrais en compte que celles et ceux qui sont déjà passés par ici (les fidèles quoi). Petit précision utile, les belges et les suisses sont les bienvenus.

Allez bonne chance à tous et à très bientôt.

Carmen Cru : l’intégrale

Lelong © Fluide Glacial 2011
Carmen Cru est une rebelle. Une vraie. Une pure et dure. Sans doute la dernière rebelle de la BD contemporaine. Pas pour rien que le 4ème volume de la série a pour titre Ni Dieu ni maître. Carmen Cru est indomptable, insubmersible, increvable. En fait, Carmen, c’est pour moi un amour de jeunesse. Je lisais ses frasques dans le Fluide glacial de mon père au milieu des années 80. Elle me fascinait autant qu’elle me terrorisait. Toute ratatinée dans son imper sans formes, ridée comme une vieille pomme, pédalant sur son vélo hors d’âge avec le fameux cageot accroché sur le porte-bagage, elle avait tout de la sorcière. Sous ses airs de pauvre femme en bout de course, elle cache le plus fichu caractère que l’on puisse imaginer. Quand elle fait la tournée des bars, elle oublie son porte monnaie et promet de revenir le lendemain. Les factures ? Elle ne les paie jamais parce qu’elle y comprend rien à toute cette paperasse et puis « c’est des voleurs, ils écrivent n’importe quoi, on veut m’escroquer. » Quand les voisins débarquent chez elle avec une pétition pour lui demander de quitter son taudis, elle fait semblant de ne rien comprendre et tous repartent la queue entre les jambes. Son âge avancé est son plus bel atout. Elle use et abuse de sa condition de vieille femme misérable pour profiter de tous les gens qui l’entourent. Sa méthode est simple et consiste à inverser les rôles en se plaignant haut et fort que l’on abuse de sa sénilité alors qu’en fait elle est en train mettre à la torture son interlocuteur. Résultat, les commerçants la craignent comme la peste, le médecin a perdu sa réputation à cause d’elle et le terrassier chargé de creuser une tranchée dans sa cour pour amener le gaz finit sa journée au bord de la dépression.

Carmen vit dans une maison entourée de murs qu’elle a fait construire pour s’isoler quand le quartier est devenu résidentiel. Ses voisins sont ses souffre-douleurs préférés, surtout Raoul, alcoolique notoire qui multiplie les crises de delirium et à qui elle demande constamment de porter son vélo dans les escaliers. Il y a aussi le Duc, un aristo qui a perdu sa fortune au jeu et qui s’émerveille devant le caractère entier de la vieille femme ou encore Poupi Mouvillon, un teigneux rêvant de voir son irascible voisine foutre le camp mais qui n’a pas assez de cran pour aller lui dire en face. Coté famille, Carmen a un neveu indigne qui ne pense qu’à récupérer son héritage et une mère à l’hospice qui lui écrit une fois par an.

Ces gens-là sont ceux que chantait Brel, l’humour (noir) en plus.

Jean-Marc Lelong a d’abord publié cinq volumes entre 1984 et 1987 avant de déserter sa planche à dessin pendant plus de dix ans. Il y revient au début des années 2000 pour réaliser deux nouveaux albums avant de disparaître le 24 février 2004, à 55 ans. Carmen Cru restera à jamais une série mythique de la BD humoristique pour adulte. Cette incontrôlable misanthrope m’aura en tout cas durablement marqué et c’est avec un bonheur non dissimulé que j’ai plongé la tête la première dans cette délicieuse intégrale.


Carmen Cru : l’intégrale de Jean-Marc Lelong. Fluide Glacial, 2011. 190 pages. 14 euros.

Lelong © Fluide Glacial 2011




mardi 6 novembre 2012

Le premier mardi c'est permis (11) : Mémoires de fanny Hill, femme de plaisir

Cleland © Bernard Pascuito 2008
Un bouquin trouvé en brocante. Le problème avec les livres érotiques achetés d’occasion, c’est qu’on risque à tout moment de tomber sur des pages collées. Pas que ça me dégoûte (pensez donc, j’en ai vu d’autres...) mais si je dois utiliser le coupe papier, il y a un risque de déchirure et je n’aime pas abîmer les livres. En tout cas le problème ne s’est pas posé avec celui-là parce qu’il était dans un état impeccable. Jamais lu à mon avis. Pourtant c’est un classique : « le plus grand roman érotique anglais de l’âge d’or du libertinage » dixit l’éditeur. Son auteur, John Cleland, l’a écrit en 1749 alors qu’il était emprisonné pour dettes. L’ouvrage demeurera son seul succès et le rendra riche, lui évitant de retourner au cachot. Le récit est tellement « audacieux » pour le puritanisme anglais que la perfide Albion n’autorisera sa publication officielle qu’en 1963. En France, c’est Apollinaire, au début des années 20, qui offrit la première édition érudite de Fanny Hill, lui donnant par la même ses lettres de noblesse littéraire. Dans la version d’Apollinaire, les passages les plus « compromettants » étaient relégués en notes de bas de page. Cette édition de Bernard Pascuitto peut donc être considérée comme la première publication intégrale et non expurgée de ce que nombre de lecteurs considèrent comme un chef d’œuvre.

Pour créer le personnage de Fanny Hill, Cleland s’est inspiré de Fanny Murray, une prostituée de 17 ans qui était l’idole des aristocrates londoniens. Sous la plume du romancier, Fanny raconte ses expériences à travers deux longues lettres où elle décrit sa vie misérable à la campagne, son arrivée sans le sou dans la capitale, son initiation dans une fameuse maison close puis sa spécialisation dans les orgies les plus débauchées. On suit donc au fil des pages la transformation d’une oie blanche en prostitué de luxe. Mais le récit s’attarde également sur les considérations liées au savoir-vivre. Fanny insiste longuement sur la bonne attitude à adopter face à une clientèle haut de gamme et exigeante. L’intérêt réside aussi dans l’évolution de la jeune fille. D’abord pure et innocente, elle acquiert vite l’expérience suffisante pour comprendre comment profiter au mieux de sa situation. Fanny devient une forte femme, intelligente, clairvoyante. Loin d’être une incontrôlable nymphomane (comme les prostitués de Pierre Louÿs par exemple), Fanny ne dédaigne pas le plaisir, mais elle place aussi la vertu au-dessus du vice, ne perdant jamais de vue le fait que ses nombreuses expériences lui ont surtout permis de trouver sa place dans le monde et n’ont pas fait d’elle une débauchée.

Il n’y a rien de glauque dans le récit de Cleland. Les clients sont classe, jamais violents. Même l’adepte du fouet se révèle au final un garçon plutôt gentil. Bien sûr, on est souvent proche d’une certaine forme de caricature, mais je préfère retenir le bonne humeur et la joie de vivre qui traverse le récit. Dans ses deux lettres, Fanny s’attarde, non sans humour, sur les descriptions physiques de ses michetons. Pour ce qui est du passage à l’acte, les choses sont davantage suggérées qu’exprimées dans les moindres détails. Un style très imagé qui m’a beaucoup plu, surtout si l’on y ajoute l’emploi quasi constant d’un passé simple délicieusement désuet : « Comment pûtes-vous m’abandonner ? ».

Bref, je ne suis pas mécontent d’avoir découvert ce grand classique. Voila un roman libertin finalement assez peu émoustillant qui m’a pourtant fait passer un excellent moment de lecture.


Mémoires de fanny Hill, femme de plaisir, de John Cleland. Bernard Pascuito éditeur, 2008. 220 pages. 20 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Marie.

Allez zou, rendez- vous chez Stephie pour découvrir
les autre lectures inavouables du mois


dimanche 4 novembre 2012

Chi, une vie de chat 9 de Kanata Konami

Konami © Glénat 2012
A la fin du tome précédent, Chi, soignée pour une conjonctivite, rentrait à la maison affublée d’une collerette. Dans ce nouveau volume, la jeune chatte, débarrassée de cet instrument de torture qui l’empêchait de se déplacer à sa guise n’a qu’une envie, retourner jouer dehors avec Minou. Mais ses propriétaires décident de ne plus la laisser sortir pour éviter qu’il lui arrive d’autres malheurs. Devant sa détermination, son maître cède et décide de lui acheter une laisse. Mais lors de la première promenade, Chi parvient à se faire la malle. Une escapade au grand air et en totale liberté qui ne sera pas de tout repos...

Les deux ou trois tomes précédents m’avaient un peu lassé du chaton et de son environnement mais ce nouvel opus relance quelque peu la machine. Kanata Konami joue sur le contraste entre la difficile condition du chat des rues (Minou) et la vie confortable du chat d’appartement (Chi) qui n’a qu’à miauler pour qu’on lui donne à manger et qui possède un coussin moelleux pour faire la sieste. Chaque petit chapitre semble indépendant mais participe en fait à la progression de l’histoire, ce qui donne une vraie cohérence à l’ensemble.

Chi est une série qui plait vraiment à toute la famille (je parle de la mienne). C’est le seul manga à faire l’unanimité puisqu’il est lu par mes filles, ma femme et moi. Il faut dire que le dessin kawaï, les couleurs douces, les chapitres très courts et la publication dans le sens de lecture occidental sont des arguments de poids pour les jeunes lecteurs qui découvrent le manga. Les plus grands, surtout s’ils possèdent un chat, reconnaîtront dans les mimiques de Chi leur propre animal. L’auteur parvient avec une remarquable économie d’effets à traduire les attitudes et les sensations infimes qu’expriment nos félins préférés. C’est sans doute dans cette retranscription réaliste, dans ces observations précises et humoristiques qui rappellent au lecteur un univers familier que tient le succès grandissant la série. Une vraie belle réussite !


Chi, une vie de chat T9, de Kanata Konami. Glénat, 2012. 146 pages. 10,75 euros.

samedi 3 novembre 2012

A travers les champs bleus de Claire Keegan (rentrée littéraire 2012)

Keegan © Wespieser 2012
Difficile de résister au charme de Claire Keegan. Son roman Les trois lumières m’avait ébloui l’an passé. C’est donc avec une certaine impatience que j’attendais de la retrouver à l’occasion de cette rentrée littéraire avec un recueil de nouvelles intitulé A travers les champs bleus. Ses thèmes de prédilections sont toujours aussi présents. Il est donc question d’Irlande (sauf dans un texte se déroulant au Texas), de désir, de solitude, de monde rural et d’océan. Il y est aussi beaucoup question de renoncement, comme dans la nouvelle donnant son titre au recueil où un prêtre célébrant un mariage renonce à avouer son amour à la mariée. Renoncement encore dans La nuit des sorbiers, où un homme fruste voit partir femme et enfant sans chercher à les suivre. Renoncement également pour cette mère de famille mal mariée qui ne pourra se résoudre à quitter le foyer. Renoncement, une fois de plus, pour le frère d’une étudiante s’apprêtant à partir pour les Etats-Unis. Il dit lui aussi vouloir tourner le dos à la ferme et vivre autre chose mais au fond de lui, il sait qu’il n’en fera rien.

Dans ces nouvelles, les hommes sont des lâches, des salauds mal-dégrossis qui préfèreront toujours leurs terres à leur famille. Certains s’abîment dans le travail, d’autres s’abrutissent d’alcool. Beaucoup se perdent dans le désir de femmes qu’ils ne méritent pas. Ces dernières s’en tirent mieux. Elles ont du cran, sont déterminées et gardent un coté indomptable. Elles continuent de croire que tout reste possible malgré les écueils qui se dressent devant elles.

Je suis toujours aussi émerveillé par la prose de Claire Keegan. Elle sait retranscrire à merveille la pluie, le vent et les tourbières, la violence des liens archaïques qui unissent les êtres. Sa prose est simple, limpide, précise. Pas un poil de gras, pas un mot de trop.

Je sais bien que la nouvelle n’est pas un genre très prisé par chez nous. Mais si vous n’aviez qu’un seul recueil à lire cette année, je vous conseille de vous laisser tenter par cette étourdissante balade à travers les champs bleus.

A travers les champs bleus de Claire Keegan. Sabine Wespieser éditeur, 2012. 256 pages. 22 euors.

L'avis de Clara ; L'avis de Jostein ; L'avis de Maryline ; L'avis de Missbouquin



jeudi 1 novembre 2012

Les Sisters 7 : Mon coup d’soleil, c’est toi ! de Cazenove et William

Cazenove et William © Bamboo 2012
Les Sisters partent en vacances à Sète. L’occasion de faire quelques balades en bateau, de pêcher des « fruits de la mer » (dixit Marine, qui a une « téchenique » d’enfer pour les attraper) et de prendre de sacrés coups de soleil. A part ça ? Du catch, une benjamine qui aime toujours autant fouiller dans les affaires de son ainée et un constat implacable fait par cette dernière : « Avec ma sœur, on se ressemble de moins en moins. »

J’aime beaucoup les Sisters parce que j’ai deux filles à la maison et que Wendy et Marine me rappellent parfois mes petites pépètes. Les héroïnes de Cazenove et William grandissent quelque peu au fil des ans mais leurs traits de caractère respectifs ne changent pas. C’est peut-être de là qu’est venue ma lassitude à la lecture de ce nouvel album. J’ai l’impression que cette série tourne sacrément en rond. C’est un plaisir de retrouver le dessin dynamique, les couleurs pastel et l’univers girly de William mais pour le reste j’avoue que je me suis ennuyé.

Heureusement, ma grande qui est totalement fan a dévoré ce septième tome d’une traite et l’a refermé en le qualifiant de « trop cool ». Tant que le public cible apprécie, c’est bien là l’essentiel. De mon coté, j’ai dû dépasser la limite d’âge. Pas grave, je vais me consoler avec un bon vieux Spiderman époque John Romita Jr. Rien de tel qu’un super héros en collant moule-burnes pour vous remonter le moral !


Les Sisters T7 : Mon coup d’soleil, c’est toi !
, de Cazenove et William. Éditions Bamboo, 2012. 46 pages. 10,60 euros. Dès 8 ans.

Mon avis sur le tome 5

Mon avis sur le tome 6

Mon avis sur le journal intime des Sisters


Cazenove et William © Bamboo 2012

mercredi 31 octobre 2012

L’étoffe des légendes 2 : La jungle

Raicht - Smith - Wilson © Soleil 2012
Rappelez-vous, je présentais le premier tome de cette série il y a un an. Dans une chambre d’enfant, le Croquemitaine vient kidnapper un jeune garçon et l’emmène dans son monde, le royaume de l’Obscur. Les jouets du gamin s’organisent alors pour partir à sa recherche. Au début de ce second volume, après avoir fui la ville de la Marelle, Max l’ours en peluche et ses compagnons trouvent refuge dans un zoo abandonné. L’armée du Croquemitaine les rejoint bientôt et lance une féroce attaque. Grâce à l’intervention de Golems sortis de nulle part, la petite troupe échappe au massacre et se dirige vers la jungle, où un danger plus terrible encore les attend…
  
Incroyable série que ce comics digne des contes les plus noirs. Un monde dangereux, des jouets « humanisés » à la psychologie extrêmement travaillée, une violence sourde et un méchant terrifiant au possible forment un cocktail détonnant. Amour, amitié, non-dit, trahison… quelques révélations vont sérieusement changer la donne pour la petite troupe. Si le cochon a depuis longtemps vendu son âme au diable, Max dévoile un secret qui va faire voler en éclat la cohésion du groupe. Et pendant ce temps-là, l’enfant parvient à quitter sa geôle sordide et part à l’aveuglette dans le monde de l’Obscur. Totalement addictif, je vous dis !
       
Le dessin est quant à lui toujours aussi stupéfiant. De grandes cases aux tons sépia qui rappellent les gravures sur bois d’antan et un découpage dynamique à souhait, notamment pendant les scènes de bataille. Comme le premier, ce second volume conserve un format carré atypique au cartonnage épais et une entêtante odeur d’encre qui vous saute aux narines dès que vous le feuilletez.
  
J’espère vous avoir convaincu de jetez un œil à ce titre totalement inclassable qui mérite vraiment que l’on s’attarde sur son cas. De mon coté, j’attends déjà la suite avec impatience.         
  
L’étoffe des légendes T2 : La jungle, de Mike Raicht, Brian Smith et Charles Paul Wilson III. Soleil, 2012. 128 pages. 19,99 euros.


Raicht - Smith - Wilson © Soleil 2011

Raicht - Smith - Wilson © Soleil 2011





lundi 29 octobre 2012

Les Bidochon 21 : Sauvent la planète

Binet © Fluide Glacial 2012
A quoi ça tient un changement de vie ? A un repas chez des amis qui vous font visiter leur maison écologique par exemple. Vous découvrez les joies du four solaire (40 minutes pour un œuf dur, véridique !), des toilettes sèches et des murs peints à la caséine de lait. Et votre femme ressort de là avec des idées vertes plein la tête. Pour vous, les temps s’annoncent difficiles. Entre le tri sélectif, les ampoules basse-consommation et le covoiturage, vos habitudes bien ancrées dans le train-train quotidien vont être sacrément bousculées…

Comme toujours, c’est Raymonde qui insuffle le vent du changement et Robert qui passe son temps à râler. Elle essaie de lui faire comprendre que chacun de nous peut sauver un petit coin de la planète en se montrant responsable : économiser l’eau en pensant « aux africains d’Afrique » ou lutter contre le réchauffement climatique qui frappe durement les inuits, obligés de s’acheter des climatiseurs (véridique !). Et lui de répondre : « Mais on les connaît même pas ! ».

Le schéma narratif reste immuable et tient dans l’opposition entre la mentalité vieille France de Robert et la bonne volonté naïve de sa femme. Lui cherche en permanence à imposer son point de vue et elle continue à avancer malgré son boulet de mari. Il faut quand même reconnaître qu’au fil des albums les Bidochon ont gagné en subtilité.

Binet évite l’écueil du donneur de leçon. Il se contente de mettre le doigt sur quelques incohérences évidentes et sur la futilité de ces petits gestes censés avant tout nous donner une bonne conscience écolo. Le but premier reste de toute façon de mettre en place des situations et des dialogues où l’humour prime. Au final, sur un sujet aussi casse gueule, les Bidochon restent fidèles à eux-mêmes et continuent de faire rire les lecteurs. Pari réussi, donc. Et rendez-vous au prochain numéro, avec peut-être une réflexion sur les sextoys ou le militantisme, le choix de Binet n’est pas encore arrêté (véridique !).

Les Bidochon T21 : Sauvent la planète de Binet. Fluide Glacial, 2012. 46 pages. 10,50 euros.

Binet © Fluide Glacial 2012

  

dimanche 28 octobre 2012

Le tireur de Glendon Swarthout (Gallmeister)

Swarthout © Gallmeister 2012
John Bernard Books est le dernier grand tueur de l’Ouest. Une légende. Lorsqu’il arrive à El Paso pour consulter un médecin lui ayant jadis sauvé la vie, il apprend qu’il souffre d’un mal incurable et qu’il ne lui reste que quelques semaines avant de disparaître. La nouvelle se répand en ville comme une trainée de poudre et bientôt tous les vautours du coin se rendent à son chevet pour espérer tirer profit de sa mort prochaine : une ancienne maîtresse qui le demande en mariage, un brocanteur qui lui achète sa montre, un barbier qui récupère ses cheveux, un photographe venu tirer son portrait, un journaliste voulant rédiger sa biographie et même le croque-mort qui a prévu de faire payer les curieux qui défileront devant son cercueil. Mais J.B Books ne peut se résoudre à mourir dans son lit, il veut partir dans un dernier coup d’éclat qui laissera une trace indélébile dans les mémoires.

Du grand western, comme on en fait plus. Glendon Swarthout met en scène le crépuscule d’une légende. Il décrit avec précision la déchéance physique entraînée par la maladie mais aussi la fin d’un monde, la disparition du Far West au profit de l’Amérique moderne. Ainsi, le shérif s’adressant à Books : « ça doit faire longtemps que vous n’avez pas regardé un calendrier. On est en 1901. Les jours anciens sont morts et enterrés et vous ne le savez même pas. Vous pensez que cette ville est juste un endroit comme les autres où faire régner une terreur de tous les enfers. Un enfer, c’en est un. Bien sûr qu’on a encore des saloons, des filles et des tables de jeu, mais on a aussi l’eau courante, le gaz, l’électricité et une salle d’opéra, on aura un tramway électrique d’ici l’année prochaine et on parle même de paver les rues. […] Où est votre place dans cette marche du progrès ? Nulle part. Votre place est au musée. Pour être plus précis, Books, vous appartenez à une autre époque, complètement révolue. »

Il n’y a pas grand monde à sauver dans cette galerie de personnages attirés uniquement par l’appât du gain et le profit personnel qu’ils tireront de la mort du tueur. Opportunistes, égoïstes, sournois et couards, ils visitent le malade sous des faux airs de compassion mais Books n’est pas dupe. Lui même sait qu’il n’a rien d’un bon samaritain et qu’il dégage une antipathie cultivée depuis nombre d’année et dont il ne pourra jamais se départir. Seule sa logeuse apparaît comme la bonté même. Un mot sur le dernier chapitre, duel final époustouflant et crépusculaire où les descriptions quasi chirurgicales glacent le sang du lecteur et l’emportent dans un tourbillon de bruit et de fureur. Du grand art !

Le tireur a été porté à l’écran par Don Siegel en 1976, avec John Wayne dans son dernier grand rôle. Qui pouvait mieux que lui incarner J.B Books ?

Le tireur, de Glendon Swarthout. Éditions Gallmeister, 2012. 200 pages. 9,50 euros.


L’ouvrage ne sortira que le 2 novembre. Un grand merci à Babelio et aux éditions Gallmeister pour la découverte !

jeudi 25 octobre 2012

Cours, petit hérisson ! Premier album des éditions Vert pomme

Dalla © Vert pomme 2012
Louison est un petit hérisson polisson. Il dérange ses frères et sœurs pendant la sieste et sa maman se met en colère. Du coup, Louison boude et il sort prendre l’air. Dehors, il découvre pour la première fois le monde sans sa mère. S’éloignant du gîte, il part à l’aventure. Mais les dangers son nombreux : la pollution, les renards, les chiens, la route, etc. Seul et terrorisé, Louison pense à sa maman et à la chaleur du foyer. Heureusement, son odorat particulièrement développé va lui permettre de rentrer sans embûche et de retrouver les siens.

Premier album d’une toute nouvelle maison d’édition jeunesse basée en Normandie, Cours petit hérisson ! permet aux enfants de découvrir cet animal que l’on croise facilement dans nos jardins. A travers l’histoire de Louison, on apprend à quel point la vie de ce petit mammifère insectivore n’est pas de tout repos ! L’histoire est toute simple et se suit avec facilité. Le découpage sous forme de cases de BD permet une première approche du genre pour les plus jeunes et le format souple à l’italienne offre une bonne prise en main. 


En fin d’album, une partie documentaire apporte un tas d’informations sur le hérisson (où vit-il ? quand commence-t-il à hiberner ? combien de temps dure la gestation ? quelles sont les principales causes de mortalité ? comment peut-on aider un hérisson à s’installer dans notre jardin…). Deux pages de jeux concluent cet ouvrage intelligemment construit qui a su conquérir la petite lectrice de 7 ans à qui je l’ai offert. Reste plus qu’à profiter des vacances pour installer un refuge dans un endroit tranquille et à l’abri du vent en espérant que le hérisson que l’on voit parfois traverser notre pelouse y élise domicile pour l’hiver.

Si ce titre vous intéresse, rendez-vous sur le site de l’éditeur, sachant qu’un autre album, consacré à la biodiversité, est paru en même temps que celui là.   
 

Cours, petit hérisson ! de Séverine Dalla. Vert Pomme, 2012. 32 pages. 9,60 euros. A partir de 4-5 ans.

Dalla © Vert pomme 2012

mercredi 24 octobre 2012

Thermae Romae 4 de Mari Yamazaki

Yamazaki © Casterman 2012
Aelius Caesar, fils adoptif et successeur annoncé d'Hadrien, vient de mourir. Craignant que la Pax Romana soit en danger, l’empereur s’apprête à confier à Lucius une mission capitale mais au même moment, l’architecte spécialisé dans la conception de thermes est à nouveau transporté dans le temps et se retrouve dans le Japon actuel. Et contrairement aux fois précédentes, son séjour s’éternise. Heureusement pour lui, il rencontre Satsuki, une jeune femme passionnée par l'antiquité qui parle couramment le latin. Grâce à elle, Lucius va devenir employé d’une station thermale et découvrir, souvent avec étonnement, la diversité des tâches à accomplir.

Ce quatrième volume marque une rupture avec les trois premiers. La majorité de l’intrigue se déroule au Japon et la Rome antique passe clairement au second plan. Une façon comme une autre d’éviter l’effet redondant des chapitres précédents mais je trouve que la série y perd quelque peu son âme. Au départ, Mari Yamazaki souhaitait comparer la culture japonaise et la culture romaine à travers le prisme des bains. Mais là, le ressort semble cassé. Le personnage de Lucius sert de faire valoir à la petite japonaise spécialiste de l’histoire latine. Difficile de ne pas voir dans la figure de Satsuki un autoportrait sans grand intérêt de l’auteur. Sans compter que le laïus sur les geishas de stations thermales tombe un peu comme un cheveu sur la soupe et n’apporte pas grand-chose au propos, contrairement aux scènes où le romain découvre le pouvoir magique de l’électricité et de la télévision qui sont pour le coup drôles et bien amenées.

Bref, vous l’aurez compris, je ressors de cette lecture avec la désagréable impression qu’un certain manque d’inspiration a poussé l’auteur à tricoter une histoire tirant artificiellement en longueur. Du remplissage, quoi. J’espère me tromper et retrouver dans le prochain volume les allers retours temporels et les péripéties farfelues qui font tout le sel de la série. Wait and see, comme dirait l’autre…   

Thermae Romae T4  de Mari Yamazaki, Casterman, 2012. 190 pages. 7,50 euros.

Mon avis sur les tomes 1et 2

Mon avis sur le tome 3


Yamazaki © Casterman 2012




dimanche 21 octobre 2012

Un repas en hiver d’Hubert Mingarelli (rentrée littéraire 2012)

 Mingarelli © Stock 2012
Ils sont trois. Soldats allemands envoyés par leur hiérarchie débusquer des juifs cachés dans la forêt polonaise en plein hiver, ils affrontent des conditions climatiques épouvantables. Peu leur importe, ils préfèrent la chasse à l’homme aux fusillades, des fusillades qui les dépriment et dont ils rêvent la nuit. S’ils ne ramènent personne ils ne seront pas autorisés à battre à nouveau la campagne le lendemain. Alors ils cherchent, malgré le froid qui rentre par les yeux et se répand partout « comme de l’eau gelée qui serait passée par deux trous. » Un peu par hasard, ils finissent par en trouver un. Un jeune juif qui pourrait être leur fils. Alors que la faim leur vrille les entrailles, ils aperçoivent une maison abandonnée. Ils forcent la porte d’entrée, rallument le poêle et décident de se préparer une soupe avec le peu de vivres dont ils disposent. Ils accueillent peu après un polonais et son chien et le laisse s’installer près d’eux parce qu’il porte sur lui une bouteille d’alcool de pomme de terre dont ils vont pouvoir profiter. Commence alors un étrange huis-clos entre trois soldats allemands, un prisonnier juif condamné à une mort certaine et un polonais antisémite réunis autour d’un repas en hiver…

Un roman glaçant. Le froid, la guerre, le ciel gris et bas, la neige, la faim. Et puis le malaise qui s’installe à l’arrivée du polonais. Son attitude haineuse à l’égard du juif réveille chez les soldats un soupçon d’empathie envers leur prisonnier. Ils savent pourtant qu’il ne faut rien ressentir pour ceux qu’ils capturent. Mais l’un d’eux ne peut s’empêcher de proposer que celui-là, on le laisse partir : « je veux […] pouvoir me rappeler de celui-là quand j’en aurais besoin. » Seulement, un seul ne suffira pas à oublier, à effacer tous les autres.

Hubert Mingarelli ne cherche pas à faire passer d’infâmes salauds pour des gens biens. Il n’y a dans son texte ni salauds, ni gens biens. Juste des hommes, dans toute leur complexité. Impossible, malgré leur statut, de ne pas trouver chez ces soldats une pointe d’humanité et une bonne dose de fraternité. C’est toute la complexité et la richesse de ce court roman aux dialogues ciselés. Le style est direct, les descriptions d’une précision clinique et l’ensemble se lit d’une traite. Aussi beau que dérangeant.

Un repas en hiver d’Hubert Mingarelli. Stock, 2012. 136 pages. 17,00 €.




vendredi 19 octobre 2012

Mimo : sur la trace des dinos de Mazan et Dethan

Mazan et Dethan © Eidola 2012
Enfant, il se baladait avec son père à la recherche de fossiles du coté de Périgueux. A cinq ans, les peintures de mammouths ornant les grottes de la région lui ont donné envie de faire du dessin. Lorsqu’on lui a proposé de créer des illustrations pour une exposition pédagogique sur le site de fouilles paléontologiques d’Angeac, en Charente, Mazan a sauté sur l’occasion de réaliser ses rêves d’enfant. Il faut dire qu’Angeac est un site exceptionnel puisqu’il est considéré comme l’un des plus importants gisements d’os de dinosaures en Europe. On y a notamment trouvé les restes d’un troupeau d’ornithomimosaures, (des dinosaures autruches ayant vécu il y a plus de 140 millions d’années) ainsi qu’un fémur de sauropode long de 2,40 mètres, soit le plus grand os découvert au monde ! Mazan s’est donc rendu sur place en août 2010 avec son carnet de croquis, ses crayons et sa boîte d’aquarelles. Résultat, il réalise avec sa compagne Isabelle Dethan un livre hybride, mi-album, mi-documentaire pour partager avec les lecteurs cette formidable expérience archéologique.

L’ouvrage se compose de trois parties bien distinctes. D’abord une histoire mettant en scène un jeune ornithomimosaure (Mimo) et son ami Hector, un carcharodontosaure à la redoutable dentition. Les deux petits dinos vont devoir débarrasser leur territoire d’un terrifiant crocodile. L’occasion de présenter dans cette fiction parfois proche de L’âge de glace toutes les espèces dont on a retrouvé des ossements à Angeac. Suivent un bestiaire très documenté qui présente de façon beaucoup plus sérieuse les personnages du récit et une dernière partie décrivant de manière très minutieuse le travail des paléontologues sur le terrain.

Au final, c’est passionnant ! L’histoire introductive est légère et pleine d’humour tandis que les deux autres parties regorgent d’informations plus instructives les unes que les autres. Les dessins, sans donner dans l’ultra-réalisme, restent d’une grande précision et le coté « carnet de croquis digne d’Indiana Jones » séduira à coup sûr les enfants. Je dis enfants mais je pense que l’ouvrage peut difficilement être lu avant 9-10 ans. Le lexique est assez ardu et les précisions techniques, notamment par rapport à la géologie, ne sont pas toujours faciles à suivre. Maintenant, bien accompagnés par leurs parents, les plus jeunes pourront sans doute y trouver leur compte, surtout s’ils sont passionnés par le sujet. Un beau cadeau à offrir aux paléontologues en herbe. Et pour les documentalistes de collège, un achat chaudement recommandé, même si votre établissement n’êtes pas en Charente !


Mimo : sur la trace des dinos de Mazan et Isabelle Dethan. Éditions Eidola, 2012. 68 pages. 10,00 euros. A partir de 9 ans.


Mazan et Dethan © Eidola 2012
 
Mazan et Dethan © Eidola 2012

jeudi 18 octobre 2012

Diane et autres stories en short de Christian Laborde

Laborde © Robert Laffont 2012
Comment résister à une telle couverture ? Plus que les short stories (les nouvelles), c’est la promesse d’histoires où le short des filles a le beau rôle qui m’a convaincu de m’offrir ce recueil. Alors, oui, Christian Laborde parle de shorts. Il y a celui d’Irène, la volleyeuse. Celui que Rebecca retire dès que survient l’orage. Celui de Florence, qui est noir, alors que celui d’Hélène, aux seins menus, est bleu. Dix-sept histoires en tout qui célèbrent cette merveilleuse partie du corps féminin cachée sous la petite pièce de tissu. Mais pas que. Il est aussi question de rencontres, de hasards, de petits riens qui dégénèrent joyeusement sans que l’on y prenne gare. C’est parfois très érotique, parfois simplement suggéré. La suggestion, voila sans doute la principale caractéristique de ces différents textes.

La langue de Christian Laborde est musicale, riche de métaphores. Cet auteur possède un ton, un style particulier. Il m’a souvent fait penser au cours de cette lecture à Eric Holder, sans pour autant égaler l’auteur D’embrasez-moi. Du charme et de la sensualité, certes, mais rien de franchement inoubliable. Une ou deux nouvelles sont au-dessus du lot (L’amant, notamment, est délicieusement troublante) mais pour avoir lu cet ouvrage il y a quelques semaines je constate qu’il ne m’en reste pas grand-chose. La couverture était alléchante mais l’emballage a pris le pas sur le contenu. Dommage.

Diane et autres stories en short de Christian Laborde. Robert Laffont, 2012. 136 pages. 16,50 euros.


L’avis enthousiaste de Stephie 

mercredi 17 octobre 2012

Notre mère la guerre 4 : Requiem de Maël et Kris

Maël et Kris © Futuropolis 2012
Janvier 1915. Des cadavres de femmes sont déposés sur la ligne de front. Sur chaque corps, l’assassin a laissé un mot d’adieu. Les crimes ont lieu dans un secteur où est cantonnée une brigade d’adolescents délinquants envoyés dans les tranchées contre une remise de peine. Ils ont entre 15 et 17 ans, l’administration a dû changer leurs dates de naissance pour qu’ils puissent s’engager. A leur tête, le caporal Gaston Peyrac. Ces gamins font office de coupables tout désignés lorsque le gendarme Roland Vialatte arrive sur place pour mener l’enquête. Vingt après, sur son lit de mort, il raconte…

Vous connaissez peut-être mon habitude consistant à n’attaquer une série que lorsque tous les tomes qui la composent sont parus. Une sale manie, certes, mais dans le cas présent, ce fut vraiment une bonne chose. Ici, seule la lecture intégrale des quatre albums permet de comprendre le projet des auteurs. Difficile en effet de saisir les tenants et les aboutissants de l’intrigue sans avoir toutes les cartes en main. Et comme il faut attendre la seconde moitié du quatrième tome pour que l’enquête progresse de manière définitive, j’ai bien fait de patienter.

A quoi bon faire une BD sur la première guerre mondiale après Tardi ? Une telle entreprise a un sens si l'on aborde la question avec un point de vue différent. Chez Tardi, les hommes sont des victimes, ils ont été forcés de partir au combat. Kris ne voit pas les choses de façon aussi réductrice. Il veut comprendre pourquoi beaucoup ont agi de leur plein gré, par patriotisme. Surtout, il cherche à savoir comment ces hommes venus d’horizons différents ont tenu des années dans les tranchées et ont pu s’étriper comme des chiens enragés avec des gars qui ne leur avaient rien fait. Son propos insiste également sur la solidarité qui leur a permis de supporter l’enfer, qui les a poussés à risquer leur peau pour des types qu’ils connaissaient à peine, à faire pour eux des choses qu’ils ne feraient pas pour leur propre famille.

Notre mère la guerre vous prend aux tripes. La crudité du conflit est montrée dans toute son horreur. La dernière case du premier tome m’a par exemple laissé au bord des larmes (et pourtant il en faut beaucoup pour m’émouvoir, je peux regarder Bambi sans ciller, c’est dire !). Kris gratte jusqu’à l’os pour démontrer que chacun possède en temps de guerre un potentiel de cruauté et de destruction absolument sans limite. Une sorte d’inhumanité qui reste envers et contre tout le propre de l’homme… On pourra sans doute reprocher à cette série son coté trop bavard. Personnellement, je pense au contraire que cette abondance de mots donne à l’ensemble un aspect littéraire remarquable.

Niveau dessin, on est dans le haut de gamme. Maël parvient à dessiner l’indicible. Son trait puissant restitue la laideur et l’étrange beauté de la guerre. Il joue des cadrages plus ou moins serrés pour décrire la souffrance sans sombrer dans le romantisme ou le film d’horreur. Les planches, réalisées en couleurs directes, sont magnifiques. Toutes sont traversées par différents tons de gris. Cette absence de luminosité renforce le coté crépusculaire de l’ensemble.

Il suffit de lire le texte de Tim O’brien extrait de son ouvrage A propos du courage en appendice de ce tome 4 pour comprendre toute la philosophie de cette série : « Une histoire de guerre véridique n’est jamais morale. Elle n’est pas instructive, elle n’encourage pas la vertu, elle ne suggère pas de comportement humaniste idéal, elle n’empêche pas les hommes de continuer à faire ce que les hommes ont toujours fait. Si une histoire de guerre vous paraît morale, n’y croyez pas. Si, à la fin d’une histoire de guerre, vous vous sentez ragaillardi, ou si vous avez l’impression qu’une parcelle de rectitude a été sauvée d’un immense gaspillage, c’est que vous êtes la victime d’un très vieux et horrible mensonge. La rectitude n’existe pas. La vertu non plus. La première règle, me semble-t-il, est qu’on peut juger de la véracité d’une histoire de guerre d’après son degré d’allégeance absolue et inconditionnelle à l’obscénité et au mal. »

Point de salut, point d’espoir, point de lumière. Après trois complaintes, il est temps de conclure le récit par une dernière prière, un requiem pour le repos des âmes. Tout simplement sublime.

Notre mère la guerre T4 : Requiem de Kriss et Maël. Futuropolis, 2012. 64 pages. 16,25 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo' (il y avait longtemps !). Filez vite découvrir son avis.

Maël et Kris © Futuropolis 2012