vendredi 1 juillet 2016

Topaz - Hakan Günday

Antalya et son tourisme bon marché. Antalya et son Grand Bazar. Antalya et ses Centers, monstrueuses échoppes où tout se vend, du cuir aux tapis en passant par les pierres précieuses. Topaz est la plus grande bijouterie de la ville. Un lieu dangereux où le touriste, amené par son Tour Operator, est jeté en pâture dans une arène dont il ne connait pas les codes. Face à lui le vendeur aiguise ses armes. Il jauge, cherche la faille, adapte son boniment en fonction de la nationalité, des vêtements, des réactions et de l’attitude de sa future victime.

A Topaz, Kozan est le vendeur le plus redoutable. Et le plus admiré. Quand un groupe suisse débarque ce jour-là, il jette son dévolu sur Gérard, sa femme et leurs deux filles, une famille d’agriculteurs venus de Suisse. « Vous savez, nous n’achèterons rien. Ne perdez pas votre temps avec nous ». Kozan entend la remarque de Gérard mais elle glisse sur lui comme l’eau sur les plumes d’un canard. Car il sait que ce discours volera bientôt en éclats, car il sait qu’il a quatre heures devant lui pour conclure une vente. Ou plusieurs. Pour des milliers d’euros, voire des dizaines de milliers d’euros. Car il est sûr de sa force de persuasion, de son argumentaire infaillible, des atouts qui débordent de sa manche. Il fait donc servir aux Suisses leur premier verre de raki. Le premier d’une longue série devant permettre à chacun de se détendre.

Je me réjouissais à l’idée de découvrir la plume d’Hakan Günday, prix Médicis étranger l’an dernier et enfant terrible de littérature turque. Pour le coup, la déception a été à la hauteur de mes attentes. Que de cynisme dans ce portrait au vitriol des vendeurs d’Antalya. Des vendeurs drogués et obsédés sexuels qui ont l’argent pour seule religion, des menteurs invétérés, imaginant les scénarios les plus tordus pour parvenir à leurs fins, prêts à écraser les collègues pour prendre en charge les pigeons les plus prometteurs. J’ose espérer que le tableau dressé relève de la grossière caricature, même s’il y a forcément du vrai dans tout ça.

Ma déception vient également du fait qu’il ne se passe finalement pas grand-chose dans ce roman. On assiste à la visite du groupe suisse, on voit quelques vendeurs à l’œuvre en se focalisant sur Kozan. Et après ? Rien. Des personnages détestables, tous sans exception, qu’ils soient clients ou commerçants, et une pirouette finale où l’on nous fait le coup de l’arroseur arrosé, que je n’avais pas vu venir mais qui ne m’a pas convaincu.

Günday multiplie les aphorismes, les déclarations péremptoires. Il tire à vue sur le consumérisme, le tourisme de masse et le comportement de ses compatriotes. Mais je trouve le procédé un peu facile, sauf à considérer son texte comme une énorme farce. Et puis trop d’aphorismes tue l’aphorisme. Exemples :

« Chacun sait qu’il faut soutirer son fric au touriste, d’une façon ou d’une autre. Celui-ci, par définition, est tenu d’acheter. Sinon ce n’est pas un touriste mais un envahisseur étranger. »

« Le tourisme est édifié sur des stéréotypes nationaux. Ses fondations sont donc des plus solides. »

« Dans le tourisme, la propriété  à vie n’existe pas. Tout se loue et change de mains, y compris l’estime. »

« Le tourisme, c’est l’art de vendre des mirages. »

« Un vendeur est une personne qui ne pose que des questions auxquelles la réponse est oui. »

Il y en a comme ça toutes les deux ou trois pages. A force, ça lasse…

Un roman qui m’a crispé et agacé. Une première ratée donc. Mais il y a chez cet auteur un petit quelque chose d’irrévérencieux qui me pousse à lui offrir une seconde chance. Pourquoi pas avec son prix Médicis, dès qu’il sera sorti en poche.

Topaz d’Hakan Günday. Galaade, 2016. 230 pages. 22,50 euros.





jeudi 30 juin 2016

La libraire - Pénélope Fitzgerald

J’ai attaqué cette lecture à reculons à cause d’Hélène. Son avis particulièrement mitigé m’avait refroidi, c’est rien de le dire. Je suis donc rentré dans ce roman anglais des années 70 sur la pointe des pieds pour y découvrir Florence Green, jeune veuve décidant d’ouvrir une librairie dans un local à l’abandon. Nous sommes en 1959, à Hardborough, un petit village du Suffolk où la création de ce commerce fait jaser. Et la pauvre Florence ne s’attendait pas à subir tant d’ostracisme de la part des notables locaux…

La libraire ou l’enfer feutré d’une communauté ayant fait de la médisance et des récriminations ses passe-temps préférés. Florence la naïve, subissant l’accueil tiède du banquier, l’indifférence du notaire et la vindicte d’une rombière fortunée. Florence aidée par une gamine de onze puis par un employé de la BBC, Florence soutenue par le vieil original du coin et frappée de plein de fouet par les foudres d’un conservatisme bien pensant après avoir exposé la Lolita de Nabokov dans sa vitrine.

Hélène parle d’un roman plat et sans grand intérêt. Je ne serais pas aussi sévère. Certes, l’ensemble est assez mou et « la guerre » annoncée par l’éditeur dans le résumé se déroule à fleurets mouchetés. Mais je l’ai lu sans déplaisir, appréciant l’ambiance venteuse et rafraîchissante d’une campagne anglaise dégageant un charme délicieusement suranné. Un lord excentrique, un esprit cogneur hantant la librairie, une party dans un manoir bourgeois, des dialogues « old school », il n’en fallait pas plus pour que je passe un agréable moment.

Pas certain qu’il m’en reste grand-chose d’ici peu mais j’ai aimé ces quelques heures passées auprès de Florence, libraire à la fois courageuse et résignée, préférant finalement quitter ses détracteurs à l’esprit étriqué plutôt que de rester dans un environnement sclérosé par un indéboulonnable conformisme.

La libraire de Pénélope Fitzgerald (trad. de l'anglais par Michèle Lévy-Bram). Petit Quai Voltaire, 2016.176 pages. 14 euros.





mercredi 29 juin 2016

Le rapport de Brodeck - de Manu Larcenet

Dans un village traumatisé par la guerre, Brodeck, fonctionnaire établissant des notices sur la faune et la flore locales, est chargé par le maire de raconter dans un rapport l'arrivée et le comportement de l’Anderer (l’autre), afin de dédouaner les villageois qui l’ont assassiné. Brodeck, revenu depuis peu de l’enfer des camps, n’a pas participé au meurtre. Il comprend que l’Anderer a été tué uniquement parce qu’il était un étranger, un inconnu, un danger. Il comprend aussi que son rapport devra établir des circonstances accidentelles pour le décès et que la vérité n’y aura aucune place. Il comprend enfin que sa propre vie et celle des siens est en danger s’il ne fait pas ce que l’on attend de lui…


Incroyable adaptation du texte de Claudel, incroyable diptyque d’une force d’évocation phénoménale. Larcenet prend son temps. Il installe son récit dans une certaine lenteur, alternant les séquences de dialogues et de longues séquences contemplatives en extérieur. La tension monte, l’ambiance délétère ne cesse de s’alourdir. Un roman graphique qui suinte, où l’humidité dégouline des arbres, des maisons, du brouillard, de la neige fondue. Un roman graphique qui diffuse insidieusement la peur, la menace latente et permanente. Un roman graphique qui vous agrippe et vous écrase sous un noir et blanc dense, profond, oppressant, ciselé, dont le rendu est parfois proche de la gravure. Le blanc du paysage face à la noirceur des hommes, la sauvagerie des seconds étant finalement bien plus forte que celle des éléments.


Le rapport de Brodeck dit les petites et grandes lâchetés, l’ignorance, la peur de l’autre, le repli sur soi, l’effet de meute transformant les hommes en bêtes. On sent à chaque page l’épuisement physique et moral, la tempête intérieure qui ravage les cœurs et les esprits. Le deuxième tome dégage davantage de puissance, notamment grâce aux flash-back qui dénouent peu à peu les fils d’une intrigue devenant plus irrespirable à chaque nouvelle révélation. La réussite majeure vient du fait que tout reste au niveau de la suggestion, que jamais on ne sombre dans une esthétique de l’horreur à laquelle il aurait été si simple de céder tant les épisodes monstrueux sont nombreux.

Une claque monumentale, où la noirceur du dessin égale celle du propos. Certes, l’histoire est si plombante qu’elle filerait le bourdon aux plus optimistes et qu’il convient d’être dans de bonnes dispositions pour s’y frotter. Mais cette plongée au cœur de l’indicible est une expérience de lecture rare et intense, aussi bouleversante qu’inoubliable. Un bijou !

Le rapport de Brodeck T1 : L’autre de Manu Larcenet. Dargaud, 2015. 160 pages. 22,50 euros.
Le rapport de Brodeck T2 : L’indicible de Manu Larcenet. Dargaud, 2016. 166 pages. 22,50 euros.


Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Mo et Noukette.





mardi 28 juin 2016

Moi, Ernest - Laurent Souillé et Paul Mager

« Moi, c’est Ernest. On ne peut pas dire que je sois très beau. J’ai du bide et pas beaucoup de cheveux sur le caillou. Mes yeux ressemblent à des billes et mes dents penchent comme la tour de Pise. Et malheureusement, j’ai très souvent mauvaise haleine. Pourtant, juré, craché, je me brosse les dents trois fois par jour. En même temps, c’est bien pour faire fuir les mouches ».

Ernest  vit seul dans une vieille maison. Il est tombé des escaliers le jour de sa naissance et par miracle, il n’a pas eu de bobo : « Môman a eu très peur mais le docteur l’a rassurée en lui disant qu’à part l’anémie faciforme, l’hydrocéphalie, la bradycardie et  l’exophtalmie… tout allait bien et qu’elle avait un très beau bébé !! ». Ernest n’a jamais connu son père et n’a jamais vraiment quitté sa maison. Dehors, les autres enfants étaient trop méchants avec lui. Un matin, Ernest a trouvé sa Môman morte dans son lit. Depuis, chaque nuit, avec son chat, il va déposer un bouquet de fleurs sur sa tombe.

Il faut savoir aussi qu’Ernest n’a jamais prononcé le moindre mot. A la place, il écrit. Des centaines d’histoires, frappées lettre par lettre sur sa Remington. Les manuscrits s’empilent dans sa chambre, jusqu’au jour où il découvre à la télé un éditeur, un monsieur à qui on peut envoyer ses histoires pour qu’il en fasse des livres. Ernest tente sa chance mais il n’essuie que des refus. Il persiste pourtant, incapable de s’arrêter d’écrire…

Une jolie histoire sur le thème de la différence. Impossible d’oublier Ernest, son ton bien à lui et ses lubies. Il est à la fois drôle, naïf et attachant. Le texte ne cherche jamais à nous tirer les larmes. Malgré les épreuves, Ernest reste debout sans vaciller, avec sa façon décalée d’appréhender le monde. Et puis j’aime cette idée qu’il suffit parfois d’une rencontre inattendue pour changer la vie, que quelqu’un peut s’installer dans votre existence et exaucer vos rêves. Un album superbement illustré, au message positif et qui fait du bien. Un album d’utilité publique en quelque sorte.

Moi, Ernest de Laurent Souillé et Paul Mager. Des ronds dans l’O, 2016. 40 pages. 16,00 euros. A partir de 8 ans.


Et comme chaque mardi ou presque, je partage cette lecture commune avec Noukette.








dimanche 26 juin 2016

Les lectures de Charlotte (20) : Qui quoi quoi - Olivier Tallec

Après une escapade du côté de la BD, les Qui Quoi reviennent à leurs fondamentaux avec ce livre-jeu à la mécanique toujours aussi bien huilée. Au programme donc de nouvelles énigmes, des découpes ne révélant qu’une partie des images, des gestes à effectuer pour faire « bouger » les personnages ou éteindre la lumière, etc.

Les illustrations, sans décor, permettent de se focaliser sur les actions et les attitudes de chacun. La variété des questions évite toute répétition et leur originalité déclenche le sourire : on doit ainsi se rappeler, en fonction des situations, de quelle couleur était le slip d’Olive, qui n’avait pas de pyjama ou encore qui buvait une grenadine à la page précédente.



Jeux d’observation, travail sur la mémoire et manipulations de l’objet-livre offrent une expérience de lecture drôle et ludique, portée par des dessins toujours aussi irrésistibles. Une formule qui a fait ses preuves et a le mérite de se renouveler sans jamais céder à la facilité. Chapeau bas monsieur Tallec !

Qui quoi quoi d’Olivier Tallec. Actes Sud Junior, 2016. 32 pages. 12,00 euros. A partir de 3 ans.





vendredi 24 juin 2016

Et puis après - Kasumiko Murakami

11 mars 2011. « Il sentit sous ses pieds des tremblements sur le sable mouillé. Il n’y accorda que peu d’attention au début car les tremblements de terre au large des côtes de Sanriku étaient fréquents ces derniers temps. Cela allait sans doute cesser. Mais quelque chose était différent. Des poussées se suivaient avec force, les tremblements ne s’arrêtaient pas. Et cela se faisait de plus en plus violent ».

La vague, plus haute qu’un building, s’apprête à déferler. « Lorsqu’il y avait un risque de Tsunami, on sortait aussitôt le bateau et on gagnait le large. Cet enseignement était transmis entre pêcheurs dans les villages des environs depuis toujours ». Yasuo s’élance donc vers le large et passe par-dessus la vague en formation. A dix kilomètres de la côte, il coupe le moteur, jette l’ancre et se retourne pour constater les dégâts. Le paysage qu’il découvre le tétanise…

Un court roman qui insiste davantage sur la stupeur que sur la douleur. En ce sens, le titre est on ne peut plus parlant. Que faire après, quand notre monde et nos certitudes ont disparu de façon aussi soudaine ? Les réfugiés, rassemblés dans un gymnase, abasourdis, hébétés, enfermés dans leurs angoisses, cherchant à prendre des nouvelles de leurs proches, préoccupés à l'idée de se procurer le minimum vital, ne trouvent pas de réponses à leurs inquiétudes. Yasuo a eu la chance de retrouver sa femme saine et sauve mais sa maison a été rasée. Difficile d’imaginer l’avenir, impossible de savoir où aller. A quoi bon continuer, à quoi sert-il d’être encore en vie ?

Beaucoup de retenue et de finesse dans cette évocation tout en pudeur d’un drame vécu par des dizaines de milliers de personnes. Rien n’est éludé, de l’horreur des découvertes faites au fil des jours au traumatisme que tous les sinistrés vont porter en eux à jamais : « Dans le cœur de chacun des sinistrés, même longtemps après, le raz de marée noir et terrifiant déferlait, brisant les digues, et même si personne ne voulait en parler, cela restait une réalité. Ce souvenir demeurait ancré au fond du cœur et l’on avait beau essayer de s’en débarrasser, rien ne pouvait l’effacer ». Une peinture réaliste et digne, sans poésie ni lyrisme, dont la concision évite tout glissement inutile vers le pathos. Saisissant.


Et puis après de Kasumiko Murakami. Actes Sud, 2016. 100 pages. 13,80 euros.









mercredi 22 juin 2016

Étunwan : Celui Qui Regarde - Thierry Murat

Pittsburgh, 1867. Le photographe Joseph Wallace décide d’abandonner les rémunérateurs portraits des notables locaux pour se joindre à une mission d’exploration scientifique dans les montagnes rocheuses. Chargé de photographier les régions traversées, Wallace se passionne plutôt pour les autochtones après avoir passé plusieurs jours dans un camp sioux. Rentré auprès de sa famille, il imagine déjà une nouvelle expédition entièrement consacrée aux indiens. Expédition qu’il mènera en solitaire et dont il reviendra profondément bouleversé.

Un récit qui vous happe. Par sa beauté, sa lenteur, sa puissance. Par son propos aussi, sa réflexion sur l’image, qui fait le lien entre dessin et photographie, notamment à travers la relation au sujet, les questions de cadrages, la posture : « Qu’est-ce qu’une image, sinon un fac-similé de la réalité ? Cela ne sert à rien de vouloir à tout prix représenter les choses telles qu’elles sont. Il faut les mettre en scène, les sublimer ». Le questionnement sur l’image et son pouvoir se double d’une interrogation existentielle pour Wallace. Face à la quiétude et l’harmonie trouvées auprès des indiens, ses certitudes vacillent et lui font connaître « un détachement lent, progressif, physique et cérébral » qui va peu à peu l’éloigner de son milieu d’origine.

« Les indiens savent depuis longtemps que leur monde est en équilibre au bord du vide. Et que ce vide ne sera bientôt plus que la trace effacée de ce qu’ils ont été ». Un monde bientôt perdu dans lequel le photographe va peu à peu se dissoudre. Le dessin est, comme toujours avec Thierry Murat, totalement envoûtant. Couleurs crépusculaires, lumière blafarde, hommes, bisons et végétation réduits à l’état d’ombres… des choix graphiques annonciateurs de la disparition à venir. Disparition d’un peuple, de sa culture, de ses traditions. Ou comment décrire tout en sobriété une inéluctable agonie.

Magnifique album, un de plus dans la bibliographie de Thierry Murat. Beaucoup plus personnel que ses adaptations de romans mais tout aussi réussi.

Étunwan : Celui Qui Regarde de Thierry Murat. Futuropolis, 2016. 160 pages. 23,00 euros.



Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec mes chères complice Mo et Noukette.





mardi 21 juin 2016

Histoire du garçon qui courait après son chien qui courait après sa balle - Hervé Giraud

« Quelque chose d’indéterminé m’encourage à chercher mon chien, à aider ma sœur, à rassembler ma meute pour recréer une tribu démantelée par une guerre. »

Ils étaient trois. Inséparables. Le garçon, sa sœur jumelle Cali et leur dalmatien Rubens. Mais quand le chien a fugué, plongeant dans la rivière pour rattraper sa balle, leur univers s’est fissuré. Peu après Cali est tombée malade. Gravement malade. Voyant une relation de cause à effet, le garçon a pensé qu’en retrouvant son chien, il guérirait sa sœur. Commence alors une course contre la montre, contre la vie qui s’échappe, sur les traces de Rubens et de sa balle, porté par l’espoir fou de sauver celle sans qui l’existence n’aurait plus de sens.

Un roman choc. Infiniment triste et infiniment digne. Je tournais les pages en me disant non, ce n’est pas possible, on ne va pas aller jusque-là… Et finalement si. Et finalement, ça ne m’a pas choqué, parce qu’après tout, rien de plus logique de voir l’inéluctable remporter la partie. Bien sûr, j’ai eu la gorge serrée, une vraie sensation d’injustice et de compassion pour cette famille frappée de plein fouet par un drame insoutenable. J’ai ressenti la douleur, le manque, l’absence. Et j’ai été emporté par la voix du garçon, par la puissance d’une écriture ample, parfois légère, souvent profonde, toujours énergique.

Ici, la vie est moche, absurde. « Chacun porte sa croix. Sa croix de malheur, entendons, il n’y a pas que Jésus qui a morflé, on a tous des gamelles à trimballer. Il faudra continuer à avancer pour chercher la sortie parce qu’on ne sait jamais jusqu’où va cette impasse, il n’y a pas de fin de l’histoire, rien n’est joué ». Ne pas sombrer, sans pour autant oublier. Une croix à porter. Se relever après l’anéantissement. Continuer à avancer. « Pour que ma tristesse se transforme en une force inaltérable de vie, je pleurerai, sans rien dire à personne, toute ma vie son absence ». Magnifique et bouleversant. Bien plus qu’un roman jeunesse.

Histoire du garçon qui courait après son chien qui courait après sa balle d’Hervé Giraud. Thierry Magnier, 2016. 125 pages. 10,50 euros. A partir de 13 ans.


Une nouvelle pépite jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.









lundi 20 juin 2016

Ce qui désirait arriver - Leonardo Padura

Les nouvelles de ce recueil sont souvent, comme le déclare un personnage,  « un voyage vers la mélancolie ». Il en va ainsi de ces soldats quittant l’enfer de la guerre en Angola pour retourner à Cuba  en laissant derrière eux une maîtresse ou en faisant un détour par Madrid et en retrouvant par hasard un copain d’enfance qui ravive les souvenirs d’une époque révolue. De même, ce quadra exilé à Miami nostalgique de ses années étudiantes où il écoutait, fasciné, Violeta Del Rio, « La dame triste du Boléro » avec laquelle il connut une aventure aussi brève que torride. Ou encore cette pianiste de bar constatant que ses mains courant sur l’instrument n’hypnotisent plus les hommes comme au début de sa carrière.

Il y a ceux qui rêvent de revoir Cuba et ceux qui rêvent de la quitter. Tous y sont nés et cette île les habite. Tous ont vu le temps suivre son cours et ont l’impression d’avoir raté quelque chose : « La vie de chacun est un projet unique et ça c’est con parce que si on s’est trompé, on aura jamais le temps de rectifier ce qui est déjà passé ». Les années passent et chacun se couvre de cicatrices. « Et il y en a qui ne s’effacent plus. Les souvenirs peuvent être désastreux ».  

Ces nouvelles, écrites entre 1985 et 2009, brossent un portrait tout en finesse de la société cubaine d’hier et d’aujourd’hui. Elles regroupent les thèmes chers à Padura, la nostalgie, l’exil, l’art, la sexualité. On y parle d’amour, de solitude, de chagrin. On y parle d’espoirs déçus, de relations d’un soir qui marquent au fer rouge. On y boit du rhum les yeux dans le vague et les vêtements trempés de sueur. L’écriture est sensuelle ou sauvage, brûlante ou lyrique, vibrante ou poétique. C’est beau et triste, d’une sensibilité à fleur de peau. J’ai adoré, forcément, parce que ces thèmes et cette écriture me parlent et que Padura est depuis longtemps un de mes écrivains préférés. Avis aux amateurs d’excellentes nouvelles.

Ce qui désirait arriver de Leonardo Padura. Métailié, 2016. 235 pages. 18,00 euros.






samedi 18 juin 2016

Les lectures de Charlotte (19) : Bon appétit, petite souris ! - Eric battut

Petite souris a faim. Elle grignote un champignon, puis un morceau de fromage avant de s’attaquer à un radis. Arrivée face au chat et toujours pas rassasiée, elle décide d’explorer le ventre du matou pour dégoter à manger. Une fois à l’intérieur, ne trouvant rien d’intéressant,  elle fait demi-tour et repart accompagnée…

Pour sa sixième aventure, la petite souris d’Eric Battut continue d’évoluer dans un univers des plus épurés. Sur chaque double page, à peine quelques mots et des illustrations minimalistes qui permettent de se focaliser sur l’essentiel. La rencontre avec le chat est évidemment le moment fort de l’histoire. Son déroulé lorgne d’ailleurs du coté de Tom et Jerry ou Titi et Grosminet. Les pages où la souris investit le corps du chat, rebrousse chemin et en ressort avec un copine relève d’un comique proche de l’absurde qui fonctionne parfaitement avec les bouts de chou.



Le dessin, au feutre et sans encrage, est aussi simple qu’expressif. Avec une mention spéciale pour le personnage du matou, dont le flegme et la passivité à contre emploi offrent un décalage qui déclenche le sourire.

Un album aussi malin qu’efficace et une espiègle petite souris qui saura une fois de plus charmer les tout petits.

Bon appétit, petite souris ! d’Eric Battut. Didier jeunesse, 2016. 32 pages. 12,90 euros.