mercredi 10 juillet 2013

Sirène - Daphné Collignon

Au Maroc, Magda est enceinte de Nour. Ça fait deux ans qu’ils sont ensemble mais elle n’ose pas lui avouer cette grossesse en cours : «  Tu sais ce que c’est un enfant hors mariage au Maroc ? En particulier chez Nour ? C’est la honte, pour moi, l’enfant, le père, toute la famille. Un bâtard né dans le péché. Tu vois l’idée ? » Lorsqu’elle lui annonce la nouvelle par téléphone, le futur père n’est pas content. Pas content du tout : « Il a dit qu’il ne voulait pas en entendre parler, et qu’on avait déjà assez de problèmes comme ça. » Alors Magda décide de prendre la route. De la côte atlantique aux confins de l’Atlas, elle traverse le Maroc et ne cesse de se questionner. En chemin elle rencontre une jeune femme rousse qui semble être tout droit sortie de l’océan. Une jeune femme muette qui va croiser son chemin à de nombreuses reprises et qui semble veiller sur elle d’une étrange façon…

Un portrait de femme qui se veut touchant et intime mais pour le coup, j’avoue que la femme qui sommeille en moi est restée bien cachée. Je comprends qu’avec certaines lectrices ce récit puisse faire « tilt » mais en ce qui me concerne il a fait « plouf ». Sirène est selon moi une BD très sexuée. Le questionnement autour de la maternité, de cet enfant à venir que l’on désire ou pas, tout cela m’a laissé parfaitement insensible (quel salopard je fais quand même !). Aucune empathie pour Magda, aucune envie de la plaindre ou d’espérer que sa situation s’améliore, je n’ai finalement trouvé que très peu d’intérêt pour cet album (punaise, il est temps que je parte en vacances le cynisme professionnel dans lequel je baigne depuis quelques semaines commence sérieusement à jouer sur mon humeur). Le problème c’est que le propos est confus, il laisse place à trop d’interprétations possibles. On voit les doutes et les hésitations, la difficulté de la situation mais il n'est pas évident au final d’y voir clair. Qui est notamment cette jeune fille rousse surgit de nulle part ? Le double de Magda ? Son ange gardien ? Un miroir déformant ? L’image de son destin à venir ? Et puis la correspondance de l’héroïne, insérée au fil des pages dans de nombreux encarts, se perd dans un lyrisme très cucul qui ne relève pas le niveau d’ensemble.  

Graphiquement c’est très beau. Dessin généreux, couleurs franches, beaucoup de gros plans… il faut reconnaître que le trait de Daphné Collignon est des plus séduisants. Malheureusement ça ne suffit pas à faire une bonne histoire et la narration souffre d’une construction que je qualifierais volontiers de «nébuleuse ».

Un album bien trop hermétique pour moi. Ça m’agace de refermer un livre en me disant que je n’ai pas tout compris mais il faut parfois avoir l’honnêteté de reconnaître ses limites… Bon ce qui me rassure c’est que ma binômette habituelle de lecture commune s’est sentie aussi paumée que moi. Du coup je me sens moins seul mais ça ne changera rien à mon ressenti très défavorable.

Sirène de Daphné Collignon. Dupuis, 2013. 68 pages. 14,50 euros.

L'avis de Mo'
L'avis d'Oliv





mardi 9 juillet 2013

L’expédition du Poisson Parlant - W.E. Bowman

Engagé par son ami Wagstaff pour relater une expédition dont le but est de retrouver une espèce de poisson capable de parler (oui, oui, vous avez bien lu, d’ailleurs ce poisson s’appelle le « buburup »), Binder, le narrateur, se retrouve sur un radeau en plein océan pacifique avec pour compagnons d’aventure quelques zigotos affiliés au club des Martyrs. Ces masochistes patentés pensent qu’un explorateur digne de ce son nom se doit de souffrir en permanence. C’est ainsi que le dénommé Batters passera (de son plein gré et avec un plaisir non dissimulé) toute la traversée immergé dans la grande bleue la tête coincée entre deux rondins du radeau. Quant aux autres, ils se nourriront exclusivement de mastic et de sciure de bois. A noter également qu’une drôle de ménagerie, composée notamment d’une huître, d’une grenouille et d’un couple de chats complètent cet équipage de bras cassés qui ne va cesser d’enchaîner les épisodes rocambolesques. Ainsi, après avoir mangé des poissons radioactifs, les félins vont se multiplier de façon exponentielle. Un événement à priori anodin qui va pourtant mettre en danger l’équilibre géopolitique de la planète…

Soyons honnêtes, on n’est pas loin du grand n’importe quoi avec ce roman "So British" ou l’humour très particulier de nos amis anglais éclabousse de sa douce folie l’ensemble de cette improbable expédition marine. Pas pour rien que cet ouvrage datant de 1957 et publié pour la première fois en français fait partie de la collection « Les insensés » des éditions Wombat. Si certains lecteurs (dont je fais partie) trouveront ce court roman hilarant, je ne doute pas que d’autres pourront le qualifier de « complètement c** ». Disons que si les sketches des Monty Python ne vous ont jamais arraché le moindre sourire, mieux vaut passer votre chemin. Sans être fan, j’aime beaucoup, à petite dose, me plonger dans cette forme d’humour très particulière, souvent proche de l’absurde. A n’en pas douter, W.E Bowman fait partie de ces génies loufoques dont la perfide Albion a le secret.

Après le Wilt du regretté Tom Sharp et le Harry de Jack Trevor Story, voila donc ma troisième rencontre avec cet esprit de dérision typiquement anglais qui reste malgré les apparences d’une grande finesse. Amateurs du genre, vous pouvez foncer, vous ne serez pas déçus.  

L’expédition du Poisson Parlant de W.E. Bowman. Wombat, 2013. 152 pages. 16,00 euros.

dimanche 7 juillet 2013

Le guide des voyages (1)


Ceux qui passent ici régulièrement se souviennent peut-être que depuis 1 an et demi  je collabore à la revue en ligne Les années. J’y ai notamment en charge la rubrique BD. Si la revue s’éclipse le temps des vacances, nous avons choisi de la remplacer par Le guide des voyages, un «périodique sporadique » qui devrait compter quatre numéros entre juillet et août. Le principe est simple, cette publication de 12 pages regroupe des chroniques livresques réparties en trois catégories : Pays chauds (des ouvrages que l’on a aimé) ; Pays froids (des ouvrages que l’on n’a pas aimé) ; Ailleurs (où l'on parle de quelque chose qui a à voir avec la littérature sans en être directement : une maison d'écrivain, un recueil de photos, une bio de compositeur, de peintre...).

J’aime bien ce principe. Après tout, le voyage c’est comme la lecture, il y a de bonnes et de mauvaises surprises.

Ce premier numéro chronique 11 livres en tout. Parmi les pays froids, une descente en flèche de Christine Angot (Une semaine de vacances), Grégoire Delacourt (La liste de nos envies) et Caryl Férey (Petits polars du Monde). Du coté des pays chauds, nos « chouchoutes » Annie Ernaux et Jeanne Benameur mais aussi, Mathias Énard, Shumona Sinha,  Hervé Bazin, Jérôme Ferrari…

Si vous souhaitez recevoir directement chaque numéro par mail, n'hésitez pas à me le demander, je me ferais un plaisir de vous l'envoyer ;)

samedi 6 juillet 2013

Paradis (avant liquidation) - Julien Blanc-Gras

Fin 2011, Julien Blanc-Gras se rend sur l’archipel des Kirabati, avant que le réchauffement climatique ne le fasse disparaître. L’écrivain voyageur, décidé à effectuer un « quadrillage méthodique » de la planète, souhaite surtout découvrir « un pays en voie de disparition. » Arrivé sur place, il découvre un décor de rêve, le paradis sur terre. Il n’a qu’une hâte, plonger la tête la première dans le lagon bleu azur. Mais le chauffeur qui l’emmène vers son hôtel douche son enthousiasme : « N’y songe même pas. Le niveau de pollution est rédhibitoire. C’est l’infection assurée. A ce propos, voici l’hôpital. Si tu tombes malade, il ne faut surtout pas venir ici. Ton état empirerait. On est dans le pays d’Océanie le plus défavorisé en matière de santé. » 

Le décor est planté, le « touriste » va découvrir ce petit caillou de 16km² où vivent 50 000 âmes. Une densité de population infernale, un chômage de masse, une alcoolisation frénétique, une violence domestique omniprésente, un manque de ressources criant : eau potable, électricité, circuit d’assainissement des eaux usées inexistant, j’en passe et des meilleurs. Sans compter bien sûr les marées dévastatrices, les inondations à répétition, le niveau de la mer qui ne cesse de monter et des infrastructures de bric et de broc incapables d’enrayer le phénomène. Le paradis vous avez-dit ? 
   
Le tableau n’est certes pas des plus reluisants mais Julien Blanc-Gras possède ce ton si personnel où ne cesse d’affleurer une sincère empathie pour tous les autochtones qui vont croiser sa route. Il narre les épisodes farfelus qui vont jalonner son séjour avec un style inimitable où l’humour est toujours très présent. Petit exemple lorsqu’il se penche sur les problèmes de mœurs : « l’homosexualité est illégale et la sodomie, qu’elle soit masculine ou féminine, est passible de prison. J’ignore si cette loi est appliquée. Je ne suis pas certain que le gouvernement ait les moyens d’entretenir une police anale. »

Le propos se perd parfois dans des considérations sans grand intérêt et certains chapitres relèvent davantage du remplissage que de l’information la plus pertinente mais au final ce livre est drôle, réaliste, d’une grande humanité, à la fois empreint de lucidité et de tendresse envers ce peuple au bord de la disparition. Un véritable récit de voyage ou les aspects journalistiques et littéraires se retrouvent sur un pied d’égalité, ce qui, reconnaissons-le, n’est pas si courant.

Paradis (avant liquidation) de Julien Blanc-Gras. Au diable Vauvert, 2013. 252 pages. 17,00 €.

L’avis d’Hélène 
Mon avis sur Touriste, son ouvrage précédent, que j’avais trouvé encore meilleur que celui-ci.

vendredi 5 juillet 2013

Promesses - Julia Billet

Un recueil composé de deux nouvelles clairement estampillées "littérature de jeunesse".

Dans la première, Ankidou a laissé sa mère et sa sœur dans ce pays en guerre qui est le sien. Le bateau l’a amené en France. Il a découvert le foyer, l’école, la rudesse du climat. Un environnement où il ne se sent pas à sa place, où il ne se sent pas chez lui. Sans compter la barrière de la langue. Petit à petit, il va se rapprocher d’Agostino, « ce garçon un peu trop petit, un peu trop maigre, un peu trop à l’écart. » Un garçon qui ne parle jamais. Leur complicité, faite de silences, va se renforcer au fil du temps. Deux amis qui vont devenir inséparables.    

La seconde met en scène Sarah et Fred. Ils vivent dans la même tour et eux aussi sont inséparables. La destruction programmée de leur immeuble risque de les éloigner à jamais l’un de l’autre. Les familles seront bien sûr relogées mais pas forcément au même endroit. Une situation inacceptable pour les deux enfants, décidés à tout mettre en oeuvre pour rester voisins, quitte à tenir tête à leurs parents.  

Un nouvel éditeur (Le muscadier) et une nouvelle collection (Place du marché) souhaitant offrir aux jeunes lecteurs « un monde de partage et non un partage du monde », voila qui a tout pour me plaire. Les deux récits de ce recueil sont traversés par une indéfectible amitié symbolisée comme le titre l’indique par des promesses impossibles à trahir. Le message est simple, efficace et limpide, l’écriture agréable et le format court pourra inciter les moins courageux à se lancer sans risque de lassitude.

Typiquement le genre de publication plutôt confidentielle qui mériterait d’être davantage sous le feu des projecteurs tant la qualité est au rendez-vous.


Promesses de Julia Billet. Le Muscadier, 2013. 62 pages. 6,90 euros. A partir de 9 ans.

L'avis de Stephie

jeudi 4 juillet 2013

Et si on parlait de la rentrée...

"Hou ! Quelle honte ! Les vacances ne sont même pas commencées et voila qu’il nous parle déjà de la rentrée ! "

Pas faux, j’accepte les huées et les tomates que vous mourez d’envie de m’envoyer mais si je souhaite vous parler de la rentrée c’est parce que j’ai pris le temps de parcourir l’épais dossier de Livres Hebdo consacré à la rentrée littéraire. J’aime bien retrouver chaque année le dernier numéro du mois de juin parce qu’il présente l’ensemble des romans français et étrangers qui vont paraître entre fin août et octobre.

Premier constat, je suis bien mois emballé que l’an dernier : pas de Jérôme Ferrari, pas d’Antoine Choplin, de Philipp Roth, de Claire Keegan ou de Patrick Deville. Et je suis déjà certain de ne pas lire les trois blockbusters annoncés dès août : A. Nothomb, E.E Schmitt et Jean d’Ormesson. Parmi les autres « grands noms », je me passerai aussi de Marie Darrieussecq, Yasmina Khadra et Yann Moix. Par contre je profiterais peut-être de la rentrée pour découvrir enfin des auteurs tels que Sorj Chalandon et Véronique Ovaldé, voire Paul Fournel.

Chez les français « moins connus » il n’y a vraiment pas grand-chose qui me fait envie en dehors d’Emmanuelle Guattari (Ciels de Loire, un roman sur son enfance) et Thomas B. Revedy (Les évaporés, l’histoire d’un japonais qui, comme tant d’autres avant lui, disparaît du jour au lendemain sans que personne ne cherche à le retrouver). Pour les premiers romans, plus nombreux cette année qu’en 2012, Tartes aux pommes et fin du monde de Guillaume Siaudeau est un titre qui titille ma curiosité.


Finalement, et comme souvent, c’est dans le domaine étranger que je risque le plus de trouver mon compte. L’incontournable de la rentrée qui me tente beaucoup est le nouveau roman de Louise Erdrich (Dans le silence du vent, National Book Award 2012). Mais je sens que je vais aussi craquer pour Laura Kasischke (Esprit d’hiver, un huis clos tendu entre une femme et sa fille adoptive), Milena Michiko Flasar (La cravate, un roman qui se déroule au Japon), l’islandais Bergsveinn Birgisson (La lettre à Helga, édité par Zulma) et le japonais Yasutaka Tsutsui (Hell) publié par les éditions Wombat dans l’excellente collection Iwazaru.

Un dernier petit mot sur la rentrée de la littérature de jeunesse que je n’ai pas encore étudiée de près mais dont un titre sort déjà largement du lot, Pas assez pour faire une femme de l’incontournable Jeanne Benameur.

Si je fais les comptes ça donne, à coup sûr, trois auteurs français, cinq étrangers plus un roman jeunesse. Pas énorme mais je sais bien que je vais tomber sur quelques divines surprises présentées ici ou là sur la blogosphère et pour lesquelles je vais forcément craquer. Au final, ce premier rapide débroussaillage ne présage en rien de ce que seront mes lectures définitives de la rentrée. Et en attendant je vais de ce pas préparer ma pal de vacances, un exercice pas si évident que cela quand je vois le nombre affolant d’ouvrages non lus qui trônent sur les étagères de ma bibliothèque.

Et vous, vous avez déjà des idées livresques pour la rentrée ?





mercredi 3 juillet 2013

Ardalén : Vent de mémoires - Miguelanxo Prado

Sabela débarque dans un minuscule village de montagne. Elle cherche des informations sur son grand-père, un ancien marin qu’elle n’a pas connu et dont on aurait perdu la trace près de Cuba mais qui pourrait avoir eu des liens avec certains habitants du coin. Au café local, on lui conseille d’aller voir Fidel, vieux monsieur un peu simplet surnommé « le naufragé » qui aurait navigué dans les caraïbes à l’époque de son grand-père. Mais Sabela va vite constater que Fidel, vieillard fantasque et attachant, a la mémoire pour le moins défaillante… 
       
« Je voulais proposer au lecteur un univers en bascule entre rêve, réel et fantastique, comme dans la littérature sud-américaine dite de réalisme magique. » (Miguelanxo Prado)

Un album ambitieux, fortement imprégné d’onirisme et dans lequel viennent s’intercaler des coupures de presse, des témoignages de scientifiques ou des documents juridiques. Difficile de faire le tri dans les souvenirs de Fidel. Sa mémoire s’effiloche, elle s’efface et invente des souvenirs. C’est un labyrinthe dont les contours sont difficiles à cerner. L’ardalén est un vent chaud et humide qui arriverait sur le sud ouest de l’Europe après avoir traversé l’océan atlantique depuis les côtes américaines. Fidel aime aller écouter le bruit que fait ce vent dans la forêt d’eucalyptus derrière chez lui. Métaphoriquement, il lui transmet des souvenirs arrachés ici ou là. Tout se mélange dans l’esprit du vieil homme : sa propre vie, celle des autres, les histoires qu’on lui a raconté et celles qu’il a lues. Pas évident de s'y retrouver dans ces bribes qu’il tente d’assembler, pas simple de discerner les amis et les amantes qu’il a vraiment connus parmi ces fantômes qui ressurgissent du passé. Sabela va beaucoup s’attacher à Fidel mais elle va se rendre compte que les informations qu’il fournit ne sont pas à prendre au pied de la lettre. Jusqu’au jour où…  
             
Niveau dessin, c’est de toute beauté. Il aura fallu trois ans à Miguelanxo Prado pour réaliser les 256 planches de l’album en couleur directe à la peinture acrylique. Du très grand art, un esthétisme rarement vu en BD même si les visages sont souvent figés et possèdent une texture proche du bois qui pourra dérouter plus d’un lecteur.

J’ai embarqué Mo’ dans cette lecture commune en lui présentant ce titre comme l’album de l’année. Je ne sais pas pourquoi mais je m’imaginais quelque chose, certes fort différent, mais au moins aussi emballant que Daytripper. Le problème c’est que je suis constamment resté à distance de l’univers de Fidel. Et pour le coup si l’on ne parvient pas à rentrer dans son monde, impossible d’apprécier le récit. Pour tout dire, je me suis ennuyé. Les derniers chapitres, plus ancrés dans le réel, m’ont davantage accroché mais cela ne suffit pas à faire de cette lecture un vrai grand moment de plaisir. C’est pourtant une très jolie réflexion sur la mémoire qui s’efface et le temps qui passe. Beaucoup de poésie, d’émotion et de mélancolie. Malgré tout je suis passé à coté et je le regrette vraiment. Mon petit doigt me dit que Mo’ y a plus trouvé son compte. Tant mieux, filez vitedécouvrir son avis !   
 

Ardalén : Vent de mémoires de Miguelanxo Prado. Casterman, 2013. 256 pages. 24 euros.






mardi 2 juillet 2013

Le premier mardi c'est permis (18) : Déshabille-moi de Mila Braam

Je n’avais pas du tout prévu de lire ce livre ce mois-ci pour le rendez-vous de Stéphie. A vrai dire je ne connaissais même pas son existence. C’est Liliba qui a pensé à moi après avoir découvert cette histoire de culotte sale. Une charmante attention, je la remercie...    

Eh oui, parce que dans Déshabille-moi, la narratrice est une culotte. Une culotte achetée en vitesse par Célia dans un bazar en bas de chez elle. Plus aucun sous-vêtement de propre avant de partir au boulot, elle n’avait pas d’autre solution. Une culotte toute simple en coton avec un hippocampe sur le devant. Très cul-cul, quoi. Donc la culotte raconte. Elle raconte qu’elle possède un pouvoir magique et qu’elle ressent les expériences sexuelles vécues précédemment par ses propriétaires. Plus fort même puisque la femme qui l’enfile va elle aussi ressentir le passé sexuel de celles qui l’ont portée avant elle. Bon, pour ça, il faudrait que l’on se prête une culotte comme on se prête un pull. Je vous passe les détails mais figurez-vous que c’est exactement ce qui va arriver. La culotte va naviguer de main en main (ou plutôt de chatte en chatte, excusez ce langage un peu vulgaire mais j’essaie de me mettre au niveau du texte.) sans que jamais personne ne la lave (c’est mieux pour garder les sensations des porteuses précédentes). Oui parce que dites-vous bien que ses porteuses sont ou vont devenir de sacrées petites cochonnes, forcément. Et qu’une fois qu’elles auront découvert son pouvoir, plus question de la laver au cas où ce pouvoir disparaisse. Du coup ça nous vaut ce constat plein d’à-propos de ladite culotte : « Je vous rappelle au passage qu’il y a moins de quatre ou cinq jours que j’ai été sortie de mon emballage, que depuis quatre femmes différentes m’ont portée et je n’ai toujours pas bénéficié du moindre lavage. Je sens si fort que je me dégoûterais presque moi-même. Mon entrejambe est si imprégné de liquides divers, asséchés et solidifiés, qu’il a perdu toute souplesse. » Il y en a qui aiment, il paraît. Des fétichistes de la culotte. Perso je préfère quand un sous-vêtement sent la lessive et l’assouplissant. Chacun son truc.

Un petit livre sans prétention, c’est le moins que l’on puisse dire si on ne veut pas être méchant. L’histoire est totalement tirée par les cheveux (j’aurais pu écrire « par les poils pubiens » pour rester au niveau) et la narration ne tient pas debout. Ben oui, si c’est la culotte qui raconte, elle ne peut normalement relater que les événements qui se passent sous les yeux de son hippocampe. Alors quand elle décrit les faits et gestes d’un mec tout seul à l’hôtel qui attend sa maîtresse, on n’y croit plus (déjà qu’au départ c’était pas gagné). Comment elle fait pour savoir ce qui se passe dans cette chambre d’hôtel alors qu’elle n’y est pas ? Elle est omnisciente la culotte? Bon je chipote mais avec des détails comme ça, je décroche.

Sinon, sachez que dans ce livre on « frémit du gland » (longtemps que ça ne m’est pas arrivé), il y a des « copeaux de plaisir qui éclaboussent la chambre, les draps, les vêtements » (longtemps que ça ne m’est pas arrivé non plus) et notre narratrice est une petite sensible qui n’hésite pas à s’exclamer : « Je refuse de sentir ces grosses couilles poilues sur moi ! ». Voila, voila. La grande classe.

Soyons clair, ça sent à plein nez le texte de commande torché à la va vite et sous pseudo. Battons le fer tant qu’il est chaud, pas certain que la ménagère soit encore demandeuse de clit litt l’année prochaine...  Lamentable et sans aucun intérêt. Désolé Lili, ça m’a fait sacrément plaisir que tu penses à moi en m’envoyant ce roman mais j’avoue que je n’ai pas aimé grand-chose en dehors de quelques passages qui m’ont arraché un sourire. Finalement je constate que je suis plutôt mauvais public pour ce genre de bouquin. Je devrais le savoir depuis le temps. Et pourtant à chaque fois je replonge. Y a comme un hic, non ?

Déshabille-moi de Mila Braam. J'ai lu, 2013. 156 pages. 5,60 euros.

L'avis de Liliba ; ceux de L'irrégulière et Fée Bourbonnaise

PS : juste un petit retour sur mon billet du mois dernier qui a soulevé un nombre inattendu de réactions positives, drôles ou émoustillées. Je tenais vraiment à remercier toutes celles (et les rares « ceux ») qui ont pris le temps de découvrir ma nouvelle et m’ont fait part du plaisir qu’elles ont eu à la lire. Je ne m’y attendais pas du tout et je peux vous avouer aujourd’hui que j’étais absolument terrifié à l’idée de me mettre « à poil » de la sorte sur ce blog.
Un clin d’œil particulier à Cess sans qui rien de cela ne serait arrivé, à Noukette pour sa complicité et son avis plein de bon sens, à Sarah pour son incroyable billet sur mon billet et à Mo'Stéphie et Sara (qui va me manquer !) pour la gentillesse de leurs commentaires. 



lundi 1 juillet 2013

Tobi et les souvenirs - Anne-Kathrin Behl

Tobi ne sait pas comment s’occuper. Tous ses copains sont partis en vacances et il n’y a plus personne pour jouer avec lui. Dans la rue, c’est simple, il n’y a que des vieux. « Les vieux, c’est ennuyeux » ronchonne Tobi. Quand Mr Bouc lui demande pourquoi il est de mauvaise humeur, sa réponse est simple : « Tout le monde est au moins un million de fois plus vieux que moi dans cette ville. » Mais quand Mr Bouc commence à lui parler de son passé de pilote de ligne, Tobi est intéressé. Puis c’est Madame Rhino qui revient sur sa carrière de chanteuse et enfin Mr Loup qui lui révèle qu’il était détective et qu’il a arrêté bien des criminels. Au final, Tobi se rend compte qu’être vieux, ce n’est pas si mal que cela : au moins on a toujours de belles histoires a raconter !     

Un album qui souligne avec malice l’importance de l’échange entre les générations. Tobi ne voit pas chez les vieux qu’il croise dans la rue des interlocuteurs dignes d’intérêt et pourtant, ils vont le faire rêver. C’est simple mais bien amené et très facilement compréhensible pour un petit lecteur. Les illustrations s’étalent sur des doubles pages et fourmillent souvent de détails rigolos. Une lecture vraiment très sympathique sur un thème pas si courant, à recommander chaudement.  


Tobi et les souvenirs d’Anne-Kathrin Behl. Tourbillon, 2013. 28 pages. 11,95 euros. A partir de 4 ans.



samedi 29 juin 2013

Archanges : roman a capella - Velibor Colic

Vous ai-je déjà dit à quel point j’appréciais Athalie ? Enfin pas elle personnellement puisque je ne la connais pas. Son blog plutôt et ses billets plus particulièrement. Elle possède cette capacité rare à vous empoigner dès les premières lignes pour vous emmener dans un tourbillon de bons mots, de phrases enlevées, de tournures qui vous font rire ou vous laisse béat d’admiration devant tant d’inventivité. C’est un fait, je suis fan des billets d’Athalie. Tout à fait fan. Alors quand j’ai découvert son avis concernant ce roman de Velibor Colic, impossible de ne pas craquer. Je me le suis procuré dare-dare et j’avoue que je ne le regrette pas.   

Archanges est une succession de monologues. Quatre voix témoignent de l’horreur de la guerre en ex-Yougoslavie. Trois bourreaux et une victime. Deux vivants et deux morts. Le premier a sévi en Bosnie. Il s’appelle Esdras. Ses compagnons d’armes le considéraient comme un poète. C’était aussi et surtout un tueur implacable, grisé par le mauvais alcool, qui aimait couper les oreilles de ses victimes après les avoir violées. Aujourd’hui c’est un clodo qui vit dans un parc, à Nice. Ses journées sont toujours les mêmes : « Je bois et je pue. Et j’invente mes poèmes et je pense aux femmes. » Son état physique est déplorable, il se sait condamné, il veut juste qu’on le laisse tranquille. La guerre, il y pense avec nostalgie et il ne regrette rien, à part la défaite.

Le second était surnommé le duc. C’était le meilleur ami d’Esdras. Un officier d’une effroyable cruauté qui menait ses troupes d’une main de fer. Il se déplaçait avec un chien monstrueux portant un collier fait avec des yeux humains. Ce gars était une légende. On a écrit des chansons sur lui. Une bombe lui a ôté les bras et les jambes. Pour cela que maintenant on l’appelle le tronc. Il a été arrêté et emprisonné. C’est un maton qui vient le nourrir tous les jours. Au biberon. Pour passer le temps, il n’a plus que ses souvenirs. Les villages pillés, les hommes et les femmes tués de la pire des façons, les jeunes filles torturées avant d’être violées. L’âge d’or de son armée, avant la défaite.        

La troisième est Senka, une jeune fille qui a subi les assauts de ces ordures. Elle avait 13 ans. C’est un ange qui erre dans un paradis où tout lui semble être un enfer : « Dieu existe et c’est un chien. » Elle vient régulièrement hanter les nuits d’Esdras. Pas pour se venger. Juste parce qu’il faut que son bourreau ne l’oublie jamais car elle sait que l’on meurt deux fois : « La première fois physiquement, et la deuxième fois quand il n’y a plus personne sur cette terre qui puisse se souvenir de vous. Et moi, je suis toute seule. Et si on m’oublie, on oublie aussi le crime. C’est pourquoi j’espère qu’il vivra encore longtemps, ce vieux salaud. »

Le quatrième est le fils du tronc, il accompagnait son père sur le terrain de ses « exploits ». Lui aussi est mort. Égorgé dans un train, bien après la guerre. Il porte à son tour un regard nostalgique sur les heures glorieuses du conflit : « Tout était si facile. La guerre n’était qu’une rigolade, une camaraderie, on flinguait un peu, et on sautait tout ce qui bougeait. On libérait enfin, cinq siècles après, toute notre terre, une ville après l’autre, et le soir on fêtait ça comme il faut. » Il est aussi le plus lucide des quatre : «  Et puis merde, voilà, si l’on regarde bien, n’importe quelle tragédie peut devenir une farce. N’importe quelle victime n’est qu’un bourreau raté ; vous aussi, vous êtes tous coupables, parce que vous étiez témoins. » 

Archanges, c’est le requiem des vaincus. Un texte d’une rare dureté. La guerre est montrée dans toute son horreur, sans apologie. Les mots sont durs, crus, lyriques ou poétiques. Ils claquent, ils sonnent et laissent groggy. Ces voix résonnent et bousculent, elles dérangent et vous mettent mal à l’aise. La quatrième de couverture parle d’ « une parabole tourmentée pour faire acte de mémoire. » Pas mieux.     


Archanges (roman a capella) de Velibor Colic. Gaïa, 2008. 156 pages. 16,30 euros.