mardi 30 mai 2023

Pyramide - Gaëtan B. Maran

Au cœur d’un désert sans fin, une immense pyramide. Autour de la pyramide, le peuple est réparti en 64 quartiers, 16 par face. Tous les sept ans, un jeune homme ou une jeune femme de chaque quartier est désigné pour affronter le labyrinthe de l’édifice. Une fois à l’intérieur, la survie est la règle et s’entretuer devient une obligation. Car un seul des candidats pourra atteindre le dernier étage. Un seul des candidats prendra le pouvoir pour sept ans. 

Un Battle Royal dystopique, entre Fortnite, Hunger Games et Le labyrinthe. Original ? Surement pas. Efficace ? Incontestablement. C’est rythmé, rapide, très visuel. La mécanique du récit prend le pas sur les considérations littéraires, le but étant d’emporter le lecteur dans un tourbillon d’action. Pas de faux-semblant, il ne doit en rester qu’un et il n’en restera qu’un, pas la peine d’espérer que les autres s’en sortiront sans dommage. Cette cruauté ne s’embarrasse pas de sentimentalisme et la violence assumée participe grandement à l’ambiance suffocante qui incite à tourner les pages avec une gourmandise quelque peu morbide.

Rien de révolutionnaire mais du travail bien fait et bien pensé. La recette fonctionne, elle plaira aux ados habitués à ce genre d’univers et emportera dans son tourbillon ceux qui le découvrent.

Pyramide de Gaëtan B. Maran. Syros, 2023. 336 pages. 17,95 euros. A partir de 13-14 ans.


vendredi 26 mai 2023

La Tour de Gustave - Sophie Adriansen et Youlie

Gustave et sa tour, un duo inséparable ! C’est elle qui raconte la vie de son créateur. Sa découverte de l’acier et de ses propriétés. Sa première grande réalisation, une passerelle de 500 mètres qui enjambe la Garonne à Bordeaux. Le succès grandissant, les commandes qui s’empilent, dans le monde entier. Son rôle de sauveur dans la construction du canal de Panama, le viaduc de Gabarit et ses 120 mètres de haut, l’armature de la statue de la liberté et surtout, surtout, son ambition de construire une tour « haute de plus de mille pieds ». Un projet proposé à la ville de Barcelone pour l’exposition universelle de 1888 qui sera refusé. Qu’importe, il verra le jour l’année suivante, à Paris.

La tour raconte le début de sa construction, la crainte des parisiens de la voir s’écrouler et des les écraser. Les délais tenus malgré les difficultés du chantier. Et puis le succès jamais démenti depuis l’inauguration, le 15 mai 1889. Suivront quelques revers et le scandale financier du canal de Panama. Gustave perd de son aura mais sa tour lui survivra, échappant au démontage grâce aux antennes à son sommet qui jouent un rôle stratégique pour la défense nationale et la diffusion des ondes radio.

Adriansen / Youlie © Glénat 2023

Un biopic publié à l’occasion du centenaire de la mort du célèbre architecte. L’album, tout en verticalité, offre de somptueuses double-pages qui font penser à des panneaux d’exposition. Le texte se fait discret, allant à l’essentiel pour laisser la puissance graphique des illustrations s’exprimer au mieux. Un bel hommage dans un bel écrin. 

La Tour de Gustave de Sophie Adriansen et Youlie. Glénat, 2023. 48 pages. 14,50 euros. A partir de 8 ans.




mardi 23 mai 2023

Tronche : Rosépine - Philippe Curval

Philippe Curval avertit dans le prologue que cette histoire s’est matérialisée pendant un épisode fiévreux ayant entraîné une hospitalisation d’urgence. Sous perfusion, bourré de corticoïdes, ses pensées s’égarent jusqu’à imaginer une chronique des Tronche (son véritable nom de famille, Curval étant son pseudonyme d’auteur). Difficile pourtant, une fois revenu chez lui, de mettre au propre un texte qu’il a l’impression d’avoir déjà entièrement écrit en pensée. Mais le projet finit par prendre corps. L’ambition est de « construire une saga en cinq épisodes où seront dévoilées quelques facettes de la vraie tronchitude. »

Le point central de ce premier épisode de la saga est Rosépine Tronche, femme libre et indépendante vivant au cœur des années 60. Ayant fui très jeune l’emprise de ses parents, étouffant dans son petit appartement parisien, elle décide de tout plaquer pour suivre les traces de Stevenson dans les Cévennes. Persuadée qu’une destinée particulière l’attend, elle va devenir maçonne avant de rentrer à Paris où ses talents de tricoteuse lui ouvriront les portes des plus grandes maisons de mode. Fréquentant un groupe d’étudiants révolutionnaires, elle décide à nouveau de tout plaquer pour retourner s’installer dans les Cévennes. Mère célibataire, elle va se lancer dans la réalisation d’une œuvre picturale dont la folie et l’audace l’amèneront jusqu’à New-York.

Ce résumé un poil fourre-tout décrit bien l’ambiance générale du roman. Tout va vite, très vite. Le texte est nerveux, fiévreux comme son auteur au moment où il l’a imaginé. Rosépine est une impulsive, elle se laisse porter par ses envies, ne s’attache à rien ni personne. Elle aime les hommes mais refuse de vivre en couple, elle élève seule un fils qu’elle n’hésite pas à abandonner pour privilégier sa carrière artistique et refuse de rentrer dans la norme attendue par les musées et les galeries pour ne pas sacrifier sa force créatrice. Indomptable, égoïste, pleine de confiance en elle et de certitudes, elle avance sans se soucier du regard des autres.

Au-delà de la saga familiale, Philippe Curval dresse à la fois le portrait d’une héroïne avant-gardiste éprise de liberté et d’une époque où cette dernière était bien difficile à gagner pour les femmes.

Tronche : Rosépine de Philippe Curval. Éditions La Volte, 2023. 210 pages. 18,50 euros.





vendredi 19 mai 2023

Paris-Berry - Frédéric Berthet

Le regretté Philippe Sollers disait de lui qu’il était « 
le plus doué de sa génération ». Frédéric Berthet aura finalement publié bien peu de textes avant de quitter définitivement la scène à 49 ans, en 2003, rongé par l’alcool et le désespoir. Son roman Daimler s’en va (Prix Roger Nimier 1989) restera son seul véritable succès. Il voulait écrire un livre, « un grand livre », puis s’en aller, comme Salinger. 

Dans Paris-Berry, Berthet raconte son installation dans une maison prêtée par une amie au cœur du Berry. C’est là qu’il doit écrire son prochain roman. Mais chaque fois qu’il est devant la machine à écrire, sa pensée s’égare. Il ne fait que raconter de petits événements du quotidien (l’arrivée du facteur, les facéties du chat, une fuite d’eau qui inonde la maison, la visite d’une jeune héritière…), des souvenirs anciens de ses rencontres avec Blondin et Roland Barthes ou encore ses années américaines. Des bribes, des fragments, au mieux de courtes nouvelles. Une sorte de procrastination littéraire qui donne au final un tout que j’ai personnellement dégusté avec grand plaisir. Il faut bien sûr aimer l’épure, l’écriture minuscule des petits riens à la Delerm. Même si contrairement à ce dernier il ne tombe pas dans la célébration systématique de ces petits riens. Le style est vif, pétillant, souvent drôle, parfois grave. Succulent.          

De jolies chroniques, donc, où Berthet montre, entre autres, un talent rare dans l’utilisation de la virgule : « Dans ce livre, j’aime les virgules. Les brins d’herbe de Walt Whitman. Virgules couchées sous le vent. Minuscules attentes de ce qui va venir. Choses, corps souples. Mes virgules sont mes catins. Qui a jamais prétendu que l’on devait écrire, lire, en apnée ? Pourquoi aucune halte ? Même courte, la randonnée est longue. Comment dit-on : prendre son temps ? »

A découvrir si vous aimez la forme courte et les écrits minimalistes. Pour moi ce fut une bien belle découverte.      

Paris-Berry de Frédéric Berthet. La table ronde, 2023. 110 pages. 6,60 €.










mercredi 17 mai 2023

Gone With the Wind T1 - Pierre Alary

Je n’ai pas lu le roman. Je n’ai pas vu le film. A vrai dire je ne connaissais de l’intrigue que le contexte historique (la guerre de sécession) et géographique (le sud des États-Unis). Sans oublier les « iconiques » personnages principaux (Scarlett O’Harra et Rhett Butler). Je m’imaginais entre eux un coup de foudre comme on en voit tant, mielleux à souhait et dégoulinant de guimauve. Grave erreur.

Grande fut ma surprise de découvrir que l’amour de Scarlett, au départ du moins, n’était pas ce brave Rhett mais un certain Ashley Wilkes. Et que malheureusement pour elle, Ashley était sur le point de se marier avec une autre. Le cœur brisé et après avoir épousé par dépit un homme dont elle ne fait aucun cas, Scarlett voit son quotidien bouleversé par le début la guerre. Le conflit fera d’elle une jeune veuve et la poussera à s’exiler loin de la plantation familiale, direction Atlanta. Et Rehtt dans tout ça me direz-vous ? Eh bien le moins que l’on puisse dire c’est que le gaillard est loin d’attirer la sympathie. Pour Scarlett il n’a même rien pour la séduire. En tout cas jusqu’au moment où il lui sauvera la vie dans des conditions dramatiques.

Alary © Rue de Sèvres 2023
Premier tome d’un diptyque, ce Gone with the wind est une totale réussite. Un album magnifique, du travail d’artiste, d’artisan même, tant graphiquement qu’au niveau de la narration. L’ambiance chaude et lumineuse du sud profond est parfaitement restituée, les événements s’enchaînent de façon limpide, la lecture est fluide, bref aucune fausse note.

J’ai aimé aussi les caractères marqués des personnages, Scarlett en femme forte capable de prendre les rennes quand tout s’écroule et Rhett en salopard à la fois cupide, cynique, lucide et amoral. Bien sûr, la vision idéalisée du mode de vie des états du Sud qui tourne au final à la défense de propriétaires terriens en lutte pour préserver leurs privilèges d'esclavagistes reste dérangeante, mais il ne faut pas oublier de la remettre dans le contexte et l'époque de la rédaction du roman.

Un dernier mot sur l’ouvrage en lui-même, magnifique objet-livre grand format au dos toilé. Vraiment aucune fausse note, espérons que la suite sera à la hauteur mais franchement, j'ai peu de doutes.

Gone With the Wind T1 de Pierre Alary (d'après l'œuvre de Margaret Mitchell). Rue de Sèvres, 2023. 150 pages. 25,00 euros.



Les BD de la semaine sont à découvrir chez Fanny





vendredi 12 mai 2023

Pyongyang 1071 - Jacky Schwartzmann

Quand Jacky Schwartzmann a annoncé à son entourage sa volonté de faire le marathon de Pyongyang, tout le monde a réagi avec un élégant « t’es con ou quoi ? ». Il faut dire qu’en plus de ne pas pratiquer la course à pied assidument, l’auteur de l’excellent Mauvais coûts se lançait dans un voyage des plus risqués.

Dès le départ, l’idée n’était pas de faire une performance mais plutôt de profiter de cet événement sportif pour découvrir un des pays les plus fermés du monde. Bien sûr, pas question de prendre la préparation physique à la légère. Une demande de disponibilité auprès de son employeur et quelques mois d’entraînement intensif lui permirent d’acquérir un niveau suffisant pour finir les 42 kilomètres et quelques dans un temps acceptable, du moins pour un coureur amateur bientôt quinca. Mais au-delà du marathon, son intérêt pour le long périple à venir tenait surtout d’une volonté de découvrir la Corée du Nord de l’intérieur, de s’immerger dans cette dictature semblant à première vue impénétrable. 

Le résultat ? Du Schwartzmann dans le texte, ironique, mordant, lucide, sans langue de bois, toujours autant adepte de l’autodérision. Respectueux d’un peuple difficile à cerner qu’il se refuse de juger, il « subit » un voyage organisé encadré de bout en bout par le régime et constate à quel point la population locale, assommée par la propagande, reste enfermée depuis des décennies dans une vision du monde qui n’a pas évolué depuis les pires moments de la guerre froide.

Gagné par l’ennui au fil de visites toutes moins passionnantes les unes que les autres, trimballé parmi les coréens avec l’impression de les regarder de loin sans vraiment les rencontrer, le marathonien du dimanche en arrive à ce triste constat : « Ce pays accepte de nous recevoir, mais il ne nous accueille pas. Ils veulent qu’on les voie, mais pas qu’on les regarde ». Au final, l’expérience restera marquante, même si Schwartzmann avoue dans une dernière confidence : « Je suis venu en Corée du Nord pour rencontrer un peuple, j’ai fait un safari. »

Pyongyang 1071 de Jacky Schwartzmann. Éditions Paulsen, 2023. 165 pages. 8,50 euros.





mardi 9 mai 2023

Bride Stories T14 - Kaoru Mori

Un tome un peu à part dans la série, où l’explorateur Smith brille par son  absence et où Karluk et Amir sont très peu présents. L’histoire se focalise sur les pourparlers entre les différents clans pour organiser la résistance face à la future invasion russe. Dans le cadre des alliances à venir, Azher, le frère d’Amir, va devoir prouver sa vaillance en remportant une course de chevaux face à celle qui, en cas de victoire, pourrait devenir sa future épouse.

Résultat, un tome regorgeant d’action où les chevaux occupent une place centrale. Kaoru Mori l’avoue d’ailleurs dans la postface, c’est son envie de dessiner « plein de fiers destriers » qui l’a poussée à développer longuement cet épisode de course équestre dans la steppe. Un événement lui permettant également d’introduire de nouveaux personnages féminins marquants qui devraient occuper une place importante dans les chapitres à venir.

Kaoru Mori © Ki-oon 2023
Ce quatorzième tome se lit à la vitesse d’un cheval au galop, ce qui pourrait être frustrant si on ne prenait pas la peine de s’attarder sur la beauté de chaque case où, comme de coutume, aucun détail n’est laissé au hasard. C’est sans doute en grande partie à cause de cette recherche de perfection graphique que l’attente entre chaque nouveau volume est aussi longue (presque deux ans depuis la publication du précédent !). La patience est une vertu, parait-il. Il va malheureusement falloir en faire preuve pour découvrir la suite de cette épatante série !

Bride Stories T14 de Kaoru Mori. Ki-oon, 2023. 210 pages. 7,95 euros.





vendredi 5 mai 2023

En famille à Tokyo : le guide de voyage - Julie Blanchin Fujita

Quand une Française installée à Tokyo depuis près de quinze ans, mariée à un Japonais et maman de deux bouts de chou décide de faire un guide pour découvrir la capitale nippone en famille, on se dit qu’on va être entre de bonnes mains. Diplômée des arts déco de Strasbourg, Julie Blanchin Fujita illustre elle-même chaque chapitre et multiplie les conseils sur un ton chaleureux, léger et souvent drôle. 

L’organisation de l’ouvrage est classique, avec une longue introduction détaillant les possibilités de logement, les types de restaurants, les déplacements, les erreurs à éviter et, de manière générale, tout ce qui est bon à savoir pour profiter au maximum de son séjour. Les chapitres suivants passent en revue les différents quartiers et listent leurs centres d’intérêt respectifs, avec autant de précision que de concision, et surtout sans jamais perdre de vue la dimension familiale promise dans le titre. 

Franchement, cette attention portée à un séjour « en famille » est le gros point fort de ce guide. Il y a dans la démarche de Julie Blanchin Fujita une volonté permanente de rassurer face au gigantisme de cette mégalopole et de tranquilliser des parents inquiets d’affronter un tel espace urbain avec leur progéniture (même les enfants en bas-âge sont pris en compte avec des infos sur où acheter du lait, où changer bébé et comment, au moment de la réservation de l’hébergement, tout prévoir pour que le séjour se passe au mieux). 

Du pratique, de l’anecdotique, du culturel, des petits bonus bienvenus, un mini-dico, un lexique des expressions indispensables à connaître, une carte détachable des transports du grand Tokyo, rien ne manque dans ce guide dont la lecture s’avère aussi instructive que plaisante. Au final, entre la qualité des infos partagées et l’enthousiasme sincère que Julie Blanchin Fujita diffuse au fil des pages, on referme l’ouvrage avec une furieuse envie de sauter dans un avion avec sa tribu pour rallier au plus vite la capitale du pays du soleil levant ! 



En famille à Tokyo : le guide de voyage de Julie Blanchin Fujita. Kana, 2023. 240 pages. 14,90 euros.






mercredi 3 mai 2023

L’adoption cycle 2, tome 2 : Les repentirs - Zidrou et Arno Monin

La tournure dramatique prise par les événements à la fin du premier tome annonçait un virage à 180 degrés, ça n’a pas manqué. Le retournement de situation a donc bien eu lieu, la famille adoptive pas franchement accueillante est devenue d’un coup de baguette magique prête à tout pour retrouver Wajdi après sa fugue. Une prise de conscience salutaire qu’on voyait venir de loin tant le scénario semblait dès le départ cousu de fil blanc. Mais peu importe si le couple expiant ses fautes reste toujours aussi caricatural, si la morale est sauve et si tout est bien qui finit bien, comme disait Shakespeare. 

Et puis pour ce qui est de la forme, on n’est pas loin de la masterclass. Vivacité des dialogues, pertinence du découpage et de l’enchaînement des différentes scènes, tout le savoir-faire de Zidrou se déploie et montre une fois de plus à quel point, techniquement, il maîtrise l’art de raconter une histoire. Au niveau graphique Arno Monin est au diapason. Le cheminement du récit vers le happy-end final lui permet d’affirmer une fois de plus son trait lumineux, son sens du rythme et sa science du cadrage en permanence au service du récit. 

Au final ce second cycle dégouline de bons sentiments mais, malgré ses gros sabots, il s’en dégage des ondes positives qui réchauffent les cœurs. Toujours bon à prendre par les temps qui courent !

L’adoption cycle 2, tome 2 : Les repentirs de Zidrou et Arno Monin. Bamboo, 2023. 72 pages. 16,90 euros.



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