lundi 25 septembre 2023

Les aventures de Tom Sawyer - Mark Twain

Les quadra comme moi connaissent Tom Sawyer essentiellement grâce au dessin animé diffusé au dans les années 80. Mais combien ont lu le texte intégral du roman (et non une version abrégée proposée par la plupart des éditeurs jeunesse) après avoir vu l’adaptation ? Une infime partie sans doute, et c’est bien dommage car ils auraient eu le plaisir de découvrir un livre « pour enfant » qui s’adresse en fait à tous les publics, un livre bien plus mature et complexe qu’il ne semble au premier regard.
Mark Twain a écrit Les aventures de Tom Sawyer en 1876. Le récit se base en grande partie sur des événements vécus par certains de ses camarades de classe lorsqu’il était enfant. Il a synthétisé dans le personnage de Tom plusieurs d’entre eux. A travers lui, c’est toute une vision de l’Amérique des pionniers qui s’exprime :  courage, grandeur d’âme, aventure, champs des possibles où les rêves les plus fous sont permis. Tom s’imagine en Robin des bois, en pirate, en chasseur de trésor, en redresseur de tort. Allergique à l’école, supportant difficilement les longues heures passées sur le banc de l’église, il ne s'épanouit qu'au grand air, faisant les quatre cents coups avec son copain Huck.
Condensé d'événements cocasses ou tragiques, hymne à la débrouillardise, Les aventures de Tom Sawyer dressent le portrait d’un gamin facétieux et farceur dont les aspirations à la justice semblent inébranlables. Et au-delà de son personnage, Mark Twain peint avec une précision quasi sociologique l’Amérique de la première moitié du 19ème siècle : violence, justice sommaire, religion omniprésente, esclavage, etc. La vision est à hauteur d'enfant mais cette naïveté de façade permet de révéler un tableau très vivant de la vie à la frontière de l'Ouest sauvage et indompté.
Une porte d'entrée idéale dans l'œuvre de l'un des pères fondateurs de la littérature américaine. Le parfait tremplin avant d'attaquer les Aventures d'Huckleberry Finn, que tout le monde s'accorde à considérer comme son chef d'œuvre et qu'Hemingway avait placé au-dessus de son panthéon littéraire : " Toute la littérature moderne américaine est issue d'un livre de Mark Twain : Huckleberry Finn. Avant, il n'y avait rien. Depuis, on n'a rien fait d'aussi bien".

Les aventures de Tom Sawyer de Mark Twain (traduit de l'anglais par Bernard Hoepffner). Tristram, 2008. 300 pages. 21,00 euros.



Rentrée des classes oblige, le rendez-vous des Classiques c'est fantastique
orchestré par Fanny et Moka célèbre ce mois-ci
les incontournables de la littérature jeunesse.




samedi 2 septembre 2023

La porte du non retour - Kwame Alexander

Septembre 1860, Ghana. Kofi vit paisiblement avec sa famille. Il va à l’école, joue avec ses amis et est amoureux de la jolie Ama. Nageur hors pair, il a fait de la rivière son lieu de prédilection. Seule obligation à respecter, ne jamais s’attarder près de l’eau une fois la nuit tombée pour ne pas tomber dans les griffes des « bêtes » qui rodent et enlèvent les enfants. Un soir, alors qu’il traîne un peu trop longtemps après le coucher du soleil, son monde bascule. Famille, liberté, innocence, tout va lui être arraché avec une violence inouïe. Commence alors pour lui un long voyage au bout de l’enfer…
Un roman bouleversant, je ne vois pas d’autre mot pour le qualifier avec davantage de justesse. Pourtant Kwame Alexander ne cherche pas à en rajouter dans le registre de l’émotion, il ne force pas le trait. Après tout, les faits se suffisent à eux-mêmes, il n’est pas nécessaire d’en rajouter. Le choix d’un texte en vers libre aurait pu offrir l’occasion d’un glissement vers une forme de lyrisme grandiloquent mais ce n’est heureusement pas le cas. Au contraire, les phrases courtes vont à l’essentiel, elles donnent au monologue de Kofi le rythme d’un chant où la douceur des premières pages prend au fil du récit des accents déchirants.
Un texte de plus sur l’esclavage à faire lire aux ados, un parmi tant d’autres ? Sûrement pas. Car la démarche de Kwame Alexander, américain d’origine ghanéenne, est de revenir sur le chapitre africain de l’histoire de l’esclavage et la responsabilité de certains chefs de tribu dans le développement de « la traite négrière transatlantique ». Un retour aux racines sur les terres de ses ancêtres qu’il a effectué à plusieurs reprises afin de documenter avec un maximum de véracité l’histoire fictive de Koffi. Premier tome d’une trilogie cette « Porte du non retour » est une plongée aussi touchante qu’édifiante au cœur d’une des plus grande tragédies de l’histoire de l’humanité.

La porte du non retour de Kwame Alexander (traduit de l'anglais par Alice Delarbre). Albin Michel jeunesse 2023. 460 pages. 19,90 euros. A partir de 13 ans.








lundi 28 août 2023

Oliver Twist - Charles Dickens

Tout le monde connait Oliver Twist, au moins de nom. C’est sans doute le plus célèbre roman de Dickens.
Il s’ouvre sur l’enfance malheureuse d’Oliver, orphelin maltraité dans l’hospice où il fut recueilli bébé, qui finira par s’enfuir pour rejoindre Londres et être enrôlé malgré lui dans une bande de voleurs à la tire menée par l’impitoyable et répugnant Fagin. Accusé d’un larcin qu’il n’a pas commis, sauvé par une bonne âme avant d’être enlevé par ses anciens camarades pickpockets afin de commettre un cambriolage qui tournera mal, il sera blessé par balle et laissé pour mort dans un fossé. La suite ? Je vous laisse la découvrir si vous ne la connaissez pas.
Clairement, Dickens ne ménage pas son petit héros. Clairement il aime dramatiser, jouer sur le côté tire-larme, insister sur la situation misérable du pauvre enfant. Mais ce dernier s’avère trop lisse, trop angélique, trop naïf. Aucune once de méchanceté en lui, aucune véritable révolte, il ne parvient pas à haïr ses bourreaux et déborde d’amour pour ceux qui lui viennent en aide. Pour tout dire, il manque  d’aspérité et de complexité, bref il se révèle plutôt insipide. D’ailleurs il est souvent absent des événements qui se déroulent autour ou à cause de lui, j’irai même jusqu’à dire qu’il est loin d’être le personnage principal du roman.
Au-delà du parcours tourmenté d’Oliver, le but premier de Dickens étais sans doute de démystifier l’image romantique des criminels. Tous sont d’affreux salauds sans états d’âme, des concentrés de méchanceté à l’état pur qui finiront par payer pour leurs actes répréhensibles. Le manichéisme tourne à la caricature, les protagonistes sont classés dans le camp du bien ou dans celui du mal, il n’y a pas d’entre-deux possible.
L’intérêt du texte réside selon moi dans la description des bas-fonds de Londres, l’atmosphère insalubre est parfaitement rendue et le portrait des indigents sonne avec réalisme.
Pour conclure je dirais que j’ai l’impression d’avoir lu un mélo social, malheureusement bien plus mélo que social, dont le côté moralisateur et manichéen a grandement gâché mon plaisir de lecture. Dommage.

Oliver Twist de Charles Dickens (traduit de l'anglais par Alfred Gérardin). Archipoche, 2020. 620 pages. 8,95 euros.



Un billet qui signe ma troisième participation au rendez-vous




lundi 31 juillet 2023

Corregidora - Gayl Jones

« Je suis Ursa Corregidora. J’ai des larmes à la place des yeux. Toute petite, on m’a obligée à palper mon passé. Je l’ai tété à la mamelle de ma mère ».

Sa grand-mère ne cessait de lui répéter que le plus important était d’assurer la descendance, pour entretenir la mémoire. Pour que la lignée familiale issue de l’esclavage ne s’éteigne jamais et que son histoire tragique puisse continuer à être racontée. Malheureusement Ursa va briser le cycle. Parce que suite aux coups de son mari, elle a dû subir une ablation de l’utérus. Il ne supportait pas que sa femme, chanteuse de Blues dans un cabaret du Kentucky, attire les regards d’autres hommes. Après l’opération, Ursa se reconstruit. La convalescence est longue, le patron du cabaret se veut protecteur, attentif à tous ses besoins. Elle finira par l’épouser et s’en mordra les doigts, forcément. Ici les hommes ne peuvent qu’être mauvais. Rien à en tirer, rien à en espérer. Depuis que ce salaud de Corregidora, le maître de la plantation, a violé ses ancêtres, le schéma se répète et les femmes de la famille ne semblent bonnes qu’à subir la violence masculine. Une forme de fatalité qu’Ursa constate autant qu’elle accepte. Avec lucidité et la rage au cœur.

Ce roman est un monument de la littérature afro-américaine, considéré depuis longtemps comme un classique contemporain. Un livre cru, tant sur la forme que sur le fond. Un livre brutal, sans concession. Publié en 1975 par Toni Morrison, écrit par une inconnue de 25 ans qui va estomaquer la future prix Nobel de littérature et éblouir quelques grands noms des lettres américaines tels que James Baldwin ou Richard Ford, il est étudié depuis des décennies à l’université. C’est à se demander pourquoi il aura fallu attendre presque cinquante ans pour qu’il soit enfin traduit en français.

Le monologue d’Ursa résonne comme un blues lancinant. C’est à la fois un cri et un chuchotement, un déferlement qui emporte tout sur son passage. La traduction rend parfaitement compte du rythme, de la trivialité et de la poésie d’une prose qui oscille entre réalisme et onirisme. L’oralité de la langue souligne une formidable modernité de ton, une totale liberté de parole.

Une histoire qui prend ses racines dans l’esclavage et qui cherche à perpétuer l’héritage de ce traumatisme. Pour ne jamais oublié que les femmes ont tant souffert de cet asservissement inhumain, marquées dans leur chair par une toute puissance masculine qui s’autorisait les pires excès. Et qui se les autorise encore, malheureusement.

Corregidora de Gayl Jones. Éditions Dalva, 2022. 255 pages. 21,00 euros.



Un billet qui signe ma seconde participation au rendez-vous
Les classiques c'est fantastique de Fanny et Moka











lundi 10 juillet 2023

La guerre des Gaules de Tarek et Vincent Pompetti.

Entre -58 et -50 avant J.C., César déploie son emprise sur la Gaule. Enfin, sur les Gaules plus exactement, puisqu'à l'époque le monde celtique était divisé en plusieurs nations, plus souvent rivales qu’alliées. C’est d’ailleurs en grande partie grâce à ces divisions que le futur empereur romain a pu étendre ses conquêtes territoriales. Pendant les premières années de la guerre, Vercingétorix sera un allié de Rome, avant de prendre la tête des tribus se révoltant contre l’occupant et d’être vaincu à Alésia en -52. Le point de vue de César exprimé dans cette Guerre des Gaules montre à quel point la motivation de ce dernier, d’abord politique, s’est rapidement doublée d’un intérêt économique. On comprend également que si la victoire finale doit à la force brute, à l’équipement moderne et à la discipline de ses légions, elle n’aurait pu être possible sans une exceptionnelle intelligence tactique associée à une véritable vision géopolitique du conflit.

Les auteurs se sont évidemment basés sur le texte original de César tout en s’autorisant quelques libertés « fictionnelles » afin de rendre le récit moins austère. La caution historique est indiscutable, ce qui rend cet album passionnant, notamment d’un point de vue pédagogique. Revers de la médaille, les récitatifs prennent le pas sur les dialogues et rendent certains passages très bavards. De plus le catalogue de noms de tribus et de villes gauloises (sans traduction de leur appellation « moderne ») ne permet pas de voir avec clarté les lieux où se déroulent les événements, ce qui a tendance à complexifier la lecture. 

Niveau dessin rien à dire, les choix graphiques de Vincent Pompetti permettent une immersion parfaite dans la sauvagerie de l’époque. Et le dossier final incroyablement complet est une lecture des plus enrichissantes pour mieux comprendre, d’une part, les intentions des auteurs, et d’autre part, leur investissement sans faille pour coller au plus près des connaissances actuelles sur cette période pour le moins troublée de l’antiquité. 

La guerre des Gaules de Tarek et Vincent Pompetti. Nouveau Monde éditions, 2023. 180 pages. 24,90 euros.




mercredi 28 juin 2023

Les cahiers d’Esther T8 : Histoires de mes 17 ans - Riad Sattouf

Esther aura bien 17 ans, elle est en première dans lycée parisien de « bourges » et stresse à l’idée de passer le bac de français. Côté cœur, c’est le désert. Le célibat lui pèse mais l’attitude des garçons l’insupporte toujours autant. Elle s’interroge également sur ses convictions politiques, se demandant si elle est de droite ou de gauche, et s’insurge de voir son grand frère succomber aux sirènes de Zemmour. Le soir du premier tour de la présidentielle, son père ne se remet pas de la défaite de Mélenchon tandis que sa mère, macroniste, jubile.

A côté de ça, Esther passe son BAFA et ce n’est pas de tout repos, surtout quand le stage pratique vire au cauchemar. Bref, la vie file et ce n’est pas rassurant. Ses parents vieillissent, le lycée se terminera bientôt, un nouveau cycle s’annonce et tout cela reste très flou. La jeune fille ne sait pas ce qu’elle veut faire plus tard, la jungle de Parcoursup qui s’annonce l’effraie. Heureusement, les copines sont toujours là. Les amitiés et la famille sont des bases solides sur lesquelles elle peut se reposer.

Riad Sattouf possède une capacité à restituer en images les réflexions et réactions d’Esther avec une pertinence de ton et un art du dialogue qui touchent au génie. Ses planchent surchargées de texte restent d’une parfaite lisibilité et on sent à chaque instant l’empathie, le respect et l’attachement qu’il porte à son personnage. Franchement, chapeau bas !

Depuis le premier tome, Les cahiers d’Esther sont une photographie du temps présent, une vision individuelle et intime de l’époque qui touche souvent à l’universel. Au point que les sociologues de demain y verront sans doute matière à comprendre et analyser la jeunesse d’aujourd’hui.


Les cahiers d’Esther T8 : Histoires de mes 17 ans
de Riad Sattouf. Allary éditions, 2023. 54 pages. 17,90 euros.



Les BD de la semaine sont à retrouver chez Fanny





lundi 26 juin 2023

Le blé en herbe - Colette

Phil et Vinca. Il a 16 ans, elle en a 15. Ils se connaissent depuis l’enfance, leurs familles passent tous leurs étés en Bretagne dans la même maison de vacances. Des camarades de jeux fidèles en amitié devenus amoureux par évidence. Malgré une certaine forme de pureté, ils sont à ce moment charnière de bascule vers le monde des adultes. Bientôt la fin des études et un avenir professionnel à construire, loin de la facilité et des futilités de leurs jeunes années. On les voit déjà mariés mais une rencontre fortuite va tout faire basculer. Envouté par une femme mûre, Phil va trahir la confiance de Vinca et remettre en cause leur relation.

Phil est un grand dadais naïf et égoïste, déniaisé par une séductrice qui veut juste s’amuser avec lui. Aujourd’hui, on dirait que c’est un Toy Boy manipulé par une MILF 100% cougar. Face à lui Vinca est une jeune fille lucide qui comprend très vite la situation. Sa maturité lui permet de faire face, elle est celle qui prend les choses en main quand le fautif, noyé sous les remords, est sur le point de sombrer. 

L’écriture est riche en images, elle souligne à merveille l’atmosphère étouffante d’un été écrasé de chaleur. Elle possède également une dimension poétique, notamment dans les descriptions de la nature et des sensations que cette dernière fait naître chez les personnages. Une sorte de lyrisme intime un poil daté mais qui garde un certain charme.

Collette célèbre à travers ce court roman la supériorité de la femme sur l’homme, cette capacité à surmonter ses propres souffrances pour apaiser celles d’autrui. Hymne à la sensibilité, à la délicatesse et à la générosité féminine, Le blé en herbe est également une jolie façon de rappeler que la passion n’a pas d’âge et que les relations amoureuses n’ont jamais rien d’un long fleuve tranquille.

Le blé en herbe de Colette. Librio, 2022. 110 pages. 3,00 euros.




Un billet qui signe ma première participation au challenge 
Les classiques c'est fantastique de Moka et Fanny







mercredi 21 juin 2023

Mojo - Rodolphe et G. Van Linthout

Slim Whitemoon, né dans le Mississipi au début du 20ème siècle, est un bluesman qui a d’abord tenté sa chance à Chicago avant que la crise de 29 ne l’oblige à retourner dans le sud. Il y passe quelques années dans un cimetière en tant que fossoyeur. Mais le frisson du blues le renvoie sur la route. Des concerts chaque soir dans des bars, des clubs, des petites salles ou même dans la rue. Une vie d’errance avant de rentrer dans le rang après avoir rencontré Emma, sa future femme. De leur union naîtront deux garçons et deux filles. A la mort d’Emma, les enfants ont grandi et sont partis. De nouveau seul, Slim replonge dans la musique à corps perdu. Et lorsque le revival du blues explose en Europe dans les années 60, il part faire une tournée en Angleterre. Le vieil homme devient une star adulée par les Stones et les Yarbirds de Clapton. De retour au pays, Slim retombe dans l’anonymat pour finir sa vie dans le dénuement le plus complet.

Slim Whitemoon n’a jamais existé. Il représente le parfait archétype du bluesman ayant traversé le 20ème siècle : une naissance dans le sud profond, les premières notes de musique jouées sur une guitare de bric et de broc, un voyage à Chicago, une vie de hobo dans les trains de marchandise pendant la grande dépression, les premiers enregistrements de vinyles, la gloire avant une chute inexorable. Rodolphe et G. Van Linthout dressent un inventaire précis et exhaustif des caractéristiques propres à ces musiciens itinérants qui ont marqué l’histoire des États-Unis : la solitude, la misère, les femmes, l’alcool, les troquets sordides, le racisme ordinaire… Et si Slim est une pure invention, les musiciens qu’il croise sur sa route ont bel et bien existé : Blind Lemon Jefferson, le mythique Robert Johnson, Aleck « Rice » Miller, Sonny Boy Williamson. Ces bluesmen légendaires donnent à ce Mojo de faux airs de docu-fiction.

Graphiquement, le travail de G. Van Linthout colle parfaitement au propos : un lavis aux tons de gris délavés idéal pour illustrer cette vie en clair-obscur.

J’ai passé un excellent moment avec ce roman graphique à la construction simple et efficace, certes  destiné aux amateurs de blues mais qui devrait pouvoir convaincre un plus large public.

Mojo de Rodolphe et G. Van Linthout, Éditions Vents d’Ouest, 2019. 192 pages. 22.00 euros.



Les BD de la semaine sont chez Noukette






vendredi 16 juin 2023

Touche-moi - Susie Morgenstern

« Balance ta truie, ça existe ? »
Rose se demande s’il est normal qu’elle pense au sexe en permanence alors que le bac de français approche et que ses copines ont « envie de vomir » quand elle tente d’aborder le sujet avec elles. Il faut dire que pour ce qui est de la normalité, Rose s’estime loin du compte. Albinos, elle a « la peau aussi blanche que la pleine lune, les cheveux d’une vieille de cent ans et des yeux si pâles que l’on ne peut pas en définir la couleur ». Obligée de garder en permanence des lunettes noires et de porter de grands chapeaux pour se protéger du soleil, Rose ne passe pas inaperçue mais, à son grand regret, elle n’attire pas la gent masculine pour autant, loin s’en faut. Et le jour où le prof d’anglais l’associe pour un exposé à Augustin, échalas boutonneux qui ne décroche jamais un mot, Rose se dit que ce n’est pas avec lui que la situation va s’améliorer.  

Elle est marrante Rose, avec son désir à fleur de peau, ses pensées toujours tournées vers le sexe, son irrépressible envie de toucher et d’être touchée. Et son impossibilité de passer à l’acte qui l’oblige à en rester au stade des fantasmes. Chaque nuit dans son lit, elle s’invente des histoires, elle s’imagine dans les bras de tel ou tel garçon. Et à défaut d’avoir un homme sous la main elle se frotte à son matelas et fait l’amour à son oreiller.

Un roman sans complexe, pour dire le manque d’affection et de rapport charnel d’une ado mal dans sa peau, lucide sur son statut de « fille à part » : « Il faudrait d’abord que je m’aime pour que l’on m’aime ». Susie Morgenstern a choisi de traiter un sujet potentiellement pesant avec beaucoup de légèreté. Les mots de Rose sonnent juste et il est rafraichissant de la voir exprimer avec autodérision une forme de frustration qui tourne à l’obsession. Une jeune fille attachante qui ne s’oublie pas ! 

Touche-moi de Susie Morgenstern. Editions Thierry Magnier, 2020. 215 pages. 14,90 euros. A partir de 15 ans.





mercredi 14 juin 2023

Metal Maniax - Slo et Fef

Le métal possède ses codes physiques et vestimentaires mais aussi ses rituels : le headbanging, le slam, le stagediving, le circle pit, le wall of death, ou encore le moshing pit. Bref, le métal est un art un de vivre et Nina, Sam, Spike, Vince et Marco en sont les plus (in)dignes représentants. Des métalleux 100% dévoués à la cause. Des chevelus, des tatoués, des amateurs de gros son qui tache et de pogo qui décoiffent. Tous se retrouvent au Dark Knight, un bar lui aussi 100% dévoué à la cause. On y disserte sur les différences entre le hardcore de New-york et le black métal norvégien, entre le glam au maquillage dégoulinant et le heavy métal à papa ou encore entre le métal progressif planant le grindcore énervé. 
Slo / Fef © Lapin 2023

Une BD qui sent la sueur, où la bière coule à flot et le vomi se répand en flaques verdâtres. Un album parfois trash (logique !), souvent drôle et toujours bienveillant, à l'image d'une communauté qu'il ne faut surtout pas juger en se fiant aux apparences. En bonus, la petite histoire du métal en quinze dates qui vient conclure l'album permet de montrer l'évolution qu'a connu ce style musical au fil des décennies. 

Ok, c'est pas pas toujours très fin et loin de prôner la modération en matière de consommation d’alcool mais la passion des auteurs pour le métal transpire à chaque page et les amateurs ne pourront s’empêcher de sourire devant certaines scènes qui leur rappelleront forcément des souvenirs. Une lecture divertissante et sans prise de tête, qui met à l’honneur une forme de contre-culture toujours très à l’aise avec l’autodérision. 

Metal Maniax de Slo et Fef. Éditions Lapin, 2023. 166 pages. 18,00 euros.



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mardi 6 juin 2023

Sauveur et fils saison 7 - Marie-Aude Murail et Constance Robert-Murail

Trois ans se sont écoulés depuis que Sauveur a demandé Louise en mariage alors qu’elle était enceinte de trois mois. Entre temps Léopoldine est née, Lazare est devenu un collégien végétarien, Paul joue de plus en plus les ados rebelles, Alice est à la fac, Grégoire, qui ne devait rester que quelques temps, n’a pas quitté la maison, Gabin s’est officiellement engagé dans la marine et Jovo… est resté égal à lui-même. Cette nouvelle saison de Sauveur démarre en novembre 2021. Le Covid a frappé et la santé mentale des Français, fragilisée au plus haut point, offre à notre psychologue clinicien une hausse d’activité dont il se serait bien passé.

Sauveur, c’est fini ! Difficile de se dire en ouvrant ce 7ème et dernier tome que l’on ne poussera plus la porte du 12 rue des Murlins pour y retrouver Sauveur et sa joyeuse tribu. Il faut dire qu'on on a vu grandir sous nos yeux la relation entre Sauveur et Louise, le passage de l’enfance à l’adolescence de Lazare et Paul, l’histoire d’amour d’Alice et Gabin. Sans parler de l’intégration des « squatteurs » Grégoire et Jovo. Comment ne pas oublier non plus le défilé ininterrompu de patients dans le cabinet du psy. Dans cette dernière saison, en plus des nouveaux venus, on retrouve les sœurs Blandine et Margaux, Elliott l’écrivain en herbe et Frédérique la bijoutière. 

Tous ces noms ne vous disent rien ? Mais qu’attendez-vous donc pour vous lancer dans cette merveilleuse série débordante de vie et de bonnes ondes. Une série que les fans vont quitter à regret, à la fois ravis d'avoir pris autant de plaisir à chaque nouveau tome et tristes de se dire que ce formidable univers va disparaître pour de bon ! 

Sauveur et fils saison 7 de Marie-Aude Murail et Constance Robert-Murail. L’école des loisirs, 2023. 314 pages. 17,50 euros. A partir de 13 ans.


Une indispensable pépite partagée avec Noukette






mardi 30 mai 2023

Pyramide - Gaëtan B. Maran

Au cœur d’un désert sans fin, une immense pyramide. Autour de la pyramide, le peuple est réparti en 64 quartiers, 16 par face. Tous les sept ans, un jeune homme ou une jeune femme de chaque quartier est désigné pour affronter le labyrinthe de l’édifice. Une fois à l’intérieur, la survie est la règle et s’entretuer devient une obligation. Car un seul des candidats pourra atteindre le dernier étage. Un seul des candidats prendra le pouvoir pour sept ans. 

Un Battle Royal dystopique, entre Fortnite, Hunger Games et Le labyrinthe. Original ? Surement pas. Efficace ? Incontestablement. C’est rythmé, rapide, très visuel. La mécanique du récit prend le pas sur les considérations littéraires, le but étant d’emporter le lecteur dans un tourbillon d’action. Pas de faux-semblant, il ne doit en rester qu’un et il n’en restera qu’un, pas la peine d’espérer que les autres s’en sortiront sans dommage. Cette cruauté ne s’embarrasse pas de sentimentalisme et la violence assumée participe grandement à l’ambiance suffocante qui incite à tourner les pages avec une gourmandise quelque peu morbide.

Rien de révolutionnaire mais du travail bien fait et bien pensé. La recette fonctionne, elle plaira aux ados habitués à ce genre d’univers et emportera dans son tourbillon ceux qui le découvrent.

Pyramide de Gaëtan B. Maran. Syros, 2023. 336 pages. 17,95 euros. A partir de 13-14 ans.


vendredi 26 mai 2023

La Tour de Gustave - Sophie Adriansen et Youlie

Gustave et sa tour, un duo inséparable ! C’est elle qui raconte la vie de son créateur. Sa découverte de l’acier et de ses propriétés. Sa première grande réalisation, une passerelle de 500 mètres qui enjambe la Garonne à Bordeaux. Le succès grandissant, les commandes qui s’empilent, dans le monde entier. Son rôle de sauveur dans la construction du canal de Panama, le viaduc de Gabarit et ses 120 mètres de haut, l’armature de la statue de la liberté et surtout, surtout, son ambition de construire une tour « haute de plus de mille pieds ». Un projet proposé à la ville de Barcelone pour l’exposition universelle de 1888 qui sera refusé. Qu’importe, il verra le jour l’année suivante, à Paris.

La tour raconte le début de sa construction, la crainte des parisiens de la voir s’écrouler et des les écraser. Les délais tenus malgré les difficultés du chantier. Et puis le succès jamais démenti depuis l’inauguration, le 15 mai 1889. Suivront quelques revers et le scandale financier du canal de Panama. Gustave perd de son aura mais sa tour lui survivra, échappant au démontage grâce aux antennes à son sommet qui jouent un rôle stratégique pour la défense nationale et la diffusion des ondes radio.

Adriansen / Youlie © Glénat 2023

Un biopic publié à l’occasion du centenaire de la mort du célèbre architecte. L’album, tout en verticalité, offre de somptueuses double-pages qui font penser à des panneaux d’exposition. Le texte se fait discret, allant à l’essentiel pour laisser la puissance graphique des illustrations s’exprimer au mieux. Un bel hommage dans un bel écrin. 

La Tour de Gustave de Sophie Adriansen et Youlie. Glénat, 2023. 48 pages. 14,50 euros. A partir de 8 ans.




mardi 23 mai 2023

Tronche : Rosépine - Philippe Curval

Philippe Curval avertit dans le prologue que cette histoire s’est matérialisée pendant un épisode fiévreux ayant entraîné une hospitalisation d’urgence. Sous perfusion, bourré de corticoïdes, ses pensées s’égarent jusqu’à imaginer une chronique des Tronche (son véritable nom de famille, Curval étant son pseudonyme d’auteur). Difficile pourtant, une fois revenu chez lui, de mettre au propre un texte qu’il a l’impression d’avoir déjà entièrement écrit en pensée. Mais le projet finit par prendre corps. L’ambition est de « construire une saga en cinq épisodes où seront dévoilées quelques facettes de la vraie tronchitude. »

Le point central de ce premier épisode de la saga est Rosépine Tronche, femme libre et indépendante vivant au cœur des années 60. Ayant fui très jeune l’emprise de ses parents, étouffant dans son petit appartement parisien, elle décide de tout plaquer pour suivre les traces de Stevenson dans les Cévennes. Persuadée qu’une destinée particulière l’attend, elle va devenir maçonne avant de rentrer à Paris où ses talents de tricoteuse lui ouvriront les portes des plus grandes maisons de mode. Fréquentant un groupe d’étudiants révolutionnaires, elle décide à nouveau de tout plaquer pour retourner s’installer dans les Cévennes. Mère célibataire, elle va se lancer dans la réalisation d’une œuvre picturale dont la folie et l’audace l’amèneront jusqu’à New-York.

Ce résumé un poil fourre-tout décrit bien l’ambiance générale du roman. Tout va vite, très vite. Le texte est nerveux, fiévreux comme son auteur au moment où il l’a imaginé. Rosépine est une impulsive, elle se laisse porter par ses envies, ne s’attache à rien ni personne. Elle aime les hommes mais refuse de vivre en couple, elle élève seule un fils qu’elle n’hésite pas à abandonner pour privilégier sa carrière artistique et refuse de rentrer dans la norme attendue par les musées et les galeries pour ne pas sacrifier sa force créatrice. Indomptable, égoïste, pleine de confiance en elle et de certitudes, elle avance sans se soucier du regard des autres.

Au-delà de la saga familiale, Philippe Curval dresse à la fois le portrait d’une héroïne avant-gardiste éprise de liberté et d’une époque où cette dernière était bien difficile à gagner pour les femmes.

Tronche : Rosépine de Philippe Curval. Éditions La Volte, 2023. 210 pages. 18,50 euros.





vendredi 19 mai 2023

Paris-Berry - Frédéric Berthet

Le regretté Philippe Sollers disait de lui qu’il était « 
le plus doué de sa génération ». Frédéric Berthet aura finalement publié bien peu de textes avant de quitter définitivement la scène à 49 ans, en 2003, rongé par l’alcool et le désespoir. Son roman Daimler s’en va (Prix Roger Nimier 1989) restera son seul véritable succès. Il voulait écrire un livre, « un grand livre », puis s’en aller, comme Salinger. 

Dans Paris-Berry, Berthet raconte son installation dans une maison prêtée par une amie au cœur du Berry. C’est là qu’il doit écrire son prochain roman. Mais chaque fois qu’il est devant la machine à écrire, sa pensée s’égare. Il ne fait que raconter de petits événements du quotidien (l’arrivée du facteur, les facéties du chat, une fuite d’eau qui inonde la maison, la visite d’une jeune héritière…), des souvenirs anciens de ses rencontres avec Blondin et Roland Barthes ou encore ses années américaines. Des bribes, des fragments, au mieux de courtes nouvelles. Une sorte de procrastination littéraire qui donne au final un tout que j’ai personnellement dégusté avec grand plaisir. Il faut bien sûr aimer l’épure, l’écriture minuscule des petits riens à la Delerm. Même si contrairement à ce dernier il ne tombe pas dans la célébration systématique de ces petits riens. Le style est vif, pétillant, souvent drôle, parfois grave. Succulent.          

De jolies chroniques, donc, où Berthet montre, entre autres, un talent rare dans l’utilisation de la virgule : « Dans ce livre, j’aime les virgules. Les brins d’herbe de Walt Whitman. Virgules couchées sous le vent. Minuscules attentes de ce qui va venir. Choses, corps souples. Mes virgules sont mes catins. Qui a jamais prétendu que l’on devait écrire, lire, en apnée ? Pourquoi aucune halte ? Même courte, la randonnée est longue. Comment dit-on : prendre son temps ? »

A découvrir si vous aimez la forme courte et les écrits minimalistes. Pour moi ce fut une bien belle découverte.      

Paris-Berry de Frédéric Berthet. La table ronde, 2023. 110 pages. 6,60 €.










mercredi 17 mai 2023

Gone With the Wind T1 - Pierre Alary

Je n’ai pas lu le roman. Je n’ai pas vu le film. A vrai dire je ne connaissais de l’intrigue que le contexte historique (la guerre de sécession) et géographique (le sud des États-Unis). Sans oublier les « iconiques » personnages principaux (Scarlett O’Harra et Rhett Butler). Je m’imaginais entre eux un coup de foudre comme on en voit tant, mielleux à souhait et dégoulinant de guimauve. Grave erreur.

Grande fut ma surprise de découvrir que l’amour de Scarlett, au départ du moins, n’était pas ce brave Rhett mais un certain Ashley Wilkes. Et que malheureusement pour elle, Ashley était sur le point de se marier avec une autre. Le cœur brisé et après avoir épousé par dépit un homme dont elle ne fait aucun cas, Scarlett voit son quotidien bouleversé par le début la guerre. Le conflit fera d’elle une jeune veuve et la poussera à s’exiler loin de la plantation familiale, direction Atlanta. Et Rehtt dans tout ça me direz-vous ? Eh bien le moins que l’on puisse dire c’est que le gaillard est loin d’attirer la sympathie. Pour Scarlett il n’a même rien pour la séduire. En tout cas jusqu’au moment où il lui sauvera la vie dans des conditions dramatiques.

Alary © Rue de Sèvres 2023
Premier tome d’un diptyque, ce Gone with the wind est une totale réussite. Un album magnifique, du travail d’artiste, d’artisan même, tant graphiquement qu’au niveau de la narration. L’ambiance chaude et lumineuse du sud profond est parfaitement restituée, les événements s’enchaînent de façon limpide, la lecture est fluide, bref aucune fausse note.

J’ai aimé aussi les caractères marqués des personnages, Scarlett en femme forte capable de prendre les rennes quand tout s’écroule et Rhett en salopard à la fois cupide, cynique, lucide et amoral. Bien sûr, la vision idéalisée du mode de vie des états du Sud qui tourne au final à la défense de propriétaires terriens en lutte pour préserver leurs privilèges d'esclavagistes reste dérangeante, mais il ne faut pas oublier de la remettre dans le contexte et l'époque de la rédaction du roman.

Un dernier mot sur l’ouvrage en lui-même, magnifique objet-livre grand format au dos toilé. Vraiment aucune fausse note, espérons que la suite sera à la hauteur mais franchement, j'ai peu de doutes.

Gone With the Wind T1 de Pierre Alary (d'après l'œuvre de Margaret Mitchell). Rue de Sèvres, 2023. 150 pages. 25,00 euros.



Les BD de la semaine sont à découvrir chez Fanny





vendredi 12 mai 2023

Pyongyang 1071 - Jacky Schwartzmann

Quand Jacky Schwartzmann a annoncé à son entourage sa volonté de faire le marathon de Pyongyang, tout le monde a réagi avec un élégant « t’es con ou quoi ? ». Il faut dire qu’en plus de ne pas pratiquer la course à pied assidument, l’auteur de l’excellent Mauvais coûts se lançait dans un voyage des plus risqués.

Dès le départ, l’idée n’était pas de faire une performance mais plutôt de profiter de cet événement sportif pour découvrir un des pays les plus fermés du monde. Bien sûr, pas question de prendre la préparation physique à la légère. Une demande de disponibilité auprès de son employeur et quelques mois d’entraînement intensif lui permirent d’acquérir un niveau suffisant pour finir les 42 kilomètres et quelques dans un temps acceptable, du moins pour un coureur amateur bientôt quinca. Mais au-delà du marathon, son intérêt pour le long périple à venir tenait surtout d’une volonté de découvrir la Corée du Nord de l’intérieur, de s’immerger dans cette dictature semblant à première vue impénétrable. 

Le résultat ? Du Schwartzmann dans le texte, ironique, mordant, lucide, sans langue de bois, toujours autant adepte de l’autodérision. Respectueux d’un peuple difficile à cerner qu’il se refuse de juger, il « subit » un voyage organisé encadré de bout en bout par le régime et constate à quel point la population locale, assommée par la propagande, reste enfermée depuis des décennies dans une vision du monde qui n’a pas évolué depuis les pires moments de la guerre froide.

Gagné par l’ennui au fil de visites toutes moins passionnantes les unes que les autres, trimballé parmi les coréens avec l’impression de les regarder de loin sans vraiment les rencontrer, le marathonien du dimanche en arrive à ce triste constat : « Ce pays accepte de nous recevoir, mais il ne nous accueille pas. Ils veulent qu’on les voie, mais pas qu’on les regarde ». Au final, l’expérience restera marquante, même si Schwartzmann avoue dans une dernière confidence : « Je suis venu en Corée du Nord pour rencontrer un peuple, j’ai fait un safari. »

Pyongyang 1071 de Jacky Schwartzmann. Éditions Paulsen, 2023. 165 pages. 8,50 euros.





mardi 9 mai 2023

Bride Stories T14 - Kaoru Mori

Un tome un peu à part dans la série, où l’explorateur Smith brille par son  absence et où Karluk et Amir sont très peu présents. L’histoire se focalise sur les pourparlers entre les différents clans pour organiser la résistance face à la future invasion russe. Dans le cadre des alliances à venir, Azher, le frère d’Amir, va devoir prouver sa vaillance en remportant une course de chevaux face à celle qui, en cas de victoire, pourrait devenir sa future épouse.

Résultat, un tome regorgeant d’action où les chevaux occupent une place centrale. Kaoru Mori l’avoue d’ailleurs dans la postface, c’est son envie de dessiner « plein de fiers destriers » qui l’a poussée à développer longuement cet épisode de course équestre dans la steppe. Un événement lui permettant également d’introduire de nouveaux personnages féminins marquants qui devraient occuper une place importante dans les chapitres à venir.

Kaoru Mori © Ki-oon 2023
Ce quatorzième tome se lit à la vitesse d’un cheval au galop, ce qui pourrait être frustrant si on ne prenait pas la peine de s’attarder sur la beauté de chaque case où, comme de coutume, aucun détail n’est laissé au hasard. C’est sans doute en grande partie à cause de cette recherche de perfection graphique que l’attente entre chaque nouveau volume est aussi longue (presque deux ans depuis la publication du précédent !). La patience est une vertu, parait-il. Il va malheureusement falloir en faire preuve pour découvrir la suite de cette épatante série !

Bride Stories T14 de Kaoru Mori. Ki-oon, 2023. 210 pages. 7,95 euros.





vendredi 5 mai 2023

En famille à Tokyo : le guide de voyage - Julie Blanchin Fujita

Quand une Française installée à Tokyo depuis près de quinze ans, mariée à un Japonais et maman de deux bouts de chou décide de faire un guide pour découvrir la capitale nippone en famille, on se dit qu’on va être entre de bonnes mains. Diplômée des arts déco de Strasbourg, Julie Blanchin Fujita illustre elle-même chaque chapitre et multiplie les conseils sur un ton chaleureux, léger et souvent drôle. 

L’organisation de l’ouvrage est classique, avec une longue introduction détaillant les possibilités de logement, les types de restaurants, les déplacements, les erreurs à éviter et, de manière générale, tout ce qui est bon à savoir pour profiter au maximum de son séjour. Les chapitres suivants passent en revue les différents quartiers et listent leurs centres d’intérêt respectifs, avec autant de précision que de concision, et surtout sans jamais perdre de vue la dimension familiale promise dans le titre. 

Franchement, cette attention portée à un séjour « en famille » est le gros point fort de ce guide. Il y a dans la démarche de Julie Blanchin Fujita une volonté permanente de rassurer face au gigantisme de cette mégalopole et de tranquilliser des parents inquiets d’affronter un tel espace urbain avec leur progéniture (même les enfants en bas-âge sont pris en compte avec des infos sur où acheter du lait, où changer bébé et comment, au moment de la réservation de l’hébergement, tout prévoir pour que le séjour se passe au mieux). 

Du pratique, de l’anecdotique, du culturel, des petits bonus bienvenus, un mini-dico, un lexique des expressions indispensables à connaître, une carte détachable des transports du grand Tokyo, rien ne manque dans ce guide dont la lecture s’avère aussi instructive que plaisante. Au final, entre la qualité des infos partagées et l’enthousiasme sincère que Julie Blanchin Fujita diffuse au fil des pages, on referme l’ouvrage avec une furieuse envie de sauter dans un avion avec sa tribu pour rallier au plus vite la capitale du pays du soleil levant ! 



En famille à Tokyo : le guide de voyage de Julie Blanchin Fujita. Kana, 2023. 240 pages. 14,90 euros.






mercredi 3 mai 2023

L’adoption cycle 2, tome 2 : Les repentirs - Zidrou et Arno Monin

La tournure dramatique prise par les événements à la fin du premier tome annonçait un virage à 180 degrés, ça n’a pas manqué. Le retournement de situation a donc bien eu lieu, la famille adoptive pas franchement accueillante est devenue d’un coup de baguette magique prête à tout pour retrouver Wajdi après sa fugue. Une prise de conscience salutaire qu’on voyait venir de loin tant le scénario semblait dès le départ cousu de fil blanc. Mais peu importe si le couple expiant ses fautes reste toujours aussi caricatural, si la morale est sauve et si tout est bien qui finit bien, comme disait Shakespeare. 

Et puis pour ce qui est de la forme, on n’est pas loin de la masterclass. Vivacité des dialogues, pertinence du découpage et de l’enchaînement des différentes scènes, tout le savoir-faire de Zidrou se déploie et montre une fois de plus à quel point, techniquement, il maîtrise l’art de raconter une histoire. Au niveau graphique Arno Monin est au diapason. Le cheminement du récit vers le happy-end final lui permet d’affirmer une fois de plus son trait lumineux, son sens du rythme et sa science du cadrage en permanence au service du récit. 

Au final ce second cycle dégouline de bons sentiments mais, malgré ses gros sabots, il s’en dégage des ondes positives qui réchauffent les cœurs. Toujours bon à prendre par les temps qui courent !

L’adoption cycle 2, tome 2 : Les repentirs de Zidrou et Arno Monin. Bamboo, 2023. 72 pages. 16,90 euros.



La BD de la semaine, c'est aujourd'hui chez Noukette !





mercredi 26 avril 2023

Le Sorceleur T5 : Le baptême du feu d’Andrzej Sapkowski

Beaucoup de parlote et bien peu d’action dans ce tome 5 des aventures du Sorceleur. L’équilibre entre les temps « calmes » et « mouvementés » du récit n’étant pas trouvé, le rythme en souffre et l’ennui prend trop souvent le pas sur le plaisir de lecture. Il y a vraiment des passages interminables que j’ai survolés en diagonale, notamment ceux où les magiciennes déroulent la généalogie des têtes couronnées. Pour le reste, l’intrigue n’avance pas des masses. On traverse des forêts, on rencontre une difficulté, on y fait face et on continue son chemin. Le groupe du Sorceleur est un classique de la fantasy avec son archer, son chevalier, ses nains et son guérisseur. Seul le barde Jaskier apporte une petite touche d’originalité bienvenue.

En dehors du cheminement de la troupe de Geralt et des manigances des magiciennes, les (rares) incursions dans la bande de Ciri ne font pas davantage progresser les choses et on en vient à se demander à quel moment les événements vont s’accélérer, pour elle et ses comparses. Bref, l’ensemble donne une impression de surplace loin d’être emballante. L’univers dans lequel évolue ce beau monde continue d’être déployé avec précision et gagne en épaisseur mais tout se fait avec bien trop de lenteur. Ce Baptême du feu n’est certes pas un tome pour rien dans la saga du Sorceleur mais c’est à l’évidence un tome qui n’apporte pas grand-chose et qui aurait gagné à jouer davantage la carte de la concision. Dommage.    

Le Sorceleur T5 : Le baptême du feu d’Andrzej Sapkowski. Bragelonne, 2012. 480 pages. 7,60 euros.





jeudi 20 avril 2023

L’adoption cycle 2, tome 1 : Wajdi - Zidrou et Arno Monin

Wajdi, dix ans, a grandi sous les bombes, au Yémen. La guerre a brisé son enfance et fait de lui un orphelin. Le jour où il débarque en France chez Gaëlle et Romain, un nouveau monde s’offre à lui. Un monde dont il ne possède pas les codes. La barrière de la langue n’arrangeant pas les choses, ses parents adoptifs ont bien du mal à cerner le jeune garçon et à appréhender ses réactions, parfois inquiétantes.

J’ai beaucoup aimé la façon dont Wajdi est représenté. Son introspection, ses silences, ses réactions inattendues et déconcertantes, tout tend à le rendre aussi attachant que crédible. Le portrait de la famille d’accueil est à l’inverse trop caricatural. Des bourgeois qui ont envie de se rendre « utiles », qui semblent surtout vouloir renvoyer l’image d’humanistes philanthropes, ravis de recueillir des compliments sur leur démarche mais finalement bien peu ravis d’accueillir un nouvel arrivant dans leur foyer. Tout ça parce que Wajdi n’est pas un enfant « comme les autres », un enfant sans problème, un enfant qui va forcément être conscient et reconnaissant de leur bonté. Aucune volonté de le comprendre, aucune volonté de lui venir en aide, la condamnation de ses actes au fil de l’album ne cesse d’aller crescendo, jusqu’au point de rupture.

C’est dommage parce ça manque de finesse. Le trait est forcé, il ne laisse pas de place à un regard plus mesuré, plus compréhensif, alors que n’importe quel adulte serait à même de se rendre compte que l’adaptation du petit garçon va être longue, difficile et douloureuse. Sans doute est-ce là un ressort scénaristique qui servira dans le second tome pour remettre les sentiments de chacun « dans le bon sens ». Mais la ficelle est grosse et gâche quelque peu le plaisir de suivre l’intrigue. 

Niveau dessin c’est toujours un bonheur de retrouver la patte tout en douceur d’Arno Monin, son jeu sur les couleurs et la lumière, l’expressivité de ses personnages. Son trait se reconnaît du premier coup d’œil et c’est une qualité devenue trop rare pour ne pas être soulignée. 

Une lecture en demi-teinte mais le bilan définitif concernant ce diptyque ne pourra être fait qu’après la découverte du second tome. Ça tombe bien, il m’attend sagement au pied de mon lit !

L’adoption cycle 2, tome 1 : Wajdi de Zidrou et Arno Monin. Bamboo, 2021. 72 pages. 16,90 euros.








mardi 31 janvier 2023

Octave - Arnaud Cathrine

 

« Ma jeunesse ne fait pas envie, mais je n’en aurai pas d’autres. »

Vince et Marylin ont eu le cœur brisé par le même garçon. Octave les a quittés sans la moindre explication. Et s’il ne fait plus partie de leur vie, il continue de les obséder. Vince et Marylin voudraient passer à autre chose, oublier ce premier amour qui les a dévastés. Pas simple quand, en ces temps de COVID, les confinements successifs vous offrent l’occasion de ruminer et que l’objet de vos désirs fait une soudaine réapparition dans votre quotidien.

Vince, Marilyn, Octave. Chacun leur tour ils prennent la parole pour dire la complexité des sentiments, des relations aux autres et à eux-mêmes, pour dire le mal-être, l’isolement et la précarité vécus par les étudiants qu’ils sont devenus après leurs années lycée. 

Une fois encore Arnaud Cathrine signe un roman moderne, contemporain, plein de vie et d’énergie, où une sensibilité à fleur de peau s’exprime à chaque page. Le ton est juste, les dialogues percutants, les situations réalistes. 

Ce dernier tome d’une mémorable trilogie (après Romance et Nouvelle vague), poétique et sensuel, débordant à la fois d’espoir et de désenchantement sonne comme le cri de rage d’une jeunesse cherchant « ce qu’il faut faire et ne pas faire pour commencer à exister ».

Octave d’Arnaud Cathrine. Robert Laffont, 2022. 390 pages. 17.90 euros. A partir de 14 ans.


La première pépite jeunesse de l'année partagée avec Noukette