jeudi 29 août 2024

Dogrun - Arthur Nersesian

Mary Bellanova, bientôt 30 ans, retrouve son petit ami Primo mort sur le canapé en rentrant chez elle après le travail. Avec dorénavant pour seul compagnon le chien de Primo, elle part à la recherche des proches de ce dernier, afin de mieux comprendre ce qu’a été sa vie avant leur rencontre. Parcourant les rues de l’East village, elle navigue comme une âme en peine dans un New-York undergound, faisant des découvertes surprenantes sur Primo, que certaines de ses anciennes conquêtes considèrent comme « la plus grosse merde que cette ville à la con ait jamais expulsée. »

J’ai découvert Arthur Nersesian avec le réjouissant « Fuck up », récit halluciné de la descente aux enfers d’un pauvre gars poursuivi par la poisse. Il réutilise ici quelques ingrédients de ce roman « culte », à savoir le New-York interlope, un protagoniste dans la dèche, qui galère pour garder un emploi stable et fricote avec tout ce que la ville semble proposer de plus tordu. Niveau changement, il met en scène une jeune femme plutôt qu’un garçon et entremêle à ses déboires sentimentalo-financiers une histoire familiale compliquée. C’est toujours à la première personne, toujours un peu crasseux et sans langue de bois, tout ce que j’aime.

 Mary est lucide sur sa situation, pleine d’autodérision, consciente de ses limites et consciente d’être dans la mouise jusqu’au cou, même si pour ses amies encore plus en galère qu’elle, tout lui sourit : elle ne s’est pas retrouvée avec un gamin sur les bras alors qu’elle n’a pas les moyens de l’élever, elle ne boit pas, elle ne se drogue pas, n’a pas besoin qu’un mec la maltraite et surtout, elle n’est pas complètement folle. Que demander de plus en effet ?

Arthur Neresian fait une fois encore de Big Apple le cœur battant de son roman. Plus apaisé, moins sombre, moins-tragi-comique et jusqu’au-boutiste que Fuck up, ce Dog Run n’en reste pas moins une lecture fort agréable, dressant le tableau haut en couleur d’une faune New-yorkaise aussi excentrique que fascinante.

Dogrun d’Arthur Nersesian (traduit de l’anglais par Charles Bonnot). La croisée, 2024. 272 pages. 21,10 euros.





lundi 26 août 2024

A l’ombre des choses - Anatole Edouard Nicolo

Anatole passe son adolescence en province. « Un enfant moyen dans une ville moyenne ». Un enfant vivant avec sa mère et son grand frère G. dans un foyer social depuis le divorce de ses parents. Pas une enfance simple mais pas de quoi sombrer non plus dans le misérabilisme. Le frangin abandonne l’école et se lance dans la chanson, devenant bientôt une star du rap qui remplit les zéniths. Anatole de son côté se cherche, s’ennuie, fait quelques bêtises, passe ses années de lycéens dans un sport étude en rêvant de devenir footballeur professionnel. Finalement il échouera à Paris, seul dans un studio, avec un job minable. C’est là que le hasard d’une rencontre va changer sa vie et faire de lui un « homme de lettres ».

 Si vous aimez l’autofiction et le transfuge de classe façon Edouard Louis, vous allez adorer. Même si l’image parentale est beaucoup moins écornée que chez Louis, même si le transfuge est moins radical,  la violence moins présente et la question de l’orientation sexuelle bien moins centrale, l’esprit, le ton, le déroulement des événements et la façon de passer de l’enfance au monde des adultes ont beaucoup de similarités. Après, niveau écriture, c’est plus littéraire, ce qui n’est pas difficile me direz-vous étant donné que même le mode d’emploi d’une cafetière électrique est plus littéraire que la prose d’Edouard Louis.

J’avoue, je  n’ai pas été emballé. Je ne me suis pas vraiment attaché à Anatole, je l’ai regardé grandir de loin, sans me sentir concerné par son parcours. Heureusement les chapitres sont courts, le rythme est bon et le narrateur n’est pas un geignard qui passe son temps à s’appesantir sur son sort. Autant de points positifs qui n’ont pas suffi à emporter mon adhésion cela dit.

Un premier roman qui ne manque pas de qualités et saura trouver son public, même si en ce qui me concerne, je risque de le ranger dans la catégorie des « aussi vite lus qu’oubliés ».  

A l’ombre des choses d’Anatole Edouard Nicolo. Calmann-Lévy, 2024. 155 pages. 18,00 euros.






jeudi 22 août 2024

Un destin de Trouveur - Gess

Paris, 1898. Émile Farges est un trouveur, il possède un « talent » lui permettant de localiser des personnes ou des objets en jetant un caillou sur une carte. Grâce à ce don, il aide la police à localiser des criminels et des particuliers à retrouver leurs proches disparus. Une vie consacrée à faire le bien, jusqu’au jour où son talent lui vaut d’être sollicité par « La pieuvre »,  la plus grande organisation mafieuse de la capitale. Impossible pour le trouveur de refuser le contrat sans mettre la vie de sa femme et de sa fille en danger. Une collaboration forcée qui va l’entraîner dans une spirale de violence dont il va devenir malgré lui le rouage principal.

Je passe sous couvert beaucoup d’éléments du scénario qui font de cette histoire un récit bien plus complexe que le simple résumé ci-dessus. L’alternance entre le passé et le présent engendre de nombreux flashbacks éclairant le parcours des protagonistes, notamment l’histoire d’amour entre Émile et son épouse Léonie. Gess a imaginé un Paris de la fin du 19ème siècle sombre et oppressant. L’idée de donner à certains personnages une sorte de superpouvoir (le talent) offre une pincée de fantastique dans un cadre historique des plus réalistes. L’ambiance est glauque, poisseuse, flirtant parfois avec le gothique. Le dessin est aussi torturé que les âmes, les couleurs renforcent l’impression de noirceur qui se dégage d’un environnement où la lumière n’a pour ainsi dire jamais sa place.

Un album dense qui reste, grâce au découpage et aux choix graphiques, d’une parfaite lisibilité. Deuxième tome des « Contes de la pieuvre », une série dont le quatrième volume est attendu dans les semaines à venir, ce Destin de Trouveur dresse le portrait d’un homme épris de justice, prêt à tout sacrifier pour protéger les siens. Une trame plutôt classique mais parfaitement réalisée dont la noirceur dégage au final un charme envoutant.

Un destin de Trouveur de Gess. Delcourt, 2019. 225 pages. 25,95 euros.





lundi 19 août 2024

Camera obscura - Gwenaëlle Lenoir

Le narrateur est photographe dans un hôpital militaire. Son job ? Prendre des clichés de cadavres d’opposants politiques arrivant chaque jour à la morgue et les envoyer à un procureur, afin que le pouvoir en place sache que la répression tourne à plein régime et que les rebelles voulant chasser le président sont punis comme il se doit. Pour le photographe, le boulot est mécanique. Il ne se pose pas de question, en bon fonctionnaire. Jusqu’au jour où les corps d’ados semblant avoir été torturés réveillent en lui une humanité qu’il pensait avoir définitivement perdue. Et alors que les morts s’accumulent, il copie certaines photos sur une carte mémoire, sans vraiment savoir ce qu’il va pouvoir en faire.

C’est l’histoire d’un homme qui entre en résistance un peu malgré lui. Un homme simple, d’abord incapable de sacrifier sa vie de famille et son statut social pour lutter contre l’injustice. Un homme terrorisé par les conséquences que ses agissements pourraient engendrer sur lui et les siens. Un homme finalement emporté par le besoin de dénoncer l’insupportable horreur à laquelle il est confronté, même s’il sait que les risques sont immenses. Un homme lâche et peureux, dépassé par les événements, convaincu que ses actes ne serviront sans doute pas à grand-chose mais également convaincu qu’il est nécessaire de rendre justice à ceux qui sont morts pour la liberté.

Un beau texte à la première personne, sans emphase ni lyrisme excessif. Le narrateur n’est pas un héros, il ne sauvera rien ni personne. Désabusé, effrayé et en même temps en mission pour révéler la vérité, il agit sans trop réfléchir, sans véritable conviction non plus. Ce sont sa fragilité et ses interrogations permanentes qui renforcent son humanité et le rendent attachant. Gwenaëlle Lenoir dresse le portrait tout en nuance d’un opposant politique qui lutte avec ses armes, conscient des limites de son engagement et du fait qu’il n’est qu’un pion sur un échiquier bien trop grand pour lui. C’est simple, beau et touchant.

Camera obscura de Gwenaëlle Lenoir. Julliard, 2024. 215 pages. 20,00 euros.






jeudi 15 août 2024

Un sombre manteau - Jaime Martin

De Jaime Martin je n’avais jusqu’alors lu (et adoré) qu’un seul album, le sublime Jamais je n’aurais 20 ans, portrait pudique et délicat de la vie de ses grands-parents sous la dictature franquiste. Ce Sombre manteau s’écarte de la veine biographique pour nous plonger dans le quotidien des populations rurales et montagnardes du milieu du 19ème siècle. Au-dessus d’un village des Pyrénées espagnoles se trouve la bicoque de Mara, une trementinaire. Guérisseuse, herboriste, la vieille femme vit seule et suscite autant de fascination que de rejet de la part des villageois avec lesquels elle troque ses préparations contre de la nourriture. Lorsqu’elle découvre un jour une jeune femme mourante dans la forêt et qu’elle la ramène chez elle pour la soigner, Mara ne se doute pas que son altruisme va bientôt répandre la désolation dans toute la vallée.

Une histoire qui rend hommage au courage et à la souffrance des femmes ayant vécu dans la misère et sous la coupe d’un patriarcat jugulant toute volonté d’émancipation. Aucune possibilité pour ces montagnardes de se projeter vers un avenir en dehors de l’environnement rude qui les a vues naître. Les filles resteront là pour s’occuper de leurs parents vieillissants, elles enfanteront dans la douleur et subiront le joug d’une religion les étouffant sous les paroles culpabilisantes du « bon » curé de campagne. Mara dérange car elle vit seule, sans mari ni enfant. Forcément, elle est un peu sorcière et sa marginalité fait d’elle une paria que l’on est malgré tout bien content de trouver pour se soigner. Une figure de femme libre qui dérange forcément, puisque que personne ne peut la dompter.

Jaime Martin dépeint un monde en vase clôt, pétrit de superstitions, privé de toute forme de modernité. Il retranscrit avec brio l’isolement de la communauté et la frugalité des existences, dessinant les figures anguleuses de paysans maigres comme des clous, le teint gris et les habits sales. Le ciel est bas, l’intérieur des maisons est sombre, le choix des couleurs, ternes ou violacées, reflète à merveille l’absence de lumière, tant dans les esprits que dans la nature sauvage et inhospitalière.   

Un album historico-fantastique sombre et envoutant qui confirme l’énorme talent d’un auteur à suivre de près !

Un sombre manteau de Jaime Martin. Dupuis, 2024. 105 pages. 21,95 euros.





lundi 12 août 2024

Parfois le silence est une prière - Billy O’Callaghan

 

« Parfois la vie se brise d’une manière qu’on ne peut jamais réparer. Nous observons, nous attendons, nous prenons dans nos mains celle de nos mourants, nous essayons de les réconforter lorsqu’il n’y a plus rien à dire, puis nous les mettons en terre, nous pleurons pendant un moment pour eux et pour nous-mêmes. Et quand le temps a passé - parce que nous n’avons pas le choix -, nous cherchons parmi les fragments de ce qui nous reste une raison de continuer »

Trois époques, trois personnages, trois témoignages, une seule famille et un seul pays : l’Irlande. C’est Jer qui ouvre le bal. Nous sommes à Cork, en 1920, la veille de l’enterrement de sa sœur. Les gendarmes viennent le chercher au pub, ils veulent qu’il passe la nuit en cellule pour éviter qu’il s’en prenne à son beau-frère, ce salopard qui a fait vivre un enfer à la défunte. Vient ensuite le récit de Nancy, en 1911. La mère de Jer raconte sa rencontre avec le père de ses enfants, un homme marié qui l’a vite abandonnée à l’annonce de sa première grossesse. Obligée de se prostituer après la naissance de sa fille, elle le recroisera brièvement, se retrouvant à nouveau enceinte. Sans la moindre ressource, elle devra se résoudre à fréquenter l’asile des pauvres, où on lui retirera la garde de sa fille, en attendant la naissance de son garçon. Un bond dans le temps nous propulse enfin en 1982 avec Nellie, la fille de Jer (et donc petite fille de Nancy), au moment où la maladie va bientôt l’emporter. L’occasion pour elle de se remémorer des souvenirs douloureux, notamment ce moment, des décennies auparavant, où une sage-femme posa entre ses bras l’enfant mort-né dont elle venait d’accoucher.

Une famille, beaucoup de misère, de souffrance, de douleur. Billy O’Callaghan dresse le portrait des gens de peu, des gens de rien, des invisibles. Loin d’un misérabilisme à la Dickens, il les drape d’une dignité qui force l’admiration. Traversant l’Irlande du 20ème siècle, Jer, Nancy et Nellie subissent sans se plaindre, se relèvent après chaque chute, aussi dure soit elle. Ils pleurent leurs morts et continuent d’avancer pour les vivants, de rester soudés face aux éléments contraires et aux drames qui les touchent. Tout ce qu’ils souhaitent, c’est avoir un être bien-aimé à leurs côtés au moment de rendre leur dernier souffle, histoire de se dire que, malgré tout, leur vie a compté un peu.

C’est magnifiquement écrit (ou plutôt traduit), même si le choix de la première personne rend peu crédible une si belle langue pour des personnes ayant bien peu d’instruction (Nancy avoue qu’elle ne sait ni lire ni écrire et s’exprime pourtant de façon extrêmement littéraire). Un maigre bémol que cette incohérence par rapport au plaisir procuré par cette lecture poignante d’une dramatique beauté.

Parfois le silence est une prière de Billy O’Callaghan. Bourgois, 2023. 285 pages. 21,00 euros.






lundi 5 août 2024

Mission in the apocalypse T1 - Haruo Iwamune

Elle est en mission, Saya. Dans un monde ravagé où aucun humain ne semble avoir survécu, elle évolue seule au milieu des décombres. Son but ? Récupérer les cadavres des « condamnés », ceux qui ont été fauchés par « le mal cristallin », afin de les incinérer. C’est l’unique moyen de décontaminer les lieux où stagnent les miasmes qui ont été propagés par des formes de vies apparues soudainement sur terre. Rendre les territoires à nouveau habitables et mettre à l’abri d’éventuels survivants, c’est le quotidien de Saya.

On la voit donc au fil des chapitres inspecter un cinéma, un musée, un manoir, un bunker ou des immeubles à l’abandon. Elles ne croisent que des robots ou des intelligences artificielles, plus aucune autre forme de vie ne semble exister. Elle continue malgré tout ses recherches, avec une sorte de détachement qui interpelle. Et puis son statut interroge. Qui est-elle ? Pourquoi échappe-t-elle à la contamination ? Qui l’a missionnée ? Autant de questions auxquelles les dernières pages apportent un début de réponse, sans pour autant révéler tous les secrets de la jeune fille.

Un manga forcément étrange, où le contraste est permanent entre le détachement de Saya et la réalité dramatique de la situation. Son voyage à travers les ruines devient presque contemplatif, forcément très silencieux et, au final, sans véritable sentiment d’urgence. Les dessins sont splendides, les décors post apocalyptiques hyper-travaillés et l’ambiance irréelle d’un monde sans vie parfaitement rendue.

Après, la thématique n’a rien d’original, les mangas présentant des figures féminines évoluant dans un tel environnement sont légion (on peut par exemple citer le très paisible Escale à Yokohama, le poétique Girl’s last tour ou encore l’écologique Terrarium) mais Haruo Iwamune a su créer son propre univers post apocalyptique. Il séduit en imposant un rythme tranquille et en distillant avec parcimonie des informations capitales qui permettent au lecteur de renouveler en permanence son intérêt pour une intrigue tout sauf répétitive. La série ne compte pour l’instant que trois tomes au Japon, le deuxième est prévu chez nous en novembre. Vivement l’automne !

Mission in the apocalypse T1 d'Haruo Iwamune. Delcourt/Tonkam, 2024. 224 pages. 8,50 euros.






lundi 29 juillet 2024

Gonzo : voyage dans l’Amérique de Las Vegas Parano - Morgan Navarro

Adorateur d’Hunter S. Thompson, créateur du journalisme Gonzo en 1971, Morgan Navarro décide de se lancer sur les traces de son idole. Accompagné de Jack, un reporter radio, il part sillonner l’Amérique pour « redonner vie à Thompson en faisant parler les gens qui l’ont connu ». A eux les grands espaces et l’aventure trépidante, les abus d’alcool et de drogue, la liberté et la vie avec un grand V, bref tout ce que Thompson a connu en son temps. Sauf que les choses ne vont pas forcément se dérouler comme prévu…

Difficile de « créer du contenu » quand on n’a rien à dire. C’est vraiment l’impression que m’a laissé la lecture de cet album. L’intention de départ est bonne mais la réalisation catastrophique. Le voyage n’a aucun intérêt (pour moi du moins). Chaque passage sur les traces de Thompson se concrétise par de l’anecdotique qui n’a rien de marquant. Même la rencontre avec Johnny Depp, qui a incarné Thompson au cinéma, se révèle triste à mourir et se résume à un moment commun passé devant une pissotière. J’ai beaucoup lu Thompson et sans être non plus un spécialiste du bonhomme, je suis assez familier de son style et de sa vision du journalisme pour constater que, si le but était de lui rendre hommage en tentant de l’imiter, le coup est raté. Et pas qu’un peu.

En fait, Morgan Navarro semble ne pas savoir quelle direction donner à son récit, entremêlant en permanence son projet « journalistique » de départ à sa situation personnelle, notamment les crises d’angoisse qui ne cessent de le tourmenter. Le fait est que cet angle d’attaque n’est pas inintéressant, surtout quand on sait que Thompson s’est suicidé en se tirant une balle dans la tête mais là encore, le sujet n’est que survolé. Non, vraiment, il manque une base solide, un squelette narratif structurant pour que cet album ne rentre pas dans la catégorie des « aussi vite lus qu’oubliés ».

Seul enseignement à tirer du voyage de Morgan et Jack ? Eh bien que, clairement, l’esprit du « Gonzo » n’existe plus. Ce vent de liberté de ton, de parole et d’attitude qui a toujours caractérisé Thompson, mais qui était aussi propre à une époque, n’a plus sa place dans l’Amérique d’aujourd’hui. Pour le reste, mon encéphalogramme de lecteur est resté plat, malheureusement.

Gonzo : voyage dans l’Amérique de Las Vegas Parano de Morgan Navarro. Dargaud, 2024. 160 pages. 24,00 euros.








jeudi 25 juillet 2024

Le Paris des mangakas (2de partie)

Suite et fin de la présentation de mangas se déroulant à Paris.  


Un mangaka passe quelques jours à Paris après avoir participé à un festival BD en Espagne. Après une nuit fiévreuse, il décide de se rendre au Louvre. Pris de vertiges au milieu des statues antiques, il se réveille dans un musée vide avec un guide inattendu. Dans les jours qui suivent, chacun de ses passages au Louvre (sans parler d'un détour par Auvers-sur-Oise) sera l’occasion de rencontrer quelques-unes des plus grandes figures de l’art.
Entre rêve et réalité, un hommage au Louvre et surtout aux œuvres qu’il renferme. Si l’on accepte le postulat de départ onirique, le voyage vaut la peine et c’est un plaisir de voir l’alter ego du regretté Taniguchi déambuler dans les salles du plus grand musée du monde. Au-delà du Louvre, Paris est représenté avec la rigueur, la minutie et le talent qui caractérise (entre autres) le dessinateur de L’homme qui marche, du Gourmet solitaire et de L’orme du Caucase. Un régal, qui plus est en couleur et en grand format cartonné, « à l’européenne ».

Les gardiens du Louvre de Jirô Taniguchi. Futuropolis/Le Louvre éditions 2014. 144 pages. 20,00 euros.


A Tokyo, un père de famille endetté jusqu’au cou qui élève seul sa fille se voit charger par un étrange personnage, amoureux fou de la France, de se rendre au musée du Louvre. Sa mission ? Faire disparaître pendant quelques temps un tableau de Vermeer. S’il parvient à mener sa tâche à bien, tous ses ennuis financiers seront réglés. Direction Paris donc pour le papa et sa fillette, où les attendent un pompier français et sa mère concierge…
Dit comme ça, ça paraît un peu alambiqué, et encore, je suis loin de vous avoir tout raconté. Le scénario n’est pas toujours évident à suivre et frôle parfois l’absurde mais j’ai été ravi de retrouver Naoki Urasawa mettre en scène une histoire se déroulant en Europe. Ça m’a rappelé son fabuleux thriller Monster, qui se déroulait essentiellement en Allemagne et en République Tchèque. Cette fois-ci l’ambiance est beaucoup plus légère, la dimension policière servant surtout de prétexte à nous faire visiter le Louvre dans un cheminement allant de La Victoire de Samothrace à La Dentelière en passant par le département des antiquités égyptiennes. Une belle occasion de découvrir le regard posé sur Paris par un des plus talentueux mangakas de sa génération.

Mujirushi le signe des Rêves de Naoki Urasawa. Futuropolis/Le Louvre éditions 2019. 270 pages. 14,90 euros.



Années 1870. Céline François, 14 ans, débarque à Paris de sa Normandie natale. Engagée par un vieil homme excentrique, elle est chargée d’écrire un ouvrage sur les travailleurs parisiens. Pour ce faire, son mentor la place successivement comme employée de maison, couturière, vendeuse dans un grand magasin ou assistante de notaire. Ses balades dans Paris lui permettent également de croiser des fleuristes, des boulangers, des cordonniers, des vendeurs de journaux et des vanniers, bref, tout ce qu’il faut pour mener sa tâche à bien.
Un manga simple et tranquille, dont le but est de montrer la vie à Paris à la fin du 19ème siècle. Passionnée par l’impressionnisme, l’auteur avoue à la fin du premier tome que son but était de montrer une ville « où le quotidien de ses habitants pourrait devenir le sujet d’une peinture ». Cette série terminée en trois volumes est avant tout destinée au public nippon, tant les informations « historiques » et « pratiques » disséminées au fil des pages n'apprendront rien de neuf aux lecteurs français. Quoi qu’il en soit, cela reste une curiosité à découvrir si l’on s’intéresse à la vision parfois idéalisée (voire fantasmée) qu’ont les japonais de la capitale française.

Céline, une vie parisienne d’Akame Hinoshita. Komikku, 2024. 180 pages. 8,50 euros.



 


lundi 22 juillet 2024

Le Paris des mangakas (1ère partie)

Petit billet un peu à part à l’occasion des jeux olympiques (ben oui, faut marquer le coup^^) avec une présentation de mangas se déroulant à Paris.  

Comment les mangakas se représentent Paris ? Voyons ça de plus près !

L’autrice veut quitter le Japon pour voir le monde et décide de s’installer quelques temps en France. Problème, juste avant de partir, un éditeur lui propose un contrat. Elle décide quand même de s’envoler pour Paris, se disant qu’elle enverra son travail depuis la capitale française… qui deviendra d’ailleurs le sujet de sa future publication.
Le regard porté sur Paris est en grande partie lié à ses difficultés d’adaptation et au fait de ne pas parler français. Pour autant le ton n’est pas à la plainte permanente devant le comportement de ces maudits parisiens. Loin des clichés, c’est avec sincérité et humour qu’elle raconte ses déboires, ses bonnes et mauvaises surprises et le décalage culturel pas toujours simple à appréhender.
Le dessin est minimaliste, la couleur n’apporte pas grand-chose mais les scénettes qui composent l’ouvrage ont d’abord été publiées en ligne et il est clair que le format web est bien plus adapté à ce genre de projet. Un manga conclu en 3 tomes qui n’est aujourd’hui plus commercialisé (mais qui doit se trouver facilement d’occasion).

Un pigeon à Paris de Rina Fujita. Glénat, 2017. 144 pages. 10,75 euros.


Exactement le même point de départ que le titre précédent, à savoir l’arrivée à Paris d’un jeune dessinateur japonais qui nous raconte son quotidien. Les chapitres sont hyper-courts, certains tiennent d’ailleurs en une page. C’est drôle, décalé comme le regard que porte l’auteur sur la France en général et Paris en particulier. Beaucoup d’autodérision avec une fois encore le fait de ne pas parler la langue comme obstacle majeur à l’intégration.
Niveau dessin c’est aussi minimaliste que le « Pigeon » et heureusement que Paris est dans le titre de l’ouvrage parce que l’absence quasi-totale de décors en arrière-plan de la plupart des cases ne permet pas d’identifier la capitale au premier coup d’œil.
J.P. Nishi a consacré deux autres titres à  sa vie parisienne (« Paris, le retour » et « Paris toujours »), il s’est marié à une française, avec laquelle il a eu deux enfants. Un vrai francophile en somme !

Á nous deux Paris de J.P. Nishi. Éditions Philippe Picquier, 2012. 190 pages. 14,90 euros.


It’s your world raconte l’histoire d’une famille japonaise s’installant à Paris suite à une mutation professionnelle. La ville est essentiellement vue à travers les yeux d’Hiroya, le fiston ado. Ses parents et sa grande sœur sont également présents dans l’histoire mais c’est clairement lui qui tient le premier rôle. Et le moins que l’on puisse dire c’est que Paris ne lui plaît pas du tout. Impossible de s’intégrer dans son école française, difficile de supporter la saleté dans les rues, les comportements « typiquement » parisiens et une sœur qui idéalise bêtement (selon lui) l’art de vivre à la française. En fait, c’est surtout le mal du pays qui le ronge et il faudra un rapprochement avec une camarade de classe pour que le jeune garçon commence à apprécier sa nouvelle vie.
Le trait est typique du shojo alors que sur le fond on est plus proche de la chronique familiale que de la romance mais peu importe, l’histoire, bouclée en deux tomes, se lit très facilement et avec plaisir. Et au moins le dessinateur s’emploie à représenter la diversité de Paris à travers des décors bien plus travaillés que dans les deux titres ci-dessus. 

It’s your world de Junko Kawakami. Kana, 2008. 160 pages. 10,50 euros.