jeudi 25 avril 2013

Truite à la slave - Andreï Kourkov

 J’ai beaucoup de mal avec la littérature des pays de l’Est. J’ai essayé Gogol une fois mais je suis resté en rade après 50 pages. Tolstoï ou Dostoïevski, j’avoue que ça me fait peur. J’ai bien aimé Limonov, pour autant je n’ai pas envie de creuser davantage. Mais bon, comme Marilyne a multiplié les tentations et les belles découvertes au cours de son mois russe, je me suis dis que j’allais tenter le coup. Sans chercher à prendre de gros risques non plus, la témérité ne faisant pas partie de mes rares qualités. Je me suis donc tourné vers un petit texte publié dans l’excellente collection Piccolo de Liana Levi. L’auteur est ukrainien et je n’en avais jamais entendu parler avant mais ce fut plutôt une bonne pioche.    

Le Casanova est un restaurant de Kiev situé dans un sous-sol sans âme. Le cuisinier, Dimytch Nikodimov sélectionne lui-même ses convives. Une sorte de club privé gastronomique où il faut être coopté par le patron pour avoir le droit de s’asseoir à une table. A ses cotés se trouvent deux serveurs et surtout sa maîtresse, la belle Véra, « qui avait l’air d’avoir vingt-cinq ans, soit deux fois et demi moins d’âge et autant de corpulence en moins que son cuistot bien-aimé. » Considéré par beaucoup comme un grand chef, Dimytch disparaît un jour sans crier gare. L’association des chefs indépendants d’Ukraine demande alors au détective privé Vania Soleïlov, l’un de ses plus fidèles clients, de le retrouver...

Une nouvelle assaisonnée au poil ! Entre un soufflé de champignons et tomates à la moutarde, des rognons de lapin à l’étouffée sur un lit de poireaux et un pain d’épice maison, le tout arrosé de vodka, Soleïlov mène une drôle d’enquête. Pourquoi personne n’a prévenu la police ? Pourquoi faut-il qu’il se rende chaque soir au restaurant afin qu’on lui révèle par petits bouts le testament du chef ? Le voile se lève peu à peu et la fin est vraiment surprenante, je n’avais rien vu venir. C’est court mais efficace, une belle entrée en matière pour découvrir l’univers de cet auteur dont le roman Le pingouin (toujours chez Liana Levi) semble avoir connu un grand succès international. Peut-être le début de mon histoire d’amour avec la littérature ukrainienne ?  

Truite à la slave d’Andreï Kourkov. Liana Levi, 2013. 56 pages. 4 euros. 



mercredi 24 avril 2013

Fragments : Histoires vécues par des héros ordinaires - Stephano Casini

Pendant la seconde guerre mondiale, la confusion a souvent régné en Italie. Après l’armistice de 1943, les alliés allemands se comportaient comme des ennemis et attisaient la peur dans la population. Tandis que la résistance communiste s’organisait, les représailles sur les civils étaient de plus en plus violentes. Au début des années 60, la péninsule a basculé peu à peu dans une industrialisation de masse. Les grands patrons, paternalistes à souhait, ont fait de l’usine la mère nourricière, une sorte de ville dans la ville avec école, théâtre, stade de foot, piscine et maisons pour les employés et les cadres. Certains ouvriers devenus syndicalistes revendiquaient leurs faits d’armes antifascistes pendant la guerre tandis que le maître d’école ne cachait pas sa sympathie pour Mussolini. Stefano Casini raconte ses souvenirs d’enfance, le passé de son père et celui de son grand-père. Un récit autobiographique qui éclaire avec tendresse l’Italie rurale de l’immédiat après-guerre.

L’auteur précise d’emblée : « Tous les noms des personnages, tous les faits rapportés sont réels même s’ils ont été tamisés par le filtre de la mémoire. » A priori, ces histoires vécues par des héros ordinaires (le sous titre de l’album) avaient tout pour me plaire. Pourtant, en collant uniquement à la pure vérité, Casini perd la liberté narrative que lui aurait offert une part de fiction. Résultat, rien de bien passionnant dans ces souvenirs. C’est très décousu, on passe sans cesse  de la guerre à l’après guerre et il est difficile de trouver un fil conducteur. Le passage avec son grand-père, qu’il allait attendre à la sortie de l’usine, est touchant en diable mais pour le reste je suis passé à coté de ce récit d’enfance sans doute trop introspectif pour moi. 
      
Niveau dessin par contre j’ai beaucoup aimé. Tout l’album est réalisé à l’aquarelle, au crayon et en couleurs directes. Un traitement à l’ancienne que j’adore ! La campagne italienne est restituée avec fidélité et le travail sur la lumière absolument magnifique.

Au final ça restera quand même une déception. Graphiquement très séduisant et à bien des égards instructif mais la narration est trop personnelle et trop brouillonne pour que j’y trouve mon compte. Dommage…               

Fragments : Histoires vécues par des héros ordinaires de Stephano Casini. Mosquito, 2013. 114 pages. 18 euros.









mardi 23 avril 2013

Ma grand-mère m’a mordu - Audren

Les vieux, « on leur pardonnait tout parce qu’ils étaient vieux ». Alors forcément, quand la grand-mère de Marcus le mord, personne ne veut le croire. Ni son père, ni la maîtresse, ni ses camarades de classe. Il n’y a que sa copine Fleur qui le croit. Parce qu’elle aussi a une mamy méchante. Avec ses frères et sœurs, elle a même créé le club des VMV (Victimes des Mémés Violentes). Marcus va y adhérer et faire sienne la devise du club : œil pour œil, dent pour dent : « Si elle te mord, tu la mords aussi ! Ce n’est pas parce qu’elle est vieille qu’elle a tous les droits. » 

Un roman qui prend à contrepied l’image d’Épinal des grands parents aimants et toujours gentils. J’aime beaucoup le personnage de Marcus, un gamin à la forte personnalité qui décide de ne pas se laisser faire même si tout le monde semble se liguer contre lui. Sa lucidité fait plaisir à voir : « Tout le monde parle de respect des adultes et des vieux, mais il n’y a pas d’âge pour être respecté. » Le ton est moderne, les dialogues sonnent juste, l’humour, tout en finesse est très présent et, comme le dit si bien Noukette, l’ensemble est "beaucoup plus subtil qu'il n'y paraît."

Dommage que la fin trop consensuelle édulcore un peu le propos, j’aurais préféré terminer sur une note plus grinçante. Il n’empêche, ça reste un très bon roman jeunesse pour les 9-10 ans. Et si vous voulez poursuivre sur le même sujet, n’hésitez pas à vous plonger dans Mémé méchante de Stéphanie Benson. Un vrai régal !

Ma grand-mère m’a mordu  d’Audren. L’école des loisirs, 2013. 56 pages. 6,50 euros. A partir de 9 ans.



lundi 22 avril 2013

Les aventures de Lou Loup le casse-cou - Madeleine Deny et Marie Paruit

Lou-Loup est un loup gentil comme tout mais c’est aussi vrai casse-cou. Le lundi, il déchire sa culotte en descendant d’un arbre. Le mardi, il joue au pêcheur, tombe à l’eau et ressort couvert de boue et de vase. Le mercredi, il part embêter les sangliers et les oiseaux et en dévalant un ravin, il salit sa belle tenue de garde forestier. Le jeudi, comme il n’a plus rien à se mettre, il enfile la chemise de nuit de sa mère pour se déguiser en mère-grand et crac, il fait un trou à la chemise. Le vendredi, se sont ses habits neufs, achetés pour le mariage de sa tante, qui vont finir en charpie. Mais alors que mettra-t-il le samedi, jour du mariage ?   

Un album proche du récit en randonnée qui fonctionne sous la forme de l’énumération (un peu comme La chenille qui fait des trous). Chaque jour une nouvelle bêtise et des vêtements qui finissent abîmés ! D’un jour à l’autre, les événements de la veille influent sur la suite de l’histoire. 

L’organisation est classique : à gauche le texte et à droite une illustration pleine page qui ne montre que le tronc du petit loup.  Pour faire apparaître sa tête et ses jambes, il faut déplier les éléments qui se trouvent en dernière page. Un livre pantin interactif où l’enfant peut animer le personnage pendant que l’adulte lit. Le procédé est simple mais efficace et apporte une vraie valeur ajoutée.

Un livre de plus dans l’escarcelle de Charlotte grâce aux éditions Tourbillon. Et un grand merci à Pauline qui régale mes filles à chacun de ses envois !    


Les aventures de Lou Loup le casse-cou de Madeleine Deny et Marie Paruit. Tourbillon, 2013. 16 pages. 12,95 euros. A partir de 3 ans.



Et voila Lou-Loup avec sa tête
et ses jambes dépliées !












samedi 20 avril 2013

Mais qui a tué Harry ?

Ah, la douceur de la campagne anglaise ! Une petite communauté installée au pied d’une colline, à Sparroswick. Dans la lande toute proche, le petit Abie, quatre ans, découvre un cadavre au milieu des fougères et des rhododendrons. Le cadavre, c’est Harry, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il va devenir une sacrée charge pour les membres de la communauté. C’est d’abord le capitaine qui pense l’avoir tué accidentellement alors qu’il chassait le lapin. Cherchant vainement un coin où cacher le corps, il tombe nez à nez avec Miss Graveley, une vieille fille en mal d’amour qui lui assure qu’elle ne le dénoncera pas à la police. Mais le calvaire du capitaine ne fait que commencer puisqu’il va peu à peu croiser chacun de ses voisins en traînant le corps : Jenifer, La mère d’Abie, dont Harry n’était autre que le mari, Sam, un jeune peintre mégalo, Mark Douglas, coureur invétéré qui ne s’intéresse qu’aux blondes généreuses et Miss Wiggs, propriétaire du seul magasin du coin. Petit à petit, Harry va passer de mains en mains. Un vagabond va même lui piquer ses chaussures. Enterré et déterré à maintes reprises, le mort va créer des liens entre tous ceux qui vont l’approcher de trop près. Quand on constate qu’il n’a pas été tué par balles, chacun se découvre de bonnes raisons d’être accusé du meurtre. Une solidarité de façade s’organise alors pour que le secret reste bien gardé…
   
Malgré son titre, ce roman n’est pas un polar. Plutôt un vaudeville à l’anglaise bien barré avec des personnages haut en couleur et des situations farfelues à souhait. C’est l’humour so british que j’aime tant depuis la découverte du Wilt de Tom Sharpe. Quiproquos, dialogues un brin surréalistes, gags et rebondissements en cascade s’enchaînent à un rythme effréné, l’intrigue se déroulant en quelques heures seulement. Une lecture vraiment divertissante, pas prise de tête pour deux sous. Idéale pour démarrer les vacances du bon pied.

Ce roman a été adapté au cinéma par Alfred Hitchcock en 1955. Un film atypique pour le maître du suspens puisqu’ici c’est l’aspect comique qui domine. Et pour la petite histoire, c’est Shirley MacLaine qui tenait le rôle de Jenifer, la maman sexy du petit Abie.


Mais qui a tué Harry ? de Jack Trevor Story. Cambourakis, 2013. 156 pages. 9 euros. 




 

vendredi 19 avril 2013

A copier 100 fois - Antoine Dole

« Pourquoi je peux pas te regarder en face et te dire que ouais, papa, ton fils est pédé, que c’est plus dur pour toi que pour moi, qu’on s’aime et que tout ira bien, comme dans les histoires que tu me racontais avant. […] Je veux que t’aies mal papa, je veux que tous les autres aient mal, et Vincent et Laurent et Julien, tous ces connards du bahut. J’veux plus me taire, j’peux plus me taire, parce que ça me tue, vraiment ça me tue. J’ai trop de bleus à l’intérieur. »
 
Le narrateur a 13 ans. Un collégien pas tout à fait comme les autres. Pour Vincent et sa bande, c’est une fiotte. C’est surtout le souffre-douleur idéal, celui qu’on peut tabasser sans jamais craindre de représailles. Et quand il rentre à la maison, pas question de compter sur un quelconque soutien paternel. Impossible de se faire aimer, impossible de communiquer avec un père qui vous rejette pour ce que vous êtes. Heureusement il y a Sarah, seule petite lumière dans ce monde de ténèbres. Toujours un petit mot pour rire, un petit mot qui fait du bien : « Tu sais, moi aussi j’aime les garçons. »

Antoine Dole frappe fort. Son récit secoue furieusement. Le harcèlement, la violence sourde des abrutis, l’incompréhension du père… et cette douleur qui ronge ce gamin au point de lui faire envisager le pire. Une mise à nu aussi directe que subtile, sans un mot de trop, sans complaisance malsaine. On referme l’ouvrage en se disant que si les choses ont un peu avancé dans le bon sens, rien n’est réglé pour autant. Mais on se dit aussi que par les temps qui courent, voila un tout petit roman pour ados qui ne pouvait pas mieux tomber. Juste indispensable !
 
«  Papa m’a dit cent fois : mon fils sera pas pédé, qu’il voulait pas de ça dans la famille, que ça n’arrivera pas. Papa, j’suis désolé. J’ai pas choisi, tu sais. J’ai essayé de changer, j’te jure, mais j’arrive pas, m’en veux pas. J’ai pas mérité qu’on me tape, pas mérité les claques. Non, papa, je mérite pas que tu me regardes comme ça, comme si je servais à rien, comme si j’étais pas ton fils, comme si tu regrettais. »           
 
A copier 100 fois d’Antoine Dole. Sarbacane, 2013. 56 pages. 6,00 euros. A partir de 13 ans.

jeudi 18 avril 2013

Bicycle 3000 - O Se Yung

14 juin 2007
7h40 : le suspect vole un couteau
8h20 : il arrive chez Kwon Yeong-chun
8h20 : il poignarde Kwon Yeong-chun (50 ans)
8h30 : il poignarde Yi Jeong-yeon (47 ans)
18h : il poignarde Kwon Hae-il (20 ans)
18h40 : il enlève Kwon Hui-ju (15 ans), s’enfuit en l’emmenant à vélo (pièce à conviction n°2) et la séquestre chez lui.

Pour la police, l’affaire est limpide. Seo Yeong-won est un coupable tout désigné. Ce grand gaillard un peu simplet a assassiné le père, la mère et le grand frère avant de kidnapper la sœur cadette. Mais pour le lecteur qui va dérouler au fil des pages les fils de ce sac de nœuds, les choses ne sont pas si simples. D’abord parce qu’il s’en passait de drôles dans cette famille. Les hommes qui s’invitent la nuit venue dans la chambre de la jeune fille, le silence assourdissant de la mère, les relations amicales qui se sont nouées entre l’adolescente et le suspect… L’a-t-il vraiment enlevé ? Est-ce bien lui le meurtrier ?

Un album traversé par une atmosphère pesante en diable. La construction est étonnante, essentiellement constituée de flash-backs permettant de comprendre le déroulement de cette étrange journée. Le voile se déchire peu à peu, la logique des faits n’apparaissant que dans les toutes dernières pages. Si la narration peut au départ sembler déstabilisante, on adhère très vite à cette apparente déconstruction et on se laisse prendre par la main (ou mener par le bout du nez) avec une grande facilité. Même les changements incessants de point vue ne nuisent aucunement à la fluidité, c’est dire à quel point l’auteur à construit son canevas avec minutie.

Graphiquement, les décors ressemblent souvent à des photos retravaillées par ordinateur et l’ambiance générale est glaçante à souhait, notamment grâce aux couleurs très froides déclinées sur différents tons de gris. C’est simple mais il se dégage de l’ensemble une esthétique des plus séduisantes.

Une belle surprise. Je ne pensais pas être happé à ce point par ce récit. La construction imparable y est pour beaucoup. Un grand merci à Oliv d’avoir proposé de faire voyager ce livre. Je vais de ce pas le transmettre au lecteur suivant…

Bicycle 3000 de O Se Yung. Kana, 2012. 180 pages. 15 euros. 

Les avis de Natiora ; Oliv





mercredi 17 avril 2013

Cœur de pierre - Séverine Gauthier et Jérémie Almanza

Ceux qui passent ici souvent savent à quel point j’aime entretenir ma réputation de cœur de pierre. Pensez donc, un gars qui n’a pas versé une larme à la lecture de Nos étoiles contraires, un gars qui peut regarder Bambi sans sourciller… Un vrai dur, quoi. Alors quand j’ai croisé cet album, je ne pouvais que foncer la tête la première.

Ce conte surprenant narre la rencontre entre un enfant au cœur de pierre (avec une vraie pierre à la place du cœur) et une petite fille au cœur d’artichaut (avec un vrai artichaut à la place du cœur). Quand leurs regards se croisèrent la première fois, ce fut un coup de foudre pour elle. 

« Elle ouvrit sa poitrine et en sortit son cœur
et tandis qu’il battait dans le creux de sa main,
Elle fut étonnée de n’avoir pas plus peur
Au moment de l’offrir pour toujours à quelqu’un.
 »




Mais lorsqu’elle lui tendit une feuille arrachée à son cœur d’artichaut, le garçon la déchira et passa son chemin sans lui adresser la parole. Il faut dire que personne ne lui avait jamais expliqué comment sourire aux gens ou comment leur parler, ni comment les comprendre ou comment les aimer.

Une histoire d’amour avec grand A, qui vous attrape entre ses griffes et vous fait un mal de chien. C’est à la fois tellement beau et tellement triste…

En plus, il n’y a aucun dialogue, tout le texte est constitué de récitatifs rédigés en alexandrins. Un tour de force incroyable où la poésie rejoint la bande dessinée dans une alchimie quasi parfaite. Il faut dire aussi que le dessin de Jérémie Almanza est absolument somptueux. Avec son trait tout en souplesse il créé des personnages au corps fragile et à la tête démesurée, ce qui lui permet notamment de beaucoup jouer sur l’expressivité des visages (et des yeux en particulier). La couleur occupe quant à elle une place fondamentale. Les textures vaporeuses sont magnifiées par le contraste entre l’univers rose orangé plein de joie de la petite fille et celui beaucoup plus sombre, verdâtre et triste du garçon.

De la poésie en BD, tout simplement. S’il y avait une morale à retenir de cette histoire c’est que même un cœur de pierre peut être brisé.

Un peu facile de dire que j’ai eu un coup de cœur pour cette BD jeunesse, mais c‘est pourtant bien le cas. Maintenant, je me demande comment un tel album peut être « accueilli » pas les enfants auxquels il s’adresse et qui ont souvent l’habitude de ne lire que des histoires se finissant bien. Je n’ai pas mes filles sous la main cette semaine mais dès qu’elles reviennent de vacances je leur propose cette lecture. Curieux de savoir ce qu’elles vont en penser.             

Allez, encore un petit quatrain pour le plaisir :
« Cet après-midi-là, pour la première fois,
Elle comprit enfin qu’il ne l’aimerait pas
Et que son cœur de pierre était beaucoup trop lourd ;
Qu’il était simplement incapable d’amour.
 »


Cœur de pierre de Séverine Gauthier et Jérémie Almanza. Delcourt, 2013. 32 pages. 9,95 euros.








mardi 16 avril 2013

Yellow birds - Kevin Powers

« Je vous promets, […], je vous promets que je vous le ramènerais. » Une promesse que Bartle n’aurait jamais dû faire. Une promesse intenable à laquelle la mère de Murph va croire dur comme fer. Mais la réalité sera tout autre. Une fois arrivés en Irak, les frères d’armes Murph (18 ans) et Bartle (21 ans), ne pourront affronter l’horreur en restant soudés. Rendu fou par l’insoutenable violence quotidienne, Murph va disparaître. Bartle ne le ramènera pas sain et sauf à sa mère. Il ne le ramènera pas tout court… Pour le jeune soldat, le constat est amer : « Je ne veux pas être responsable. […] En fait je ne suis pas un héros, pas un garçon exemplaire, j’ai eu de la chance de m’en sortir vivant en un seul morceau. J’étais prêt à échanger n’importe quoi contre ça, telle était ma lâcheté. »


Kevin Powers a combattu en Irak. Au réalisme documentaire il a préféré le prisme d’une fiction empreinte d’un certain lyrisme. La vision qu’il donne de la guerre a un coté hallucinatoire, porté par des couleurs où dominent le jaune poussiéreux et le rouge sang. La toile qu’il peint au fil de ces 250 pages est souvent trouble et possède une évidente teinte surréaliste. Son narrateur alterne entre l’impuissance et la culpabilité. La perte des repères est pour lui terrible : « Nous n’avions même plus conscience de notre propre violence : les passages à tabac, les coups de pied décochés aux chiens, les fouilles, la parfaite brutalité de notre présence. Chacun de nos actes correspondait à une page de notre manuel que l’on appliquait sans réfléchir. Je m’en moquais. »

La construction du roman, sans être follement originale, est très efficace : les chapitres alternent entre la guerre et l’après guerre et la structure, tout en flash-back, entretient la tension pour ne révéler le plus monstrueux que dans les dernières pages. Si je devais comparer Yellow birds avec Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn, je dirais que seul le thème de la guerre en Irak rapproche les deux textes. Pour le reste, à l’esprit picaresque, grotesque et violemment comique de Ben Fountain, Powers oppose une vision poétique beaucoup plus introspective. Une « beauté triste » où l’on découvre la lente décomposition d’un engagé volontaire et son impossible retour à la vie civile. Une étude menée sur les vétérans revenus du front irakien a montré qu’au cours de l’année 2007, en moyenne, dix-sept d’entre eux se seraient suicidés chaque jour. A travers la figure de Bartle, Powers relate la violence de l’expérience intérieure engendrée par la guerre. Il décrit l’écho d’un ébranlement intime qui transforme ces hommes rentrés au pays en morts-vivants.

Un premier roman que j’ai trouvé en tout point sublime.
   
Yellow birds de Kevin Powers. Stock, 2013. 250 pages. 19,00 euros.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Noukette, Leiloona et Cryssilda. Filez-vite découvrir leurs avis.

L'avis de Clara ; L'avis de Saxaoul






samedi 13 avril 2013

Contrée indienne - Dorothy M. Johnson

En ce temps là, les pionniers subissaient des attaques indiennes aussi rapides que violentes. Des femmes et des enfants étaient enlevées, des hommes scalpés. Les tuniques bleues devaient traverser des territoires hostiles avant de rejoindre leur fort, les guerriers Sioux étaient en quête de vision. Dans les rues poussiéreuses des villes champignons, les duels se réglaient à coup de colts. Un monde dur dans lequel l’instinct de survie représentait la seule qualité valable. Dorothy M. Johnson restitue brillamment cette ambiance mythique du far-west à travers les onze histoires regroupées dans cet ouvrage.

J’ai aimé ce livre parce qu’il contient des nouvelles et que j’aime les nouvelles. Parce que c’est Gallmeister et que j’aime Gallmesiter. Parce que c’est du western et que j’aime le western. Mais au-delà de ces considérations passe-partout, le vrai plaisir de lecture, je l’ai trouvé auprès de la plume de Dorothy M. Johnson. Cette femme a l’art de trousser un texte court. Quelques lignes lui suffisent pour poser le décor. Son style est dense, très visuel, riche de dialogues et de descriptions. Pas pour rien que deux des textes de cette Contrée indienne (Un homme nommé Cheval et L’homme qui tua Liberty Valance) ont inspiré des films à John Ford et Elliot Silverstein. Les situations qu’elle présente sont criantes de vérité et les personnages qu’elle met en scène sont incarnés avec un réalisme sidérant. Sans compter qu’il y a dans ces pages quelques beaux portraits de femmes, des pionnières pas épargnée par la rudesse de la vie dans l’ouest mais qui restent fières, libres et battantes.  Au final ce fut un vrai plaisir de découvrir ce monde plein de cow-boys, d’indiens, de paysages sauvages, de rêves, de croyances et d’espoirs déçus… Donnez-moi donc un cheval que je traverse la prairie au grand galop !  

Bien sûr le western est un genre particulier. Il faut aimer. Tout comme il faut aimer les nouvelles. Mais si ces deux conditions ne représentent pas un frein pour vous, vous pouvez foncer les yeux fermés, impossible de ne pas apprécier cet excellent recueil.

Contrée indienne de Dorothy M. Johnson. Gallmeister, 2013. 246 pages. 10 euros. 

L'avis d'Hélène