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mercredi 14 août 2013

La balade de Yaya : intégrales 1 à 6 - Jean-Marie Omont et Golo Zhao

Shangai, novembre 1937. Les japonais s’apprêtent à attaquer la chine. Poussé à l’exode, le richissime père de Yaya décide d’emmener sa famille à Hong Kong. Le matin du départ, la petite fille fugue. Elle veut absolument passer un concours de piano qui devrait lui ouvrir les portes d’une grande carrière. Mais sur le chemin de l’école de musique, les bombardements commencent et Yaya se retrouve au milieu du chaos. Secourue par un gamin des rues prénommé Tuduo, elle va tenter de rejoindre le bateau de ses parents qui est sur le point de quitter le port. Malheureusement rien ne va se passer comme prévu.
Au fil des six tomes de ces deux intégrales, Yaya et Tuduo vont multiplier les déboires. Poursuivis par un terrible bandit, exploités par des pêcheurs de perles sans pitié, trompés par ceux qu’ils pensaient être leurs amis, frappés de plein fouet par la maladie, rien ne leur est épargné. Le récit est parfois assez dur et ne donne pas dans l’angélisme. C’est trépidant, les événements s’enchaînent et chaque album se termine sur un insupportable cliffhanger. Une écriture digne d’une série télé en quelque sorte. La recette fonctionne et il faut dire que le trait de Golo Zhao y est pour beaucoup. Son découpage cinématographique à souhait dynamise le récit. C’est à la fois beau et parfaitement lisible.

La balade de Yaya est une BD jeunesse de grande qualité qui mêle avec brio action et émotion. Une vraie réussite mais je vous préviens, si vous laissez vos enfants mettre le doigt dans ce pot de confiture, isl ne vous lâcheront pas avant d’avoir découvert l’ensemble de la série (dont le 7ème tome vient d’ailleurs de sortir…).

La balade de Yaya : intégrale 1-3 de Jean-Marie Omont et Golo Zhao. Édition Fei, 2012. 144 pages. A partir de 8 ans.  

La balade de Yaya : intégrale 4-6 de Jean-Marie Omont et Golo Zhao. Édition Fei, 2013. 144 pages. A partir de 8 ans.  






mercredi 7 août 2013

Le vent dans les sables T5 : Du souk dans la casbah - Michel Plessix

Après leur périple dans le désert, Rat, Taupe et Crapaud retrouvent la ville et leur ami Blaireau. Grâce à lui, le trajet de retour vers le Bois Sauvage est enfin envisageable. Mais les choses ne sont pas si simples et un saucisson va entrer dans la danse, provoquant une course poursuite aussi folle que trépidante.

Voila c’est fini. Dix-huit ans après avoir entamé l’adaptation du roman Le vent dans les saules de Kenneth Grahame, Michel Plessix met un point final à l’aventure en clôturant ce second cycle avec maestria. Dix-huit ans pour neuf albums en tout, il aura fallu se montrer patient. Mais Plessix est sans doute l’un des derniers artisans de la BD actuelle : une semaine pour tomber une planche, dix à douze mois pour dessiner un album de trente-deux pages et quatre à cinq mois supplémentaires pour la couleur. Le résultat est là, c’est juste somptueux, découpé au millimètre, bourré de détails et toujours fort drôle. L’écriture des récitatifs et les dialogues sont très travaillés et le ton reste étonnamment léger.

Ce dernier tome est beaucoup plus mouvementé que les quatre précédents et fonctionne avec les mêmes ressorts que la conclusion du premier cycle à savoir un maximum d’humour et d’action. Ce second cycle sous forme de récit de voyage et d’ode à la culture maghrébine aura vraiment été un enchantement graphique : le travail sur la lumière, la minutie des décors et des costumes, tout est parfaitement ciselé.

Je ne suis pas objectif parce que je suis un fan absolu de Plessix mais il faut reconnaître que cette ambiance exotique à souhait, cette délicatesse du trait, cet éloge permanent de l’amitié et de la franche camaraderie rendent l’ensemble irrésistible. De la BD jeunesse réellement tout public comme on en fait plus. A lire, à relire et à faire lire sans modération.


Le  vent dans les sables T5 : Du souk dans la casbah de Michel Plessix. Delcourt, 2013. 32 pages. 12,50 euros.





dimanche 4 août 2013

Zéro pour l’éternité T1 - Naoki Hyakuta et Souichi Sumoto

Kentarô est un NEET, un célibataire sans emploi ayant arrêté ses études. Un jeune qui passe son temps à ne rien faire et a du mal à se voir un avenir. Quand sa sœur lui propose de faire des recherches sur leur grand-père mort au cours de la seconde guerre mondiale, Kentarô accepte du bout des lèvres. Dès le début de son enquête il découvre que ce grand-père a perdu la vie au cours d’une mission suicide. En rencontrant un des derniers pilotes encore vivant ayant connu son aïeul, il comprend que ce dernier était tout sauf un héros.       

J’avoue que j’y suis allé à reculons. Un manga sur les kamikazes japonais, pas vraiment mon truc. La surprise fut d’autant plus belle. Adaptée d’un roman, cette histoire met en lumière la difficulté pour la jeunesse nippone actuelle d’accepter le passé guerrier de l’archipel. Elle montre aussi à quel point la société a toujours du mal à se considérer à la fois comme victime de la bombe et complice de la folie du Reich. Et puis l’on découvre que nombre de Kamikazes n’étaient pas habités par une quelconque fierté et que leur sacrifice, loin de relever du courage, était souvent dicté par un ordre de la hiérarchie auquel il était impossible de ne pas se plier. Des hommes comme les autres et non des ultranationalistes prêt à tout pour la prospérité éternelle de leur pays (le fameux cri « banzaï » signifie « prospérité éternelle »). Autre thème abordé par ce manga, l’attentat du 11 septembre au cours duquel les djiadistes d’Al-Qaida furent qualifiés par les médias de kamikazes. Une appellation inadmissible pour les japonais tant l’attitude des kamikazes de la seconde guerre mondiale n’avait pour eux strictement rien à voir avec celle des terroristes.         

Une lecture passionnante qui insiste sur la difficulté pour le Japon d’aujourd’hui de faire sereinement son devoir de mémoire. Trois autres tomes sont parus (la série en comptera 5 en tout) et je vais me faire un plaisir de tous les découvrir.



Zéro pour l’éternité  T1
de Naoki Hyakuta et Souichi Sumoto. Delcourt, 2013. 205 pages.  8,00 euros.

L'avis de Choco
L'avis de Yaneck



lundi 29 juillet 2013

Les enquêtes du limier T1 : Chien d’aveugle - Jirô Taniguchi

Taku Ryûmon vit quasiment en ermite au cœur d’une région montagneuse. Depuis son chalet, il exerce une activité de détective privé spécialisé dans la recherche de chiens de chasse perdus ou volés. Mais lorsqu’une jeune fille aveugle se fait dérober son chien guide, Ryûmon accepte de faire une exception et il se lance sur la trace du kidnappeur….       

Le dernier Taniguchi en date n’est sans doute pas le meilleur de son imposante production mais il se lit quand même avec un réel plaisir. Adapté d’une série de romans d’Itsura Inami, ce manga mettant en scène un privé un peu particulier ne se caractérise pas par un rythme trépidant et un foisonnement de scènes d’action. Les intrigues sont plutôt convenues et laissent la part belle aux bons sentiments. Ce n’est pas désagréable mais ça manque de peps. Au moins ai-je appris beaucoup de choses sur les chiens d’aveugle et la façon dont on les dresse, sans compter que le dessin de Taniguchi est toujours aussi fluide et aussi lisible. Rien que pour cela, ce volume vaut le coup d’œil.      

Un manga certes loin d’être indispensable mais qui reste néanmoins de fort bonne tenue. Et puis en ce qui me concerne ce titre restera comme la première découverte de cet auteur culte pour ma pépette n°1 qui a beaucoup aimé ces histoires animalières touchantes. Il gardera donc une petite place à part dans la mangathèque familiale.  


Les enquêtes du limier T1 : Chien d’aveugle de Jirô Taniguchi. Casterman, 2013. 228 pages.  

L'avis de manU


mercredi 10 juillet 2013

Sirène - Daphné Collignon

Au Maroc, Magda est enceinte de Nour. Ça fait deux ans qu’ils sont ensemble mais elle n’ose pas lui avouer cette grossesse en cours : «  Tu sais ce que c’est un enfant hors mariage au Maroc ? En particulier chez Nour ? C’est la honte, pour moi, l’enfant, le père, toute la famille. Un bâtard né dans le péché. Tu vois l’idée ? » Lorsqu’elle lui annonce la nouvelle par téléphone, le futur père n’est pas content. Pas content du tout : « Il a dit qu’il ne voulait pas en entendre parler, et qu’on avait déjà assez de problèmes comme ça. » Alors Magda décide de prendre la route. De la côte atlantique aux confins de l’Atlas, elle traverse le Maroc et ne cesse de se questionner. En chemin elle rencontre une jeune femme rousse qui semble être tout droit sortie de l’océan. Une jeune femme muette qui va croiser son chemin à de nombreuses reprises et qui semble veiller sur elle d’une étrange façon…

Un portrait de femme qui se veut touchant et intime mais pour le coup, j’avoue que la femme qui sommeille en moi est restée bien cachée. Je comprends qu’avec certaines lectrices ce récit puisse faire « tilt » mais en ce qui me concerne il a fait « plouf ». Sirène est selon moi une BD très sexuée. Le questionnement autour de la maternité, de cet enfant à venir que l’on désire ou pas, tout cela m’a laissé parfaitement insensible (quel salopard je fais quand même !). Aucune empathie pour Magda, aucune envie de la plaindre ou d’espérer que sa situation s’améliore, je n’ai finalement trouvé que très peu d’intérêt pour cet album (punaise, il est temps que je parte en vacances le cynisme professionnel dans lequel je baigne depuis quelques semaines commence sérieusement à jouer sur mon humeur). Le problème c’est que le propos est confus, il laisse place à trop d’interprétations possibles. On voit les doutes et les hésitations, la difficulté de la situation mais il n'est pas évident au final d’y voir clair. Qui est notamment cette jeune fille rousse surgit de nulle part ? Le double de Magda ? Son ange gardien ? Un miroir déformant ? L’image de son destin à venir ? Et puis la correspondance de l’héroïne, insérée au fil des pages dans de nombreux encarts, se perd dans un lyrisme très cucul qui ne relève pas le niveau d’ensemble.  

Graphiquement c’est très beau. Dessin généreux, couleurs franches, beaucoup de gros plans… il faut reconnaître que le trait de Daphné Collignon est des plus séduisants. Malheureusement ça ne suffit pas à faire une bonne histoire et la narration souffre d’une construction que je qualifierais volontiers de «nébuleuse ».

Un album bien trop hermétique pour moi. Ça m’agace de refermer un livre en me disant que je n’ai pas tout compris mais il faut parfois avoir l’honnêteté de reconnaître ses limites… Bon ce qui me rassure c’est que ma binômette habituelle de lecture commune s’est sentie aussi paumée que moi. Du coup je me sens moins seul mais ça ne changera rien à mon ressenti très défavorable.

Sirène de Daphné Collignon. Dupuis, 2013. 68 pages. 14,50 euros.

L'avis de Mo'
L'avis d'Oliv





mercredi 3 juillet 2013

Ardalén : Vent de mémoires - Miguelanxo Prado

Sabela débarque dans un minuscule village de montagne. Elle cherche des informations sur son grand-père, un ancien marin qu’elle n’a pas connu et dont on aurait perdu la trace près de Cuba mais qui pourrait avoir eu des liens avec certains habitants du coin. Au café local, on lui conseille d’aller voir Fidel, vieux monsieur un peu simplet surnommé « le naufragé » qui aurait navigué dans les caraïbes à l’époque de son grand-père. Mais Sabela va vite constater que Fidel, vieillard fantasque et attachant, a la mémoire pour le moins défaillante… 
       
« Je voulais proposer au lecteur un univers en bascule entre rêve, réel et fantastique, comme dans la littérature sud-américaine dite de réalisme magique. » (Miguelanxo Prado)

Un album ambitieux, fortement imprégné d’onirisme et dans lequel viennent s’intercaler des coupures de presse, des témoignages de scientifiques ou des documents juridiques. Difficile de faire le tri dans les souvenirs de Fidel. Sa mémoire s’effiloche, elle s’efface et invente des souvenirs. C’est un labyrinthe dont les contours sont difficiles à cerner. L’ardalén est un vent chaud et humide qui arriverait sur le sud ouest de l’Europe après avoir traversé l’océan atlantique depuis les côtes américaines. Fidel aime aller écouter le bruit que fait ce vent dans la forêt d’eucalyptus derrière chez lui. Métaphoriquement, il lui transmet des souvenirs arrachés ici ou là. Tout se mélange dans l’esprit du vieil homme : sa propre vie, celle des autres, les histoires qu’on lui a raconté et celles qu’il a lues. Pas évident de s'y retrouver dans ces bribes qu’il tente d’assembler, pas simple de discerner les amis et les amantes qu’il a vraiment connus parmi ces fantômes qui ressurgissent du passé. Sabela va beaucoup s’attacher à Fidel mais elle va se rendre compte que les informations qu’il fournit ne sont pas à prendre au pied de la lettre. Jusqu’au jour où…  
             
Niveau dessin, c’est de toute beauté. Il aura fallu trois ans à Miguelanxo Prado pour réaliser les 256 planches de l’album en couleur directe à la peinture acrylique. Du très grand art, un esthétisme rarement vu en BD même si les visages sont souvent figés et possèdent une texture proche du bois qui pourra dérouter plus d’un lecteur.

J’ai embarqué Mo’ dans cette lecture commune en lui présentant ce titre comme l’album de l’année. Je ne sais pas pourquoi mais je m’imaginais quelque chose, certes fort différent, mais au moins aussi emballant que Daytripper. Le problème c’est que je suis constamment resté à distance de l’univers de Fidel. Et pour le coup si l’on ne parvient pas à rentrer dans son monde, impossible d’apprécier le récit. Pour tout dire, je me suis ennuyé. Les derniers chapitres, plus ancrés dans le réel, m’ont davantage accroché mais cela ne suffit pas à faire de cette lecture un vrai grand moment de plaisir. C’est pourtant une très jolie réflexion sur la mémoire qui s’efface et le temps qui passe. Beaucoup de poésie, d’émotion et de mélancolie. Malgré tout je suis passé à coté et je le regrette vraiment. Mon petit doigt me dit que Mo’ y a plus trouvé son compte. Tant mieux, filez vitedécouvrir son avis !   
 

Ardalén : Vent de mémoires de Miguelanxo Prado. Casterman, 2013. 256 pages. 24 euros.






mercredi 26 juin 2013

Loin des yeux… - Luke Pearson

C’est l’histoire d’un couple en bout de course, qui tente encore de faire semblant d’y croire. A peine. Elle ne le voit plus, il lui demande si elle veut un amoureux ou juste une présence. Il aimerait hurler sa colère, lui dire qu’elle est devenue tellement chiante… ça ne peut plus durer. Il choisit de se taire. Les silences et les non-dits sont pires qu’une franche discussion. Puis viennent les engueulades inutiles, les accusations non fondées. La ligne rouge est franchie, la séparation inéluctable. Il y a bien une occasion ratée. Cette ultime possibilité de recoller les morceaux à coté de laquelle on passe...     

Un sujet des plus banals, déjà vu des milliards de fois. Certes. Mais quand Luke Pearson s’en empare, les choses prennent une autre tournure. Le génial créateur de la série jeunesse Hilda possède un ton inimitable. Il crée un univers, une atmosphère où l’onirisme s’imbrique le plus naturellement du monde dans la réalité. Pendant que ce couple se sépare, des géants veillent sur la mer ou s’amusent à jeter des astéroïdes vers la terre depuis l’espace. Pendant que ce couple se sépare, d'étranges créatures scrutent minutieusement les faits et gestes des humains et un sapin se déracine et se met à danser. Mais personne ne remarque rien. Une famille ne remarque pas l’intrus dans l’entrée qui y reste une heure et puis s’en va. Une petite fille ne remarque pas les efforts d’un garçon pour communiquer par télépathie. Un vieil homme ne remarque pas le corps de son épouse s’élever et se séparer en seize morceaux avant de se rassembler parfaitement.  
          
Sous ses airs naïfs, le dessin exprime beaucoup de choses avec très peu d’effets. La bichromie d’orange et de noir donne un coté crépusculaire parfaitement adapté à cette histoire d’amour qui se termine en douleur.

Bon, ok, ce n’est pas un album super joyeux. Mais il serait dommage de s’arrêter à l’aspect tristounet du scénario. Ce petit livre est beaucoup plus que cela, tellement plus que cela même. Éthéré, vaporeux, inventif,  tout en subtilité, il possède un charme fou. C’est juste de la poésie en BD et ça fait du bien.   
 

Loin des yeux… de Luke Pearson. Nobrow, 2013. 40 pages. 14 euros.

Une lecture que j'ai l'immense plaisir de partager avec les indispensables Moka et Noukette. Mesdames, j'espère que vous avez autant apprécié cet ovni que moi !














vendredi 21 juin 2013

Jack Joseph, soudeur sous-marin - Jeff Lemire

Je m'appelle Jack Joseph, et j'ai 33 ans.
Je suis soudeur sous-marin sur une plate-forme pétrolière, sur la côte de Tigg's Bau, en nouvelle-écosse.
Je suis né ici, et j'y mourrai sans doute.
J'ai l'âge qu'avait mon père quand je suis né.
Il a disparu en 1990.
Dans la nuit d'halloween. J'avais 10 ans
Je m'appelle Jack Joseph et j'ai 33 ans.
J'ai une femme, Susie... et un bébé en route.

Je m'appelle Jack Joseph, et j'ai 33 ans.
L'âge qu'avait mon père quand je suis né.
J’étais marié… Ma femme s’appelait Susie Joseph.
Nous allions bientôt avoir un enfant. Un garçon.
Mais je me suis enfui. Et maintenant je suis seul.
Je m'appelle Jack Joseph et j’étais soudeur sous-marin. J’allais être père.
Mais aujourd’hui je ne suis plus rien.
Et je ne suis nulle part.

Jack à un problème avec son père. Ce père alcoolique dont sa mère s’est rapidement séparé. Ce père qui lui a donné le virus de la plongée et qui s’est noyé un soir d’Halloween. Son corps n’a jamais été retrouvé et depuis Jack semble vivre avec son fantôme. Il aimerait connaître la vérité, savoir comment les choses se sont déroulées ce soir là. Au cours d’une intervention au large d’une plate forme pétrolière, il tombe sur un objet qui ne lui est pas inconnu. Un objet qui va ouvrir les portes d’une dimension d’où le passé va resurgir, comme dans un rêve…

Je ne connaissais pas Jeff Lemire, n’ayant pas lu Essex County, mais je dois avouer que notre première rencontre est une réussite. J’ai embarqué sans peine dans ce récit introspectif qui laisse la part belle à l’onirisme. La préface nous présente cet album comme "l’épisode le plus spectaculaire de La quatrième dimension jamais produit". Pas de bol, je ne connais pas du tout cette série télé qui doit commencer à dater donc je n’ai aucun point de comparaison. Le fait est que Jack le soudeur bascule dans un autre monde au cours d’une plongée. Rêve ou réalité, on est bien en peine de démêler le vrai du faux. C’est un aspect qui ne m’a pas gêné le moins du monde. Derrière les éléments fantastiques affleurent des questions plus complexes. L’angoisse de la paternité à venir le renvoie sans cesse vers l’image de son propre père. Plus l’accouchement approche et plus les relations avec sa femme se tendent. Elle ressent son malaise, lui reproche de ne pas être plus présent. Lui semble toujours perdu dans ses pensées, comme s’il devait régler une fois pour toute le solde de cette tragique nuit d’Halloween. Finalement, le monde parallèle dans lequel il entre a presque une fonction cathartique, il va lui permettre de tirer un trait définitif sur ses maux d'enfance et le faire entrer avec apaisement dans le vie de parent qui l'attend.

Niveau dessin j’ai beaucoup aimé ce noir et blanc un peu cradingue et torturé, ces personnages aux visages taillés à la serpe et ce décor maritime extrêmement bien reconstitué.

Un album intimiste, tout en sensibilité, où la narration n’hésite pas à bousculer le lecteur. Les souvenirs et les remords sont au cœur de l’histoire. Ce n’est certes pas d’une folle originalité mais la construction imparable provoque un incontestable plaisir de lecture. Une vraie belle découverte en ce qui me concerne.


Jack Joseph, soudeur sous-marin de Jeff Lemire. Futuropolis, 2013. 220 pages. 26 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Cristie et Mo'.





mercredi 19 juin 2013

L’Étranger - Jacques Ferrandez d’après Albert Camus

« Aujourd’hui maman est morte. » Meursault vient de perdre sa mère. Il se rend à l’asile pour l’enterrement. Sans émotion, il veille le corps, refuse de faire ouvrir le cercueil et repart aussitôt après la mise en terre. Le lendemain il rencontre Marie, l’emmène au cinéma et couche avec elle. Puis son voisin Raymond le sollicite et les ennuis commencent. La tragédie se jouera sur une plage écrasée de soleil. Meursault tire d’abord une fois puis il presse à nouveau la détente à quatre reprises. Un meurtre qui va le confronter à l’implacable « justice » des hommes.

Adapter L’Étranger en BD est un pari risqué. Jacques Ferrandez était sans doute le plus à même de relever le défi. D’abord parce qu’il a déjà adapté Camus (L’hôte, une nouvelle tirée du recueil L'exil et le royaume) et ensuite parce que c’est un dessinateur parfaitement à l’aise pour mettre en images l’Algérie des années 30. Respectant au maximum le texte d’origine, sa construction suit scrupuleusement la chronologie des événements et il a focalisé toute son attention sur les dialogues, laissant le plus souvent de coté la voix off qui est très présente dans le roman. Le résultat, gratté jusqu’à l’os, est bluffant.

L’Étranger, c’est avant tout une réflexion philosophique sur la condition humaine. Meursault est un personnage totalement atypique sur lequel la vie semble constamment glisser. Il traverse chaque jour avec insouciance. Rien, absolument rien, n’a d’importance. Son patron lui propose une promotion ? Pour lui cela n'a pas de sens. La seule question valable est : que fait-on sur cette terre ? La vie est absurde, elle ne vaut pas la peine d’être vécue. Meursault refuse les règles de la société. Il ne croit pas en Dieu. Sa confrontation avec l’aumônier, qu’il refuse d’appeler « mon père », est d’une rare violence. Profondément antisocial, c’est un être mystérieux dont il est impossible de comprendre le fonctionnement intime.  
      
Graphiquement, la patte de Ferrandez est inimitable. Mélangeant dessin au trait et aquarelle, il représente à merveille la mer, le soleil, la lumière si particulière de la méditerranée, la chaleur... La retranscription d’Alger est par ailleurs d’une grande fidélité (notamment le port et la prison Barberousse) et on a l’impression de ressentir le bruit et les odeurs d’épices qui montent de la ville.  

Une adaptation lumineuse. Difficile de matérialiser les silences de Meursault, difficile de traduire en images son état d’esprit si particulier, insaisissable. Jacques Ferrandez a su exprimer le détachement que le jeune homme affiche en toute circonstance. Avec talent et simplicité, il offre un magnifique écrin au chef d’œuvre de Camus. Un très grand album.
 


L’Étranger de Jacques Ferrandez, d’après Albert Camus. Gallimard, 2013. 134 pages. 22 euros.

J'ai une fois encore le plaisir de partager cette BD du mercredi avec Noukette.

L'avis d'Hélène





mercredi 12 juin 2013

Anuki T3 : Le coup du lapin - Maupomé et Sénégas

A peine sorti de son enveloppe, cet album a été kidnappé. Il faut dire qu’Anuki est une star à la maison. Depuis son premier album, ses aventures font partie des lectures incontournables de ma pépette n°2. Quand j’ai pu récupérer l’exemplaire le lendemain matin après d’âpres négociations, je me suis contenté d’une simple question :
- Alors, ça parle de quoi cette fois-ci ?
- C’est la guerre entre Anuki et un lapin. C’est trop bien !
Fin de la discussion, le « c’est trop bien » étant l’argument ultime, celui après lequel il n’est plus nécessaire de rajouter quoi que soit.
Alors est-ce que cet album se résume à une lutte entre le petit indien et  un animal à grandes oreilles ? Certes, mais pas que.

C’est l’hiver. Anuki  et ses copains jouent dans la neige. Parmi eux, une jolie Papoose qui reste en admiration devant des guerriers partant à la chasse. Persuadé de pouvoir à son tour impressionner la belle, Anuki  va chercher son arc et ses flèches pour lui montrer que lui aussi est un fier chasseur. Se rendant seul dans la forêt, il va croiser un lapin roublard qui lui donnera bien du fil à retordre. Sans compter que dans la forêt, il n’y a pas que des lapins…

Toujours sans aucun texte, Frédéric Maupomé et Stéphane Sénégas façonnent leur histoire avec l’humour et le dynamisme qui les caractérisent. Cette fois pourtant, ils pimentent leur récit avec un passage plus angoissant : Anuki est seul, Anuki est triste, Anuki a peur…

Au final tout va évidemment bien se terminer et je ne suis même pas certain que les enfants ressentent la moindre crainte pour leur héros. Après tout, on sait que ce diable de petit indien se sort toujours des situations les plus compliquées !

Coté dessin, on retrouve vite ses repères. La caméra se déplace avec fluidité et la scène de poursuite du milieu de l’album se déroule comme un seul et unique plan-séquence que l’on parcourt avec une certaine délectation. Stéphane Sénégas se joue du découpage classique, n’hésitant pas à supprimer le cadre de certaines cases et à se lancer dans une double page centrale absolument bluffante.

Anuki a incontestablement trouvé une place de choix dans le paysage de la BD jeunesse. Quand chaque nouvel album est attendu avec autant d’impatience par le public auquel il s’adresse (et peut-être davantage  encore par certains parents…) c’est un signe qui ne trompe pas.

Anuki T3 : Le coup du lapin de Maupomé et Sénégas. Éd. de la gouttière, 2013. 40 pages. 9,70 euros.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec mes complices habituelles, Noukette et Mo’.








mercredi 5 juin 2013

Hôtel particulier - Guillaume Sorel

Émilie met fin à ses jours dans sa  baignoire. Une fois morte, son âme va hanter le vieil immeuble où elle habitait. Naviguant d’appartement en appartement, elle découvre le quotidien et le vrai visage de ses voisins. Des gens seuls, perdus, au bord du gouffre, des couples infidèles, une sorcière acariâtre qui tue les animaux, un peintre voyeur mais aussi de drôles de personnages, comme cette petite fille enfermée dans un placard ou cet homme organisant des orgies avec de célèbres héroïnes de romans qu’il fait sortir de sa bibliothèque. Émilie se demande pourquoi elle doit subir un tel sort, elle se demande si sa situation est appelée à durer éternellement. Un vieux chat va devenir son confident. Ils peuvent se parler, l’animal est le véritable maître de l’immeuble, celui qui sait tout sur tout le monde. Pour Émilie, c’est une nouvelle vie qui commence…

Un album totalement inclassable, à l’ambiance envoûtante, et parsemé de magnifiques citations littéraires (Rimbaud, Pouchkine, Lewis Caroll, Baudelaire…). Le fantôme de la jeune femme flotte sur un monde étrange, en apesanteur, nimbé de mélancolie. La narration peut sembler décousue mais Sorel a construit son histoire comme une succession de nouvelles se déroulant dans le vase clôt de l’immeuble et dont le fil conducteur serait cette âme qui traverse les murs. L’occasion pour lui de dresser quelques portraits inquiétants, troublants ou réalistes. Hommage aux contes fantastiques de Poe et Maupassant, Hôtel particulier entretient une sorte de doute permanent, entre rêve, folie, surnaturel et réalité, le tout saupoudré d’une belle dose de sensualité. Difficile pour le lecteur de s’y retrouver mais a-t-on toujours besoin d’explications rationnelles ? N’est-il pas délicieux de se laisser mener par le bout du nez dans ce halo d’étrangeté qui nous enveloppe dès les premières pages ?   

Pour ce qui est du dessin, c’est tout simplement sublime. Sorel est depuis longtemps un de mes dessinateurs préférés. Ici, il a travaillé au lavis, usant d’un noir et blanc vaporeux rehaussé de nombreuses nuances de gris. Son art du cadrage et l’attention particulière donnée à la lumière fait de chaque planche un petit bijou de fluidité et d’équilibre. J’aime par ailleurs beaucoup les personnages qu’il met en scène, notamment les femmes, qui sont tout sauf des pin-up. Le visage marqué, le cheveu filasse et des courbes parfois un peu trop généreuses, elles sont justes réelles et non fantasmées.

Un album empreint d’une sombre poésie et d’un esthétisme aussi rare que fascinant. Ai-je vraiment besoin de vous dire que j’ai aimé ?
 


Hôtel particulier de Guillaume Sorel. Casterman, 2013. 104 pages. 17 euros.








mercredi 29 mai 2013

Batchalo - Le Galli et Bétend

Février 1939, dans une ville de Bohème. Les nazis enlèvent des enfants tziganes pour mener des expériences abjectes au nom de la pureté raciale. Leurs parents partent à leur recherche, accompagnés d’un « gadjo » prénommé Josef, mais ils sont rapidement arrêtées par la police et déportés au camp de travail de Lety puis à Auschwitz. Placés dans une section baptisée Zigeunerlager (camp tzigane aussi appelé « camp de famille » puisque les déportés peuvent y rester avec les leurs) ils vivent dans des conditions difficiles, notamment à cause des ravages provoqués par le typhus. Le 22 mars 1943 a lieu le premier gazage de tsiganes et dans la nuit du 1er août 1944, Himmler expédie dans les chambres à gaz les survivants du « camp de famille ».

Un album très documenté qui revient avec une grande rigueur historique sur le génocide tsigane, une tragédie qui, rappelons-le, n’a été reconnue par le parlement européen que le 3 février 2011. Un pan méconnu de l’holocauste où l’on découvre les terribles motivations du Reich : pour le docteur Ritter, chef de L’institut de recherche pour l’hygiène raciale et la biologie de la population, les tsiganes représentent un danger de dégénérescence pour les allemands. Il préconise donc dans un premier temps le rassemblement de cette communauté dans des camps de travail forcé et la stérilisation massive. Son but est d’éviter tout métissage et, à terme « d’éliminer ces êtres indignes de la société. »

Michaël Le Gali a aussi souhaité mettre en valeur les traditions propres au peuple rom, leur vocabulaire, leurs croyances, leur façon de rendre la justice, leur passion pour la musique et la difficulté pour eux, nomades dans l’âme, de se voir à ce point priver de liberté de mouvement dans les camps. Liant la petite et la grande histoire, il insère dans son récit une part non négligeable de fiction, notamment à travers le personnage de Josef, le gadjo témoin et narrateur de ce voyage au bout de l’horreur. C’est sans doute dans cette part de fiction que réside les quelques faiblesses de l’album. La voix de Josef est souvent trop « neutre », comme détachée des événements qu’elle relate, d’une froideur presque clinique. Il manque ce petit supplément d’émotion qui aurait donné à l’ensemble davantage d’ampleur.

Au niveau graphique, le dessin réaliste et le choix des tons sépia donnent une patine particulière parfaitement adaptée au propos.

Un album instructif abordant un sujet trop méconnu, qui sonne comme un hommage des plus sincères au peuple tsigane et à la tragédie qui l’a frappé. Il est juste regrettable qu’il soit plus didactique que poignant.
 


Batchalo de Le Galli et Bétend. Delcourt, 2012. 80 pages. 14 euros.








vendredi 24 mai 2013

Long John Silver - Dorison et Lauffray

A la fin de L’île au trésor, personne ne sait ce que devient Long John Silver. Dorison et Lauffray précisent au début de la série que « cet ouvrage ne prétend pas être une suite de l’île au trésor mais bien un humble hommage à cet immense chef-d’œuvre qui ne cesse de nous émerveiller depuis notre enfance. » Les auteurs ont donc imaginé un Long John Silver rangé des voitures depuis des années qui va reprendre du service pour les beaux yeux d’une aristocrate désargentée (et surtout pour rentrer définitivement dans la légende). Lady Vivian Hastings, ayant appris que son mari a découvert la cité de Guyanacapac et ses immenses richesses, monte une expédition pour le retrouver. Un voyage qui serait surtout pour elle l’occasion de s’emparer du trésor. Elle fait donc engager Long John et ses sbires sur le navire censé venir en aide à Lord Hastings pour qu’ils déclenchent une mutinerie et prennent le pouvoir à bord en leur promettant la moitié du magot une fois la mission accomplie. Mais entre cette femme fatale sans scrupules et le pirate à la jambe de bois, la cohabitation va parfois être compliquée, sans compter que la traversée jusqu’à la cité d’or sera loin d’être un long fleuve tranquille…

Ma manie consistant à attaquer une série uniquement lorsqu’elle est terminée aura cette fois eu du bon. Difficile en effet d’envisager l’ampleur de cette saga épique sans la dévorer d’une seule traite. Il faut dire aussi que l’aventure monte en puissance au fil des tomes, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas ailleurs. Tout a été pensé dans les moindres détails. Long John a évolué par rapport au roman de Stevenson. Il n’est plus ce manipulateur qui agit dans l’ombre. D’emblée, il montre un caractère entier dominé par la fougue et l’emportement, prenant le contrôle du navire sans aucun calcul préalable. Meneur d’hommes sûr de son fait, ne craignant personne, il ne cesse d’imposer ses choix et son point de vue. Face à lui, Lady Hatsings n’est pas en reste. Femme forte s’il en est, insoumise, égoïste, brisant enfin les chaînes d’une union qui lui ôtait tout liberté d’action, elle restera jusqu’au bout indomptable. Une grand partie de la force du scénario tient d’ailleurs dans les tempéraments hors normes de ces deux-là.  

Un énorme plaisir de lecture avec ces quatre tomes, même si j’ai un peu moins accroché avec le final que j’ai trouvé par moments difficilement compréhensible. Je crois que j’ai été gêné par l’aspect fantastique, certes justifié par les substances hallucinogènes prises par les uns et les autres, mais qui m’a un peu perdu sur certaines séquences. J’aurais aimé davantage de réalisme pur et dur mais je comprends que cette fin quelque peu « fantasmagorique » colle parfaitement à l’ambiance baroque qui traverse cette tétralogie. Dans l’ensemble, cette fresque spectaculaire est absolument remarquable et souligne si besoin est l’incroyable talent de Mathieu Lauffray. Plus que de découpage, il est ici question de composition. A ce titre, le dernier volume est à montrer dans les écoles. Les peintures pleine page donnent le vertige, les scènes d’action, nombreuses, sont maîtrisées de bout en bout. Et que dire de la couleur et du travail sur la lumière absolument somptueux. 

Une vraie saga d’aventure traversée par une virtuosité graphique et narrative totalement bluffante. Pas franchement le type de BD que j'ai l'habitude de lire mais difficile de ne pas se laisser emporter par un tourbillon aussi hypnotique.
 

Long John Silver T1 : Lady Vivian Hastings de Dorison et Lauffray. Dargaud, 2007. 58 pages. 14 euros.
Long John Silver T2 : Neptune de Dorison et Lauffray. Dargaud, 2008. 50 pages. 14 euros.
Long John Silver T3 : Le labyrinthe d’émeraude de Dorison et Lauffray. Dargaud, 2010. 54 pages. 14 euros.
Long John Silver T4 : Guyanacapac de Dorison et Lauffray. Dargaud, 2013. 60 pages. 14 euros.





mercredi 22 mai 2013

Canicule - Vautrin et Baru

Un braqueur américain, poursuivi par les gendarmes et ses complices, planque le magot dans un champ de blé avant de trouver refuge dans une ferme beauceronne. Le problème c’est que cette ferme est le repère d’une famille de tarés complets, aussi affreux que méchants. Le maître des lieux, totalement abruti et ultra violent, son frangin alcoolique, un gamin souffre-douleur qui ne sera pas loin d’être au final le pire de tous, une nymphomane hystérique, une épouse presbytérienne et soumise qui finira par briser ses chaînes, j’en passe et des meilleures. Le braqueur, une fois à l’abri des regards dans un grenier, découvre l’horreur et constate qu’il y a bien plus méchant et retord que lui. Tout cela va forcément mal se terminer. La tension monte, chacun en prend pour son grade et personne, vraiment personne, n’en sortira grandi…

Un polar brut de décoffrage d’une sauvagerie inouïe. Vautrin dresse le portrait de l’inhumanité. Il démontre qu’en fonction des circonstances, on peut finir par laisser libre cours à nos plus bas instincts. La ferme, lieu isolé dans un océan de champs de céréales, est une prison dont aucun des occupants ne peut s’échapper. Un huis clos permanent où les rapports de force semblent clairement définis. Cobb le braqueur agit comme un détonateur, il est l’étincelle qui met le feu aux poudres et révèle les autres à leur bassesse. La cupidité engendre une brutalité incontrôlable, les protagonistes agissant sans qu’aucune barrière morale ne vienne réfréner leurs actes. Le résultat est saignant, noir de chez noir et, il faut bien l’avouer, par moments jubilatoire. Parce qu’il est évidemment impensable de prendre tout cela au premier degré. Seul le caractère grotesque, tragi-comique de l’ensemble et une pointe d’humour noir rend d’ailleurs la violence supportable.

Baru donne à ses protagonistes le visage de la laideur, déformant leurs traits en fonction de leur état d’esprit (colère, douleur, haine…). Il joue constamment sur le contraste entre la lumière éblouissante des jours d’été et la noirceur du propos. La douce chaleur estivale devient peu à peu poisseuse, irrespirable, étouffante. Son art du cadrage donne le dynamisme nécessaire aux nombreuses scènes d’action et malgré l’absence totale d’onomatopées, le lecteur discerne parfaitement le bruit et la fureur qui traverse toutes les pages. Un vrai tour de force graphique !

Canicule est un mélange réussi entre un récit d’action trépidant et une fable pessimiste sur la condition et la nature humaine. Une histoire déstabilisante qui, si on ne l’appréhende pas avec le recul et le second degré nécessaire, peut s’avérer fortement dérangeante. En tout cas, il n’y a pas à dire, c’est drôlement bon de déguster de temps en temps un petit noir bien serré comme celui-là. Le genre de lecture qui me manquait depuis les adaptations des romans de Manchette par Tardi.
 

Canicule de Vautrin et Baru. Casterman, 2013. 110 pages. 18 euros.


Une fois de plus j’ai le plaisir de partager cette lecture commune avec Mo’. Filez-vite découvrir son avis.





mercredi 15 mai 2013

Terra Australis - Bollée et Nicloux

En 1787, l’Angleterre vient de perdre l’Amérique suite à la guerre d’indépendance et les geôles londoniennes débordent. Le roi George III et ses conseillers, souhaitant à la fois conquérir de nouvelles terres et faire de la place dans les prisons, décident d’expédier 1500 détenus vers la Terra Australis Incognita découverte par James Cook vingt ans plus tôt pour créer une nouvelle colonie. Soldats, bagnards et même quelques prisonnières embarquent sur onze navires pour une traversée de neuf mois. A 24 000 kilomètres de la perfide Albion, les premiers pas dans une anse soigneusement choisie et baptisée Sydney seront tout sauf une sinécure…  

Laurent-Frédéric Bollée et Philippe Nicloux prennent leur temps pour retracer la saga de ces pionniers envoyés sans états d'âme afin de peupler la future Australie. Ils relatent dans le détail la préparation de l’expédition, le périple en mer et l’installation définitive sur place. Entrelaçant les points de vue de nombreux protagonistes réels ou fictifs (Arthur Philipp, premier gouverneur de la colonie, Caesar l’ancien esclave ayant fui l’Amérique, John, orphelin condamné à la déportation alors qu’il n’avait que 9 ans ou encore Bennelong un aborigène capturé par les arrivants afin de lui enseigner leur langue et l’utiliser comme interprète auprès des populations locales), ils créent un véritable docu-fiction qui, bien que souffrant de quelques longueurs, s’avère dans l’ensemble passionnant.

Cet album est une brique, un pavé, que dis-je, un parpaing ! Pas simple de manipuler un tel objet-livre. Mais une fois trouvée la position de lecture idéale, on se laisse embarquer avec plaisir vers ce fascinant pays-continent qu'est l'Australie. Il y a forcément un coté un peu scolaire dans cette fresque historique foisonnante. Mais ce style didactique n’est pas gênant car l’équilibre entre la petite et la grande histoire est parfaitement trouvé. A mon goût les pages dédiées aux préparatifs et à la traversée occupent une place trop importante par rapport à l’installation sur place, mais cela reste un détail.

Niveau dessin, Philippe Nicloux s’est sans conteste lancé dans le projet le plus ambitieux de sa carrière. Quatre années auront été nécessaires pour réaliser l’ensemble. Son trait souple et nerveux est un régal de maîtrise. La majeure partie de l’album se déroulant dans des espaces sombres et confinés (prison ou bateau), le travail sur la lumière et « les éclairages » a demandé une minutie particulière. L’utilisation de nombreuses nuances de gris permet par ailleurs de jouer sur les différentes atmosphères, des rues mal famées de Londres au bush australien. Aussi incroyable que cela puisse paraître, toutes les planches ont été réalisées par ordinateur avec le logiciel Manga Studio. J’avoue je suis plus que bluffé par le résultat final !
  
Ambitieux, instructif et graphiquement imparable, Terra Australis est une incontestable réussite. Ce n’est certes pas un coup de cœur mais je dois reconnaître que des leçons d’histoire comme celle-là, j’en veux bien tous les jours.

PS : coup de chapeau en passant à l’éditeur qui a choisi de publier ce roman graphique d’un bloc plutôt que de le « découper » en cinq tomes de 100 pages. Évidemment, c’est un investissement pour le lecteur mais c’est toujours moins cher que cinq fois quinze euros.

Une lecture commune que j’ai une nouvelle fois le plaisir de partager avec Mo’. Décidément, on devient inséparables quand il s’agit de parler BD le mercredi. Et si je vous disais que l’on remet ça la semaine prochaine…
 

Terra Australis de Laurent-Frédéric Bollée et Philippe Nicloux. Glénat, 2013. 512 pages. 45 euros.










mercredi 8 mai 2013

L’entrevue - Manuele Fior

C’est la semaine où j’ouvre mes cadeaux, ceux offerts récemment par deux de mes blogueuses préférées. J’ai commencé lundi avec Comme on respire de Jeanne Benameur (cadeau de Noukette) et j’enchaîne aujourd’hui avec L’entrevue de Manuele Fior (cadeau de Mo'). Pas grand-chose en commun entre ces deux ouvrages, si ce n’est un réel plaisir de lecture.

J’avais quelques doutes par rapport au nouvel album de Fior. Le billet enthousiaste de Cristie m’avait convaincu mais les arguments avancéspar Mo’, pourtant elle aussi sous le charme, m’avaient quelque peu refroidit. En général je n’aime pas les histoires qui laissent une trop grande part au rêve et qui gardent une sorte de flou artistique entre onirisme et réalité. Je trouve que c’est une forme de facilité scénaristique qui cache souvent de vraies faiblesses en termes de narration. Je dois reconnaître que ce n’est pas le cas ici, comme d’ailleurs dans la série Philémon de Fred qui ne m’attirait pas spécialement pour les mêmes raisons et que je découvre avec bonheur ces jours-ci, une fois de plus grâce à l’art de la persuasion de Mo’. Comme quoi les certitudes de lecteur sont faites pour être bousculées…


Rien ne va plus dans la vie du psychologue Raniero. Sa femme est sur le point de le quitter, un accident de voiture l’oblige à porter une minerve, des cambrioleurs s’introduisent chez lui et le passent à tabac et pour couronner le tout il aperçoit dans le ciel d’étranges formes triangulaires qui ne peuvent être que des ovnis. Quand Dora, une jeune patiente de trente ans sa cadette, lui affirme être en contact télépathique avec des extraterrestres, Raniero voit ses certitudes vaciller.  

Petite précision qui a son importance, nous sommes en 2048. Les voitures sont téléguidées et la jeunesse, en rupture avec les aînés  s’est rangée sous la bannière d’une « nouvelle convention » prônant la « non exclusivité émotive et sexuelle.» Raniero reste de la vieille école. Pourtant il comprend que les bouleversements à venir vont tout changer…   

Fascinant, voila comment je qualifierais cet album. Fascinant par sa faculté à saupoudrer avec le plus grand naturel une touche futuriste dans le quotidien d’un homme qui pourrait être d’aujourd’hui. Fascinant par la poésie graphique déployée tout au long de ses 175 pages. Manuele Fior fait preuve d’une inventivité incroyable. Son trait charbonneux semble parfois élastique et son découpage multiplie les angles de vue plus audacieux les uns que les autres. Une démonstration technique qui reste constamment au service de la narration pour mieux la magnifier.

L’entrevue est à la fois une histoire d’amour et une réflexion métaphysique sur le sens de la vie. Raniero est un homme à la croisée des chemins, ébranlé par une réalité qui lui échappe. Un homme au bord du précipice, hésitant à sauter le pas vers l’inconnu(e) qui lui tend les bras. L’ensemble reste néanmoins léger et pousse à la réflexion. Une vraie grande réussite, je comprends pourquoi Cristie et Mo’ ont été conquises. 
  

L’entrevue de Manuele Fior. Futuropolis, 2013. 174 pages. 24 euros.






mercredi 1 mai 2013

Locke and Key T4 : Les clés du royaume - Joe Hill et Gabriel Rodriguez

Toujours traumatisée pas l’assassinat du père et la découverte dans leur manoir de clés toutes plus flippantes les unes que les autres, la famille Locke vit des moments difficiles. Et encore, s’ils savaient que Zach,  le nouveau petit ami d’Erin, n’est autre que la dame noire, un démon au service du terrible Sam Lesser... Zach, prêt à tout pour retrouver la clé Oméga détenue par Tyler, le fiston bourru. Zach, qui va commettre de nouveaux meurtres pour parvenir à ses fins.

Plus d’un an que l’on attendait la suite en français des effrayantes aventures de la famille Locke. Ce quatrième arc narratif (il paraît que c’est le terme approprié quand on parle de comics…) composé de cinq chapitres fait sensiblement avancer le schmilblick. Comme d’habitude tout en tension, cette singulière histoire de clés est une mécanique dont les engrenages s’imbriquent parfaitement. Rien n’est gratuit, le plus petit des événements pouvant jouer un rôle fondamental dans le déroulement de l’intrigue des dizaines de pages plus loin. Le lecteur est littéralement happé et se laisse promener par le bout du nez dans ce qui ressemble à un interminable cauchemar. Diabolique !

Une fois de plus, Gabriel Rodriguez démontre une virtuosité graphique à toute épreuve. Le premier chapitre, hommage horrifique et somptueux à la série Calvin et Hobbes de Bill Watterson, est assez incroyable. Après, j’ai toujours autant de mal avec les couleurs, mais c’est un détail.

Locke and Key représente clairement le haut du panier en matière de comics à l’heure actuelle. Selon moi au moins aussi addictif que Walking Dead, c’est dire !


Locke and Key T4 : Les clés du royaume de Joe Hill et Gabriel Rodriguez. Milady Graphics, 2013. 160 pages. 19,90 euros.