mercredi 16 mars 2011

Sous l'eau, l'obscurité

A la fin des années 80, Min-Sun, huit ans, est une petite coréenne comme les autres. Dans un pays en plein expansion économique, elle doit, comme sa grande sœur Min-Jin, devenir une battante. Poussées par leur mère, les deux enfants enchaînent les cours du soir et les séances de soutien scolaire pendant les vacances. Au programme, mathématiques, anglais, piano et surtout natation. Min-Sun déteste la piscine, au contraire de Min-Jin qui est la meilleure nageuse du quartier. Étouffée par cette éducation à la dure, la petite fille subit sans broncher l’autorité maternelle, l’agressivité des professeurs et l’étrange amitié de certaines copines. Une jeunesse tout sauf heureuse, loin s’en faut.

Yoon-sun Park sonne une charge implacable contre une société coréenne où la rigidité de l’éducation défendue par certains parents peut être vécue comme un véritable traumatisme. Le personnage de la mère est d’une froideur effrayante. Elle ne dispense à ses enfants aucun signe d’affection. Son seul souci est de préparer ses filles à affronter un monde du travail ultra-concurrentiel où seuls les plus forts survivent. Une intention certes louable mais qui, à l’évidence, trouble grandement sa cadette.

Je ne peux m’empêcher de comparer ce titre avec la série Marzi de Marzena Sowa et Sylvain Savoia. Cette série retrace la jeunesse d’une petite fille dans la Pologne des années 80 qui s’interroge sur l’évolution de son pays et dont la mère est autoritaire et très peu affectueuse. La différence, c’est que Marzi est une enfant curieuse, vive, qui s’extasie, s’indigne ou se révolte. Elle exprime clairement ses sentiments, ce qui la rend touchante. Min-sun ne fait que subir une situation qui l’affecte mais qu’au final elle trouve normale. Son quotidien est, comme celui de Marzi, terriblement difficile. Cependant, on ne ressent aucune empathie à son égard. Sans doute est-ce dû à une certaine pudeur, une volonté de ne pas afficher ses états d’âme. Le problème, c’est que ce manque de sensibilité ne m’a pas permis de rentrer véritablement dans le récit. J’ai parcouru les événements sans jamais me sentir vraiment concerné.

Il faut dire aussi que le dessin ne m’a pas du tout inspiré. Le trait est souple mais sans âme. Les personnages ressemblent à des poupées de chiffon aux membres élastiques. La bichromie de bleu et de gris renforce le coté froid de l’ensemble et les décors manquent de relief et de détails. Bref, voila un ouvrage qui m’a laissé de marbre.

Sous l’eau, l’obscurité de Yoon-Sun Park, Sarbacane, 2011. 160 pages. 19.50 euros.

L’info en plus : Ayant conscience d’être sans doute passé à coté de l’essentiel (j’ai lu plusieurs critiques très positives dans des revues spécialisées), je propose de faire ce titre une BD voyageuse. Je pense en effet qu’elle mérite d’autres avis car j’ai l’impression de ne pas l’avoir appréciée à sa juste valeur. Si vous êtes intéressé(e), contactez-moi : dunebergealautre@gmail.com, je vous la ferais parvenir dans les plus brefs délais.





lundi 14 mars 2011

Pfff d’Hélène Sturm

Ils sont huit, cinq garçons et trois filles. Tous habitent dans le même quartier. Certains vivent en couple, sont voisins, se croisent au café, s’observent dans la rue. Ils se cherchent, se tournent autour. Figure centrale de cette petite bande, Odile est lectrice dans une maison d’édition. Cette célibataire tout ce qu’il y a de plus banal décide un jour de se prendre en main. Elle va faire tomber dans son escarcelle Beaufils, Legendre et Walter et rendre jalouse Anna et Yolande, deux tenancières de troquet, sous le regard tendre de Jaboulier et Chapoutet, les homos qui vivent dans l’appartement au-dessus du sien.

Tout ce beau petit monde va se lier d’amitié, partager des moments festifs et d’autres beaucoup moins. Les couples vont se former et le temps va passer, impitoyable…

Pfff est un premier roman ambitieux. De prime abord, on a l’impression que les paragraphes s’enchaînent sans véritable fil conducteur. On passe d’un personnage à l’autre, on saute du coq à l’âne, un peu comme si on écoutait une énorme impro de jazz sans savoir vraiment où le musicien veut nous emmener. Mais sous ces airs nonchalants se cache un récit à l’évidence très structuré. L’évolution des relations entre les acteurs de cette tragi-comédie est parfaitement construite.

L’écriture est elle aussi faussement relâchée. Les phrases sons souvent longues, pleines de virgules semblant vouloir retenir un flot incontrôlable. Langage soutenu et vulgarité s’entrechoquent sans crier gare. L’humour est aussi très présent et on sourit souvent. Mais un peu plus de simplicité aurait été bienvenue et aurait débarrassé le texte de quelques scories inutiles. Et puis cette coquetterie consistant à changer les noms de certains personnages au cours du roman m’a paru sans intérêt et m’a beaucoup agacé.

Il faut dire que j’ai eu un peu de mal à suivre. L’intérêt justement, c’est ce qui m’a le plus manqué. Déjà, j’ai péniblement terminé le premier chapitre (90 pages) ne m’y retrouvant que difficilement entre tous ces noms et prénoms auxquels rien d’intéressant n’arrive. Par la suite, ayant bien identifié les différents membres du groupe, la lecture est devenue un peu plus agréable. Il faut dire aussi qu’il se passait enfin quelque chose de clairement compréhensible (Walter et Odile au Portugal, la réconciliation de Jaboulier et Chapoutet…). Il n’empêche que je n’ai jamais vraiment trouvé mon compte dans ce texte. Beaucoup d’ennui et trop peu de satisfaction, voila ce que je retiendrais. Je dois quand même reconnaître que pour un premier roman, Hélène Sturm montre de belles dispositions, c’est juste que personnellement, je suis passé complètement à coté. D’ailleurs le titre de cet ouvrage, c’est un peu le soupir de soulagement que j’ai poussé en tournant la dernière page, c’est dire !

Pfff d’Hélène Sturm, Éditions Joëlle Losfeld, 2011. 254 pages. 18 euros.

Un ouvrage lu dans le cadre d’un partenariat entre Blog-o-book et les éditions Joëlle Losfeld. Merci à eux pour cette découverte !

vendredi 11 mars 2011

Cousa

Pour son premier jour de vacances, Cousa s’ennuie. Les garçons ne veulent pas jouer avec elle, le chat reste perché sur l’horloge et grand-mère fait la sieste. La petite fille finit donc par sortir dans le jardin. Elle trouve un passage sous la haie, s’y engouffre et se retrouve au bord de la rivière. Les pieds dans l’eau, elle voit les buissons s’agiter juste à coté d’elle. C’est alors que surgit…

Voila un album charmant, épuré, minimaliste. Une toute petite phrase sous chaque énorme illustration, c’est parfois plus parlant qu’un long discours. La lecture invite à l’observation, l’explication, la discussion. Cinq minutes à peine, c’est le temps qu’il vous faudra pour parcourir toutes les pages. L’enfant ouvrira des grands yeux, son attention n’aura pas le temps de faiblir avant le dénouement. Et il se souviendra sans doute longtemps de cette première journée de vacances extraordinaire vécue par la petite Cousa.

Adrien Albert a trouvé le ton juste pour parler, tout en finesse et sans avoir l’air d’y toucher, de solitude et d’indépendance. Un bien bel album pour une lecture complice avec les bouts de chou dès trois ans.

Cousa d’Adrien Albert, L’école des loisirs, 2011. 24 pages. 12,00 euros. A partir de 3 ans.

jeudi 10 mars 2011

Concours Vous avez dit Girly ? - 4 BD à gagner

Ce mois-ci, je vous propose de gagner le premier tome d’une série jeunesse Girly. Girly vous avez dit ? Ben oui, il existe depuis quelques années des BD créées spécifiquement pour les filles. Le Magazine en ligne gratuit Zoo y a consacré un excellent dossier dans son numéro du mois de novembre 2010 (http://zoo-bd.typepad.com/zoo-le-mag/magazines/ZOO-28-BD.pdf). Je me permets de reprendre ici un extrait de l’édito de ce numéro spécial filles qui résume parfaitement ma pensée concernant de cette « mode » : « N’en déplaise à certains qui trouveront ce sujet réducteur, voire sexiste, il existe bien des bandes dessinées plus particulièrement destinées aux femmes, que ces BD aient été conçues à dessein ou pas. Par ailleurs, certaines font un malheur auprès du lectorat masculin également. Cela valait bien que l’on se penche un peu dessus. »

Voila donc en ce joli mois de mars la possibilité de faire quelques découvertes autour de titres jeunesse Girly. Il y a en tout quatre albums à gagner : Princesse Sara T1 (j’en parle ici) ; Les nombrils tome 1 (j’en parle ici) ; Chats T2 (j’en parle ici) ; Sybil la fée cartable T1 (j’en parle ici).

Le premier nom qui sortira du chapeau choisira le titre qu’il préfère. Le second devra piocher dans les trois titres restant, le troisième n’aura plus que deux choix possibles et le dernier n’aura plus de choix du tout !

Comme d'habitude, 3 petites questions, 3 petites réponses et le tour est joué.

Quel est le nom de famille de la petite Sara ?

a) Oleson
b) Neige
c) Crewe


Comment s'appelle l’amoureux de Karine dans Les Nombrils ?

a) John John
b) Dan
c) Murphy


Ce chat roux a pour nom…

a) Orange
b) Clémentine
c) Pamplemousse



Vous avez jusqu'au jeudi 17 mars 2011 à minuit pour participer. Les réponses sont à envoyer à l'adresse suivante : dunebergealautre@gmail.com

Les belges, les suisses, les québécois, les habitants des Dom/Tom et tous les membres de l'union européenne peuvent participer.

 Bonne chance et rendez-vous le 18 mars pour les résultats.

mercredi 9 mars 2011

Achab T1 à 4

Sur l’île de Nantucket (Massachusetts), au début du 19ème siècle, le jeune Achab n’a qu’un rêve : s’embarquer sur un baleinier. Dernier né d’une famille de marins, il a perdu son père en mer, tué par un monstrueux cachalot albinos connu sous le nom de Moby Dick. Lors de l’hiver 1806, il apprend au retour sur l’île du navire La Sarah que son frère Caleb a lui aussi péri au cours d’une chasse lorsque sa baleinière a été renversée par le même Moby Dick. Persuadé que le cétacé en veut directement à sa famille, Achab n’aura dès lors de cesse de pourchasser le monstre blanc sur toutes les mers du globe...

Patrick Mallet imagine la jeunesse du capitaine Achab créé par Herman Melville dans son roman. Pourquoi cette quête insensée ? Quelles sont les causes de sa haine à l’égard de Moby Dick ? Comment le jeune ado un brin idéaliste va sombrer au fil des ans dans la folie et entraîner dans sa chute la plupart de ses proches ? En quatre albums, l’auteur retrace 45 ans de la vie d’Achab. Le dernier volume se termine juste avant que ne commence le texte de Melville. Un trait d’union parfait en quelque sorte.

Le projet de Mallet consiste à s’interroger sur les véritables motivations de son héros. Celui-ci veut-il vraiment tuer le Léviathan qui donne un sens à son existence ? C’est finalement en détricotant le roman que l’auteur parvient à construire un univers cohérent. Il importe aussi de signaler ses réels talents de conteur. Il faut lire les quatre tomes à la suite pour déceler la force du récit et la précision de sa construction.

Le dessin, parfois maladroit lors des deux premiers volumes (les visages et les attitudes sont souvent un peu trop figés), s’améliore nettement par la suite. Surtout qu’il n’y a rien de plus difficile à reproduire que les scènes de chasse au cachalot dans une mer démontée.

Loin des adaptions de textes littéraires en BD qui pullulent actuellement et, je l’avoue, me gonflent un peu, Patrick Mallet propose une fascinante réappropriation de l’œuvre. L’ambition de son projet n’a d’égal que sa qualité et cette série vraiment tout public (à partir de 10 ans) mérite d’avoir sa place dans les bibliothèques et les CDI dignes de ce nom.

PS : Rien à voir mais le concours du mois de mars sera en ligne ici même demain. Toujours trois petites questions et toujours des BD à gagner. Revenez jeter un oeil si vous êtes intéressé(e), ça ne vous coutera rien du tout !
Achab T1 : Nantucket de Patrick Mallet, Treize étrange, 2007. 56 pages. 12.50 euros.
Achab T2 : Premières campagnes de Patrick Mallet, Treize étrange, 2009. 56 pages. 13 euros.
Achab T3 : Les trois doublons de Patrick Mallet, Treize étrange, 2010. 56 pages. 13 euros.
Achab T4 : La jambe d’ivoire de Patrick Mallet, Treize étrange, 2011. 56 pages. 13.50 euros.


L’info en plus : Ceux qui ont aimé Achab pourront trouver chez le même éditeur une autre série se déroulant dans le monde des chasseurs de cachalots. Avec Esteban, Mathieu Bonhomme propose de découvrir la vie des derniers baleiniers à voile chiliens au début du 20ème siècle à travers l’histoire d’un jeune indien qui embarque pour la première fois sur le pont d’un bateau. Une excellente série jeunesse, trop méconnue, dont le quatrième tome est actuellement en cours de prépublication dans le magazine Spirou.





lundi 7 mars 2011

La gifle

Melbourne, aujourd’hui. Un barbecue comme on en fait tous les week-end. Il y a là quelques collègues, les cousins, les parents, les amis. Des enfants aussi, qui s’amusent et se chamaillent. Parmi eux, Hugo, quatre ans, est du genre capricieux. Lors d’une partie de cricket improvisée, le gamin ne supporte pas de se faire éliminer et il entre dans une colère noire. Il s’apprête à frapper un des joueurs avec sa batte lorsqu’Harry l’empoigne et lui colle une gifle magistrale. Problème, Harry n’est pas le père d’Hugo. Il est intervenu parce qu’il a senti son propre fils en danger face à un mioche incontrôlable. Son geste va provoquer une secousse sismique chez tous les participants du barbecue...

Les chapitres ont pour titre le prénom d’une personne ayant assisté à la scène. Le narrateur s’attarde sur ces caractères très différents les uns des autres et est totalement omniscient. Il révèle l’intimité, les fêlures, les points de vue, les petits secrets...

La gifle est un roman très cru, dérangeant. La personnalité des principaux acteurs de ce barbecue qui a mal tourné est grattée jusqu’à l’os. Et chacun, sous la surface lisse qu’il expose en société, cache en réalité une nature complexe et plus ou moins torturée. Les faux semblants tombent les uns après les autres et ce n’est pas beau à voir. Le lecteur, quelque part, devient voyeur. Il s’immisce avec horreur ou délectation (selon les goûts) dans ses existences régies par l’argent, l’ambition, la religion, l’alcool, le sexe, le racisme ordinaire... Entre malaise et fascination, impossible de décrocher, même si je comprends sans problème que l’on puisse ne pas aller au bout d’un tel texte.

L’écriture est simple et directe. Pas de chichi, pas d’envolées lyriques. C’est âpre, rugueux et sans langue de bois. Là encore, on aime ou pas mais difficile de rester indifférent.

Ceux qui passent ici régulièrement savent que j’apprécie ce genre de littérature qui vous saute à la gorge. Quelque part, je peux comparer La gifle au Démon ou à Last Exit to Brooklyn de Selby. Des textes qui, à leur époque, ont choqués ou emballés les lecteurs.

Trop facile de dire que La gifle est une claque alors je me contenterais de préciser que ce roman est mon premier gros coup de cœur de l’année. Pour autant, je ne le recommanderais à personne. Trouvez-le à la bibliothèque où faites-le vous prêter si vous n’êtes pas sûr que ça vous plaise parce que franchement, vous risquez d’être secoués, et pas forcément dans le bon sens du terme.

La gifle, de Christos Tsiolkas, Belfond, 2011. 468 pages. 22 euros.

L’info en plus : Relayé par un accueil critique très favorable dans de nombreux médias (voir ci-dessous), La gifle connaît un succès public plutôt inespéré (27ème meilleure vente de romans en France dans la semaine 21 au 27 février). Souhaitons lui de suivre le même chemin que Sukkwan Island (un roman de l’américain David Vann sorti en janvier 2010, devenu contre toute attente un best seller et récompensé par le Prix Médicis du roman étranger).

La presse dithyrambique !

jeudi 3 mars 2011

Ne ratez pas l'immanquable !

Le lancement d’un nouveau magazine de prépublications de BD est un événement. Depuis plusieurs années, le paysage de la presse BD est en effet dévasté : il reste Spirou pour les enfants, Lanfeust Mag pour les fans de Fantasy et Fluide Glacial pour l’humour. Problème, non seulement ces magazines sont très ciblés mais en plus ils appartiennent à des éditeurs (Dupuis pour le premier, soleil pour le second et Casterman pour le dernier). Avec L’Immanquable, Frédéric Bosser, le créateur de la revue DBD, tente un pari osé : proposer des prépublications d’albums en avant première et en intégralité sur trois ou quatre numéros. Surtout, L’Immanquable n’étant lié à aucun éditeur, les séries proposées seront puisés dans des catalogues différents, ce qui permettra de varier les genres et les thèmes. A priori ne seront publiés que des premiers tomes ou des séries dont les épisodes peuvent se lire indépendamment.

Question forme, L’immanquable va au plus simple : un dossier thématique, une courte interview d’auteur avant chaque titre publié et pour le reste, rien que des planches de BD. En gros, un tiers de rédactionnel pour deux tiers de prépublications.

L’air de rien, si on fait les comptes, l’amateur de BD un peu curieux a la possibilité de découvrir des nouveautés toutes très différentes à moindre frais. Chaque numéro coute 6,50 € et sept albums auront été prépubliés entièrement dès le 3ème numéro. 19,50 € pour lire autant de BD, difficile de faire mieux !

Personnellement, les deux premiers numéros sont dans ma PAL. Dès le 20 mars, je pourrais me lancer dans la lecture de sept nouveaux titres à paraître ou à peine parus en libraire. Peut-être de nouvelles découvertes à partager dans la BD du mercredi de Mango ?

Allez, pour conclure, un petit tour d’horizon des prépublications présentes dans le premier numéro :



Philip et Francis T2, par Veys et Barral (Dargaud)
Pavillon noir T1, par Corbeyran et Bingono (Soleil)
Les boucliers de Mars T1, par Chillet et Gine (Glénat)
Magasin sexuel T1, par Turf (Delcourt)
Un sac de billes T1, par Kris et Bailly (Futuropolis)
La légende d'Horacio d'Alba T1, par Le Gris et Siner (12Bis)
Les innocents coupables T1, par Galandon et Anlor (Bamboo / Grand Angle)

L’immanquable. Publication mensuelle. 144 pages. 6,50 euros.

mercredi 2 mars 2011

Légendes de la Garde T2 : Hiver 1152

Hiver 1152. Les souris qui vivent dans les territoires forment une communauté répartie entre différents villages construits en des lieux sûrs et cachés de la vue des prédateurs. Pour faciliter les échanges de marchandises et pour se protéger, les petits rongeurs ont créé en des temps immémoriaux un corps d’élite, la Garde. Ses membres forment des escortes, servent d’éclaireurs et de guetteurs. Ils protègent les frontières et sont surtout de farouches combattants. Après avoir déjoué la tentative de prise de pouvoir du félon Minuit (dans le tome 1), les souris affrontent un terrible hiver. Constatant le manque de vivres et de médicaments, Gwendoline, la matriarche de la Garde, envoi onze aventuriers affronter les dangers d’un environnement hostile pour assurer au plus vite le ravitaillement…

David Petersen est parti d’une idée toute simple : les souris, trop petites pour aller avec les autres animaux, ont formé une communauté capable de vivre en totale autarcie. Mais comment peuvent-elles survivre dans un monde où les prédateurs potentiels pullulent ? Réponse : en s’appuyant sur un corps d’élite prêt à tout pour protéger les siens. Sur ce canevas plutôt sommaire, il a su tisser une organisation politique et sociale cohérente tout en créant des personnages attachant aux caractères bien marqués. Surtout, il n’est pas tombé dans le piège disneyien consistant à faire de son récit une bluette sans saveur. Sa série s’adresse aux enfants mais il n’hésite pas à mettre en scène de terribles combats qui ne laissent pas les protagonistes indemnes. Ses souris souffrent, elles meurent. Leur environnement n’est pas doux et chaleureux, il est d’une grande rudesse. C’est aussi le décalage entre le dessin animalier très orienté « jeunesse » et le contenu parfois difficile qui donne un cachet vraiment particulier à ces Légendes de la garde.

Le dessin justement, parlons-en ! L’auteur propose un format de planche atypique, proche du carré. Il n’hésite pas à réaliser des cases énormes où les détails fourmillent et surtout ou aucune place n’est laissée à la moindre erreur de perspective ou de proportion sous peine de sauter aux yeux du lecteur. Résultat, c’est sublime, tout simplement. Le mouvement de la caméra est incroyablement fluide. Les plans se succèdent, plus emballant les uns que les autres. Tout y passe : très gros plan, plongée, contre plongée, illustration pleine page… Une vraie leçon de dessin au service de la narration qui évite l’écueil de la pure démonstration technique. Le travail sur les couleurs est lui aussi impressionnant. Les pages se déroulant à l’extérieur sous la neige font froid dans le dos et celles dans un obscur souterrain sont angoissantes à souhait. La restitution des ambiances en fonction des décors est proche de la perfection.

Pas grand-chose à ajouter. C’est beau, très beau. Pas original sur le fond, certes. Mais parfaitement mené et limpide dans sa construction. Je ne sais pas à quoi ressemblent les volumes en VO mais pour l’édition française, Gallimard a sorti le grand jeu : format carré, cartonnage épais, carte des territoires en page de garde, papier de très grande qualité, épilogue et bonus en fin d’ouvrage, bref, un objet livre magnifique.

Entre Tolkien et Béatrix Potter, un comics jeunesse d’une qualité exceptionnelle.

PS : la série a reçu en 2008 deux Eisner Awards, les plus prestigieux prix américains de la bande dessinée (prix de la meilleure publication jeunesse, prix du meilleur graphisme).

Légendes de la garde T2 : Hiver 1152 de David Petersen, Gallimard, 2011. 162 pages. 20.00 euros.

L’info en plus : Pour les amateurs d’originaux, sachez que David Petersen vend sur son site certaines de ses planches. Il faut compter plus de 300 dollars (hors frais de port). Certains fans français en ont déjà acquis et ne le regrettent pas tellement son travail en noir et blanc est éblouissant. Pour découvrir les travaux encore disponibles, rendez-vous sur la page officielle de Mouse Guard.








lundi 28 février 2011

Les murs, l'usine

Derrière les murs, il y a l’usine. Le bruit assourdissant, la cadence infernale. La fatigue. La machine à café et son jus dégueulasse. Quelques copains aussi. Et de temps en temps la satisfaction d’en voir un partir en retraite, même s’il est dans un sale état. Il y a aussi les cadres, les chefs, les sous-chefs, ces trous du cul qui font semblant de vous porter une quelconque attention mais qui s’intéresse uniquement au fait que vous produisiez le nombre de pièces prévues dans la journée. A l’usine, les satisfactions sont rares. Quand la bécane tombe en rade par exemple. Mieux, si on graisse la patte du régleur avec quelques confiseries pour qu’il fasse durer les réparations, on peut gagner deux heures. Finalement, l’usine, l’idéal, ce serait de la quitter. Mais comment faire quand on a rien entre les mains, pas un diplôme ?

Un homme porte un regard désabusé sur sa condition d’ouvrier. Pas forcément en colère ni revendicatif, il constate, tout simplement. Il passe en revue quelques moments forts qui viennent bousculer le train-train comme la grève ou les journées portes ouvertes. Il s’attarde aussi sur sa vie en dehors de l’usine : une femme, qu’il n’a sans doute jamais aimée. Une maîtresse qui le comble sexuellement. Et puis l’image du père, disparu depuis peu.

Le texte de Robert Piccamiglio me parle. J’ai eu la chance de passer quelques mois à l’usine pour payer mes études. Je dis la chance car rien ne m’a donné plus envie de réussir les concours qui font aujourd’hui de moi un petit fonctionnaire satisfait du métier qu’il exerce. Je me rappelle ces réveils au milieu de la nuit pour se retrouver, à l’aube, les yeux collés, debout devant une machine qui ne vous attend pas en vous demandant comment vous aller faire pour tenir le coup pendant huit heures. Et ces ouvriers, taiseux ou expansifs, coléreux ou un brin neurasthéniques, la plupart attachants.

Loin des clichés véhiculés par les journalistes, des discours formatés des politiques et des syndicalistes, Robert Piccamiglio, qui a passé plus de trente ans à l’usine, fait découvrir au lecteur la solitude et l’angoisse de l’ouvrier. De la littérature prolétarienne comme on n’en fait plus, dans la lignée des grands anciens, Navel et Poulaille et tête.

Les murs, l’usine de Robert Piccamiglio, Éditions Alphée, 2010. 220 pages. 19,90 euros.

L’info en plus : R. Piccamiglio avait publié un premier texte intitulé Chroniques des années d’usine aux éditions Albin Michel en 2002. La quatrième de couverture se passe de tout commentaire : La pluie et le froid du petit matin, l'odeur entêtante de la machine à café, la lenteur du jour ouvrable, l'attente du week-end et des congés, les photos de filles à poil que l'on regarde pour penser à autre chose... L'usine dont nous parle Robert Piccamiglio n'est pas celle des journalistes, des sociologues ou des patrons, ni même celle des "travailleurs", comme disent les leaders syndicaux. C'est un espace immense et hostile qui dévore le tiers de la vie d'un homme, une zone de bruit, d'angoisse et d'ennui, où il va falloir chaque jour se battre, attendre, rêver peut-être... Ces pages de solitude, de révolte, de secrète affection aussi, évoquent un monde totalement inconnu de la plupart d'entre nous. Parce qu'il n'arrive presque jamais, à cause du bourdonnement des machines et de la fatigue, qu'un ouvrier devienne écrivain.

vendredi 25 février 2011

Messire Dimitri

Yvette et Jules les poulets partent pour la première fois en vacances au bord de la mer. Une fois arrivés sur la plage, les consignes de la petite fermière sont claires : « Je ne veux voir personne s’éloigner de la plage, on ne va pas dans les rochers et, quand on n’a plus pied dans l’eau, on fait demi-tour et on revient… ». Mais Yvette et Jules vont désobéir et franchir les rochers pour trouver des coquillages. Quand la marée remonte, les petits poulets se retrouvent coincés par les flots. Ils devront leur salut à un albatros et à une baleine chanteuse…

A travers une histoire toute simple, Isabelle Bonameau embarque ses lecteurs dans une balade au long cours qui devrait les ravir. Ces poulets désobéissants sont accueillis avec une rare bienveillance par Dimitri, la baleine au grand cœur. Cette dernière symbolise le ventre maternel douillet et protecteur dans lequel rien ne peut arriver. Solidarité, entraide et gentillesse, voila en filigrane les thématiques abordées par ce petit texte.

Un titre idéal pour les enfants qui commencent à lire tout seul. La différence entre les dialogues et la narration est bien marquée tandis que l’interligne et la taille des caractères sont parfaitement adaptés. Un bémol toutefois, les nombreuses césures de mots en fin de ligne peuvent constituer un handicap pour ceux qui éprouvent encore quelques difficultés de déchiffrage.

Quoi qu’il en soit, les aventures maritimes d’Yvette et Jules devraient à n’en pas douter combler les amateurs de grand large.

Messire Dimitri d’Isabelle Bonameau, L’école des loisirs, 2011. 46 pages. 7,50 euros. A partir de 6 ans si on aime lire tout seul.



L’info en plus : Messire Dimitri est la troisième aventure des jumeaux Yvette et Jules. Les deux précédents, intitulés Le loup qui mangeait des bêtises et La soupe aux fraises sont parus respectivement en 2000 et 2007.