Affichage des articles dont le libellé est Challenge BD 2012. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Challenge BD 2012. Afficher tous les articles

vendredi 6 juillet 2012

Bec-en-Fer ou le Moyen âge en BD pour les jeunes lecteurs

Pesch © l'àpart 2012
Bec-en-Fer est un baron qui souhaite par tous les moyens faire disparaître son neveu le comte Phildor dont il est le seul héritier. Apprenant que Phildor va être présenté à la jolie damoiselle Bryndelhène en vue d’un mariage, le vil corbeau ourdit un plan diabolique pour empêcher que les noces se déroulent.

Il n’y a pas d’erreur dans la phrase précédente, j’ai bien dit corbeau. Car dans cette série animalière et moyenâgeuse qui a vu le jour dans les pages du Magazine Le Pèlerin en 1961, tous les personnages sont représentés sous les traits d’oiseaux. Créée par Jean-Louis Pesch, plus connu pour sa reprise de Sylvain et Sylvette,  Bec-en-fer est une BD historique pour jeunes lecteurs très documentée mais qui se singularise aussi par une bonne dose d’humour et de fantaisie. Secondé par Robert Philippe, directeur de l’institut d’histoire de l’université du Mans, le dessinateur ne lésine pas sur les détails : costumes, armes, harnachement des chevaux, architecture des bâtiments, tous ces éléments ont été réalisés à partir de documents iconographiques et littéraires de l’époque. Le cadre chronologique se résume à l’année 1412, au moment où Charles VI, sombrant dans la folie, laisse son royaume plonger dans la guerre civile entre bourguignons et armagnac. Pour contrebalancer le coté quelque peu scolaire de son propos, Pesch opte pour des dialogues empreint d’une certaine modernité. Il dresse également une galerie de personnages secondaires aussi loufoques que savoureux, notamment la sorcière Brandade, amoureuse transie de Bec-en-fer.

Beaucoup de points positifs donc, qui devraient faire de cette série cinquantenaire une très agréable publication jeunesse. Malgré tout, force est de reconnaître que les aventures du baron corbeau ont plutôt mal vieilli. Trop de texte, trop de récitatifs, trop de cases par planches, un découpage trop classique… Sans compter que certaines références apparaissent datées et ne parlent pas du tout aux enfants d’aujourd’hui (par exemple, présentant un troubadour fort célèbre à l’époque, la voix-off le compare à Pierre Dac dans l’émission "Les français parlent au français"). J’ai testé cet album sur ma fille de dix ans et elle a à peine lu les cinq premières pages avant de s’en désintéresser totalement. Même pour moi, la lecture a parfois été pénible. Il y a bien quelques calembours qui font sourire mais il faut avouer que même dans ce domaine, Pesch n’est pas à la hauteur du Goscinny d’Iznogoud.


Tout ça pour dire que si cette réédition pourra intéresser les sexagénaires désireux de relire une BD ayant bercé leur enfance, je doute fort que le jeune public d’aujourd’hui tombe sous le charme de cet irascible corbeau.

Bec-en-Fer T1 : Le complot de Bec-en-fer de Jean-Louis Pesch. L’àpart, 2012. 48 pages. 12,50 euros. Dès 9 ans. 

Pesch © l'àpart 2012

mercredi 20 juin 2012

Martha Jane Cannary 3 : Les dernières années (1877-1903)

Blanchin et Perrissin
© Futuropolis 2012 
« Ma vie… c’est un ramassis de malheurs et de catastrophes. Trop de choses dont je n’ai pas à être fière. Je préfère encore les ragots qu’on colporte à mon sujet. » Cette phrase résume tout le paradoxe et la complexité du personnage. Difficile de faire la part des choses entre Martha Jane Cannary et Calamity Jane. La première est une femme solitaire, dépressive, terriblement fragile. La seconde est un mythe, une image d’Epinal qu’elle a elle-même érigée et qui lui a permis de devenir une figure légendaire de l’ouest.

Ce troisième tome couvre les dernières années d’une vie trépidante. Sans le sou après la disparition du Pony Express, Jane enchaîne les petits boulots, noie son mal être dans l’alcool et multiplie les conquêtes d’un soir. Engagée pour raconter son histoire dans des spectacles itinérants, elle peine certains jours à monter sur scène. Invitée d’honneur des festivités d’Oelrichs City le 4 juillet 1887, elle passe la matinée à faire le tour des saloons et sombre dans un coma éthylique qui aurait pu lui être fatal. Elle décède en 1903, à 51 ans, désespérément seule. 
      
Au-delà du mythe, Perrissin et Blanchin ont tenté de rester au plus proche de la dure réalité. Fieffée menteuse, Calamity Jane aimait s’attribuer des aventures incroyables auxquelles elle n’avait jamais participé, pour le plus grand bonheur des chroniqueurs en mal de sensations fortes. La lecture intégrale de cette remarquable trilogie permet de comprendre comment le mythe s’est construit. Femme libre ayant transgressé les codes de son époque, elle apparaît aussi indépendante et courageuse que sentimentale avec ses nombreux amants. Coquette, elle ne dédaignait pas les belles toilettes et ne s’habillait en homme que lorsqu’elle devait monter à cheval. Sans jamais l’idéaliser, les auteurs montrent avec brio comment elle a pu passer aux yeux de la majorité pour une héroïne flamboyante alors que ceux qui la connaissaient vraiment ne voyaient en elle qu’une vulgaire mythomane analphabète et alcoolique.

Aux pinceaux, Mathieu Perrissin fait encore des merveilles. Ses lavis aux tons sépia sont toujours aussi expressifs et l’ambiance qu’il parvient à distiller tout au long de l’album colle parfaitement à l’époque.
Personnage indomptable, Martha Jane Cannary restera à jamais cette femme éprise de liberté dans un monde où les hommes régnaient en maîtres. Une excellente biographie, idéale pour découvrir cette icône attachante en diable.             


Martha Jane Cannary T3 : Les dernières années (1877-1903) de Matthieu Blanchin et Christian Perrissin. Futuropolis, 2012. 110 pages. 22,50 euros.


Blanchin et Perrissin © Futuropolis 2012



vendredi 8 juin 2012

Toby mon ami

Panaccione © Delcourt 2012
Toby est un chien. Toby aime se balader dans la nature et marquer son territoire. Toby n’aime pas les chats ni le facteur. Toby a un maître, un artiste peintre sans le sou. Toby aime son maître. Surtout, il aime voir sa gamelle se remplir régulièrement. Il se fait d’ailleurs un point d’honneur à la vider avec le plus bel entrain. Toby est donc un chien qui a une vie de chien simple et heureuse, ni plus, ni moins.


C’est tout le problème avec cet album sans texte. Il n’est ni plus ni moins bon qu’un autre. Grégory Panaccione est un dessinateur italien ayant œuvré dans l’animation, notamment sur le film Corto Maltese. Il propose ici un univers graphique tout simple aux couleurs douces. Un joli travail à l’aquarelle et un trait dynamique qui retranscrit avec fidélité les différentes attitudes du chien. Petit bémol, le découpage en gaufrier de six cases par planches se révèlent au final assez monotone et sans grande originalité.

Le souci c’est que l’on referme ce petit volume en se disant qu’il risque d’être aussi vite lu qu’oublié. J’aime beaucoup la BD sans texte, c’est une forme d’expression extrêmement difficile car en s’affranchissant du texte l’auteur doit déployer des trésors d’ingéniosité pour donner à son histoire une lisibilité irréprochable. Ici, l’exercice est parfaitement réussi, c’est incontestable. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit justement d’un exercice de style et rien de plus. Une sorte de travail d’étude réalisé par un excellent élève mais qui n’a pas forcément vocation à être publié. Dans la période de surproduction actuelle, Toby mon ami n’est qu’un album parmi tant d’autres. Je serais tenté de le qualifier de « dispensable » même si le travail de Grégory Panaccione mérite évidemment le plus grand respect.

Toby mon ami de Grégory Panaccione. Delcourt, 2012. 144 pages. 14,30 €.



Panaccione © Delcourt 2012

mercredi 6 juin 2012

Lorna : Heaven is here

Brüno © Treize étrange 2012
Une femme géante de 40 mètres de haut qui se balade à poil. Une pilule magique qui agrandit de manière substantielle la taille du pénis. Un virus boosté à l’ADN de tarentule qui transforme les humains en monstres incontrôlables. Un alien qui veut faire des terriens ses amis et une actrice porno au sommet de sa gloire. Il y a tout ça dans Lorna, le dernier album de Brüno. Franchement, pas besoin d’en dire plus au sujet de l’histoire, il me semble que les quelques arguments déclinés ci-dessus devrait suffire à convaincre les plus réticents. Qui a dit que ça ressemblait à du grand n’importe quoi ? Le dessinateur d’Atar Gull assume. Son but était de rendre au hommage à l’émission Cinéma de quartier de Jean-Pierre Dionnet et à tous ces films de série B réalisés avec des bouts de ficelle. Mélangeant allègrement SF, horreur, porno et road-movie, Brüno se lâche.

Entre improvisation et exercice de style, le dessinateur marche sur un fil et frôle à plusieurs reprises la correctionnelle. Mais sa maîtrise de la narration lui permet de récupérer le coup à chaque fois que le récit s’apprête à sombrer dans le ridicule le plus complet. Surtout, graphiquement, l’ensemble tient sacrément la route. La bichromie d’orange et de noir se révèle beaucoup moins agressive pour la rétine que l’on pourrait le croire. Et si le trait est plus relâché que dans ses albums précédents, sa patte assez unique garde un charme vintage qui, personnellement, me ravit.

Un hommage à la contre-culture US et au cinéma populaire à réserver aux fans du genre. Pas sûr que l’on tienne là un best-seller en puissance mais en même temps, on s’en tape un peu. De toute façon, avec une couverture pareille, je ne pouvais pas passer à coté de cet album !

Lorna : Heaven is here de Brüno. Treize étrange, 2012. 150 pages. 17,25 euros.


Brüno © Treize étrange 2012

jeudi 31 mai 2012

Puella Magi Madoka Magica 1

Hanokage © Doki Doki 2012
Madoka, élève de 4ème tout à fait banale, rencontre un jour une mystérieuse créature prénommée Kyubey. Cette dernière propose à la jeune fille de lui accorder un vœu. En contrepartie, Madoka deviendra une magicienne et devra lutter contre de terribles sorcières qui tourmentent le quotidien des humains. Ne sachant comment réagir, Madoka tarde à accepter le pacte. D’une part, elle ne sait pas quel vœux formuler et d’autre part, la mise en garde d’une de ses nouvelles camarades de classe l’interpelle au plus haut point : « Ne cherche surtout pas à devenir quelqu’un d’autre sinon tu perdras tout ce qui t’est cher. » Comprenant que la décision qu’elle s’apprête à prendre risque de bouleverser sa vie, elle hésite longuement…

Adapté d’une série animée en 12 épisodes ayant connu un énorme succès lors de sa diffusion à la télévision début 2011, ce manga en 3 volumes s’est payé le luxe de devancer des poids lourds tels que Bleatch ou Naruto lors de sa publication au Japon.

Pour moi, un manga estampillé « Magical Girl » est un titre dans lequel des jeunes filles aux costumes improbables se voient dotées de pouvoirs magiques et luttent avec malice contre les forces du mal. Sailor Moon, en gros (en même temps, c’est la seule série de ce type que je connaisse vraiment). Loin de l’univers acidulé et kawaï des classiques du genre, Puella Magi Madoka Magica apparaît au final bien plus sombre et torturé. Les enjeux sont pour les héroïnes plus complexes que le simple fait de devenir une « magical Girl ». Leur nouveau statut met réellement leur vie en danger et surtout le pacte passé avec le gentil Kyubei (qui ne l’est d’ailleurs peut-être pas tant que ça) implique des sacrifices et des contraintes dont elles sont loin d’imaginer la réelle portée. Quelque part, ce type de récit très balisé semble, grâce à cette série, passer à l’âge adulte. Fini les bluettes et la frivolité, place à la noirceur et à une lutte sans merci contre des sorcières qui répandent le désespoir et poussent les gens au suicide. Du lourd, quoi, même si le début de l’intrigue peut laisser croire que l'on reste dans de l’ultra classique.

Le dessin, sans être révolutionnaire, reste fin et précis. Autre point non négligeable, les différents protagonistes se reconnaissent au premier coup d’œil, ce qui est loin d’être toujours le cas avec des mangas de ce type.

Bref, pour moi qui ne suis pas, mais alors pas du tout, le public cible, ce premier volume a constitué une très agréable surprise. Sachant qu’il n’y aura en tout que trois tomes, je pense que je vais avec plaisir suivre les aventures de Madoka et de ses consœurs jusqu’à leur terme.


Puella Magi Madoka Magica T1 de Hanokage. Doki Doki, 2012. 144 pages. 7,50 euros.


Hanokage © Doki Doki 2012

mercredi 30 mai 2012

Koma : l'intégrale

Wazem et Peeters
© Humanoïdes associés 2010 
Addidas est la fille d’un ramoneur. Elle aide souvent son père lorsqu’il ne peut accéder aux conduits les plus étroits. Frappée par un mal étrange, il lui arrive régulièrement de perdre conscience sans raison pendant quelques minutes. Personne ne semble capable d’expliquer ces « absences » qui deviennent de plus en plus régulières. Un jour, alors qu’elle se trouve au fond d’une énorme cheminée, la petite fille tombe nez à nez avec une drôle de créature, sorte de géant aux bras simiesques. Attendrie par ce monstre implorant son aide, Addidas décide de rester à ses cotés. Cette rencontre va être le point de départ d’une aventure hors du commun…

Koma est une série inclassable dont il est très difficile de parler. Une fois de plus je me suis laissé influencer par les avis lu ici et là sur la toile et une fois de plus, j’ai bien fait. Wazem et Peeters ont créé un univers aussi improbable qu’envoutant. Le lecteur est pris par la main dès la première planche et il embarque pour une virée onirique finalement assez avare de dialogues. Le rythme est lent, l’histoire semble tenir en équilibre sur un fil prêt à rompre et à l’entraîner dans les méandres d’un récit devenant totalement incompréhensible. Pourtant, tout se tient, la cohérence finit par s’imposer. Il y a dans Koma une forme de poésie assez sombre, digne des plus beaux contes victoriens.

Les six tomes de la série ont été publiés à l’origine en couleur mais cette intégrale est entièrement en noir et blanc. J’avoue que je ne m’en plains pas, bien au contraire. Le trait de Peeters est pour moi définitivement fait pour le noir et blanc. Son encrage épais, tout en souplesse et en élégance, colle à merveille à l’ambiance dans laquelle évoluent les protagonistes. L’autre avantage de cette intégrale c’est qu’elle permet de constater à quel point l’histoire tient en un seul bloc. Il n’y a aucune séparation lorsque l’on passe d’un tome à l’autre et on a vraiment l’impression de lire un épais roman graphique qui ne peut en aucun cas être « découpé » en tranches.

Koma est un petit bijou dont la lecture (en intégrale et en noir et blanc !) devrait à l’évidence ravir une majorité de lecteurs, qu’ils soient petits ou grands.


Koma : l’inétgrale de Pierre Wazem et Frederik Peeters. Les Humanoïdes associés, 2010. 280 pages. 25 euros.

Les avis de Mo', Choco, Yvan, David, Champi
 

Wazem et Peeters © Humanoïdes associés 2010 
 

lundi 28 mai 2012

La famille Passiflore revient en BD !

Jouannigot © Dargaud 2012
La famille passiflore est une série de livres pour enfants créée par Geneviève Huriet et Loïc Jouannigot en 1987. Racontant l’histoire d’une fratrie de lapins entourés de leur père et de leur tante Zinia, cette série a connu un énorme succès et a été adapté en dessin animé pour la télévision en 2001. Alors que leur dernière aventure datait de 2006, les Passiflore reviennent aujourd’hui par l’intermédiaire de la bande dessinée. Loïc Jouannigot signe ici les textes et les dessins.


Afin de préparer en secret la fête d’anniversaire de Dentdelion (le petit dernier de la famille), tante Zinia l’expédie au jardin avec son grand frère Mistouflet. Mais pendant que les préparatifs battent leur plein à la maison, un drame se noue au milieu des légumes : la vilaine tortue Atalante vole le doudou de Dentdelion et refuse de lui rendre. Une véritable tragédie pour le petit lapinot...

Quel bonheur de retrouver la Famille Passiflore ! J’ai lu les albums à mes filles un nombre incalculable de fois et ma femme est totalement fan du dessin animé. Le fait de voir la série revenir sous forme de bande dessinée est une énorme satisfaction. L’univers doucereux est respecté à la lettre : gentillesse, altruisme, solidarité familiale, ambiance champêtre et bucolique, tout y est. Surtout, Loïc Jouannigot peut enfin laisser libre cours à son incroyable talent. Cet artisan du dessin, méticuleux en diable, ne transige pas sur la qualité. Les cases sont grandes et fourmillent de détails et les mimiques des animaux qu’il met en scène sont tout simplement impayables. Du grand art !

Digne héritier de Michel Plessix (Le vent dans les saules), Jouannigot propose aux plus jeunes lecteurs une entrée en douceur dans le monde de la bande dessinée. Un magnifique album à ranger dans la bibliothèque des enfants au coté de la non moins superbe série de Brigitte Luciani et Eve Tharlet, Monsieur Blaireau et Madame Renarde.

La famille Passiflore T1 : L’anniversaire de Dentdelion de Loïc Jouannigot. Dargaud, 2012. 32 pages. 9,99 euros. A partir de 5 ans.


Jouannigot © Dargaud 2012

mercredi 23 mai 2012

Fables scientifiques

Cunningham © çà et là 2012
Vous y croyez, vous, à l’homéopathie ? Et la chiropraxie, ça vous dit quelque chose ? Et le ROR (vaccin Rougeole, Oreillon, Rubéole) qui serait source d’autisme chez de nombreux enfants, fantasme ou réalité ? Dans d’autres domaines, nombreux sont ceux qui n’hésitent pas à remettre en cause la réalité du réchauffement climatique ou l’évolution des espèces.

Darryl Cunningham déconstruit un à un les arguments pseudo-scientifiques avancés par les tenants du sensationnalisme, les corporatistes et autres conspirationnistes. Défendre la science contre les mensonges, les mythes et autres théories fumeuses avancées sans aucune rationalité, tel est le combat de cet artiste anglais inclassable.
    
Le journalisme d’investigation en bande dessinée, ce n’est certes pas une nouveauté. Mais Darryl Cunningham a choisi un angle d’attaque original. Ce recueil d’articles tient peut-être davantage de la BD documentaire. Au cœur de son argumentation, l’esprit critique érigé en processus de réflexion incontournable et une évidence indiscutable : la science avance en fonction des preuves. Pour chaque chapitre, l’auteur étaye son propos de  témoignages, de recherches approfondies et de nombreuses sources puisées dans des publications scientifiques renommées. Pour autant, l’ensemble reste très digeste et compréhensible par tous, même les moins férus de science (j’en suis la meilleure preuve !).

Sans rentrer dans des querelles de chapelle, Cunningham s’appuie uniquement sur le processus scientifique, cette méthode permettant d’organiser le savoir sous forme d’explications fiables, vérifiables et surtout résistant à l’épreuve du temps. Refusant de se poser en donneur de leçon omniscient, il concède dans la postface : « J’ai pris des positions assez tranchées dans les chapitres de ce livre, mais j’aime à penser  que je serais assez fort pour changer d’avis sur chacun de ces sujets si des preuves se présentaient. C’est une porte qui doit rester ouverte en permanence. » C’est ce qui pour moi crédibilise l’ensemble de sa démarche.

N’en déplaise aux sceptiques, aux tenants des médecines parallèles et autres créationnistes, la lecture de ce plaidoyer pro-science apparaît comme un brillant exercice de vulgarisation où se conjuguent rigueur, humour et une indéniable inventivité graphique.   

Un grand merci aux éditions ça et là et à Libfly pour la découverte.


Fables scientifiques de Darryl Cunningham. Éditions Çà et là, 2012. 158 pages. 18 euros.

Cunningham © çà et là 2012




mercredi 16 mai 2012

Anuki 2 / Hugo et Cagoule : l'art de la BD sans texte

Dauvillier Lizano Sénégas Maupomé © La Gouttière 2012 
Après les poules, les castors ! Anuki le petit indien est de retour. Attiré par de succulentes baies rouges, il tente de cacher sa découverte aux copains mais ces derniers ne vont pas le laisser se régaler tout seul. Sacrée bagarre en perspective ! Et les castors me direz-vous ? Et bien disons qu’il vaut mieux éviter de les embêter si l’on ne veut pas subir leurs foudres…

Pour le petit Hugo et son chat Cagoule, la balade au jardin se transforme en jeu de cache-cache. Avec un peu d’imagination, ils vont tour à tour dresser le portrait de l’autre avec quelques éléments recueillis dans la nature. Le Land Art, çà vous dit quelque chose ?

Encore deux albums délicieux qui viennent enrichir le catalogue des éditions de la Gouttières. Deux albums sans texte très différents l’un de l’autre, tant au niveau du fond que de la forme.

Anuki, pour sa seconde aventure, reste un indien facétieux et gaffeur. Prêt à tout pour parvenir à ses fins, il n’hésite pas à prendre des risques quitte à se retrouver dans des situations très périlleuses. Courageux et jamais à court d’idée, c’est un gamin moderne et plein de vie. A noter que comme dans le premier volume, l’histoire se termine sur une note d’altruisme bienvenue. Aux pinceaux, Stéphane Sénégas se lance dans un découpage toujours aussi pêchu. Très peu de décor, toute l’attention du lecteur se focalise sur l’enchaînement des mouvements. L’ensemble est facile à suivre et certains passages sont très drôles.

Hugo et Cagoule semble s’adresser à un public plus jeune. Loïc Dauvillier e Marc Lizano ont privilégié la tendresse, la douceur et un soupçon de poésie. Les cases sont beaucoup plus grandes, le cheminement des deux protagonistes est très linéaire, ce qui facilite la compréhension. La construction de l’album en miroir (deux situations identiques se réproduisent avec un personnage différent) donne un effet de répétition qui éclaircit le sens de l’histoire.

Pourquoi faire lire une BD sans texte aux enfants me direz-vous ? Tout simplement parce que cela participe à la construction de leur identité de lecteur. Par exemple, si tous peuvent décrire une image, bien peu comprennent le sens de la succession des images sans texte. N’oubliez jamais que voir n’est pas lire. Le travail intellectuel demandé à l’enfant lorsqu’il lit un tel album est d’une grande complexité. Il lui faut en effet identifier puis mettre en relation les indices prélevés, appréhender le ou les temps de l’album, structurer l’espace du livre et s’y repérer, connaître le code de l’image et interpréter son rapport spécifique au sens pour construire la logique du récit. Vous avez dit complexe ? Bien sûr, lorsqu’il a l’ouvrage sous les yeux, le petit bout ne se pose pas toutes ces questions. Mais à l’usage, que constate-t-on ? Souvent, il doute de son interprétation car l’absence de texte est source de polysémie. D’où l’importance de la lecture active et répétée qui permet, grâce au questionnement et au décodage, de résoudre les problèmes de sens.

Ces deux nouveaux albums sont parfaits pour faire découvrir aux plus petits les charmes de la BD sans texte. En s’identifiant aux personnages (rien de plus simple dans le cas d’Anuki et d’Hugo) ils vont se projeter dans les différentes situations et pouvoir ouvrir les voies de l’abstraction et de la compréhension. Tout ça pour dire que si vous mettez ces albums entre les mains de vos chères têtes blondes, vous allez à coup sûr faire des heureux. Chez moi en tout cas, l’enthousiasme a fait plaisir à voir !

Anuki T2 : La révolte des castors  de Stéphane Sénégas et Frédéric Maupomé. La Gouttière, 2012. 40 pages. 9,70 euros.

Hugo et Cagoule  de Marc Lizano, Loïc Dauvillier. La Gouttière, 2012. 40 pages. 9,70 euros.

Sénégas et Maupomé © La Gouttière 2012 

Dauvillier et Lizano © La Gouttière 2012 



mercredi 2 mai 2012

Durango : l'intégrale

Swolfs © Soleil 2012
Durango est un héros de papier de ma jeunesse (de mon adolescence plus précisément). Avec lui, j’ai chevauché les plaines du Wyoming et de l’Utah, j’ai erré dans le désert d’Arizona, j’ai franchi les portes de saloon cradingues empestant la fumée et la sueur, j’ai descendu un nombre incalculable de salopards et j’ai couché avec quelques femmes de petite vertu. Archétype du cow-boy solitaire, Durango est un « nettoyeur ». C’est le gars que l’on appelle en toute dernière extrémité quand il n’y a plus moyen de faire autrement. Parce que l’on sait qu’avec lui dans les parages, les cadavres vont s’amonceler. Attention, Durango n’est pas un tueur à gage. Il ne défouraille qu’en état de légitime défense. Avec son chapeau, sa longue veste, son colt allemand, sa barbe de trois jours et ses magnifiques yeux verts, Durango est une icône. Un cow-boy taciturne et froid comme une lame dont j’ai lu et relu les aventures des dizaines de fois.

En ce printemps 2012, les éditions Soleil ont la bonne idée de publier une intégrale consacrée au héros de Swolfs. L’occasion de (re)découvrir les quatre premiers volumes d’une saga devenue mythique pour beaucoup de lecteurs. Dans le tome 1, en plein hiver, Durango va venger la mort de son frère. Dans le second, il viendra en aide à un village incapable de se défendre face à une horde de bandits sans pitié. Dans le troisième, pris au piège d’une diabolique machination et accusé à tort de meurtre, il va défendre son innocence à sa manière, c'est-à-dire dans un bain de sang. Enfin, dans le quatrième, il va s’associer à un mexicain trafiquant d’armes pour échapper à des chasseurs de prime.

Fortement inspirée des westerns spaghettis à la Sergio Leone, Durango est une œuvre violente, sans concession. Un hommage au genre d’une redoutable efficacité avec une intrigue souvent minimaliste et linéaire dont le seul but est de mettre en scène de sanglantes fusillades très chorégraphiées. Bien sûr, on peut considérer que Swolfs n’a rien inventé. Le raccourci avec Blueberry notamment semble à première vue évident. Et pourtant. A l’époque de Blueberry, la censure faisait rage et la violence devait rester très modérée. Dans Durango, les barrières sont tombées. Le sang gicle, les cadavres sont montrés en gros plan et les filles faciles sont nues.

Il faut par ailleurs reconnaître que le charme de la série tient pour beaucoup dans le trait de Swolfs. Quels réalisme, quel souffle, quelle maîtrise du découpage ! La fluidité des scènes d’action est à montrer dans les écoles de dessin. Du grand art !

Bon vous aurez compris que je ne suis pas objectif parce que je suis fan. On a bien le droit de temps en temps de se laisser aller à vanter les mérites d’une série que l’on adore sans forcément trouver les arguments les plus convaincants de la terre. Je dis juste ça en passant, au cas où une personne découvrant ce billet franchisse le pas et soit déçue par sa lecture. C’est une éventualité dont je n’assumerais pas la responsabilité, je vous préviens !!


Durango, intégrale T1 de Yves Swolfs. Soleil, 2012. 194 pages. 29.95 euros.


Swolfs © Soleil 2012



vendredi 27 avril 2012

Seuls 7 : Les terres basses

Vehlmann et Gazzotti
© Dupuis 2012
Tadam ! Je vous avais déjà fait le coup il y a quelques temps avec Ernest et Rebecca. En tant qu’abonné au magazine Spirou, je reçois mon exemplaire une semaine à l’avance. Et dans le numéro daté du 2 mai, c’est le grand retour de Seuls !
A la fin du sixième volume, une partie de la ville s’est enfoncée. Les enfants sont maintenant prisonniers de la zone rouge et doivent à tout prix trouver un moyen d’escalader la falaise de gravats qui les entoure….
Onze planches seulement dans cette première livraison, la prépublication de l’ensemble de l’album devant s’étaler sur six semaines. Bon je ne vais pas spolier plus que ça mais disons que ça démarre sur les chapeaux de roue : la tension entre Saul et Dodji est encore très palpable, une créature étrange apparaît et la série prend quelques airs de Walking dead…
  
Toujours aussi bien foutue, quoi. Vivement donc le 1er juin et la sortie officielle de l’album. D’ici là je vais guetter avec impatience mon Spirou chaque semaine dans la boîte aux lettres.

Seuls T7 : Les terres basses  de Fabien Vehlmann et Bruno Gazzotti. Dupuis, 2012. 46 pages. 10.60 euros. 

Vehlmann et Gazzotti © Dupuis 2012

mercredi 25 avril 2012

L’homme qui marche

Taniguchi © Casterman 2012
L’homme qui marche, c’est l’histoire d’un homme… qui marche. Il marche en promenant son chien, il marche en rentrant du bureau, il marche sous la pluie, il marche quand il fait nuit, il marche dans la ville après une tempête, bref, il marche tout le temps. Quoi d’autre me direz-vous ? Et bien rien, strictement rien. Il marche, un point c’est tout.
  
Pourquoi j’adore ce manga ? Parce qu’il ne s’y passe rien justement. C’est le registre de Taniguchi que je préfère, celui de l’intime et du contemplatif, de la solitude et de l’oisiveté. Marcher sans but, se perdre dans une flânerie où le chemin compte plus que la destination, c’est une attitude qui me parle. Je suis moi-même un gros marcheur. Pas de voiture, pas de transport en commun. Je marche pour aller ou pour revenir du boulot quel que soit le temps. J’adore marcher dans le froid glacial ou sous le soleil radieux de l’été. Même marcher sous la pluie ne me déplait pas. Alors oui, ce personnage de marcheur solitaire me plait. J’aime sa simplicité, le coté méditatif de sa marche, son sens de l’observation, le fait qu’il prenne son temps, qu’il ne se balade pas avec des écouteurs sur les oreilles ou les yeux rivés à l’écran de son smartphone. 

Le trait du mangaka est pour beaucoup dans le charme qui se dégage de ce titre. Les décors sont magnifiques de précision, les perspectives, nombreuses, sont d’une grande minutie. L’attention portée aux expressions du visage est également à signaler. Tout est dit dans ce port de tête légèrement incliné vers le haut, ce regard pétillant du marcheur attentif à l’environnement qui l’entoure.

Grâce à cette réédition somptueuse célébrant les 10 ans de la collection Écritures de Casterman, ce volume entre enfin sur les rayonnages de ma bibliothèque. L’objet en lui-même est magnifique : un tirage limité à 3000 exemplaires avec couverture imprimée sur papier métallique, tranche-fil, signet et bord des pages dorées (je vous avais parlé de cette opération anniversaire ici). Petit bémol tout de même pour les collectionneurs obsédés par l’état parfait des BD qu’ils achètent (ce n’est pas mon cas mais ils sont plus nombreux qu’on ne le croit) : la couverture métallique est tellement fragile qu’elle marque au moindre petit coup. Chez mon libraire, aucun exemplaire n’était exempt de défaut (trace de frottement ou léger enfoncement). Bon courage, donc si vous vous lancer dans la quête d’un volume à l’état absolument impeccable ! Si vous êtes moins pointilleux et que cet inclassable manga vous tente, laissez vous embarquer, vous ne devriez pas le regretter.        
  

L’homme qui marche, de Jirô Taniguchi. Édition spéciale, Caterman 2012. 155 pages. 18.50 euros.  


Taniguchi © Casterman 2012






vendredi 20 avril 2012

Jamestown

Hittinger © The Hoochie Coochie 2007
Décembre 1606. Trois navires quittèrent Londres avec pour mission d’établir une colonie en Amérique du Nord. Trois cents hommes en tout, espérant que cette aventure leur permettrait de faire fortune rapidement. Parmi eux, le capitaine John Smith, un officier expérimenté ayant notamment prouvé sa bravoure en méditerranée. Après quelques escales aux Antilles, les navires remontèrent toujours plus vers le nord. C’est finalement le 24 mai 1607, sur les cotes de la Virginie que fut officiellement fondée la colonie de Jamestown, baptisée ainsi en l’honneur du roi James. Jusqu’à son retour forcé en Grande Bretagne à l’automne 1609, John Smith fut un des membres les plus importants de la communauté. Aujourd’hui encore, il reste considéré comme un héraut de la colonisation anglaise en Amérique du Nord.

Le projet de Chrisopher Hittinger était au départ assez simple. Son but ? Raconter l’aventure de Smith et de ses camarades en respectant au maximum la réalité historique, loin de toutes les versions romancées proposées habituellement. Certes, Smtih a rencontré Pocahnontas. Il se pourrait même qu’elle lui ait sauvé la vie. Mais point d’histoire d’amour entre eux, on n’est pas chez Disney !

L’histoire de Jamestown, c’est celle d’une installation éprouvante pour des hommes pas du tout préparés à affronter un tel environnement. Il y a d’abord eu la difficile cohabitation avec les indiens, ponctuée d’épisodes très violents. Puis survinrent les dissensions internes, la maladie, la faim, la rudesse du climat… Pour couronner le tout, un incendie ravagea la ville.

L’auteur insiste sur les luttes intestines qui ont gravement mis en danger la cohésion du groupe et sur l’attitude ambiguë des colons vis-à-vis des autochtones. Smith, notamment, n’hésitait pas à utiliser la force si nécessaire et il savait par ailleurs faire preuve de bonne volonté lorsque cela s’avérait utile, surtout quand il avait besoin de indiens pour se procurer de la nourriture. Vous avez-dit opportuniste ?

La vraie originalité de l’album réside dans le style très particulier de l’auteur, fortement influencé par l’œuvre d’Edward Gorey, un illustrateur américain proche des surréalistes. L’éditeur qualifie à juste titre ce style « d’allégorique ». Plutôt que de proposer un trait ultra-réaliste, Hittinger donne à chaque personnage une forme très particulière (voir extrait ci-dessous). Rajouter à cela une absence totale de dialogues (les événements sont uniquement relatés dans des récitatifs), un découpage se limitant à des doubles illustrations pleine page ainsi qu’une utilisation du noir et blanc plutôt anxiogène et vous vous retrouvez avec une sorte d’OVNI inclassable d’un point de vue graphique.

Je ne suis d’ordinaire pas fan de la BD underground, je préfère de loin le classicisme aux expérimentations parfois incontrôlables. Je me suis donc surpris à éprouver un réel plaisir à la lecture de cet album. Sans doute parce que le sujet m’a beaucoup intéressé mais aussi parce que, malgré les apparences, il se dégage du dessin une surprenante cohérence.

Un grand merci à Libfly et à The Hoochie Coochie pour la découverte.


Jamestown, de Chritopher Hittinger, Éditions The Hoochie CoochieAlbin, 2007. 232 pages. 20 euros.



Hittinger © The Hoochie Coochie 2007


Hittinger © The Hoochie Coochie 2007

jeudi 19 avril 2012

Les schtroumpfs 30 : Les schtroumpfs de l’ordre

Peyo et Culliford © Le Lombard 2012
Ceux qui passent régulièrement par ici connaissent ma passion pour les schtroumpfs. J’en ai déjà parlé ici, , , , et . Comme chaque année dès que le printemps arrive, je file chez mon libraire acheter le nouvel album. Pour le 30ème volume, Thierry Culliford, le fils de Peyo, a choisi de faire rentrer les forces de l’ordre dans le village des schtroumpfs.

Lassé de devoir régler les petites querelles quotidiennes qui empoisonnent la vie de la communauté, le grand schtroumpf décide de rédiger un livre des lois. Tous les habitants sont invités à participer à la création de ce « code schtroumpf de bonne conduite ». Chacun voyant midi à sa porte, les petits hommes bleus transforment le code en une longue liste d’interdictions : pour le schtroumpf jardinier, il faudrait interdire la traversée de son champ. Pour le pêcheur, il faudrait interdire de « schtroumpfer n’importe quoi dans la rivière » alors que pour le paresseux, il faudrait interdire de faire du bruit pendant sa sieste. Au final, le code schtroumpf s’apparente à une longue liste d’interdits. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres et l’application du code s’avère bien plus délicate que sa rédaction. D’où la décision de créer des « schtroumpfs de l’ordre » chargés de faire appliquer les lois...

Comme d’habitude depuis maintenant quelques albums, Culliford s’amuse à brocarder les travers de notre société en les appliquant à l’univers des schtroumpfs. Après les superstitions, le tourisme de masse et le machisme, place au « tout sécuritaire ». Rien de bien original au fond même si le traitement humoristique de la question rend la lecture plutôt légère. Sans évidemment exprimer une quelconque position politique, le scénariste égratigne à la fois la police et les schtroumpfs lambda, décrits comme râleurs, égoïstes et procéduriers. Une simple transposition des travers humains qui se révèle au final assez fade.

Pour valider mon impression mitigée, j’ai donné l’album à un juge aussi impartial qu’impitoyable, ma fille de 9 ans. Elle a eu une attitude que je trouve assez saine quand je lui propose une lecture, à savoir qu’elle est toujours partante pour se lancer sans à priori mais qu’elle parvient très rapidement à se forger un avis. En fait, il n’y a que deux solutions : ou bien le livre lui plaît et elle le dévore, ou bien elle n’accroche pas et elle l’abandonne comme une vieille chaussette pour passer au suivant. C’est assez radical et je ne doute pas qu’en grandissant elle saura faire preuve de plus de mesure mais pour l’instant son attitude face à la lecture me convient. Bref tout ça pour vous dire que ces « schtroumpfs de l’ordre » n’ont pas fait long feu. A peine 20 pages avant qu’elle ne revienne vers moi en prononçant la sentence définitive : « Tiens, je te le rends, j’aime pas. » Je ne fais pas partie (loin de là !) de ceux qui pensent que la vérité sort de la bouche des enfants mais pour le coup je ne suis pas loin d’être d’accord avec elle : le 30ème album des schtroumpfs est un petit cru qui tombe dans une coupable facilité et n’apporte strictement rien de nouveau à la série.

Mais bon, je ne suis pas rancunier et je serais fidèle au rendez-vous l’année prochaine pour découvrir la nouvelle aventure des petits hommes bleus.

Les schtroumpfs T30 : Les schtroumpfs de l’ordre de Culliford, Jost et De Coninck. Le Lombard, 2012. 48 pages. 10,60 euros.


Peyo et Culliford © Le Lombard 2012


mercredi 18 avril 2012

O’Boys 3 : Midnight Crossroad

Cuzor et Colman © Dargaud 2012
Huck et Charley étaient partis pour la Californie. Le gamin blanc s’était fait passer pour mort afin d’éviter un placement en famille d’accueil et le journalier noir, accusé à tort de meurtre, cherchait à échapper au terrible shériff Bisley. Mais en chemin leurs routes se sont séparées. Charley a vendu son âme au diable pour devenir Lucius no Fingers, un joueur de blues incroyablement talentueux, et il a quitté Huck pour se lancer dans une carrière musicale des plus aléatoires. Incapable d’imaginer la vie sans son ami, le jeune garçon, accompagné de la jolie Suzy, retrouve sa trace à Memphis mais il découvre que Bisley et ses sbires sont eux aussi à la recherche de Charley et veulent le récupérer plutôt mort que vif…

Enfin ! Après trois ans d’attente, Steve Cuzor clôt la première partie de cette série ô combien prometteuse. S’il a perdu en route son co-scénariste Philippe Thirault, remplacé par Stépan Colman, il ne s’est pas pour autant écarté de son objectif de départ, à savoir transposer l’histoire d’Huckleberry Finn dans l’Amérique des années 30. Ce troisième volume laisse de coté l’univers ferroviaire des hobos et recentre l’intrigue dans un décor purement urbain. Au menu, l’envoutante Memphis : « point de liaison entre le Sud sauvage et le Nord paternaliste, c’était d’ici que partaient tous les trains musicaux, blues, jazz, swing, western-counrtry… Memphis allait également inventer le barbecue, les supermarchés, les chaines hôtelières, les transports express et la nostalgie infinie… » Pour Huck, la visite de la ville va se circonscrire aux quartiers noirs et aux junk joints, ses bouges infâmes où les musiciens de passage jouaient chaque soir pour quelques dollars et où l’alcool coulait à flot. Cette Amérique de la grande dépression est ici parfaitement retranscrite par le trait dense et précis de Cuzor. Il me rappelle encore et toujours par moments le Blueberry de Giraud, ce qui est quand même LA référence ultime. En dehors du dessin, l’autre qualité majeure de l’album (selon moi) réside dans le clin d'oeil fait à l'histoire du légendaire bluesman Robert Johnson. Charley vend son âme au diable et cherche le Crossroad, ce carrefour mythique où l’on doit faire des choix qui vont sceller notre destin. Selon la légende, Robert Johnson aurait rencontré le malin alors qu’il s’était assoupi au bord d’un Crossroad. Une entité surgit de nulle part lui apparut et, en échange de son âme, elle accorda sa guitare. Suite à cette rencontre, Johnson, musicien sans talent, devint l’un des plus grands bluesmen de tous les temps. Mais quand on passe un tel pacte, il faut s’attendre à payer l’addition un jour ou l’autre. Charley, comme Robert Johnson (empoisonné par un mari jaloux, il mourut dans d’atroces souffrances), l’apprendra bien assez tôt…

L‘ambiance et les références à la musique, voila tout ce que je retiendrais de cet album. Pour le reste, la platitude de l’intrigue est flagrante et les personnages (notamment Huck) n’attirent aucune empathie particulière, contrairement aux volumes précédents. J’ai survolé les événements sans jamais me sentir vraiment concerné. Une impression assez désagréable, heureusement en partie compensée par la qualité du dessin.

Il n’empêche, cette fin de cycle est pour moi une déception. C’était bien la peine d’attendre si longtemps !

Mon avis sur le tome 2.


O’Boys T3 : Midnight Crossroad, de Steve Cuzor et Stéphan Colman. Dargaud, 2012. 56 pages. 14 euros.


Cuzor et Colman © Dargaud 2012


Allez, pour ne pas finir sur une fausse note, je vous propose d’écouter Rambling on my mind version Robert Johnson, un enregistrement datant de 1936. Clapton a repris ce titre sur son album Blues Breakers.





 
 
 
 



 

jeudi 12 avril 2012

Ariol, Ariol, Ariol !

Guibert et Boutavant © Bayard
Ariol, c’est le copain que tous les enfants rêvent d’avoir. Farceur, joueur, parfois chahuteur, fidèle en amitié, jamais méchant, il a tout pour plaire. Et ce n’est pas ses parents qui diront le contraire. Eux aussi adorent ce petit âne malicieux. Dans chaque volume sont regroupées des historiettes d’une dizaine de pages abordant tous les sujets : Ariol à l’école, Ariol à la maison, Ariol dans la rue, Ariol en vacances, Ariol avec ses grands-parents… Les petits bouts peuvent sans problème se projeter dans les situations imaginées par les auteurs car tout est raconté à hauteur d’enfant.

J’adore Ariol, un point c’est tout. Vous voulez vraiment savoir pourquoi ?
- Parce que la série s’adresse aux enfants avec humour et intelligence.
- Parce qu’Ariol et ses copains sont des gamins attachants.
- Parce que les adultes occupent une place importante dans la majeure partie des histoires. Ils ne sont pas là pour boucher les trous, ils sont vraiment dans une situation de communication crédible avec les enfants.
- Parce que des chapitres de 10 pages, c’est idéal pour ceux qui débutent en lecture.
- Parce que le recours très fréquent au gaufrier (quatre cases identiques par page, voir exemple ci-dessous) permet aux lecteurs peu habitués à la BD de bien saisir la façon dont s’appréhende la narration particulière de ce média.
- Parce que les albums sont jolis avec des rabats sur chaque couverture et un format carré qui tient bien dans les petites mimines.
- Parce qu’Ariol restera la première BD que ma fille de 6 ans aura lu toute seule. En plus, elle a adoré et elle a lu tous les albums en un temps record. Avouez que c’est l’argument ultime, non ?

Pas la peine d’aller plus loin, je ne cherche pas forcément à vous convaincre (quoique…). Disons que si vous avez des enfants qui lisent depuis peu et qui souhaitent découvrir la BD, je ne connais rien de mieux qu’Ariol pour leur mettre le pied à l’étrier. Testé et approuvé, comme dirait l’autre…

Ariol d’Emmanuel Guibert et Marc Boutavant. Bayard. 124 pages par volume. 11,50 euros. Dès 7 ans.


Guibert et Boutavant © Bayard

mercredi 11 avril 2012

L’Odyssée de Zozimos 2

Ford © çà et là 2012
L’odyssée de Zozimos, c’est pas de la petite bière. Jugez plutôt : manipulé par son oncle, le garçon décide de se venger de la sorcière qui a assassiné son père et lui a volé la couronne du royaume de Sticatha. Au moment où commence ce second tome, Zozimos et ses compagnons atteignent enfin Sticatha après avoir survécu à une forêt enchantée et à un désert sans fin. Pour retrouver son trône, le jeune héros et ses amis les Zozinautes doivent se lancer dans une nouvelle quête : aller jusqu’au bout du monde et rapporter la légendaire plume d’or. Mais leur chemin sera pavé d’embûches et les épreuves à surmonter ne cesseront de devenir plus dangereuses les unes que les autres. Coté cœur, Zozimos va découvrir que sa promise, la belle et farouche Alexa, n’est autre que sa propre sœur. Apprenant la vérité, Alexa se crève les yeux pour ne plus jamais avoir à regarder en face son bienaimé. Une vraie tragédie, je vous dis !  

Voila enfin la suite (et peut-être la fin) des aventures de Zozimos dont le premier volume faisait partie de la sélection jeunesse du festival d’Angoulême 2012. Pour ceux qui ne le connaissent pas, le problème de Zozimos, c’est qu’il tient plus du loser que du héros. Une sorte d’ado qui se cherche et doit affronter chaque nouvelle épreuve avec un évident manque de confiance en lui. Tout l’intérêt de l’album tient dans ce numéro d’équilibriste permanent entre la présence d’épreuves dignes de l’odyssée d’Ulysse, de figures mythologiques classiques (Athéna, zéphyr, Hélios, Nix, les Dryades, les sirènes…) et le traitement très moderne de l’intrigue.

A part ça, vous êtes sûrs qu’il faut aborder la question du dessin ? Si je me la pétais, je pourrais (sans préciser ma source, évidemment) vous citer un extrait du magazine Casemate parlant du travail de Mathieu Sapin sur la série Akissi : « Si l’on considère le dessin avant tout comme un outil de narration censé porter une histoire hors de toute considération esthétique, alors le trait de Sapin est parfaitement adapté à la vivacité et la fraîcheur du personnage-titre. » Remplacez juste Sapin par Ford et le tour est joué. Plus simplement, de mon coté, je comparerais le trait de Ford à ces pubs de la MAIF mettant en scène des bonhommes fil de fer (je sais, c’est moyen comme référence mais que voulez-vous on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a…). Une certitude tout de même, malgré la simplicité du dessin et l’absence de couleur, la fluidité et la lisibilité sont de mises. A noter également la qualité des dialogues qui ne sont par pour rien dans l’aspect moderne de cette agréable comédie d’aventure.
        
Au final, les clins d’œil à Homère disséminés par Christopher Ford tout au long de l’album feront le délice des enfants qui connaissent la mythologie sur le bout des doigts. Pour les autres, pas de panique, l’Odyssée de Zozimos peut aussi se déguster sans compétences particulières dans le domaine. L’auteur a su mixer les genres. Entre récit légendaire et roman d’apprentissage, il ratisse large, mais toujours avec finesse et intelligence, c’est bien là l’essentiel.       

Un grand merci à Libfly et aux éditions ça et là pour la découverte !

L’Odyssée de Zozimos T2  de Christopher Ford. Editions ça et là, 2012. 228 pages. 14 euros. Dès 10 ans.

Ford © çà et là 2012



jeudi 5 avril 2012

Le père Goriot : l'intégrale en BD

Lamy - Thiraut - Duhamel
© Delcourt 2012
Vous savez quoi ? C’est Marie qui m’a donné envie de retourner voir Balzac. Son enthousiasme pour cet auteur est tel qu’il m’a convaincu. Pour moi, Balzac, c’est typiquement un écrivain du Bac. D’ailleurs je n’ai pas rouvert un de ses romans depuis cette époque fort lointaine (1992 pour tout vous dire).

Courageux mais pas téméraire, j’ai préféré replonger dans La comédie humaine par le prisme de la BD. Téméraire, je le serai un peu plus tard dans l’année en m’attaquant à La Duchesse de Langeais pour une lecture commune. Pour l’instant donc, j’en reste au Père Goriot en bande dessinée.

Le père Goriot s’ouvre sur la description de la Maison Vauquer, une sordide pension du quartier latin regroupant une galerie de personnages hauts en couleur. Il y a là l’inquiétant Vautrin, ancien forçat échappé du bagne, le jeune et désargenté Eugène de Rastignac, la timide Mlle Taillefer et bien sûr le fameux Père Goriot, pitoyable vieillard se ruinant pour satisfaire les caprices de ses deux filles, Delphine et Anastasie. Rastignac est la pierre angulaire du récit, c’est autour de lui que les intrigues et les relations entre les personnages se nouent. C’est lui qui, peu à peu, va percer les différents mystères et mettre à nu la réelle personnalité de chacun. Et pour tout dire, le tableau n’est pas reluisant. De la triste pension aux salons aristocratiques, Rastignac évolue entre deux mondes finalement pas si éloignés que cela. Partout, c’est l’égoïsme, la cupidité et les manigances qui dominent. Finalement, Le père Goriot, au-delà de l’étude de mœurs, est un roman d’initiation et de formation. Confronté à l’apprentissage du réalisme, Rastignac voit dans la mort du Père Goriot et l’absence inexcusable de ses filles à son enterrement, l’achèvement de son éducation : « A nous deux maintenant ! » lance-t-il en contemplant Paris, prêt à défier cette société qu'il méprise et dont il a compris le fonctionnement. 

Faire tenir le texte de Balzac en 95 planches, voila un pari délicat à relever. L’adaptation est-elle réussie ? Je ne pourrais pas me prononcer car je n’ai gardé aucun souvenir du roman. Ce que je peux constater c’est que le déroulement de l’intrigue reste limpide malgré la multiplicité des personnages et des événements. Bruno Duhamel restitue avec talent le Paris du 18ème siècle. Il se révèle aussi à l’aise pour représenter la triste pension que les maisons bourgeoises ou l’opéra. Son travail sur les costumes et le mobilier est par ailleurs remarquable.

Qui l’eut cru, j’ai dévoré cette intégrale d’un seul trait. Un vrai plaisir de lecture aussi inattendu qu'agréable. Marie, je crois que je suis prêt à passer à la suite, La duchesse de Langeais n'a qu'à bien se tenir !


Le père Goriot : l’intégrale de Lamy, Thirault et Duhamel, d’après Balzac. Delcourt, 2012. 96 pages. 16,95 euros.

Lamy - Thiraut - Duhamel © Delcourt 2012

Lamy - Thiraut - Duhamel © Delcourt 2012