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mercredi 9 décembre 2020

A mains nues T1 : 1900-1921 - Leïla Slimani et Clément Oubrerie

Leïla Slimani et Clément Oubrerie, un joli duo pour décrire le parcours de Suzanne Noël, féministe et pionnière de la chirurgie plastique du début du 20ème siècle. Une femme au destin incroyable, née dans une famille de la petite bourgeoisie, mariée très jeune à un médecin parisien et qui, s’ennuyant dans son statut de notable, décide un jour de reprendre ses études. Après avoir obtenu le baccalauréat, elle se dirige vers la médecine et découvre les formidables possibilités de la chirurgie réparatrice, un domaine dont elle deviendra une spécialiste mondialement reconnue. 

Préférant sa carrière à son rôle d’épouse et de mère, elle refuse de renoncer à ses aspirations professionnelles, brisant le carcan patriarcal dans lequel « la bonne société » souhaiterait la voir rester. Femme libre, elle mène une double vie auprès d’un interne de la faculté de médecine sans la moindre culpabilité. Au cours de la première guerre mondiale, Suzanne Noël développe des protocoles révolutionnaires pour réparer les gueules cassées et pendant les années folles, elle va chercher à mettre en place des techniques de rajeunissement que l’on peut considérer comme les premiers liftings de l’histoire. Pour elle la chirurgie esthétique est une forme d’émancipation féminine, une possibilité de se sentir mieux dans son corps à une époque où se développe l’industrie de la mode et où apparaissent de nouveaux canons de beautés.  

Difficile de ne pas se montrer admiratif devant une telle force de caractère, une telle volonté d’indépendance et une telle confiance en soi. Ce premier tome peint une trajectoire aussi passionnante qu’impressionnante et offre l’occasion de découvrir une héroïne oubliée du 20ème siècle. La suite montrera, entre autres, son engagement dans le combat pour le droit de vote des femmes et plus généralement sa lutte pour l’amélioration de la condition féminine. Inutile de vous dire que j’attends cette suite avec impatience.

A mains nues T1 : 1900-1921 de Leïla Slimani et Clément Oubrerie. Les Arènes, 2020. 104 pages. 20,00 euros.   

 


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mercredi 2 décembre 2020

Les ogres-dieux T4 : Première Née - Gatignol et Hubert

Ce quatrième et dernier tome de la série revient sur l’origine de la création du royaume des géants avec l’histoire de Bragante, surnommée Première-Née, fille ainée du Fondateur de la lignée des Ogres-Dieux. Ou comment ses premiers pas accompagnent l’avènement d’une dynastie cruelle, sans pitié pour les humains, étendant au fil des décennies son emprise sur un territoire toujours plus vaste en menant des guerres toujours plus meurtrières. 

Cloîtrée au gynécée comme toutes les filles et femmes du Fondateur, Première-Née prend rapidement en charge l’éducation de ses nombreux frères et sœurs. N’ayant pas la possibilité de sortir du château, elle s’évade grâce aux livres qu’elle accumule dans l’immense bibliothèque construite selon ses directives par un architecte de génie. Mariée de force à l’un de ses frères, les circonstances la porteront jusqu’au trône, où elle tentera de mettre en œuvre ses ambitions progressistes malgré les obstacles infranchissables se dressant devant elle.


À travers la vie de Bragante se dessine un destin de femme brisée par le patriarcat. les Ogres-Dieux, pataugeant dans leur ignorances crasse, ne sont bons qu’à violer, violenter et priver de liberté une gente féminine qu’ils ne considèrent que comme la génitrice de leurs futurs guerriers. Bragante l’érudite refuse ce statut, elle sait que la connaissance est la plus grande des forces, que le savoir est le seul moyen de faire prospérer un royaume sclérosé par un entre-soi où la consanguinité affaiblit la lignée et où le manque de contradicteurs enferme le roi dans des certitudes d’un autre temps.

Dernier tour de piste réussi pour les Ogres-Dieux du regretté Hubert dont la noirceur du scénario n’a d’égale que son incroyable richesse. Magnifié par les somptueux dessins de Gatignol, le récit se conclut sur la naissance de Petit, personnage central du premier tome de la série qui sera le détonateur de la chute du royaume. Une manière de boucler la boucle avec la finesse et l’élégance qui n’aura eu de cesse de traverser l’ensemble de cette saga à l’ambiance à la fois gothique et baroque. Totalement indispensable !

Les ogres-dieux T4 : Première Née de Gatignol et Hubert. Soleil, 2020. 160 pages. 26,00 euros.



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mercredi 18 novembre 2020

#Balance Ta Bulle

Il y a ce gars qui te pelote dans la rue, celui qui tente de t’agresser dans les toilettes d’une boîte de nuit, celui assis à côté de toi dans le train qui te caresse les cheveux sans te demander ton avis. Il y a ce voisin qui fixe ta poitrine en silence dès que tu es seule avec lui dans l’ascenseur. Il y a ce collègue qui cherche à t’embrasser de force en salle des profs, celui qui te propose un plan à trois avec sa femme et t’insulte quand tu lui dis non. Il y a ce concert où on t’a droguée avec une bière frelatée. Il y a ton frère qui t’a violée, ton père qui a frappé ta mère. Il y a ton oncle, il y a l’ami de la famille, il y a ton petit copain. Et il y en a tant d’autres. Tous coupables de gestes ou de mots déplacés, de violences physiques ou psychologiques.    

Elles sont soixante-deux. Soixante-deux dessinatrices du monde entier à témoigner des violences et traumatismes sexuels qu’elles ont subis au moins une fois dans leur vie. Soixante-deux récits édifiants de deux à quatre pages, tous différents mais tous portés par la même force de rester debout face au traumatisme.

Rarement une lecture aura été pour moi aussi pesante. Rarement une lecture aura autant perturbé l’homme et le père de trois filles que je suis. Parce que toutes les situations présentées soulignent à quel point, partout sur la planète, la culture toxique du patriarcat est un terrible poison pour les femmes. Il m’a été impossible d’engloutir ce pavé d’une traite, j’ai dû y aller par petits bouts. Trop de souffrance, trop de mauvais souvenirs, trop de détresse. L’ensemble est malgré tout traversé par une énergie brute, une volonté de ne pas s’appesantir, d’aller de l’avant. Une volonté de changement également, une volonté de ne plus être des victimes désignées, de ne plus culpabiliser mais de se dresser devant l'agresseur et de le mettre face à l’insupportable atrocité de son comportement. 

La réponse à la violence est ici esthétique. Réalistes ou suggestifs, toujours profondément intimes, les récits témoignent d’une incroyable vitalité créative. En dehors d’Emil Ferris qui signe la dernière histoire du recueil, je ne connaissais aucune des autres dessinatrices. D’âges, d’orientations sexuelles et de nationalités différentes, toutes expriment à travers leur expérience traumatisante un désir d’émancipation par l’art. L’ensemble forme au final un appel collectif et solidaire à la lutte contre les violences et le harcèlement sexuels. Un magnifique exemple de sororité qui a remporté le prestigieux prix Eisner 2020 de la meilleure anthologie. 

#Balance Ta Bulle (ouvrage collectif). Massot éditions, 2020. 304 pages. 28,00 euros.








mercredi 21 octobre 2020

Pot-Bouille - Cédric Simon et Éric Stalner (d’après le roman d’Émile Zola)

Octave Mouret débarque à Paris à vingt-deux ans. Provincial d’aspect soigné et bien élevé, il s’installe dans une chambre au quatrième étage d’un immeuble bourgeois. Derrière l’impeccable façade, le jeune homme découvre des locataires aux mœurs moins policées qu’il n’y paraît. Loin de jouer les vierges effarouchées, il se sent vite comme un poisson dans l’eau parmi ce bal des faux-culs. Multipliant les conquêtes, jouant d’un cynisme à toute épreuve, cet opportuniste aux dents longues est prêt à tout pour grimper dans un ascenseur social semblant privilégier les âmes les moins pures. 

Une adaptation fidèle de Zola qui vaut à la fois pour la restitution du Paris Hausmannien et pour sa formidable galerie de personnages, tous aussi peu fréquentables les uns que les autres. On intrigue, on trahit, on manipule et on fornique à qui mieux mieux dans cet univers où le vernis de l’honnêteté saute aussi vite que les bouchons de champagne un soir de bacchanale mondaine.  

Un album qui montre à quel point le roman de Zola n’a rien perdu de sa modernité. A la fois manuel du parfait arriviste et violente dénonciation de l’hypocrisie des « honnêtes gens », Pot-Bouille frappe fort et sans gant. Pas étonnant qu’au moment de sa publication en 1882 le texte ait suscité les protestations indignées d’une bourgeoisie parisienne outrée de se voir ainsi mise à nu.

Pot-Bouille de Cédric Simon et Éric Stalner, d’après le roman d’Émile Zola. Les Arènes BD, 2020. 144 pages. 20,00 euros.




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mercredi 7 octobre 2020

B.O comme un dieu d’Ugo Bienvenu

B.O a 772 ans et est le dernier représentant de son espèce, le dernier robot sexuel de la galaxie. Ses congénères ont tous disparu parce qu’ils étaient devenus trop dangereux pour la survie de l’humanité. Tellement performants, tellement inépuisables, tellement prêts à se plier aux moindres désirs de ces dames qu'elles préféraient, et de loin, coucher avec des robots plutôt qu’avec des hommes. Résultat, la natalité avait chuté de manière dramatique, ce qui avait poussé les pouvoirs publics à ordonner l’interdiction puis la destruction de ses jouets sexuels aux capacités hors normes.

Sauvé par sa propriétaire qui l’avait caché dans sa cave, B.O. doit constamment agir dans la clandestinité. Sans affect, sans morale ni tabou, il se déplace en toute discrétion chez ses fidèles clientes. Programmé pour satisfaire les moindres désirs, il sait à chaque instant ce qu’il doit faire, quel rythme prendre et quelle méthode utiliser pour procurer du plaisir à sa partenaire. Jamais de baisse de régime, capable tenir toute la nuit et de faire tout ce qu'on lui demande avec efficacité, cette machine à faire jouir inusable est LE sextoy ultime.  

J’adore Ugo Bienvenu, j’ai lu tous ses albums depuis son adaptation de Sukkwan Island et je ne cesse d’être bluffé par sa maîtrise narrative. Il livre ici un récit de science-fiction dans la veine de l’excellent Préférence Système, en beaucoup plus concis et beaucoup plus « sexuellement explicite » (pas pour rien que cet album est publié dans la collection BD Cul des Requins Marteaux). Les parties de jambes en l’air de B.O ne donnent donc pas dans la suggestion mais plutôt dans le réalisme le plus cru, se gardant cependant de tomber dans la vulgarité grâce à une esthétique particulièrement léchée (et c’est rien de le dire, parce que niveau léchage, il sait y faire le B.O.). 

Après, au-delà du cul pour le cul, Bienvenu interroge le rapport entre le plaisir et les sentiments et fait de son robot sextoy un observateur avisé des méandres de la nature humaine. Je vous rassure, le propos ne tourne pas non plus au traité de philosophie, et plutôt que de grands discours, on se tamponne dans tous les coins et dans tous les orifices, ce qui est quand même l'intérêt principal d'un album de ce genre. Au final, un projet couillu et une BD de SF décalée qui, malgré son contenu sans équivoque, ne cède jamais à la facilité de sacrifier le fond pour la forme. C'est suffisamment rare pour être souligné. 

B.O, comme un dieu d’Ugo Bienvenu. Ed. Les Requins Marteaux, 2020. 128 pages. 14,00 euros.





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mercredi 16 septembre 2020

Béatrice - Joris Mertens

Pour Béatrice, vendeuse dans un grand magasin, la vie a tout d’un long fleuve tranquille. Le Bonjour Tristesse qu’elle lit dans le métro résume bien son quotidien. Noyée dans la masse, son manteau rouge illuminant la grisaille de la foule, Béatrice la solitaire tombe un jour dans un hall de gare sur un sac abandonné, rouge lui aussi. Le lendemain, elle se rend compte qu’il est toujours là. Constatant à chacun de ses passages que le sac n’a pas bougé, semblant l’attendre, elle décide de s’en emparer. De retour dans son petit appartement, elle découvre à l’intérieur un album aux photos en noir et blanc. Un album dont elle va tenter de percer les mystères.


C’est toujours casse gueule la BD sans texte, surtout pour des récits au long cours. Il faut trouver le bon rythme, le bon équilibre dans la narration et surtout proposer un découpage à la lisibilité parfaite si on veut faire mouche. Un exercice d’équilibriste où le moindre faux pas peut perdre le lecteur en route. Grégory Panaccione est un maître du genre et son Océan d’amour sa plus éclatante réussite. Joris Mertens est parti pour suivre ses traces tant sa Béatrice est bluffante de maîtrise. Au-delà des aspects purement « mécaniques » de la narration qui fonctionnent à merveille, son tour de force est de parvenir à insuffler sans le moindre mot une émotion d’une rare délicatesse. 

Il y a du Modiano dans cet album. Le Paris du début des années 70, les bistrots, l’enquête menée à partir des souvenirs d’autrui, l’envie de remonter le fil du temps... les points communs sont nombreux. S’y ajoute une petite touche fantastique faisant basculer l’histoire dans une autre dimension. Mais une fois encore tout en finesse, sans jamais en rajouter. Une indiscutable réussite !

Béatrice de Joris Mertens. Rue de Sèvres, 2020. 112 pages. 19,00 euros.




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mercredi 9 septembre 2020

L’instant d’après - Zidrou et Maltaite

Elle était là, à côté de lui dans la voiture, et l’instant d’après… elle avait disparu. Bien sûr, il a été accusé du meurtre de sa fiancée. Comment croire à une disparition si soudaine et si inexplicable ? La sœur de la fiancée décide de mener l’enquête. Très vite, elle découvre que les cas de personnes « se volatilisant » sous les yeux de témoins effarés sont légion : une élève dans une salle de classe en plein devoir, un salarié de bureau entouré de quatre collègues dans un ascenseur, une femme dans une cabine d’essayage, un boxeur en plein entraînement, etc. Plus ses investigations avancent et plus le mystère s’épaissit. Finira-t-il par être percé ? On se le demande jusqu’à la dernière page...


Tout allait bien au départ dans ce polar énigmatique à souhait : une narration nerveuse, une intrigue prenante, des ellipses maîtrisées, un dessin collant parfaitement à l’ambiance, des dialogues aux petits oignons. Et puis boum patatras, le château de cartes si savamment monté s’est écroulé. Je veux bien qu’on laisse à l’imaginaire du lecteur le soin de se mettre en branle, qu’on le laisse interpreter à sa guise des pans entiers de l’histoire, voire qu’on lui demande de phosphorer pour participer activement à la résolution du problème. Mais à ce point-là, franchement, et je pèse mes mots, c’est du foutage de gueule !

Rien ne sera dévoilé sur le pourquoi du comment des disparitions. Pas un indice, aucune piste, nada. C’est trop facile de mettre en place un tel casse-tête sans en donner la solution. Vous imaginez si Gaston Leroux avait conclu Le mystère de la chambre jaune sans laisser Rouletabille révéler le fin mot de l’histoire ? Ça n’aurait eu aucun sens. Et aucun intérêt. Exactement l’impression que j’ai ressentie en refermant cet album.

L’instant d’après de Zidrou et Maltaite. Dupuis, 2020. 56 pages. 14,50 euros.

L'avis de Mo'



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mercredi 2 septembre 2020

West legends T2 : Billy the Kid - Christophe Bec, Lucio Leoni - Emanuela Negrin

Nouveau Mexique, été 1878. Dans la ville de Lincoln, une guerre larvée entre deux clans locaux se termine dans un bain de sang après trois jours d’échanges de tirs. Parmi les protagonistes, un gamin à peine sorti de l’adolescence surnommé par ses camarades Billy the kid s’impose malgré son jeune âge comme un leader charismatique.

Basée sur histoire vraie, cette mise en image d’un célèbre épisode de la conquête de l’Ouest baptisé « Guerre du comté de Lincoln » par les historiens se focalise sur la figure légendaire de William Henry Bonney, alias Billy The Kid. Alors âgé de 17 ans, Billy montre un sang-froid et un courage à toute épreuve. Celui qui n’est pas encore un des hors-la-loi les plus recherchés du pays se montre aussi sûr de lui que provocateur. Sa détermination guide ses acolytes, conscients d’avoir à leurs côtés un dur à cuir doublé d’un tireur émérite.  

Comme dans le premier tome de cette série dédiée aux légendes de l’Ouest, l’album ne se veut pas une biographie complète mais plutôt un focus sur un événement particulier. Trois jours donc dans la vie de Billy et de sa bande, avec quelques flashbacks expliquant pourquoi les choses en sont arrivées là. Le résultat est très factuel, l’action prime sur l’analyse psychologique et le portrait dressé entretient le mythe Billy the Kid, jusqu’à sa mort trois ans plus tard, toujours au Nouveau Mexique, sous les balles du shérif Patt Garett.

Deuxième personnage légendaire passé au crible de cette collection de récits complets qui comptera en tout six volumes et deuxième réussite. Le troisième, consacré à Sitting Bull, sort aujourd’hui. Je vais évidemment m’y plonger dès que possible.

West legends T2 : Billy the Kid : The Lincoln County War - Christophe Bec, Lucio Leoni et Emanuela Negrin. Soleil, 2020. 72 pages. 15,95 euros.





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mercredi 24 juin 2020

Sea Shepherd T1 : Milagro - Guillaume Mazurage

Mars 2018, mer de Cortés, Basse Californie. Guillaume Mazurage embarque sur le John Paul DeJoria, un navire appartenant à Sea Shepherd, « l’ONG de défense des océans la plus combative au monde ». Le dessinateur découvre à bord le quotidien de ces éco-pirates prêts à tout pour protéger la faune marine des braconniers à la solde des cartels mexicains. Le but de ces braconniers est de pêcher le Totoaba, un poisson tellement prisé en Asie qu’il est surnommé « la cocaïne des mers ».

Sea Shepherd lutte surtout contre les filets dérivants illégaux qui prennent au piège de nombreuses espèces, notamment le vaquita marina (ou panda des mers), un mammifère marin considéré comme le plus menacé au monde dont il ne resterait que 30 spécimens dans le golfe de Californie. La chasse aux filets est une activité dangereuse qui tourne parfois à l’affrontement armé mais les militants ne reculent devant aucun obstacle pour défendre leur cause.

Surpris de découvrir  « un marsouin coincé au milieu d’une guerre entre écolos et cartels », Guillaume Mazurage s’attarde à la fois sur les actions concrètes menées en mer et sur la vie quotidienne à bord. Il prend également le temps de remettre en contexte la situation, cette pêche dévastatrice constituant pour une partie de la population locale « de l’argent facile dans une région pauvre. » Surtout, il se montre admiratif devant les motivations sans faille et l’abnégation d’un équipage où chacun est prêt à dévouer sa vie à la cause qu’il défend. 

Un docu-BD instructif et prenant au dessin précis sans être trop réaliste qui mêle aventure et information avec un bel équilibre. Le danger et la tension sont présents mais on ne bascule jamais dans la violence. Un album parfait pour un jeune public de plus en plus sensible à la cause écologique qui ne pourra qu'adhérer au combat mené par l’association Sea Shepherd pour protéger les océans.

Sea Shepherd T1 : Milagro de Guillaume Mazurage. Robinson, 2020. 56 pages. 11,95 euros. A partir de 10 ans.





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mercredi 17 juin 2020

Stop Work - Jacky Schwartzmann et Morgan Navarro

Jacky Schwartzmann qui signe son premier scénario de BD, je ne pouvais pas rater ça ! En plus le sujet qu’il traite ici est dans la même veine que Mauvais coûts, qui reste pour moi son meilleur roman.

Nous voilà donc plongés dans le monde de l’entreprise avec Fabrice, quadra en charge des achats pour la société Rondelles SA. Un cadre à l’ancienne, sûr de lui et de son expérience, qui règle les contrats au resto un verre à la main et qui joue aux grandes gueules tout en cirant les pompes de la direction afin d’obtenir une promotion. Problème pour Fabrice, le monde du travail évolue plus vite que lui, les formes de management et de communication changent et surtout le volet « Hygiène et sécurité » prend de plus en plus d’importance, avec des normes et des pratiques qui frisent parfois le ridicule. Résultat, Fabrice a du mal à suivre. Et la nomination au poste qu’il convoitait d’une jeunette psychorigide plus froide que les glaçons qu’il glisse dans son whisky risque de l’achever et de le pousser sans ménagement vers la sortie…   

Un portrait grinçant des grandes entreprises qui, sous couvert de mieux protéger leurs salariés, les infantilisent et les contrôlent davantage chaque jour. Échauffement collectif avec un ostéopathe, formation pour descendre un escalier en toute sécurité, piles de l’horloge impossibles à changer si on n’a pas de certification pour monter sur un escabeau, obligation de se garer en marche arrière en arrivant le matin pour éviter un accident en sortant de sa place de parking le soir, les règles s’empilent et Fabrice s’emporte de ne voir personne s’indigner devant tant d’absurdités.

Un album qui donne dans la satire sociale en dénonçant la mainmise d’équipes managériales  déshumanisant de plus en plus la vie de l’entreprise. C’est plutôt bien vu et beaucoup de situations sentent le vécu. On rit (jaune) souvent mais ce n’est pas non plus férocement drôle comme peut l’être Schwratzmann dans ses romans. Disons que ça manque un poil de densité, d’épaisseur, de longueur. Graphiquement, si la bichromie de jaune et de bleu pâle n’a rien de chatoyant, le dessin va à l’essentiel et donne dans l’efficacité avant tout. Au final une lecture plaisante qui reste néanmoins loin du coup de cœur. J’en attendais sans doute trop.

Stop Work de Jacky Schwartzmann et Morgan Navarro. Dargaud, 2020. 140 pages. 18,00 euros.





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mercredi 10 juin 2020

Hors-saison - James Sturm

Automne 2016. Hillary Clinton a remporté la primaire démocrate et pour Mark, la défaite de son poulain Bernie Sanders a signé le début d’un effondrement personnel. Tout juste séparé de son épouse Lisa, il doit conjuguer la garde alternée, les travaux domestiques et une précarité professionnelle ne lui permettant pas de se projeter vers un avenir radieux. Bientôt Trump va déjouer tous les sondages et couper l’Amérique en deux comme l’a été son propre couple quelques mois plus tôt. Pour Mark, le marasme politique dans lequel la nation va s’enfoncer ira de pair avec son naufrage intime…

Un récit en clair-obscur aux accents autobiographiques. Sans accabler son ex-compagne Mark constate que les bonnes intentions d’un divorce sans heurt ont vite fait de voler en éclat quand cette dernière monte ses enfants contre lui. Les reproches s’accumulent, les séances en couple chez la psy n’arrangent rien et le fossé se creuse entre deux êtres devenus des étrangers l’un pour l’autre. Rien de bien nouveau sous le soleil avec une telle thématique me direz-vous mais l’album tire son épingle du jeu grâce à son ambiance et son traitement graphique.

Tout en nuances de gris, les dessins au style anthropomorphe rendent compte avec une étonnante justesse de la tristesse de cet automne où Mark voit son monde s’écrouler. De Thanksgiving à Noël, les semaines passent et le blues s’installe, les problèmes s’accumulent et la morosité prend le pas sur tout le reste.  Une histoire pleine de langueur et de mélancolie, certes loin d’être originale et pas follement réjouissante mais au final j’ai été happé par la narration aussi simple que fluide et le portrait touchant d’un homme, d’un mari, d’un père et d’un citoyen perdant un à un les repères qui lui permettaient jusqu'alors d’affronter la dure réalité du quotidien avec un minimum de sérénité.

Hors-saison de James Sturm (traduit de l’anglais par Margot Negroni). Delcourt, 2020. 216 pages. 24,95 euros.




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mercredi 11 mars 2020

Dracula - Georges Bess

Un petit billet express qui va aller droit au but : ce Dracula en BD est une incroyable adaptation du roman de Bram Stoker ! Incroyable de fidélité tant les personnages, la chronologie et les événements collent à l’original. Incroyable dans la restitution à la fois gothique, baroque et romantique de l’ambiance créée par Stoker. Incroyable aussi et surtout visuellement tant le travail de Georges Bess est à couper le souffle. Détails, cadrage, découpage, mise en scène, c’est d’une virtuosité folle !

Sans folklore kitsch, s’inspirant de l'expressionnisme allemand, le graphisme restitue toute l’angoisse, la peur et la folie qui traversent le récit. C’est dense, fouillé, précis et en même temps parfaitement fluide.

Chaque élément est travaillé à l’extrême, des décors aux costumes en passant par les attitudes, les visages et les représentations de la monstruosité du vampire. Et puis ce noir et blanc quoi ! Un noir et blanc d’une intensité et d’une profondeur phénoménales qui souligne à merveille les contrastes entre l’ombre et la lumière. Même les aspects sanguinolents de l’histoire sautent aux yeux sans la moindre trace de rouge, un vrai tour de force.

L’équilibre entre la fidélité à l’œuvre originale et une liberté formelle totale offre au final un résultat bluffant où la démonstration graphique ne cesse à aucun moment de rester au service du texte. Du très grand art !

Dracula de Georges Bess. Glénat, 2019. 208 pages. 25,50 euros.


PS : un grand merci et un gros bisou à celle qui a eu la gentillesse de glisser cet album sous mon sapin à Noël.



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mercredi 4 mars 2020

Le chanteur perdu - Didier Tronchet

Ah, ce Jean ! Clairement le personnage de BD le plus attachant que j’ai rencontré depuis très longtemps (même si le Germano de Senso était pas mal dans son genre lui aussi). Imaginez un bibliothécaire qui fait un burn-out. Déjà, ça classe le bonhomme dans une catégorie à part. Imaginez que pendant sa convalescence, ledit bonhomme fasse le point sur sa vie sans relief et décide sur un coup de tête de retrouver un chanteur qui a marqué sa jeunesse, un chanteur ayant enregistré un seul disque et qui a disparu des radars juste après. Un chanteur des années 70 dont il doit être le seul et unique fan et qu’il compte bien retrouver, même s’il ne sait pas vraiment pourquoi.

Après cette entrée en matière, l’hameçon était  lancé, je me suis jeté dessus à pleine dents. Ferré, je n’ai pas pu lâcher l’album jusqu’à son terme, incapable d’abandonner Jean dans sa quête du chanteur perdu. Je l’ai donc suivi dans les rues de Morlaix, sur la plage de Berck et les falaises du Cap Gris-Nez, dans une hutte de la baie de Somme et un vieux troquet de Paris, jusqu’à l’île aux Nattes, un caillou de 3 km carrés au large de Madagascar. Avec lui j’ai rencontré une documentaliste à l’ancienne, un garagiste amateur de crêpes, la fille d’un pendu, un comique insomniaque, un ornithologue pas très observateur, un directeur d’hôpital pour enfants fier de son parcours et un Pierre Perret  toujours en forme malgré le poids des ans.

Jean mène son enquête au feeling, avançant au fil de découvertes et de déductions improbables, se demandant souvent ce qu’il est train de faire et ne sachant pas pourquoi il s’acharne autant. Il y a comme toujours chez Tronchet une profonde tendresse pour ses personnages, un rapport incessant à l’enfance et à la mémoire et une progression du récit de l’ombre vers la lumière. Progression non linéaire évidemment, ce brave Jean ne cessant de se tromper, d’échouer, d’avancer, de passer du découragement à l’euphorie et inversement.  C’est simple, c’est beau, c’est touchant, c’est drôle, mélancolique et plein de vie.

Un bijou d’album, ni plus ni moins.

Le chanteur perdu de Didier Tronchet. Dupuis, 2020. 168 pages. 23,00 euros.


PS : Le pire (ou le meilleur), c’est que le chanteur perdu existe vraiment. Didier Tronchet l’a retrouvé dans une petite île de Madagascar. Sa véritable histoire est racontée à la fin de l’album, photos à l’appui. Et sur le site www.tronchet.com il est possible d'écouter toutes les chansons citées dans le livre.





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mercredi 26 février 2020

Mojo Hand - Arnaud Floc’h

1926, dans les marais de Louisiane, après une tempête. Wilson Darbonne trouve un gamin de 2 ans endormi près d’un tronc d’arbre. Orphelin ou abandonné, l’enfant n’a aucune chance de survie, seul dans le bayou. Wilson le ramène chez lui et, au grand dam de sa femme, décide de le garder. Il faut dire que Wilson est noir et le bambin « blanc comme un ver ». Baptisé Bellerophon et surnommé Bello, l’enfant grandit auprès de Cleytus, le fils aveugle des Darbonne. Devenus des frères de cœur, les garçons vivent ensemble dans la cabane de la famille en pleine forêt, isolés du monde extérieur. Il faut dire que si on découvrait qu’un noir a « volé » un enfant blanc et l’a élevé comme l’un des siens, le châtiment pour Wilson serait terrible.

Au fil des années, Bello et Cleytus développent une passion commune pour la musique qui les pousse à sortir du bayou pour aller faire quelques concerts dans la ville la plus proche. Cleytus est rapidement considéré comme un virtuose de la guitare tandis que Bello se contente de l’accompagner au banjo. De plus, ce dernier constate qu’il n’est pas le bienvenu dans les bars noirs où ils se produisent. Peu à peu les relations entre les deux musiciens vont se distendre, au point de fissurer des liens qui semblaient pourtant indéfectibles.

Avec un tel postulat de départ, on imagine facilement la tragédie à venir. Deux « frères » de couleur différente dans la Louisiane des années 30-40 jouant de la musique ensemble, ça ne pouvait que tourner au  vinaigre et finir par un lynchage. Mais Arnaud Floch n’a pas choisi de mener son récit là où tout le monde l’attendait. La tragédie survient bien, pas la peine de cacher cette évidence, mais la tournure prise par les événements est vraiment inattendue. L’évolution des relations entre Bello et Cleytus est tortueuse, complexe. Chacun souffre à sa façon, chacun exprime sa souffrance à sa façon, et tous deux vont être emportés par leurs démons intérieurs.

Le dessinateur de l’excellent Emmett Till restitue une fois de plus à merveille l’ambiance  du Sud profond. La chaleur poisseuse du bayou, les chanteurs de blues au coin des rues ou dans les clubs, la misère qui a suivi la crise de 29 et la ségrégation partout présente offrent une plongée saisissante dans une époque particulièrement troublée. Une belle réussite !

Mojo Hand d’Arnaud Floc’h. Sarbacane, 2019. 112 pages. 19,50 euros.




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mercredi 19 février 2020

Bolchoi arena T2 : La somnambule - Boulet et Aseyn

Je vais faire court (pour une fois). Et je vais être honnête (pour une fois). Je n’ai rien compris. Pourtant j’avais aimé le tome 1, j’avais aimé l’ambiance, le concept, le dessin, même si je m’interrogeais sur le fait que ça risquait de partir dans tous les sens. Et bien c’est exactement le ressenti que j’ai eu dans ce deuxième volume. Pour rappel, le Bolchoï Arena est LE jeu en ligne le plus populaire du monde. Un univers sans limite dans lequel on pénètre en enfilant un casque de réalité virtuelle. Marje, étudiante en astrophysique, s’y fait rapidement remarquer et devient une cible pour les joueurs chevronnés ne supportant pas que l’on vienne marcher sur leurs platebandes. A la fin du tome précédent la jeune femme, coincée dans le Bolchoï après un incident majeur, risquait de ne jamais pouvoir revenir dans le monde réel.

J’en étais grosso modo resté là mais dès l’ouverture de cette suite, je me suis noyé sous le flot d'informations. Trop de personnages dans ce monde virtuel, trop d’implications géopolitiques, de conflits quasi ethniques, de risques terroristes, de dérives capitalistes et d’intérêts obscures dont on ne saisit pas bien les tenants et les aboutissants. Sans compter les nombreuses règles propres au Bolchoï Arena qui sont tellement spécifiques que je n'y ai rien pigé.

Je reste persuadé que les auteurs maîtrisent leur scénario et savent exactement où ils vont mais je ne suis pas parvenu à les suivre. J’ai l’impression d’avoir pénétré un monde d’initiés où le premier clampin venu ne voulant pas faire l’effort de saisir la complexité du propos serait exclu du jeu sans la moindre explication. Du coup j’ai lâché prise, j’ai lu sans comprendre, je me suis contenté de regarder les jolis combats spatiaux, les décors de space opera et les quelques retours à la réalité pendant lesquels j'ai eu la sensation (trompeuse) de reprendre pied.

C’est peut-être une BD réservée aux spécialistes, une BD pour joueurs en ligne chevronnés, pour amateurs de SF rompus aux imbroglios scénaristiques ou pour geek passionnés de Star Wars. Je ne suis malheureusement rien de tout ça et au final, j’ai lamentablement perdu la partie. Suite et fin dans le tome 3. Évidemment ce sera sans moi.

Bolchoi arena T2 : La somnambule de Boulet et Aseyn. Delcourt, 2020. 164 pages. 23,95 euros.


Mon avis sur le tome 1




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