vendredi 29 janvier 2016

220 volts - Sylvain Escallon

Ramon Hill a tout pour être heureux. Auteur de best-sellers, une épouse charmante, deux enfants, un niveau de vie plus que respectable… « Mais Ramon Hill, 37 ans, écrivain promis à toujours plus de succès littéraires et père de famille comblé, c’est du flan. » Parce que Ramon est en plein passage à vide. Incapable d’aligner trois mots pour faire avancer son nouveau manuscrit et incapable de gérer la crise qui secoue son couple. En désespoir de cause, madame organise une virée dans la maison secondaire de ses parents perdue en pleine cambrousse. L’occasion de se retrouver tous les deux sans les gosses et de recoller les morceaux. Arrivés sur place, les choses semblent prendre la bonne direction. Mais leur isolement met en lumière  les failles de chacun et n’apaise en rien la situation. Et quand Ramon s’électrocute en voulant réparer une prise de courant, tout déraille…

Il serait scandaleux d’en dire plus tant cette histoire enchaîne les surprises inattendues. Sachez juste que l’on a affaire à du noir très serré, très amer, sans le moindre gramme de sucre. Adapté du roman éponyme de Joseph Incardona, ce huis-clos oppressant est cruel et immoral. Peu à peu l’amertume laisse sa place à l’acidité et il reste en bouche un arrière goût de bile difficile à avaler.



J’avais découvert le noir et blanc puissant de Sylvain Escallon avec « Les Zombies n’existent pas ».Il confirme ici l’étendue de son talent, notamment cette facilité à mettre en scène une atmosphère tendue où le sordide côtoie une certaine forme de légèreté.

J’enrage de ne pouvoir vous en dire davantage, notamment pourquoi j’ai adoré le personnage de Ramon et son attitude de fieffé salopard très politiquement incorrect. Et pour ceux qui connaissent l’histoire, je précise juste qu’il ne faut y voir en aucun cas une quelconque solidarité masculine… Un album qui ne plaira clairement pas à tout le monde tellement il gratte, mais vous aurez compris que pour moi, c’est une réussite totale !


 220 volts de Sylvain Escallon. Sarbacane, 2015. 140 pages. 22,00 euros.




mercredi 27 janvier 2016

Melvile T2 : L’histoire de Saul Miller

Melvile. A peine 500 habitants. Localisation inconnue. Un bled perdu entre forêts et montagnes. J’y avais suivi avec plaisir l’histoire de Samuel Beauclair, J’y suis retourné pour découvrir celle de Saul Miller, astrophysicien, prof d’université à la retraite revenu sur les terres de son enfance. Un des rares habitants de Melvile à avoir fait des études. Aujourd’hui, Saul donne des cours particuliers à la petite Mia pendant que sa mère travaille dans la seule taverne du coin. La nuit, il admire les étoiles dans un silence de cathédrale. Un soir, des chasseurs lui demandent l’autorisation d’emprunter en voiture une route lui appartenant pour traverser la vallée plus rapidement. Saul refuse et après quelques invectives, les chasseurs rebroussent chemin mais Saul se doute qu’ils n’en resteront pas là. Une crainte malheureusement justifiée…

Une fois encore, Romain Renard centre son récit sur le rapport de l’être humain à son environnement. Le cadre verdoyant et la nature omniprésente laissent peu à peu glisser les protagonistes vers une forme de sauvagerie. La tension monte au fil des pages, l’ambiance s’alourdit et on sent venir l’explosion de violence, inéluctable. Parallèlement, et après avoir abordé la question de la filiation dans le premier volume, il s’intéresse cette fois à l’idée de transmission. Et comme dans le premier volume, il tient avec Saul un personnage complexe dont la face cachée et le passé trouble sera peu à peu révélé.

Le dessin me bluffe toujours autant. Mélange de fusain et de feutre avec certaines pages proches du photo-montage, il s’en dégage un grain très particulier avec énormément de masse et de matière, notamment dans les décors.

Melvile, c’est avant tout une ambiance. Entre grands espaces et oppression, ombre et lumière, calme et tempête. On navigue à vue, on se laisse emmener sur des chemins de plus en plus chaotiques, et finalement emporter par une puissance narrative redoutable. J'adore !

Melvile T2 : L’histoire de Saul Miller. Le Lombard, 2016. 208 pages. 22,50 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Livresse des mots et Noukette.












mardi 26 janvier 2016

Aussi loin que possible - Eric Pessan

« On est deux animaux, on a ouvert une porte, sans savoir pourquoi ni comment, on court de peur qu’elle ne se referme. »

Ils sont partis un lundi matin, sur un coup de tête, sans en avoir discuté au préalable. Zéro préméditation. Tony a compté jusqu’à trois et s’est élancé. Antoine l’a suivi. En baskets et survêtement, rien dans les poches. Ils ont quitté la cité en courant en ne se sont pas arrêtés. Ils ont couru du matin au soir, couvrant près de 400 kilomètres en cinq jours. Ils ont chapardé leur nourriture dans les supérettes, ont couché dans des maisons de vacances à l’abandon. Ils ont pris la clé des champs sur un coup de tête, l’un fuyant ce père qui le frappe et l’autre refusant de quitter la France pour l’Ukraine suite à un arrêté d’expulsion.

Un magnifique roman, ode à la liberté, fuite nécessaire pour profiter d’un présent faisant fi du passé et de l’avenir. Une course de fond motivée par la tristesse et la colère, loin d’une quelconque recherche de performance. « La course, on l’a gagnée tous les deux, ensemble, on ne saura pas lequel court le plus vite, et on ne veut pas le savoir, puisque l’on courait l’un avec l’autre, en équipe. »

Dans la tête d’Antoine, le lecteur partage  la fatigue, la peur, la douleur physique, la soif, la faim, l’entraide, les silences, le danger permanent. Il partage aussi cette incroyable sensation de lâcher prise, ce champ des possibles où l’utopie prend forme à chaque mètre parcouru.

Le texte est aérien, il respire au rythme des foulées, allie réalisme et poésie dans une langue puissante et délicate. Magnifique, vraiment.

Aussi loin que possible d’Eric Pessan. Ecole des loisirs, 2015. 140 pages. 13,00 euros.

Une nouvelle pépite jeunesse que j'ai la plaisir de partager avec Noukette.










lundi 25 janvier 2016

J’envisage de te vendre (j’y pense de plus en plus) - Frédérique Martin

Il y a cet homme qui vend sa mère sur une brocante et cet autre dont la tentative de suicide est filmée par une équipe de télévision. Il y a  ce couple qui choisit son bébé sur catalogue et cette femme, gagnante malgré elle d’un cadeau qui risque de lui pourrir la vie. Il y a celui qui va être jugé en direct à la télé par les sages de l’Organisation des Consciences Unies, celle prise en otage par une Brigade de l’eau et ce Serial Killer voyant défiler devant lui les familles de ses victimes.

Une atmosphère étrange se dégage des nouvelles de Frédérique Martin. Elle dépeint une société effrayante où les libertés individuelles ont été sacrifiées au nom d’une cause collective particulièrement liberticide. Pouvoir des médias, marchandisation à outrance, répression du féminisme aboutissant à l’interdiction de l’espace public aux femmes, sa vision d’un futur pas forcément très lointain interpelle et inquiète.

Je découvre avec ce recueil une plume à la fois  élégante et directe au charme incontestable. Quelques bémols pour chipoter : certaines nouvelles, plus classiques, apparaissent un peu « fades », notamment celle du mariage (déjà vu cent fois le coup du témoin qui se tape la mariée) et celle du déménagement. Mais pour le reste, impossible de nier la cohérence d’un recueil où apparaît une anticipation qui n’a malheureusement rien de délirant et pourrait représenter un avenir proche des plus déprimants. Et puis impossible de bouder son plaisir devant une auteure française aussi à l'aise dans l'exercice de la nouvelle, un genre que j'adore et qui est bien trop peu considéré sous nos contrées.

J’envisage de te vendre (j’y pense de plus en plus) de Frédérique Martin. Belfond, 2016. 220 pages. 17,50 euros.

Une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.

L'avis de Saxaoul








dimanche 24 janvier 2016

Mon cousin Momo - Zachariah Ohora

Momo l’écureuil volant arrive chez ses cousins pour les vacances. Tout le monde l’attend avec impatience mais très vite, il y a quelque chose qui coince. Momo est timide, il s’habille bizarrement, il ne sait pas jouer à cache-cache, est incapable de renvoyer la balle de ping-pong et rêvasse devant des champignons ou des insectes. En gros, il est nul, ce Momo. Et quand il entend dire qu’il n’est pas rigolo et que l’on aurait dû inviter un autre cousin à sa place, l’écureuil volant, triste et contrarié, décide de faire ses valises…

Un album sur la différence, l’acceptation de l’autre tel qu’il est, même si son « mode de fonctionnement » est très éloigné de ce dont on à l’habitude. C’est tendre et drôle, tout se termine bien, dans un élan de bonne humeur et de partage qui donne le sourire.

J’aime beaucoup le graphisme, à la fois naïf, expressif et très coloré. Les illustrations occupent des doubles pages aux angles de vue variés privilégiant les gros plans.

Un vrai plaisir de découvrir le cousin Momo et ces petites lubies bien à lui. Et un sujet dans lequel il est bon de plonger les petits lecteurs dès le plus jeune âge.

Mon cousin Momo de Zachariah Ohora. Little Urban, 2016. 32 pages. 10,50 euros. A partir de 3-4 ans.




vendredi 22 janvier 2016

La patience des buffles sous la pluie - David Thomas

Mes filles et leurs copines jouent en ce moment à la roulette russe avec des bonbons très particuliers. Je ne sais pas si vous connaissez le principe mais dans un même paquet, des bonbons de couleur identique cachent des goûts très différents comme par exemple noix de coco ou lingette, pêche ou vomi, poire ou crotte de nez, j’en passe et des meilleurs. On choisit donc au hasard avec une chance sur deux de tomber sur un truc infect. Fou rire assuré ! Et bien je trouve que c’est un peu la même chose avec les nouvelles (le fou rire en moins). Et davantage encore avec les micro-nouvelles, où l’on sait en quelques lignes si l’on est tombé sur une bonne ou une mauvaise pioche.

Avec David Thomas, maître ès micro-nouvelles, il n’y a aucune mauvaise surprise à attendre, chacun de ses textes étant divinement savoureux. J’avais déjà eu l’occasion de m’en rendre compte avec « On ne va passe se raconter d’histoire », j’en ai eu la confirmation avec ce petit recueil qui est en fait sa première publication. Dans un genre différent, Thomas me fait le même effet qu’Etgar Keret, une délicieuse sensation difficilement explicable. D’ailleurs, comme pour Keret, je me dis que j’adorerais écrire comme lui. Et avoir ce sens de l’oralité au rythme très littéraire, cette dérision, cette acidité mordante alliée à un humour aigre-doux, cette lucidité sur la vie et ses travers, cette ironie ne s’abaissant jamais au cynisme, cet art de la chute.

Au fil de ces soixante-treize textes brefs, il dresse des portraits d'hommes et de femmes aux vies ordinaires en prise avec leurs doutes, leurs convictions, leurs failles, leurs forces et leurs petitesses. Des petits riens : des lâchetés, des regrets, des mesquineries, des chamailleries de couples usés par le temps et le quotidien, des reproches que l’on se jette au visage sans prendre de gant, de la mauvaise foi. Des petits riens qui pourraient sans problèmes être les nôtres (les miens en tout cas). Mais tout cela reste incroyablement vivifiant, furieusement drôle et merveilleusement écrit.

« La patience des buffles sous la pluie fait partie de ces livres à la fois formidablement simples et sobrement raffinés qui nous rendent intelligibles à nous-mêmes, qui nous rattachent les uns aux autres, nous donnent envie de tenir debout et de nous ancrer encore plus profondément dans cette étrange activité suicidaire qu’est la vie. » Je ne pourrais jamais dire les choses mieux que Jean-Paul Dubois.

La patience des buffles sous la pluie de David Thomas. Le livre de poche, 2011. 155 pages.

Un lecture commune avec Noukette qui me tenait à cœur. Parce que ce vendredi est un peu particulier pour moi et surtout parce que c’est elle qui m’a offert ce livre à l’occasion d’une journée mémorable en sa compagnie dont je ne vous donnerais évidemment aucun détail.

Extraits :

Slip

Tu sais quoi ? Je crois qu'il va falloir inventer une façon plus sexy de mettre son slip. Parce que de te voir tous les matins plié en deux, les bras qui pendouillent et les jambes qui visent le trou, franchement, ça va pas. ça colle pas avec ton image d'homme élégant. ça casse quelque chose. Alors, je sais pas, débrouille-toi comme tu veux mais trouve une autre façon d'enfiler ton slip.

(Ma femme aurait pu écrire ce texte !!!!!)  
Passé

Pour la première fois de ma vie mon passé me surprend. J'ai envie de parler en silence. De me parler. J'ai envie que ce jeune type qui ne sait pas ce qui l'attend mais qui porte son sourire comme un laisser-passer s'avance vers moi. J'aimerais le voir arriver vers moi avec mes vingt ans de moins, s'asseoir à mes côtés, me sourire timidement, mettre ses mains dans ses poches et garder le silence. J'aimerais que ce jeune type avec mes vingt ans de moins ne me juge pas. J'aimerais qu'il me pardonne de l'avoir trahi.

Quatorze fois

Tu me fais un petit bisou ? On va se prendre un petit café ? Je fume une petite clope et on y va. Si on se faisait un petit ciné ce soir ? Ou alors on reste tranquilles avec un bon petit bouquin. Devant un petit feu... Tu sais ce qui me ferait plaisir pour les vacances ? C'est un petit voyage en Italie. T'as vu mon petit haut ? Je vais te faire une petite pipe. T'as un petit air bizarre...
En dix minutes, elle a trouvé le moyen de dire petit au moins quatorze fois. Quelque chose me dit que je ne vais rien vivre de grand avec cette fille.




jeudi 21 janvier 2016

Banquises - Valentine Goby

En 1982, Sarah, 22 ans, prend un avion à destination du Groenland. Sa famille ne la reverra jamais. Une disparition aussi soudaine qu’inexplicable laissant son père, sa mère et sa jeune sœur Lisa totalement dévastés par le chagrin. Après la stupeur vient le temps de l’incompréhension. La police penche clairement pour une disparition volontaire et refuse de lancer des recherches puisque Sarah était majeure. Le détective privé engagé par les parents ne trouve rien de concret, les mois, les années passent, et l’absence reste impossible à combler. Lisa n’était qu’une ado à l’époque des faits. Vingt-sept ans plus tard, elle décide de partir sur les traces de sa grande sœur et embarque à son tour pour le Groenland.

Vous le savez si vous passez régulièrement par ici, entre Valentine Goby et moi, il se passe un truc (même si je doute fortement qu’elle soit au courant, mais c’est un détail). Déjà, elle est charmante (un autre détail me direz-vous, n’empêche, c’est un petit plus non négligeable). Ensuite, pour avoir eu la chance de discuter longuement avec elle et pour l’avoir vue à l’œuvre avec des élèves, elle est passionnante. Alors forcément, je ne suis pas objectif quand je parle de ses livres (Mais qui l’est, finalement ?). Il y a quelque chose dans son écriture qui m’ébranle profondément. Une question de rythme et de vocabulaire. Une précision chirurgicale alliée à un lyrisme contenu. Jamais un mot de trop, tout est gratté jusqu’à l’os. Je crois que c’est de l’ordre du sensoriel et ça ne s’explique pas.

Ici elle dit l’absence, la souffrance infinie de la perte d’un enfant dont on ne peut faire le deuil. Elle décrit un grand huit permanent fait d’espoir infime et de renoncement dans un récit tout sauf linéaire où les époques se chevauchent et les personnages s’exposent sans filtre. Dans un troublant effet de miroir, la description crépusculaire d’un Groenland en pleine déliquescence, d’une population à l’agonie, résignée devant l’inéluctable disparition de leur monde, est totalement bouleversante.

Banquises est quelque part le roman de l’effacement. Effacement progressif de toutes traces de l’absente et effacement progressif d’un territoire et de ses habitants. La langue et somptueuse, l’histoire d’une infinie tristesse. Comment vouliez-vous que j’y résiste ?

Banquises de Valentine Goby. Le livre de poche, 2013. 210 pages.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Philisine. C’est elle qui m’a offert cet exemplaire accompagnée d’une gentille dédicace de l’auteure. D’ailleurs il me semble que tous les livres de Valentine Goby trônant sur mes étagères (Kindetzimmer, La fille surexposée, Une preuve d’amour et Méduses) sont dédicacés. Que voulez-vous, on est fan ou on ne l’est pas^^





mercredi 20 janvier 2016

L’indivision - Springer et Zidrou

Virginie et Martin sont amants. Il est célibataire, elle est mariée et a deux enfants. Virginie et Martin font l’amour passionnément, follement, depuis l’adolescence. Virginie et Martin sont frère et sœur et la situation est devenue intenable, de plus en plus difficile à vivre…

On nous vante dès la couverture un amour fou. Et je me trompe peut-être, surement même, mais je n’ai pas vu d’amour. Du désir, certes. Mais de l’amour… L’attirance physique est soulignée à de nombreuses reprises, clairement montrée même. D’ailleurs cette attirance est le cœur du problème. Alors que les sentiments, l’affection ou la tendresse n’apparaissent à aucun moment. Du moins c’est l’impression que j’ai eu.

Après, j’ai apprécié que cette relation incestueuse soit exposée sans jugement. Leur passion purement charnelle est irrésistible, déraisonnable. Une forme d’addiction quasi maladive. Ou pas. Zidrou expose les faits, et c’est au lecteur de se débrouiller. Avec sa conscience, sa morale, ses limites. Une telle alchimie a-t-elle besoin d’explication ? Je ne crois pas. Il est parfois préférable de ne pas chercher à comprendre pourquoi ni comment deux personnes viennent à se désirer follement. Il est parfois préférable de se laisser porter par ses envies sans se poser de question. En tout cas c’est ce que Virginie et Martin semblaient avoir fait jusqu’au début de l’album.

Ça aurait pu être glauque. Ça aurait pu être vulgaire, racoleur, immoral, scandaleux, dégueulasse. Sauf que Zidrou est aux manettes, donc on joue les choses en finesse. Le personnage du mari cocufié par son beau frère est touchant, les rencontres entre le frère et la sœur sonnent juste, la maison de famille, souvenirs de leurs premiers ébats, que l’un veut garder et l’autre vendre, agit de façon très symbolique sur le déroulement du récit (et donne également son titre à l’album).

Le dessin de Springer, vivant, charnel, illustre à merveille un scénario qui met en scène des individus lambda aux physiques passe partout, ni gravures de mode ni cas sociaux, classes moyennes parfaitement intégrées socialement aux existences banales. En dehors d’un petit détail qui sort quand même grandement de l’ordinaire...

Un album qui dérange, forcément. Mais qui pousse également à la réflexion sans prendre partie, loin de toute apologie ou d’une dénonciation sans nuance. Du Zidrou dans le texte, ne rechignant pas à aller sur des terrains particulièrement glissants avec une sensibilité qui n’appartient qu’à lui. Du Zidrou comme je l’aime, ni plus ni moins.

L’indivision de Springer et Zidrou. Futuropolis, 2015. 64 pages. 15,00 euros.





mardi 19 janvier 2016

Des parents de rechange - Véronique Petit

Comme souvent avec des thématiques aussi « faciles », j’ai eu peur. Peur de la douche lacrymale, des torrents de larmes que l’on aurait voulu nous arracher devant la situation de ce pauvre orphelin. Parce que oui, Adam a perdu ses parents. Sa mère est morte quand il avait six ans, son père a quitté la maison quand il en avait quatre et est décédé quand il en avait dix. Placé dans plusieurs familles d’accueil, il a fini par échouer dans un foyer. Avouez qu’il y a de quoi sortir les mouchoirs !

Sauf que. Adam va se retrouver dans une situation pas banale. Particulièrement inconfortable. A cause d’un événement tragique dont il sera la source. Je ne vous en dis pas plus mais c’est finement trouvé. Et bien mené. Sans gros sabots, par petites touches successives. Adam avance vers son rêve de trouver de nouveaux parents avec plus de doutes que d’espoir. Il se sait sur la corde raide, il imagine le pire, se persuade que le bonheur va le fuir, une fois de plus.

J’ai aimé ce roman pour, entre autres, les interrogations qu’il porte. C’est quoi une famille ? Une question de sang ? Une question de nom ? Une question d’amour ? Adam pense qu’il est un garçon que l’on ne peut pas aimer parce qu’il n’est pas parfait. Entre manque de confiance en lui et expériences passées douloureuses, il avance, fragile, face à un avenir dont les contours peinent à se dessiner nettement.

Un roman intelligent, qui n’élude aucune question et propose une conclusion des plus optimistes sans tomber dans une facilité qui lui ferait perdre toute crédibilité. Parce que les jeunes lecteurs auxquels il s’adresse ont besoin de textes positifs sans être pris pour des crétins. Intelligent, quoi.

Des parents de rechange de Véronique Petit. Rageot, 2016. 125 pages. 6.10 euros. A partir de 9 ans.

Et une nouvelle lecture jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.








lundi 18 janvier 2016

Pékin Pirate - Xu Zechen

En sortant de prison, DunHuang n’a plus un sou en poche. Sans argent, sans famille, sans point de chute, il se retrouve à la rue sans aucune perspective concrète alors qu’une tempête de sable s’abat sur Pékin. Sa rencontre avec une vendeuse de DVD pirates va quelque peu changer la donne et lui remettre le pied à l’étrier.

Il ne pouvait que me plaire ce DunHuang. J’ai un gros faible pour les marginaux, les rois de la débrouille qui tentent de garder la tête hors de l’eau alors que la situation est des plus critiques. Des héros simples mais déterminés, plein de failles, fragiles et suffisamment lucides pour ne pas passer leur vie à se plaindre. Des pauvres types qui prennent ce qui se présente au jour le jour, des types qui savent ce que le mot précarité veut dire. J’ai adoré suivre cette errance dans les bas fonds de Pékin où chacun s’en tire comme il peut en flirtant en permanence avec l’illégalité. Rien de glauque ni de particulièrement violent mais un coup de projecteur réaliste sur une face sombre du « rêve chinois ».

DunHuang a « l’impression de vivre à l’écart, en périphérie ». Clairement, ce n’est pas qu’une impression. Malgré une histoire d’amour naissante, malgré la solidarité affichée entre marginaux, la solitude transpire à chaque page et le chacun pour soi règne en maître. Surtout ne pas se poser de question, se lever chaque matin sans penser au lendemain et faire une croix sur les illusions futiles, la philosophie de ces laissés pour compte n’a rien de zen, elle tient juste du pragmatisme le plus élémentaire.

Un roman qui se dévore et laisse en bouche un petit goût d’aigre-doux. J’ai quitté à regret DunHuang, j’aurais aimé l’accompagner davantage dans sa quête d’une vie meilleure. Mais j’ai apprécié arpenter avec lui les rues de la capitale chinoise et y découvrir un microcosme assez fascinant.

Pékin Pirate de Xu Zechen. Editions Philippe Rey, 2016. 205 pages. 17,00 euros.