samedi 19 septembre 2015

Il était une ville - Thomas B. Reverdy

Lorsque le français Eugène débarque à Détroit en 2008, la ville semble être au bord de la disparition. Usines fermées, centre ville ghettoïsé, paupérisation galopante, maisons à l’abandon incendiées par des bandes de gosses  en mal de sensations fortes… la Catastrophe (crise des subprimes et effondrement des banques) a frappé de plein fouet Motor City, en faisant une ville fantôme, symbole d’une Amérique en déliquescence. Eugène ne vient pas en touriste, il est envoyé par « l’Entreprise » afin de développer un projet baptisé « l’intégrale ». Mais il se rend vite compte qu’il ne pourra mener à bien sa tâche car son employeur n’a plus les moyens de ses ambitions. Alors Eugène traîne dans les bars et va rencontrer la douce Candice. De leur coté, Stro, Gros Bill et Charlie, trois ados un peu paumés, vont quitter leurs foyers et rejoindre dans « la Zone » une école désaffectée où des centaines d’enfants vivent en communauté sous les ordres de l’impitoyable Max. Georgia, la grand-mère de Charlie, va vouloir le retrouver à tout prix. Son chemin croisera celui du lieutenant Brown, flic désabusé ayant perdu à peu près toutes ses illusions…

Résumé de la sorte, on voit déjà à quel point le récit semble décousu. Les histoires sont menées en parallèle et si certains protagonistes finissent par se rencontrer au fil des événements, le lien est loin d’être évident. On passe de l’un à l’autre, on survole plus que l’on ne creuse en profondeur. Comme dans Les évaporés, Reverdy s’intéresse à ceux qui disparaissent d’un monde en perdition, ceux qui survivent à leur manière alors que tout s’écroule autour d’eux, mais d’une façon assez artificielle je trouve.

J’avoue que je suis resté un peu sur le bord de la route. Je m’attendais à un regard plus sociologique porté sur la première mégalopole américaine à se déclarer officiellement en faillite. L’écriture est superbe, vibrante, pleine de souffle. Mais pour le reste, on tourne un peu à vide et les grosses ficelles romanesques manquent de finesse. Pas une déception à proprement parler parce que la plume de Thomas Reverdy est un enchantement et justifie à elle seule que l’on se plonge dans ce roman mais clairement, je n’y ai pas pris le même plaisir qu’à la lecture des « évaporés ».

Il était une ville de Thomas B. Reverdy. Flammarion, 2015. 270 pages. 19,00 euros.

Les avis de Delphine Olympe, Kathel et Laure.





vendredi 18 septembre 2015

Une journée parfaite - Danny Parker et Freya Blackwood

Une journée parfaite, c’est un rayon de soleil, des jeux simples, un gâteau que l’on prépare dans la cuisine, une balade au grand air, un cerf volant porté par le vent, une vue imprenable, une comptine enfantine, un endroit confortable, quelqu’un à câliner, une nuit douce et du temps pour rêver…

Qu’il est beau cet album ! Hors des modes et du temps, nimbé d’une certaine forme de sérénité, enchaînant des petits riens qui forment le grand tout d’un jour de vacances idéal. Un texte minimaliste et poétique capturant la simplicité de moments idylliques. Des enfants qui jouent, déambulent, s’occupent avec plaisir, sans écrans et sans disputes, ce n’est pas de la science fiction. Bien sûr, il se dégage de l’ensemble un petit coté désuet et suranné, renforcé par des illustrations « à l’ancienne » qui rappellent les livres d’antan, mais c’est ce qui en fait tout le charme.




Un album lumineux et tendre dont l’atmosphère estivale pleine de douceur met du baume au cœur. Idéal pour affronter les tristes et venteuses soirées d’automne qui s’annoncent.

Une journée parfaite de Danny Parker et Freya Blackwood. Grasset jeunesse, 2015. 40 pages. 13,90 euros. A partir de 3 ans.







jeudi 17 septembre 2015

Crans-Montana - Monica Sabolo

A Crans-Montana, dans les années 60, un groupe d’ados fantasme devant les trois C. : Chris, Charlie et Claudia. Des filles aux caractères bien différents, dont les apparitions relèvent d’une certaine forme de magie, figures spectrales aussi désirables qu’intouchables. Des décennies plus tard, les garçons repensent avec nostalgie à ces moments marquants et constatent que la vie et le temps qui passe n’ont épargné personne…

Il y a à peu près tout ce que je déteste dans ce livre, tant au niveau de l’atmosphère que de la façon dont le sujet est traité. Pourtant au début j’y ai cru, pensant tomber sur les souvenirs de puceaux en rut face à des filles inaccessibles et me rappelant à quel point j’avais aimé cette thématique dans Un été 42. Sauf que cette entrée en matière alléchante a vite laissé place à une succession de tableaux fugaces sans intérêt et à des réflexions d’un vide abyssal. Une jeunesse dorée qui se languit dans une confortable station de ski huppée, sous les poutres apparentes de chalets hors de prix, avec le petit personnel au garde à vous, le doigt sur la couture du pantalon... Typiquement un environnement que j’adore, vous vous en doutez ! On roule dans des voitures de luxe, on se noie dans le champagne et on mange le caviar à la louche, on porte fièrement des fourrures véritables et des bijoux de grands joailliers, bref on est riche à crever et il importe de le montrer.

Les C., en vieillissant, vont connaître de nombreux déboires, de la mère indigne à la dépressive suicidaire. Les gamins, devenus de respectables (et fortunés) pères de famille, vont s’ennuyer ferme dans des vies de couples sans relief et revenir sans cesse vers ces années d'adolescence où le champ des possibles semblait infini. Destins tragiques censés nous tirer des larmes parce que c'est bien connu, l'argent ne fait pas le bonheur… tu parles ! Moi j’ai regardé tout cela de loin, de très loin même, j’ai navigué en baillant entre les fêtes et les enterrements, pas concerné une seconde par ces personnages enfouissant leurs illusions sous les sommets enneigés d’une station suisse pour millionnaires.

Beaucoup de clichés proche d’un déterminisme à deux balles dans ce roman où luxe, calme et volupté ont rimé en ce qui me concerne avec indifférence, agacement et hâte d’en finir.

Crans-Montana de Monica Sabolo. J.C Lattès, 2015. 240 pages. 19,00 euros.





mercredi 16 septembre 2015

Les nuits de Saturne - Pierre-Henry Gomont et Marcus Malte

Une histoire de vengeance classique et claire comme de l’eau de roche. Du moins en apparence. Après quinze ans derrière les barreaux, Clovis n’a qu’une idée en tête à sa sortie : dézinguer celui qui l’a trahi au cours d’une nuit de cavale. Pour retrouver sa trace, il se rend chez Charles, l’ancien camarade de lutte armée. Il y récupère ses affaires et son arme avant de se lancer dans un road trip qui l’amènera de Grenoble à Strasbourg en passant par Macon. Une histoire de vengeance donc, sombre et torturée, mais aussi une histoire d’amour. Un amour improbable, de ceux qui ne s’expliquent pas et qu’il ne vaut mieux pas chercher à comprendre. Un amour auquel on résiste alors que l’on sait la partie perdue d’avance, car le cœur a ses raisons…

Rhaaaaaaaa ! L’adaptation d’un roman de Marcus Malte en BD ! Avant même de commencer, la certitude que ça va gratter et piquer très fort. La certitude aussi que tout ne va pas nous tomber tout cuit dans le bec, qu’une certaine complexité narrative sera de mise avant que les fils se rejoignent et tissent un canevas sans fausse maille. Et puis le plaisir de savoir qu’il n’y aura pas de happy end parce que chez Marcus, les histoires d’amour finissent mal en général, et parce que chez lui, noir rime toujours avec tristesse et désespoir.

Cerise sur le gâteau, la mise en images de Pierre-Marie Gomont, talentueux dessinateur découvert avec l’excellentissime Rouge Karma, est d’une beauté époustouflante. Personne ne pouvait mieux que lui restituer l’atmosphère poisseuse d’un récit tendu comme un arc. Ses cases sans cadre aux aquarelles d’une rare expressivité, ses couleurs soigneusement associées pour souligner la différence entre le présent et les nombreux flash-backs, ce découpage au cordeau, ce mélange permanent de douceur, de nervosité à fleur de peau et de violence contenue… tout simplement magistral !

Un polar qui dépote et vous marque au fer rouge. C’est simple, l’association Mallte-Gomont vaut à mes yeux celle de Tardi et Manchette. Et franchement, je ne peux pas faire de plus beau compliment.

Les nuits de Saturne de Pierre-Henry Gomont, d’après Marcus Malte. Sarbacane, 2015. 168 pages. 22,50 euros.






mardi 15 septembre 2015

La seule façon de te parler - Cathy Ytak

Nine ne supporte pas l’école. Chaque matin, quand le réveil sonne, elle attaque la journée avec un terrible mal de ventre. Chaque matin, le trajet en car est son chemin de croix : « Un haut-le-cœur. L’estomac qui se retourne comme une chaussette. Dès que je l’aperçois. Le collège. »

Nine est en 5ème . Elle a redoublé sa 6ème et se dit que jamais elle ne tiendra jusqu’à la fin de la 3ème. Et encore, heureusement qu’Ulysse est là ! Tellement beau, tellement craquant ce pion ! Bien sûr, il est trop vieux pour elle, mais la jeune fille ne peut s’empêcher de penser à lui du matin au soir. Et quand elle apprend que son petit frère Noah est scolarisé au collège, elle se dit qu’elle a trouvé le moyen d’approcher celui qu’elle aime. Sauf que Noah est sourd. Il ne va donc pas être simple de lui parler. A moins d’apprendre la langue des signes…

Très joli portrait d’une élève en souffrance. Pas une gamine turbulente ni violente, pas une grande gueule perturbatrice. Juste une préado qui s’ennuie et ne trouve pas de sens à sa présence entre les murs de son établissement. Un monde trop bruyant, trop agité pour elle. Un monde où on lui demande de construire son avenir alors qu’elle ne sait pas encore qui elle est et ce qu’elle va bien pouvoir devenir. Nine est attachante en diable et on ne peut que compatir face à cette situation qu’elle subit, à cette douleur qui lui pourrit la vie.

Le propos se veut constructif, positif. Sans tomber dans le conte de fée cucul. Oui, il est possible  de trouver sa voie, même quand l’horizon semble bouché. Et non, le chemin pour y parvenir n’est pas une route bordée de licornes pailletées et de fleurs des champs. Une évidence qu’il est parfois bon de rappeler. Cathy Ytak le fait avec le talent et la plume pleine de sensibilité qui la caractérise.

La seule façon de te parler de Cathy Ytak. Nathan, 2015. 130 pages. 5,50 euros. A partir de 11 ans.

Encore une belle pépite jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.









lundi 14 septembre 2015

Les matchs de la rentrée littéraire, c'est reparti et j'en suis ! (Appelez-moi parrain)



C'est la troisième fois qu'on me propose d'être parrain. J'ai toujours accepté, je ne sais pas dire non. Et j'ai toujours pris mon rôle très à cœur. Ce sera encore le cas cette fois-ci puisque j'ai l' honneur d'avoir été choisi par Priceminister pour devenir parrain des matchs de la rentrée littéraire.

Je ne vais pas expliquer le principe à celles et ceux qui ne le connaissent pas encore, si vous voulez tout savoir, découvrir les différentes sélections et vous inscrire, ça se passe par là.

En tant que parrain, mon rôle a consisté à choisir trois romans de la rentrée. Trois romans que j'ai aimé, forcément. Trois romans dont j'ai déjà parlé (ici, ici et ici). Trois romans qui, je l'espère, vous plairont autant qu'à moi.




Dans ma sélection donc, un roman français d'un auteur qui gagnerait à être bien davantage connu, un roman islandais au souffle littéraire impressionnant et un premier roman bouleversant d'une brûlante actualité.

Trois romans sur les 589 de la rentrée, c'est bien peu je vous l'accorde. Heureusement, je ne suis pas seul dans cette aventure puisque trois marraines de choc m'accompagnent. Elles aussi ont eu droit à trois titres. Si l'on rajoute la sélection de Priceminister, ça fait 15 romans en tout. Un choix suffisamment riche et varié pour que chacun y trouve son compte je pense.

Au fait, vous vous demandez peut-être qui sont les trois marraines ? Des blogueuses qu'on ne présente plus, que j'ai la chance de connaître personnellement et que j'apprécie énormément, c'est rien de le dire. Un grand merci à elles de m'accompagner dans cette aventure, je ne pouvais pas être mieux entouré !

Pour retrouver leurs billets de présentation et leurs sélections rendez-vous chez Leiloona, Noukette et Stephie.

Alors, vous en pensez quoi de ces sélections ? Tenté par l'aventure ? J'attends vos remarques et réflexions !
















dimanche 13 septembre 2015

Le rêve du retour - Horacio Castellanos Moya

Erasmo, journaliste salvadorien exilé au Mexique, décide de rentrer au pays au moment ou un accord de paix est sur le point d’être signé entre la guérilla et le gouvernement. Mais avant de prendre l’avion il doit régler quelques problèmes. D’une part faire comprendre à sa femme qu’il ne les abandonne pas elle et sa fille (même si en fait il a bien l'intention de ne pas les revoir, surtout depuis que sa conjointe lui a avoué l’avoir trompé avec un acteur de seconde zone). D’autre part arrêter la boisson et soigner les terribles douleurs au foie qui le font souffrir à longueur de journée. Pour cela il va rencontrer Don Chente, médecin acupuncteur et hypnotiseur auquel il va se livrer pendant de longues séances dont il ne gardera aucun souvenir et dont le praticien, consignant ses paroles dans un carnet, ne voudra rien lui révéler…

Horacio Castelanos Moya m’avais mis k-o avec son précédent roman, plongée ultra violente au cœur de la guerre civile salvadorienne. Je le retrouve ici dans un registre plus intimiste mais aussi plus proche de la farce à travers le portrait d’un loser pathétique, égoïste, paranoïaque et alcoolique. Un personnage que je ne pouvais qu’adorer, vous pensez bien ! Un bonheur de suivre Erasmo dans ses plans de vengeance foireux envers l’amant de sa femme, dans ses beuveries mémorables, ses interrogations existentielles et ses gueules de bois monumentales qui m’ont rappelé bien des souvenirs.

Parce que je n’aime pas les héros et que les lâches, les pleutres, les couards (rayez la mention inutile) trouveront toujours grâce à mes yeux, je me suis attaché à ce journaliste minable, mari et père lamentable incapable d’assumer ses responsabilités. La narration à la première personne nous plonge dans le flot ininterrompu de phrases lâchées au bord de la crise de nerfs. Un tourbillon revigorant dont je suis ressorti le sourire aux lèvres, incapable de bouder mon plaisir face un tableau aussi humain qu'affligeant.

Le rêve du retour d’Horacio Castellanos Moya. Métailié, 2015. 156 pages. 17,00 euros.




samedi 12 septembre 2015

Les lectures de Charlotte (9) : Au dodo dis donc !

Charlotte adore ce livre où l’on découvre le rituel du dodo chez tous les animaux. Avec les pandas qui ouvrent le bal, elle était en terrain connu puisque chez eux c’est comme chez nous, on va se coucher tran-quille-ment, après avoir enfilé le pyjama, s’être lavé les dents, avoir attrapé doudou, lu une histoire et fait un gros câlin. Mais chez les renards et les lions, l’affaire est plus compliquée. Chez les singes aussi d’ailleurs. En fait, à chaque fois que l’on dit « Au dodo dis donc ! », les réactions sont différentes, certains crient, d’autres courent, d’autres encore se plaignent ou s’inventent des excuses pour retarder le moment fatidique.

Un plaisir de découvrir les mille et une astuces de chacun pour ne pas aller au lit. A chaque page des volets à soulever et des surprises rigolotes. Alors que l’on croit les enfants couchés pour de bon, on les retrouve sous leur cachette de carton dans une posture singulière qui déclenche le sourire. Une mécanique bien huilée et redoutablement efficace servie par un graphisme et des couleurs tout en douceur. Idéal pour dédramatiser l‘heure du coucher dans la bonne humeur !

Au dodo dis donc ! de Pierre Delye et Cécile Hudrisier. Didier Jeunesse, 2015. 18 pages. 12,10 euros. Dès 18 mois.










vendredi 11 septembre 2015

La dernière nuit du Raïs - Yasmina Khadra

Il sait la partie perdue d’avance. Malgré le soutien indéfectible de sa garde rapprochée se réduisant comme peau de chagrin, aucune échappatoire possible. En cette soirée d’octobre 2011, terré dans une école bunkerisée, il s’isole et repense au chemin parcouru depuis sa naissance, lui le fils de bédouin devenu roi, « l’enfant béni du clan des Ghous venu de son désert semer la quiétude dans les cœurs et les esprits ». Impossible d’accepter la trahison d’un peuple auquel il est persuadé d’avoir apporté le bonheur. Bouffi d’orgueil, dévoré par une mégalomanie qui l’aveugle, Khadafi ne veut entendre aucune critique, aucune remise en cause : « Ce que je dis est parole d’Évangile, ce que je pense est présage. Qui ne m’écoute pas est sourd, qui doute de moi est damné. Ma colère est une thérapie pour celui qui la subit, mon silence est une ascèse pour celui qui le médite. »

Incroyable tour de force d’un Yasmina Khadra mettant en scène à la première personne, sans caricature ni manichéisme, le crépuscule d’un dictateur au bord de la folie.Un homme rongé par les psychotropes, au phrasé aussi halluciné qu’incantatoire.Un homme condamné qui va tenter un dernier baroud d’honneur avant la curée, et dont la fin pitoyable restera à jamais gravée dans les mémoires.

Les dernières pages sont d’une sublime intensité dramatique, traversées par un éclair de lucidité bien trop tardif : « L’orgueil est allergique à la raison. Quand on a dominé les peuples, on s’oublie sur son nuage. Mais qu’a-t-on dominé au juste ? Pour aboutir à quoi ? En fin de compte, le pouvoir est une méprise : on croit savoir et l’on s’aperçoit qu’on a tout faux. Au lieu de revoir sa copie, on s’entête à voir les choses telles qu’on voudrait qu’elles soient. » A travers la déchéance inéluctable d’un personnage digne de Shakespeare, cette dernière nuit du Raïs offre la vision apocalyptique d'un pays en plein chaos qui, en se libérant du dictateur honni, ne s'offrira pas pour autant un avenir tout tracé vers la démocratie, loin s'en faut.

La dernière nuit du Raïs de Yasmina Khadra. Julliard, 2015. 210 pages. 18,00 euros.




jeudi 10 septembre 2015

Les eaux troubles du mojito - Philippe Delerm

J’aime bien Delerm, je l’ai déjà dit ici et ici. Peu m’importe son parisianisme bobo, son utilisation à outrance du « on », son optimisme béat ou son goût faussement naïf pour les petits bonheurs simples du quotidien. Je ne fais pas partie de ses détracteurs (et Dieu sait s’ils sont nombreux), mais pour le coup, j’ai refermé ce recueil avec un vrai sentiment d’inutilité.

Il rejoue ici la partition de « La dernière gorgée de bière » avec des micro-nouvelles oscillant entre le plaisir de moments furtifs et quelques réflexions sur le temps qui passe. Mais à quoi bon s’ébahir devant « le goût transparent » de la pastèque ou l’arôme « légèrement fumé » du navet cru  ? A quoi bon s’attarder sur le charme de boissons telles que le Guignolet, le mojito ou le Spritz ? A quoi bon faire deux pages sur une réunion de copropriété qui ne pourra pas se tenir faute de quorum ? Il y a heureusement quelques moments de grâce dans la fadeur ambiante. Des flâneries dont on ressent l’atmosphère particulière, à Bruges ou au jardin du Luxembourg, des instants cocasses ou des réflexions plus profondes, douces-amères et empreintes d’une nostalgie touchante. Mais trop peu pour contrebalancer une impression générale de futilité et d’insignifiance, l’impression que la plupart de ces textes sont à classer dans la catégorie « aussi vite lus qu’oubliés ».

Loin d’être un grand cru ce Delerm, donc. Pas non plus une piquette imbuvable car l’écriture possède toujours ce charme suranné et désuet que j’apprécie particulièrement, mais disons que ce catalogue de « belles raisons d’habiter sur terre » ne me laissera pas un souvenir impérissable.

Les eaux troubles du mojito de Philippe Delerm. Seuil, 2015. 110 pages. 14,50 euros.