lundi 24 novembre 2014

Malenfer, la forêt des ténèbres T1 - Cassandra O’Donnell

Malenfer, la forêt maléfique, ne cesse d’avancer. Elle menace désormais la maison où vivent Gabriel et sa petite sœur Zoé. Depuis que leurs parents sont partis chercher de l’aide et n’ont plus donné de nouvelles, les enfants doivent se débrouiller seuls. Ils continuent chaque jour de se rendre à l’école de Wallanger, où il se passe d’étranges événements. Un monstre serait tapi au fond du lac maudit qui borde l’établissement. Un monstre qui aurait un lien avec la disparition soudaine d’un élève dont on aurait retrouvé une chaussure au bord de l’eau… Aidés de quelques camarades, Gabriel et Zoé décident de mener l’enquête.

Une nouvelle série de fantasy prometteuse qui sort quelque peu des sentiers battus dans la mesure où elle s’adresse à un public pas forcément habitué à fréquenter ce genre. Tout a été pensé au niveau de la forme pour ne pas perdre en route les novices et mettre le pied à l’étrier à ceux qui se découragent à l’idée de se lancer dans des « sagas-pavés ». Ici, à peine 200 pages, des chapitres courts et une typo très aérée sont autant d'éléments contribuant à mettre le petit lecteur frileux en confiance, et c’est vraiment une bonne chose.

Ce premier tome reste un tome d’introduction où l’histoire se met doucement en place et où l’on comprend que bien des mystères restent encore à résoudre. Les personnages sont attachants, la magie est omniprésente, l’école de Gabriel et Zoé à un petit coté « Harrypotterien » qui devrait plaire et les créatures fantastiques pullulent. Une recette éculée, certes, mais qui a fait ses preuves. Efficace et bien pensée, cette série va permettre de faire découvrir la fantasy à un public plus jeune et pas nécessairement gros lecteur, c’est un point très positif.

Malenfer, la forêt des ténèbres T1 de Cassandra O’Donnell. Flammarion, 2014. 216 pages. 10,00 euros.


Les avis de MyaRosa et Nahe 

dimanche 23 novembre 2014

La guerre des bisous

Parce que Montreuil approche à grands pas, je vais me focaliser cette semaine sur quelques nouveautés en littérature jeunesse. On commence en douceur avec un album plein de bisous.

La guerre des bisous a commencé quand Lili a embrassé Jojo sur la bouche. Un bécot. Un gros bécot ! Dounia a cafté et pour la peine, Thomas lui a fait un bisou. « Du coup, Julie, jalouse, a fait un bisou à Arthur qui a fait un bisou à Rayan, parce que y a pas de raison ! ». Puis c'est Aboubacar qui a embrassé la maîtresse et la directrice qui a embrassé Monsieur Bernard, le surveillant. A partir de là, tout est parti en sucette et le monde entier a été contaminé par une incontrôlable épidémie de bisous.

Oh la belle maladie que voilà ! Le battement d'ailes de deux enfants qui s'embrassent et c'est toute la terre qui s'embrase. A chaque page, le virus se répand un peu plus. Mais en bas de chaque page, dans le coin gauche, il y a un petit rabat. Sous ce rabat on retrouve Lili et Jojo. Pendant que la guerre des bisous s'étend, ces deux-là sont dans leur bulle. Ils ont déclenché les hostilités mais depuis, ils sont seuls au monde. L'événement à beau être planétaire, ils n'en font plus partie. Parce qu'ils s'aiment et que quand on s'aime, rien d'autre ne compte.

Malgré les apparences, Vincent Cuvellier a voulu écrire sur l'intimité. La vraie histoire est muette, c'est celle de Lili et Jojo, en bas à gauche de chaque page, sous ce petit rabat derrière lequel ils vont pouvoir s'isoler de la folie ambiante. Les illustrations de Suzanne Arhex, pleines de spontanéité, possèdent le coté naïf et nerveux qu'avaient les premiers Tom-Tom et Nana. Un très joli album, frais et léger, qui fait du bien. Autant en profiter, surtout par les temps qui courent.

La guerre des bisous de Vincent Cuvellier et Suzanne arhex. Gallimard, 2014. 24 pages. 13,90 euros. A partir de 5 ans.







vendredi 21 novembre 2014

Le puits - Ivan Repila

Je n’ai pas l’habitude de le faire, mais pour une fois je vais spolier à mort. Difficile de comprendre ce que j’ai ressenti en lisant cet OVNI si on ne connait pas l’ensemble de l’histoire. Je m’en excuse par avance mais je suis incapable de procéder autrement. Je précise d’emblée que ce livre, on me l’a prêté. Je n’en avais jusqu’alors jamais entendu parler. C’est un tout petit fascicule d’une centaine de pages. Dans la préface, Zoé Valdes s’extasie devant cette œuvre qu’elle place « au panthéon des Jules Verne, Alain Fournier et autres Antoine de Saint-Exupéry ». Franchement, je n’ai rien vu de tout ça.

Dès la première page, nous sommes avec deux frères prisonniers d’un puits. On ne sait pas où ils sont, on ne sait pas quand l’histoire se déroule, on ne sait pas comment ils s’appellent ni comment ils sont arrivés là. Il y a juste « le grand » et « le petit », coincés dans un trou sans aucune possibilité de s'en échapper. J’ai compris que les numéros des chapitres, s’enchaînant sans suite logique (2-3-5-7-11-13-17-19-23…), devaient correspondre aux jours qui passent. Pour info, le dernier chapitre est le 97…

Les jours passent, donc, et les enfants se nourrissent de vers et de racines. Ils s’occupent comme ils peuvent, dorment affreusement mal, dépérissent peu à peu. Dans ce huis clos irrespirable, le petit sombre peu à peu dans la folie. Tous deux pensent au meurtre, au cannibalisme, à cette faim qui les ronge, à cette liberté semblant à jamais perdue. Et pendant ce temps, personne ne leur vient en aide, personne ne semble même les chercher. A la fin, le petit s’en sort. Mais pas le grand. A la fin, le petit se venge. Mais je ne vous dirais pas comment. A la fin, j’ai refermé le livre en me demandant à quoi cela pouvait bien rimer.

Le puits, premier roman d’un auteur espagnol né en 1978, est pour moi un texte archi-dérangeant. Parce que je n’ai pas vu le sens, et j’aime trouver du sens quand je lis. Parabole, allégorie, fable sans morale ? Démonstration de ce que peut être la fraternité au sens le plus noble du terme ? Je cherche encore. J’accepte tout à fait de reconnaître que je n’ai rien compris mais alors qu’on m’explique ! Et puis pour un gars claustrophobe comme moi, cette lecture a été une véritable épreuve, à la limite de la souffrance physique. En tout état de cause, je ne suis pas près de l’oublier.


Le puits d’Ivan Repila. Denoël, 2014. 110 pages. 11,00 euros.

Les avis de Cryssilda et Sandrine









mercredi 19 novembre 2014

Little Tulip - Boucq et Charyn

New York, années 70. Alors qu’un tueur en série agresse les femmes seules dans des ruelles sombres, Pavel le tatoueur voudrait venir en aide à la police en réalisant un portrait-robot de l’assassin, mais malheureusement aucun témoin ni indice ne lui permet de se mettre à l’œuvre. Il faut dire que Pavel possède depuis l’enfance un don pour le dessin. Un don qui lui a sauvé la vie des années plus tôt, en 1947, lorsqu’il fut déporté avec ses parents dans un goulag sibérien. Il n’avait que sept ans à l’époque et pour survivre au cœur de cet enfer, il s’était rapproché du chef de gang « Kiril la baleine », dont il avait fini par devenir le tatoueur officiel. Un statut qui lui offrit pendant un temps une certaine forme de protection…

Il était inimaginable pour moi de rater le retour du duo Boucq/Charyn vingt-cinq ans après la publication du fabuleux « Bouche du diable ». Comme toujours avec le romancier originaire du Bronx, New York sert de toile de fond à une intrigue multipliant les va-et-vient entre l’URSS de Staline et l’Amérique de Nixon. Le récit est dans l’ensemble violent, sombre et cruel mais pas que. Il propose une réflexion sur les luttes de pouvoir dans le microcosme du goulag et insiste sur l’importance du sens que prenait chaque tatouage pour les prisonniers.

Un vrai plaisir de lecture simple et direct comme je les aime. Sans chichi, sans considérations intellos ou nombrilistes. De la BD populaire dans le bon sens du terme avec de l’action, des sentiments, de la tension et des drames. Le dessin de Boucq est comme d’habitude à tomber par terre et les couleurs sont somptueuses. Concernant le scénario, j’avoue que la fin est quelque peu tirée par les cheveux tant certaines coïncidences sont difficiles à croire. Mais on s’en fiche. Tout ce qui  compte est de se laisser prendre par la main dès la première page pour voir se déployer le destin hors du commun de ce tatoueur aux doigts de fée. Pas l’album de l’année, comme certains l’affirment déjà, mais sans conteste un incontournable pour les fans de ce duo aussi rare que talentueux.

Little Tulip de Boucq et Charyn. Le Lombard, 2014. 88 pages. 16,45 euros.











mardi 18 novembre 2014

La chasse aux papas - Mathis

Paul a besoin de parler de son père. « Qui s’énerve pour un oui ou un non. Qui hurle au lieu de lui parler. Qui lui dit de se taire au lieu d’écouter. Qui le gifle quand il lui répond ». Pauline l’écoute avec attention. Elle, c’est son chien qui s’appelle papa. Un père, un vrai, elle n’en a pas. Il est parti avant sa naissance. Les deux enfants viennent à peine de se rencontrer et pourtant ils décident de faire cause commune. Ensemble, ils se dirigent vers le parc pour se choisir un super papa. Une partie de chasse qui va leur réserver de belles surprises.

Suite de notre tour d’horizon des nouveautés de la collection « Petite poche » avec une histoire d’amitié touchante et sympathique. « Les  papas, c’est un peu comme des pommes dans un cageot. Il y en a toujours une ou deux qui sont un peu pourries. » Pauline a entendu cette phrase dans la bouche de sa voisine. Pour Paul, les choses ne sont pas si simples : « Les papas, c’est pas des pommes. Et les mamans, c’est pas des poires. » Les enfants s’accordent sur un profil idéal : Un papa sportif, un peu sérieux, mais pas trop, avec une bonne tête. Et pas déjà pris ! Autant dire que la mission est ardue.

Un petit ouvrage de lecture aisée et rapide qui aborde, sous ses faux airs de légèreté, l’importante question du rapport au père. Mathis a un don pour traiter avec sensibilité les sujets les plus complexes (je vous conseille, si vous ne me croyez pas, de découvrir son magnifique « Le bébé et le hérisson »). Il le prouve une fois de plus ici, avec le talent qui le caractérise.

La chasse aux papas de Mathis. Thierry Magnier, 2014. 47 pages. 5,10 euros. A partir de 8 ans.


Et une nouvelle lecture jeunesse du mardi que je partage avec Noukette.





lundi 17 novembre 2014

Toxic Boy T1 - Xavier

Dans un monde au bord de l'asphyxie, où des éruptions d'eaux toxiques condamnent à plus ou moins long terme toute activité humaine, le jeune Poko fait figure d'exception. Contaminé comme beaucoup d'autres par ces eaux polluées, il semble depuis insensible à leurs effets. Au contraire, il s'en nourrit comme d'une drogue et voit sa force décuplée dès qu'il plonge dans un bain de toxines. Poko intrigue et fascine. Il semble aussi attirer les ennuis comme un aimant...

Un shonen à la française de près de 300 pages, premier volume d'une série prévue en quatre tomes, il fallait oser ! Le pari de Xavier est risqué mais réussi. Son western futuriste post-apocalyptique est enlevé en diable et l'univers créé, d'une rare profondeur, offre de nombreuses perspectives. Un poil d'écologie, des personnages bien campés, des péripéties variées, une intrigue qui mêle mafia et politique et un épilogue qui ne peut que donner envie de connaître la suite, la recette est éprouvée mais efficace.

Le dessin, nerveux à souhait, offre une belle caisse de résonance à l'enchaînement des scènes d'action. A souligner aussi le travail très intéressant sur les décors, qu'ils soient désertiques ou maritimes. Une agréable surprise que ce mélange de manga et de BD franco-belge très éloigné de ma zone de confort habituelle. Il faut saluer la prise de risque d'un jeune auteur audacieux, capable de mettre en images un véritable page turner. Chapeau !



Toxic Boy T1 de Xavier. Sandawe, 2014. 296 pages. 13,90 euros.

Une lecture que j'ai le plaisir de partager avec Mo.




dimanche 16 novembre 2014

Les Vitalabri - Jean-Claude Grumberg et Ronan Badel

Les Vitalabri n’ont ni patrie ni pays. On pourrait croire qu’ils sont chez eux partout mais personne ne veut d’eux nulle part. Derrière leurs frontières infranchissables, ceux qui sont nés quelque part refusent de les accueillir. Sans abri, sans papiers, avec comme seuls biens leur musique et la liberté, les Vitalabri continuent leur errance.

Une très jolie réflexion sur l’exil, la famille, le rejet d’un peuple voyageur et mal aimé. Madame Vitalabri voudrait aller « là où on aime les Vitalabri », seulement ce lieu n’existe pas. Pour franchir la frontière, le passeur leur demande de l’argent mais ils n’ont « pas un sou. Pas un radis. Pas un kopeck. Pas un liard ». Embarqués par « des uniformes, bâtons levés », jusqu’à la préfecture, ils finiront expulsés. Comme toujours.

Sous la plume de Jean-Claude Grumberg, le destin de cette famille nomade malgré elle devient une fable profonde aux multiples niveaux de lecture. Homme de théâtre, il trousse de savoureux dialogues, souvent drôles, et n’hésite pas à interpeller le lecteur, dont il s’amuse à devancer les questions éventuelles : « Comment ? Vous n’avez pas compris, là, le pourquoi ? […] Comment faisaient-ils pour manger ? C’est une très bonne question, je vous remercie de l’avoir posée, ça va me permettre d’y répondre ». Le récit en devient d’autant plus dynamique et interactif. Après, je ne suis pas certain que les enfants saisissent la dimension historique et politique du propos, son actualité brûlante, mais peu importe. Ils verront l’injustice, l’exclusion, les préjugés, l’animosité gratuite et sans fondements. Ils verront aussi une famille soudée malgré les difficultés et surtout une fin positive et porteuse d’espoir : « Pourquoi voulez-vous que toutes les histoires finissent mal ? Il faut bien que quelques-unes finissent bien, non ? ».

Un texte subtil et engagé, illustré en douceur par l’excellent Ronan Badel, dont les aquarelles sont ici dignes d’un Sempé. Et en plus c’est un très bel objet-livre. Que demande le peuple ?

Les Vitalabri de Jean-Claude Grumberg et Ronan Badel. Actes Sud junior, 2014. 84 pages. 15,00 euros. A partir de 8 ans.








samedi 15 novembre 2014

un livre, un lieu

Je n'ai pas été tagué cette fois-ci mais celui-là me plait beaucoup alors je me lance. Le principe est simple, il faut se souvenir de quelques lectures associées à certains lieux. Alors comme ça, sans trop réfléchir, voilà ce qui me revient :


J'ai lu celui-là au cours d'un séjour à Montréal, au début des années 2000. J'avais cherché un roman se déroulant là-bas avant de partir et c'était le seul que j'avais trouvé. Le début de mon histoire d'amour avec Dany Laferrière.



Un livre dévoré pendant ce que l'on appelait « les trois jours », à l'époque où le service militaire existait encore. Pour passer quelques temps dans une caserne avec des gradés, le titre me semblait parfaitement approrié. C'est devenu pour moi un roman culte (et accessoirement, j'ai fini objecteur de conscience...).  



Un grand souvenir ! J'avais 13-14 ans et mon grand-père avait une tripotée de bouquins de ce genre. Il les planquait très mal, je les lui piquais tout le temps et je les lisais, d'une main, dans mon lit. Quand, j'y pense, j'étais un sacré branleur...



Celui-là, je l'ai lu à la BU de la fac d'Amiens. Il était considéré comme un dictionnaire et on ne pouvait pas l'emprunter. J'aimais bien venir à la bibliothèque le consulter. J'y ai découvert des auteurs qui m'ont durablement marqué, de Ragon à Poulaille, en passant par Darien, Agustin Gomes-Arcos ou encore Ludovic Massé.



Un de mes plus grands souvenirs de lecture. En plein été, au bord du lac d'Annecy. J'avais eu les larmes aux yeux en terminant la nouvelle intitulée « Le manteau ». Je m'en rappelle parfaitement et j'y repense à chaque fois que j'aperçois ce recueil sur mes étagères.



Le livre que j'avais emmené pendant mon voyage à l'ïle Maurice, en 2009, quand je m'y suis marié. Ça se passe en Martinique mais j'avais envie d'un roman se déroulant sur une île.



Celui-là m'a accompagné à la maternité en février 2013, pendant l'accouchement de ma femme. J'avais besoin d'un petit fascicule à glisser dans ma poche avant de partir de la maison, je l'ai choisi au hasard dans ma pal. Et je l'ai lu entre deux contractions. J'ai largement eu le temps de le finir, il a duré cet accouchement (oui, je sais, je suis un mari indigne...).



Facile de me souvenir de celui-là, je l'ai lu la semaine dernière, dans un bistrot d'Amiens, avant de me rendre à une réunion bien pénible. Et c'est une lecture que je ne suis pas près d'oublier (mais ceux qui passent régulièrement par ici le savent déjà).


Je ne tague personne, comme d'habitude, mais si le cœur vous en dit, n'hésitez pas. C'est un joli exercice de mémoire je trouve.















vendredi 14 novembre 2014

5 ans déjà : les gagnant(e)s

Encore une fois, et sans aucune fausse modestie, je suis abasourdi et enchanté de voir le nombre de commentaires ayant fleuri suite à mon billet anniversaire. Beaucoup de gentillesse, de sincérité, de mots qui mettent du baume au cœur. Je constate que vous êtes quelques-un(e)s à apprécier de passer par ici et rien ne peut me faire plus plaisir.

Trêve de bavardage, passons au résultat du tirage au sort. Vous étiez 72 sur la ligne de départ, exactement comme l'an dernier.




Gagnante n°1 : 

Marion


Gagnante n°2 : 

L'ivresse des mots


Gagnant n°3 : 

Aifelle


Comme convenu, vous choisissez le livre que souhaitez parmi mes lectures de la rentrée littéraire. Et si vous préférez une BD à un roman, pas de souci. Prenez votre temps, rien ne presse. En cas de rupture chez l'éditeur ou de difficulté à récupérer un exemplaire, je vous préviendrais afin que vous sélectionniez un autre titre. Pour me signifier votre choix et me donner votre adresse, il suffit d'envoyer un petit mail.








Mauvaise pente - Keith Ridgway

« J’ai tué mon mari. L’ai étendu raide avec le capot de sa voiture. Suis partie après ça, et me suis fait couler un bain. Fait mon possible pour ne pas chanter. […] J’ai vu ses jambes se briser comme des allumettes. Il y avait très peu de sang mais j’ai vu le blanc de ses os à travers son pantalon déchiré. Je n’ai pas pu distinguer son visage, et j’ai pensé que c’était à cause de la façon dont il était tombé – parce que son visage était caché. Mais je crois que c’est parce que son visage avait disparu. »

Grace a tué ce mari alcoolique qui la battait comme plâtre. Elle l’a écrasé sur une petite route de campagne, par une nuit glaciale et étoilée, alors qu’il rentrait à pied à la maison. Des années auparavant, Grace a perdu son fils Sean, noyé dans un cours d’eau pendant qu’elle étendait le linge à quelques mètres de lui. Il n’était qu’un enfant. Grace a aussi vu partir pour Dublin son autre fils, Martin, le jour où il a annoncé à ses parents son homosexualité et où son père l’a dérouillé.

Après l’enterrement de son « cher époux » et alors que la police mène l’enquête pour retrouver le meurtrier, elle s’installe dans l’appartement de Martin. Mais le jour où elle avoue son forfait à un journaliste, elle brise définitivement le lien ténu qui la reliait encore à lui. Car en apprenant la vérité, le fils décide de la dénoncer aux autorités…

Un premier roman d’une force et d’une sobriété incroyables. Aucune flamboyance dans ces pages, aucun pathos. Juste le portrait d’une femme en chute libre, d’une femme née victime, rongée par la culpabilité : « Je l’ai fait parce que je voulais me libérer de lui, et maintenant je suis liée à lui plus indissolublement que je ne l’avais jamais été. […] Je voulais le cracher, je l’ai avalé. Je n’aurais pas dû le faire ». « Elle avait tué. Elle avait fait cela, elle avait accroché ce mot autour de son cou et il l’entraînait inexorablement vers le bas ». Et puis j’ai adoré l’atmosphère de Dublin recouverte en permanence d’un capuchon gris, de cette ville sous la pluie et le vent, de ses rues sombres et froides où les manteaux ne sèchent jamais tout à fait.

Le titre anglais (The Long Falling) est bien plus parlant je trouve. Il dit la solitude, la révolte, la résignation. Il dit la misère du cœur et la défaite qui s’annonce, inéluctable. Mauvaise pente est un roman du désastre, terrible et lancinant, qui vous marque au fer rouge. En filigrane, Keith Ridgway, à travers un fait divers véridique lié au droit à l’avortement qui avait défrayé la chronique en 1992, propose la radiographie sans concession d’un peuple irlandais en proie à ses démons, incapable de briser les chaînes le reliant aux siècles passés. C’est tout simplement brillant.

Mauvaise pente de Keith Ridgway. 10/18, 2009 (Prix Fémina 2001). 380 pages. 8.10 euros.

Une découverte que je dois une fois de plus à Marilyne et une lecture que j'ai évidemment le plaisir de partager avec elle.

L'avis de Clara