mercredi 3 février 2010

Moi et Rien


C’est l’hiver. Lila est une petite fille que les autres enfants trouvent bizarre. Sa maman est partie dans le ciel et son Papa a des soucis. De toute façon, il n’est presque jamais là. C’est Madame Nellis qui s’occupe d’elle. Pour Lila, rien n’est important si Rien reste avec elle. Rien est un personnage imaginaire qu’elle s’est inventée pour tromper l’ennui et surmonter sa tristesse. Quand le printemps arrive, Lila plante les fleurs préférées de sa maman dans le jardin. Grâce à ces pavots bleus de l’Himalaya, la petite fille va renouer les liens avec son père et vivre une très belle saison.


Moi et Rien est un album d’une grande sensibilité. La mort de la mère ne fait aucun doute, mais elle est plus suggérée qu’affirmée clairement : « Pourquoi ne suis-je pas partie avec Maman dans le ciel ? Elle doit être sur l’Himalaya maintenant ». C’est une réflexion sur le travail de deuil, sur la façon de surmonter une épreuve aussi lourde pour un enfant. A cet égard, le rôle du printemps est fondamental : c’est le symbole du renouveau, le début d’une possible reconstruction.

La mise en page est « éclatée », avec une relation texte/image très variable d’une page à l’autre : deux illustrations et deux blocs-texte ; une illustration et un bloc-texte ; une illustration et deux blocs-texte ; une illustration pleine page. La seule illustration pleine page de l’album représente le moment le plus important, celui des retrouvailles entre le père et sa fille. Les illustrations sont enfantines, comme-ci Lila avait voulu dessiner elle-même les passages de son récit à la première personne. La petite fille est toujours représentée de la tête aux pieds, il n’y a que des plans larges et des plans d’ensemble, ce qui renforce le coté enfantin. Les couleurs sont quand à elles très froides, ternes.

Au final, cet album propose de traiter le deuil avec douceur et beaucoup d’intelligence. Un ouvrage à connaître et à recommander à ceux qui ne savent pas comment aborder avec leurs enfants le thème si particulier de la mort d’un proche.

Moi et Rien, de Kitty Crowther, L’école des loisirs, 2003. 5,50 euros. A partir de 8 ans.

L’info en plus : Le talent de Kitty Crowther a une fois de plus été reconnu à sa juste valeur puisque son dernier livre, Annie du lac, vient de remporter le prix Baobab de l’album au salon de Montreuil 2009. Plus d’informations ici : http://www.salon-livre-presse-jeunesse.net/I_05_01_bao.php



Chronique réalisée dans le cadre du challenge Lectures d'écoles et du challenge Les mercredis de l'album.



lundi 1 février 2010

L’ombre de ce que nous avons été


Santiago du Chili. Un tourne-disque jeté par la fenêtre au cours d’une dispute conjugale fracasse le crâne d’un passant quelques mètres plus bas. Ce passant n’est pas n’importe qui. Il s’appelle Pedro Nolasco Gonzalez. A 70 ans, cet anarchiste est une légende vivante, plus connu sous le sobriquet du Spécialiste.


Dans un hangar, trois sexagénaires se retrouvent, de retour d’exil 35 ans après le coup d’état de Pinochet. Ces anciens militants d’extrême gauche attendent le Spécialiste. Il doit leur proposer de participer à une action révolutionnaire. Evidemment, le Spécialiste ne viendra jamais. Celui qui se présente à sa place n’est pas un inconnu, mais c’est loin d’être une flèche…

Roman de l’exil, du déracinement et du temps qui passe (le titre résume merveilleusement l’ensemble !), ce texte se distingue par sa truculence et ses fulgurances littéraires. Ces papys tiennent plus des Pieds Nickelés que des grands héros révolutionnaires. Il ne leur reste que des souvenirs, et c’est déjà beaucoup. Sepulveda porte un regard plein de tendresse sur ces compatriotes qui lui ressemblent tant (proche des jeunesses communistes, il fit deux ans de prison sous Pinochet avant de s’exiler en Allemagne puis en Espagne).

Il dresse une galerie de personnages secondaires plus touchant les uns que les autres : un vieil inspecteur humaniste au grand cœur, sa jeune collègue pleine de bonne volonté ou encore cette femme qui regrette amèrement son exil berlinois et ne vit que grâce aux doux souvenirs laissés en Europe. Et puis il y a la ville. Santiago est un personnage à part entière Noyée sous les trombes d’eau pendant tout le roman, elle vit, elle aussi, avec la mémoire de sa grandeur passée. Aujourd’hui terne, sale, s’étant développée en dehors de tout contrôle, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même.

Sepulveda aurait pu faire de son texte une mélopée d’une insondable tristesse. Il a choisi au contraire de traiter son sujet avec humour et de dérouler cette prose jubilatoire qu’il maîtrise si bien. A consommer sans modération.

L’ombre de ce que nous avons été, de Luis Sepulveda, Métailié, 2010. 150 pages. 17 euros.

L’info en plus : les éditions Points profitent de la sortie de ce nouveau roman pour publier en poche deux titres du grand auteur chilien. Le monde du bout du monde est paru pour la première fois en France en 1993. Réédité en poche dès 1995, il n’était plus disponible dans ce format depuis quelques années. La lampe d'Aladino et autres histoires pour vaincre l'oubli est l’avant dernier roman de Luis Sepulveda. Il paraitra pour la première fois en poche au mois de mars. Une belle occasion de compléter la bibliographie de ce magnifique romancier à moindre coût.

mardi 26 janvier 2010

Un bol plein de bonheur

Osaka, dans les années soixante. Ne supportant plus un mari alcoolique et joueur invétéré, Kazuo quitte le domicile familial avec Iroshi, son fils d’à peine 10 ans. Commence alors pour cette mère célibataire une existence rude faite d’efforts et de sacrifices pour donner à son enfant la meilleure éducation possible. « Je ne cède devant rien ni personne ». C’est avec cette maxime chevillée au corps qu’Iroshi et sa mère vont redoubler d’efforts et affronter avec une volonté de fer un quotidien parfois difficile. Le manga couvre en un volume plusieurs décennies de vie commune et se termine alors qu’Iroshi, devenu adulte et père de famille, enterre cette mère admirable qui lui aura tout donné sans jamais se plaindre.


L’entreprise de départ est noble. Montrer l’abnégation d’une mère célibataire prête à tout pour transmettre à son fils les valeurs morales nécessaires à faire de lui un homme bon, respectueux de soi et des autres est une idée remarquable et relativement originale. Cependant, la mise en scène de ce louable combat maternel sombre vite dans un pathos excessif. C’est essentiellement au niveau du dessin que le bât blesse. Les traits manquent de finesse, surtout pour les visages. Il y a énormément de gros plans où les expressions semblent forcées, très peu naturelles. On voit aussi couler beaucoup de larmes, des torrents entiers qui s’écoulent le long des joues et sous le nez. Là encore, la représentation des pleurs se veut grandiloquente, sans doute pour renforcer le caractère dramatique de la scène. Malheureusement, cela confine parfois au ridicule.

Vous l’aurez compris, le reproche majeur que je fais à ce manga est son manque de finesse. Le mélo atteint un paroxysme qui, en devenant outrancier, ne me touche plus.

Tsuru Moriyama a voulu réaliser un hymne aux mères courage qui n’hésitent pas à assumer seule l’éducation de leurs enfants. C’est une magnifique intention, mais je n’ai personnellement pas été embarqué dans ce drame trop larmoyant à mon goût.

PS : j’aimerais beaucoup avoir l’avis d’autres personnes sur ce manga car je pense que mon manque de sensibilité congénital (je n’ai jamais pleuré devant Bambi !) m’empêche sans doute de saisir toute l’intensité de ce drame. Ne vous fiez donc pas trop à mon opinion tranchée, il se pourrait bien qu’elle ne soit pas représentative de l’avis général.

Un bol plein de bonheur, de Tsuru Moriyama, Éditions Delcourt, 2010. 7,50 euros.

L’info en plus : La collection Gingko-Akata dans laquelle est publié ce manga est une collection qui s’adresse aux jeunes adultes en proposant des mangas de qualité très éloignés des blockbusters que l’on trouvent chez les grands éditeurs français de manga. C’est une collection qui est devenue prestigieuse grâce à son catalogue éclectique et souvent exigeant. On y trouve beaucoup de One Shot (Je ne suis pas mort, Le dernier été de mon enfance, Un bol plein de bonheur…), ce qui comble les lecteurs occasionnels de manga qui, comme moi, ne veulent pas s’embarquer dans des séries interminables. Bref, une collection qui vaut vraiment le coup d’œil.



dimanche 24 janvier 2010

Demain les fleurs

Le narrateur est un jeune garçon qui vit avec son grand-père. Ils passent leur premier hiver ensemble. Le temps est glacial. Chaque jour, le grand-père touche le pommier du jardin et lui murmure ces quelques mots : « demain les fleurs ». Malgré le froid et la neige, malgré le ciel gris et bas, le vieil homme reste serein car il sait que le printemps va finir par arriver. Pourtant, le 21 mars, rien n’a changé. Aucun bourgeon, aucune fleur. L’enfant et son grand-père partent voir les maisons voisines et constatent que toutes sont vides. Ne supportant plus la situation, le grand-père décide de créer ses propres fleurs pour appeler le printemps…

Un constat s’impose lorsque l’on referme ce court album : ce texte relève pour l’essentiel de l’onirisme et du rêve. Il y flotte une atmosphère éthérée, pleine de poésie. Les illustrations d’Anne Brouillard (ça ne s’invente pas !) donnent une impression de flou artistique qui renforce le caractère onirique de l’ensemble. Les enfants habitués à lire des textes réalistes auront peut-être quelques soucis de compréhension et pourront passer à coté des aspects poétiques et fantastiques. D’où l’importance de les accompagner dans leur lecture pour qu’ils puissent également saisir les thèmes sous-jacents abordés par cet album : la perte d’un être cher, la vieillesse ou encore les problèmes environnementaux (et si les saisons disparaissaient, si la Terre faisait payer aux hommes leur comportement irresponsable).

Finalement, on ouvre ce livre comme on entre dans un rêve : la réalité s’estompe peu à peu et tout peut arriver. Thierry Lenain a l’intelligence de ne pas tomber dans la facilité en ne terminant pas son récit avec la mort du grand-père. Au contraire, sa fin optimiste, qui semble refermer une parenthèse, offre au jeune lecteur un nouvel espoir : tous les hivers se terminent un jour, et le printemps si doux et si régénérant reviendra toujours apaiser les blessures.

Demain les fleurs, de Thierry Lenain et Anne Brouillard, Nathan, 2008. 6,50 euros. Dès 8 ans.

L’info en plus : La première édition de Demain les fleurs est parue en 2000 dans un grand format cartonné au prix de 12 euros. Suite à la sélection de ce titre dans la liste officielle du Ministère de L’Éducation Nationale en 2007, Nathan a choisi de le rééditer dans un format souple plus petit et surtout deux fois moins cher (6,50 euros). Une décision intelligente pour permettre aux écoles souhaitant le faire lire à leurs élèves de l’acquérir à moindre prix.

Un lien vers l'exploitation pédagogique de l'album proposée par l'éditeur : http://thierrylenain.hautetfort.com/media/00/00/2020597478.pdf



jeudi 21 janvier 2010

Les Pozzis T1 : Abel

Qui sont les pozzis ?


Les pozzis mesurent vingt centimètres. Ils ont une corne au milieu du front. Ils portent tous des robes dont ils peuvent changer la couleur et les motifs selon leur volonté. Ils vivent dans des grottes et se nourrissent uniquement de potage. Le chef des pozzis a une robe noire qui ne peut pas changer de couleur. Un pozzi vit en général plus de 200 ans. Leur pays est formé d’un immense tapis de mousse verte sur lequel se trouvent des lacs. A la lisière du pays des pozzis, il y a le Lailleurs où ne nul ne s’aventure parce que le Lailleurs fait trop peur.

Voila pour les présentations.

Abel est un pozzi différent des autres. Il ne sait pas changer de couleur de robe quand bon lui semble et il n’est pas doué pour construire des ponts, l’activité principale de ses congénères. Abel est un peu la risée de tous. Pourtant, un soir, son comportement étrange va attirer l’attention du chef. Et si Abel avait le Don ? S’il était un extralucideur, celui qui voit au-delà de Lailleurs et peut prévoir l’avenir ?

Ce petit monde ne vous rappelle rien ? On ne peut s’empêcher, à la lecture de ce premier tome, de faire un parallèle avec les schtroumpfs :

1) ce sont de petits êtres identiques qui vivent en communauté.
2) leur société est très hiérarchisée et chacun rempli un rôle précis : il y a les fabricateurs et assembleurs de briques, les réparateurs de ponts, les préparateurs de poudre à potage, les tisseurs de tapis, les constructeurs d’outils, de meubles ou d’instruments de musique…
3) ils ont un chef à l’habillement particulier qui représente une figure tutélaire que chacun respecte et écoute.

Ces points communs entre schtroumpfs et pozzis ne desservent pas le texte de Brigitte Smadja. Il n’y a ici aucun plagiat. L’univers reste original et inventif. Et force est de reconnaître que « ce livre pour les enfants qui aiment déjà lire tout seul », comme le précise l’éditeur, est adapté au lecteur : personnages attachants et rigolos, vocabulaire simple, déroulement linéaire de l’action qui s’étale sur deux jours sans rupture temporelle… Un souci toutefois avec l’absence de chapitres qui ne permet pas à l’enfant de « découper » sa lecture de manière cohérente (car il est évident qu’un enfant de 7 ou 8 ans ne lira pas cet ouvrage de 80 pages en une seule fois).

Livre traitant de la différence et du manque de confiance en soi, ce texte positif est également une belle invitation à découvrir le monde si particulier de ces drôles de créatures que sont les pozzis.

Les Pozzis T1, de Brigitte Smadja, L'école des loisirs, 2010. 8,50 euros. A partir de 7 ans.

L’info en plus : Le deuxième volume des Pozzis, intitulé Capone (le nom du chef) est sorti en même temps que le premier. Une belle occasion de faire coup double en achetant les deux à la fois pour que le lecteur (petit ou grand) qui a apprécié la première histoire puisse se lancer sans attendre dans la seconde. C’est une initiative intelligente de la part de l’éditeur et c’est assez rare pour être signalé.

dimanche 17 janvier 2010

Trop top Linotte ! T1

Linotte est une petite fille espiègle, positive et qui cherche toujours à avoir le dernier mot. Elle a son propre poney, le grassouillet Pimpon qui est son meilleur ami et qui apparaît dans chaque gag de l’album. Il y aussi les copines Anne-Sophie et Chloé, sans oublier Kevin, le garçon qui fait chavirer le cœur de toutes les filles de la classe. Un univers moderne et plein de tendresse pour une série s’adressant essentiellement aux petites filles qui savent déjà lire et aiment les poneys (ça fait beaucoup de lectrices potentielles !). A noter que les aventures de Linotte sont publiées chaque mois dans la revue Les P’tites sorcières


Que dire de cette petite Linotte ? Commençons par les points négatifs. J’avoue que j’ai beaucoup de mal avec le dessin. A mon époque (début des années 80), on découvrait la BD avec Roba, Morris, Peyo ou Franquin. Pour le coup, les séries d’aujourd’hui destinées aux plus jeunes ne peuvent pas soutenir la comparaison au niveau du dessin : Ludo, Karma, Oscar ou encore Sac à puces ne sont pas des réussites au niveau graphique. Seuls Geerts avec Jojo ou Laudec avec Cédric proposent un dessin classique proche des grands anciens. Dans le cas de Linotte, je trouve le dessin très moyen. Le lettrage aussi d’ailleurs. Pour des enfants qui lisent depuis peu, ce lettrage assez irrégulier et manquant de rondeur peut poser de gros problèmes de déchiffrage.

Deux autres choses m’ont moyennement plu. D’une part, je n’ai pas trouvé les gags très drôles. Mais après tout, rien de plus normal : ils ne sont pas destinés à un vieux schnock de 35 ans mais à des enfants de 8 ans. C’est une différence majeure à ne pas oublier. D’autre part, dans les dialogues, il y a parfois des expressions qui veulent « faire jeune » mais qui semblent un peu artificielles. Quelques exemples de ces tics de langage que je trouve assez désagréables : "trop nul", "trop cool", "trop bien", "trop top"  "hyper stylé"…

Heureusement, tout n’est pas négatif, loin de là. Première constatation positive : le format (26x20 cm), plus petit qu’une BD normale sans être un format poche, convient bien aux mains des enfants. De plus, le système consistant à proposer une histoire complète par double page est intelligemment pensé. Un enfant de 8 ans ne lira pas les 46 pages d’un seul coup, mais il pourra très facilement découper sa lecture en sachant que l’histoire se termine toujours au bas de la page de droite. Autre satisfaction, les parents vont enfin trouver une BD dont l’héroïne est une petite fille qui ne partage pas la vedette avec un garçon. Ca change de Sylvain et Sylvette ou Tom Tom et Nana !

Encore un point positif : l’environnement dans lequel évolue Linotte est moderne, bien ancré dans l’air du temps et tout à fait réaliste. La vie à la maison, à l’école, les relations avec les copines et les garçons… Les enfants peuvent facilement s’identifier à Linotte et ses camarades. Et puis il faut reconnaître que Linotte ne peut que faire rêver les petites filles. Vous vous rendez compte : avoir un poney qui vous emmène à l’école et que vous pouvez monter quand vous le souhaitez, c’est le bonheur total !

Un dernier conseil. Quand votre fille sera devenue trop grande pour apprécier l’univers très enfantin de Linotte, vous pourrez lui faire découvrir Lou, qui est à mon avis la meilleure série jeunesse actuelle pour les 10-13 ans, rien que ça !

Linotte est au fond une série très agréable qui peut tout à fait satisfaire le public auquel elle est destinée. Je vais d’ailleurs de ce pas l’offrir à ma fille de 8 ans, je suis sûr de faire une heureuse et d’obtenir en retour un avis beaucoup plus pertinent et objectif que le mien.


Linotte T1 : Trop top Linotte, de Catel, Claire Bouilhac et Judith Peignen, édition Dupuis, 2010. 48 pages. 9,50 euros. A partir de 7 ans.

L’info en plus : Catel n’est pas seulement une dessinatrice pour la jeunesse. Elle vient de publier, toujours aux éditions Dupuis mais pour les adultes, un ouvrage intitulé Rose Valland : capitaine beaux arts, qui retrace la vie de cette attachée de conservation au Jeu de Paume qui a recensé dans le plus grand secret les oeuvres volées aux Juifs par les nazis et qui, en 1945, avant même la signature de l'armistice, est partie à leur recherche pour les restituer à leur propriétaires.




vendredi 15 janvier 2010

Canardo : intégrale, cycle 1

Canardo est un palmipède alcoolique au regard triste créé par Benoît Sokal en 1979. La clope au bec et portant en toutes circonstances un imper cradingue façon Columbo, il a le chic pour s’embarquer dans des histoires glauques qui ne font qu’accentuer sa perpétuelle mélancolie.


Cette intégrale regroupe ses trois premières « aventures ». Dans Le chien debout, Canardo ne tient pas le rôle principal. C’est Fernand, un chien exilé depuis plusieurs années qui rentre au bercail pour retrouver un amour de jeunesse. Une sombre histoire de savant fou et de vivisection viendra ruiner ses espoirs. La marque de Raspoutine se déroule en Sibérie. Canardo accepte d’accompagner la belle Alexandra dans les plaines de Russie pour qu’elle retrouve son père, le cruel Raspoutine, un chat obèse à la tête d’une troupe sanguinaire. Enfin, dans La mort douce, le brave canard apprendra que la musique n’adoucit pas les mœurs, loin de là.

Bien avant le Blacksad de Canales et Guarnido, Sokal a créé un détective privé ayant les traits d’un animal et qui évolue parmi ses congénères anthropomorphes. Vous l’aurez compris, Canardo n’est pas Donald Duck. Et son monde n’est pas celui de Walt Disney, loin de là. Tous les personnages présents dans cette intégrale traînent un insondable vague à l’âme. Les décors non plus n’inspirent pas la joie : les cieux sont bas, gris, pluvieux. Le troquet « Chez Fredo », qui apparaît dans les trois tomes, est sale et enfumé.

Les protagonistes masculins sont des ordures ou des losers. Dans chaque histoire, c’est une figure féminine qui provoque le drame. Mais la femme est finalement la seule à garder un semblant d’humanité. Le regard que porte Sokal sur ses semblables à travers ces animaux doués de raison (si l’on peut dire !) peut sembler désespérant. J’ai l’impression qu’il est surtout très pessimiste. On nage en pleine tragédie. Le destin de chacun est tout tracé et la chute impossible à éviter. Canardo est juste un spectateur désabusé et mélancolique qui s’accroche à la bouteille comme on s’accroche à un dernier espoir.

Ces trois premiers tomes sont parmi les meilleurs de la série qui va énormément perdre en qualité par la suite (le 19ème volume doit sortir au mois d’avril). A dévorer d’urgence.

Canardo : intégrale premier cycle, de Benoit Sokal, éditions Castermane, 2010. 16 euros.

L’info en plus : Les éditions Casterman publient dans leur collection Haute densité l’intégrale d’une autre série de Benoit Sokal. Il s’agit de Paradise, dont voici un résumé succinct : « En Mauranie, le roi Rodon attend le retour de sa fille. Mais l'avion de cette dernière est abattu par des rebelles. Rescapée mais amnésique, elle est recueillie dans le palais du prince de la ville de Madargane... ». Cette série contient en tout 4 albums qui sont regroupés dans cette intégrale. A noter que Sokal n’œuvre pas au dessin (c’est Brice Bingono qui s’y colle), il scénarise cette histoire dépaysante et torturée comme il les aime.

mardi 12 janvier 2010

Étoile du chagrin T1 et T2

Il y a un an, leur monde fut détruit. La comète nommée Étoile d’Eden qui traverse normalement les cieux tous les vingt-deux ans est entrée dans l’atmosphère. Et maintenant que les nuages se dissipent, les rares survivants se battent pour refaire leur vie après l’impact.

L’Ordre, une structure dirigée d’une main de fer par Maître Grène, essaie de prendre le pouvoir par la violence. Elle affronte les hommes du Régent qui régnait avant la catastrophe. La Mine Noire est quant à elle une organisation clandestine qui lutte contre l’Ordre. Face à toutes ces considérations politiques, nombreux sont ceux qui essaient juste de redonner un sens à leur vie. Klavir et Wilm sont de ceux-là. Ils parcourent ensemble le monde à la recherche de Lucia, l’amie de Klavir. Ils sont accompagnés par un Mange Rêve nommé Flutch, une sorte de fantôme qui se nourrit en s’installant dans la bouche des gens endormis. Dans une étendue erre un homme étrange, terrible combattant que ses ennemis appellent le tueur-coupeur. Il a perdu la mémoire et n’a aucune idée de sa véritable identité. L’auteur propose également de suivre les mésaventures de certains membres de l’ordre et de la Mine Noire. Toutes ces situations décrites séparément semblent indépendantes les unes des autres, comme si on braquait successivement la caméra dans différents endroit du monde au même moment.

Récit choral où se croisent de très (trop ?) nombreux personnages, ce roman graphique à tiroir qui s’étale pour l’instant sur plus de 400 pages n’a encore révélé aucun de ses secrets. C’est là sans doute la limite d’un tel procédé. Il va falloir à un moment ou un autre assembler les pièces du puzzle pour donner à tout cela un mouvement cohérent. Il est plaisant de passer d’un lieu et d’un protagoniste à un autre pour suivre les différentes trames de l’histoire, mais il faut aussi être très attentif pour ne pas s’y perdre. Le dessin en noir et blanc au trait particulièrement naïf et parfois mal maîtrisé n’aide pas à améliorer la clarté de l’ensemble. Il est quelquefois difficile de distinguer les différents visages et heureusement qu’il y a un trombinoscope à la fin de l’ouvrage pour retrouver facilement l’identité de chacun. Il faut aussi accepter le décalage entre le trait « enfantin » et la dureté des situations parfois assez violentes. Pour conclure, cette Étoile du chagrin est une œuvre expérimentale à la construction complexe qui sera peut-être au final une excellente surprise. Mais il est encore trop tôt pour le dire.


Étoile du chagrin T1, de Kazimir Strzepek, Éditions çà et là, 2008. 216 pages. 12,50 euros.
Étoile du chagrin T2, de Kazimir Strzepek, Éditions çà et là, 2009. 256 pages. 13,00 euros.

L’info en plus : Les éditions ça et là sont un tout petit label qui a connu un succès d’estime début 2008 en publiant Château l’attente, un roman graphique de près de 500 pages récompensé aux Eisner Awards et sélectionné dans la catégorie des Essentiels à Angoulême en 2008.


dimanche 10 janvier 2010

Louisiana Breakdown


Jack Mustaine, musicien en mal d’inspiration, n’aurait jamais dû tomber en panne aux abords de Graal, un trou paumé dans le fin fond des marais de Louisiane. Le bon samaritain qui lui vient en aide fait remorquer sa voiture et l’emmène dans le seul bistrot du coin, le Bon Chance.

Rarement un établissement aura si mal porté son nom. Mustain y découvre la « faune » locale, des rednecks imbibés et peu avenants. Il y a fait aussi connaissance de Vida, sculpturale jeune femme dont il tombe éperdument amoureux. Après une nuit torride, Vida raconte au musicien l’histoire de sa ville : les habitants ont conclu il y plus de deux cents ans un pacte avec le Bonhomme Gris, une entité vivant dans les marais. Ce dernier protège Graal tant que la cité lui offre une reine en échange. Vida est l’actuelle reine du solstice mais la nouvelle élue doit être choisie au cours de la fête de la Saint Jean qui va se dérouler le lendemain. Elle sait que les reines déchues subissent de terribles tourments et finissent à moitié folles, abandonnées de tous. La jeune femme est persuadée que Mustaine est une sorte d’ange gardien qui va pouvoir la libérer de la malédiction qui la frappe en l’emmenant loin de sa ville natale. Le musicien quant à lui ne croit pas un instant à toutes ces balivernes. Il veut simplement récupérer sa voiture et partir avec Vida en Floride, sa destination initiale.

Mais Graal n’est pas une ville comme les autres, et même les plus sceptiques vont devoir reconnaître qu’une étrange réalité se cache au fond du bayou.

Lucius Shepard créé avec Graal une ville improbable qu’il rend parfaitement crédible grâce à la précision de ses descriptions. Ce qui frappe le plus à la lecture, c’est l’ambiance : humide, moite, étouffante…La description des marais et des ses cabanes décrépies, des arbres aux ombres inquiétantes et du brouillard épais qui surgit s’en prévenir instaure une atmosphère pesante et surnaturelle.

La galerie de personnages proposée est également un must : Mustaine et Vida évidemment, mais aussi Sedele la patronne du Bon Chance, Joe Dill le bon samaritain et sa femme Tuyet, Nedra la voyante ou encore Madeleine Le Cleuse, l’ancienne reine du solstice, tous savent qu’ils font parti d’un Grand Tout qui les dépasse. La tragédie se construit sous leurs yeux et ils ne peuvent que subir les événements. Toutes les tentatives pour essayer de changer le cours des choses sont vouées à l’échec. D’ailleurs le nom de la ville n’a pas été choisi par hasard. En rencontrant Vida, Mustaine a cru avoir décroché son graal et trouvé enfin l’amour. Mais l’Histoire a montré que tous ceux qui se sont lancés à la quête du Graal se sont brulés les ailes. Et le musicien ne fera pas exception à la règle.

Un seul mot pour conclure au sujet de ce court roman : envoûtant. Si le lecteur accepte de se laisser embarquer dans cet étrange bayou à l’atmosphère irréelle, il passera à coup sûr un très bon moment.

Louisiana Breakdown, de Lucius Shepard, Éditions J’ai Lu, 20099. 190 pages. 5,60 euros.

PS : un petit coup de gueule contre la personne qui a rédigé la 4ème de couverture. A l’évidence, cette personne n’a pas lu le roman : dès la première ligne, il est indiqué que jack Mustaine est un bluesman, or cela n’est jamais dit dans le texte. Ensuite, il est écrit qu’il tombe en panne « peu avant d’arriver à la Nouvelle Orléans, où il était censé se produire ». Cette affirmation est totalement fausse puisque le but de son voyage est la Floride et plus précisément une maison en bord de mer prêtée par un ami dans laquelle il devait s’atteler à l’écriture d’un album. Mais il vrai que pour connaître cette information, il fallait lire les 100 premières pages ! Je sais, cela relève du détail, mais c’est assez symptomatique de la façon avec laquelle quelques éditeurs de livres de poche bâclent leurs éditions et ne prennent pas la peine de lire tous les livres qu’ils publient. Je trouve ce manque de sérieux tout à fait regrettable.

L’info en plus : Lucius Shepard n’est pas un inconnu en France. Il a notamment remporté le Grand Prix de l’Imaginaire en 2007 dans la catégorie Nouvelles Étrangères avec son recueil Aztechs. Il a également remporté le prix Locus en 1994 pour son roman L’aube écarlate, une histoire de vampires. Un thème qui aujourd’hui fait fureur mais qui à l’époque était loin de passionner les foules !



jeudi 7 janvier 2010

Billy Brouillard : les comptines malfaisantes

Ce coffret contient trois livres regroupant quatre comptines. Dans la première, Allison est très méchante avec les insectes. Elle leur fait vivre les pires horreurs. Mais quand les insectes se vengent, c’est Allison qui voit sa vie devenir un cauchemar. Dans la seconde, lorsque Barbara découvre une larve visqueuse dans son assiette d’épinards, elle ne se doute pas que cette petite bestiole va la mener à sa perte. Dans la troisième, en constatant que son poisson rouge offert par le Père Noël est décèdé, Philomène part pour le bord de mer afin d’en trouver un nouveau. Mais les abysses vont transformer sa recherche en une longue complainte. Quant à la petite princesse qui faisait du mal aux gens, elle va subir une punition qu’elle n’est pas prête d’oublier.


Ces quatre comptines ont deux points communs : elles mettent en scène des petites filles et elles traitent du thème de la métamorphose. Elles présentent également des enfants loin d’être sages, de sales gamines égoïstes ou méchantes qui doivent à un moment payer pour leur comportement. Il n’y a cependant pas véritablement de morale, aucune sorte de jugement. C’est ce qui peut rendre le lecteur mal à l’aise. J’avoue que je ne laisserais pas lire ces comptines malfaisantes à ma fille de 8 ans. Peut-être parce que je suis un vieux con réac, diront les médisants. Mais surtout parce que je n’y vois aucun intérêt. Ces histoires ne sont pas divertissantes, encore moins dépaysantes ou enrichissantes. L’illustration en noir et blanc et le texte sont minimalistes, ce que je peux tout à fait concevoir. Quand Guillaume Bianco affirme dans une interview sur le site Actua Bd qu’il a eu « envie de faire des livres courts et très simples à lire », je ne peux qu’être d’accord avec lui. Seulement je vois plus cela comme un défaut que comme une qualité. La lecture des trois livres prend vingt minutes maximum. C’est idéal sans doute pour les petits lecteurs, mais pour les parents acheteurs, il faudra débourser 29,90 euros pour offrir ces chères Comptines à leur progéniture. Il faut reconnaître que le travail éditorial est magnifique : les livres sont très beaux et se rangent dans un superbe coffret, le papier est de qualité et les pages de garde plutôt jolies. Mais tout cela ne suffit pas à justifier ce prix exorbitant !

Pour conclure, que dire ? Je lis Guillaume Bianco depuis ses débuts. J’ai adoré sa série Will, j’ai trouvé le premier tome de Billy Brouillard formidable et j’ai beaucoup aimé l’album Eco qu’il a scénarisé, mais là, j’avoue que je n’ai pas du tout accroché. J’ai même la douloureuse impression d’avoir dépenser bêtement près de 30 euros dans une publication qui cherche à surfer sur la vague de Billy Brouillard dans un but purement mercantile. J’espère sincèrement me tromper.

Billy brouillard : les comptines malfaisantes, de Guillaume Bianco, Éditions Soleil, 2009. 29,90 euros. Dès 9 ans.

L’info en plus : Les comptines malfaisantes sont publiées dans la collection Métamorphoses des éditions Soleil. C’est dans cette collection dirigée par Barbara Canepa qu’est paru l’année dernière Billy Brouillard. Plusieurs titres devraient paraître cette année et pour voir les publications à venir, je ne peux que vous conseiller la visite du blog de Barbara Canepa à cette adresse : http://canepabarbara.blogspot.com/