jeudi 31 octobre 2013

L’accomplissement de l’amour - Eva Almassy

Béa va rejoindre un inconnu. Un homme marié, père de trois enfants, qu’elle a croisé le temps d’un après-midi. Un homme avec lequel elle échange depuis des semaines par mail. Un homme dont le train va arriver en gare. La nuit d’hôtel est réservée. Le reste… difficile à imaginer. Mais Béa veut se sentir vivante. Elle ne supporte plus sa vie de couple. Comment peut-on d’ailleurs appeler cela un couple. Angel ne l’a pas touchée depuis des années, même pas embrassée. « Elle avait réussi une séparation, mais l’homme était revenu, un poids mort, toujours à la maison. » 

« Avec Angel, pas d’amour, pas d’enfants, pas d’accouchement, pas de lait, ni sein, ni biberon, et finalement plus de femme dans le couple (le sexe de Béatrice neutralisé). On avait piégé son être, son avenir, sa descendance, son bonheur, elle aurait dû se scier le poignet, le bras, se ronger cette patte qui était prise, partir comme les renardes, en saignant dans la neige, courir jusqu’à ce que le danger - que le passé - s’éloigne. » Mais l’inconnu est-il la solution à  tous ses maux ? Ne serait-il pas simplement une parenthèse ? Ou une chimère ?

Un petit bouquin trouvé sur la table des nouveautés de la médiathèque. Emprunté sans même lire la 4ème de couv. C’est un jeu auquel je me livre parfois. En général ce sont toujours de mauvaises pioches. Rentré à la maison je découvre que j’ai mis la main sur une histoire de femme en souffrance, de femme qui se cherche. Après avoir été refroidi par le dernier Kasichke et « Trembler te va si bien », qui donnaient dans le même créneau, je me dis que je vais le ramener sans même le lire. Je me lance quand même dans la première page, puis la seconde et j’en avale la moitié d’une traite. L’histoire de cette femme me parle. Elle me touche.

« Un acte d’infidélité peut-il renforcer l’amour exclusif qui lie un couple ? ». L’accomplissement de l’amour reprend le titre et le thème d’une longue nouvelle de Robert Musil écrite en 1910. Une réécriture 100 ans après, avec une femme du 21ème siècle, à une époque où les façons d’aimer ont bien changé.

Béa se cherche, donc. Béa est perdue. J’ai été bouleversé par sa faiblesse, sa résignation, son manque de confiance en elle. Autant de choses qui d’habitude m’agacent au plus haut point. Étrange. Mon petit cœur de pierre a fondu. Je n’arrive pas à me l’expliquer. Peut-être est-ce l'écriture d’Eva Almassy, sensible et pleine de charme. En tout cas je constate avec plaisir que je suis capable de « recevoir » des textes féminins aussi intimes. Je pensais que c’était totalement impossible. Comme quoi…



L’accomplissement de l’amour d’Eva Almassy. L’olivier, 2013. 110 pages. 13 euros.




mercredi 30 octobre 2013

Eve sur la balançoire : conte cruel de Manhattan - Nathalie Ferlut

Cet album relate l’ascension puis la chute d’Eve Nesbit, une jeune fille née en 1884 près de Pittsburgh. Arrivée à New York avec sa mère en 1901, elle devint rapidement la coqueluche de la presse et des annonceurs. Peinte et photographiée des centaines de fois, elle fut considérée comme la première pin-up de l’histoire américaine. Sa rencontre avec des hommes sulfureux marqua son destin tragique et après un procès retentissant en 1908 elle tomba dans l’anonymat le plus complet.

Bon, j’avoue, je me suis ennuyé. Pas qu’un peu même. L’histoire d’Eve ne m’a pas intéressé le moins du monde. Il faut dire que la jeune femme est lisse, transparente. Elle manque singulièrement de caractère. Bien sûr elle est prisonnière des mœurs de son époque, de la toute puissance des hommes et elle doit faire face à la fois au puritanisme et à une certaine forme de libertinage. Mais au final l’image renvoyée, à la limite du pathétique, m’a beaucoup dérangé. Dans une interview, Nathalie Ferlut affirme qu’il ne faut pas prendre son récit au premier degré au risque de le trouver juste froid et historique. Pour elle, il faut le considérer comme un conte pour en saisir la substantifique moelle (d’où d’ailleurs le sous-titre « conte cruel de Manhattan »). Alors certes il y a quelques éléments propres au conte (la jeune fille pure, belle et innocente, l’ogre, la marâtre, le prince charmant qui fait un passage éclair, etc.) mais la narration ne respecte en rien les codes du genre. Finalement, cette histoire, je l’ai prise au premier degré et elle n’est pour moi ni plus ni moins qu’une biographie pas franchement passionnante.

Par contre niveau dessin, c’est une belle claque. On imagine les heures voire les mois de travail nécessaires pour réaliser au pinceau les 120 pages de l’album. J’ai forcément pensé à Nadja et à ses Filles de Montparnasse mais ici les aquarelles sont plus fines, les décors, les costumes et les couleurs tellement plus précis, c’est vraiment impressionnant.

J’aurais aimé m’enthousiasmer pour cette BD. Je me rends compte à un quel point l’auteure s’y est investie, y a mis toute sa passion et son talent mais l’honnêteté me pousse à reconnaître que je suis passé à coté. Ce sont des choses qui arrivent et je crois que Mo’, avec qui je partage une fois de plus cette lecture commune, n’a  malheureusement pas été plus emballée que moi.


Eve sur la balançoire : conte cruel de Manhattan de Nathalie Ferlut. Casterman, 2013. 128 pages. 18 euros.






mardi 29 octobre 2013

Le voyage de Mamily - Agnès de Lestrade et Charlotte Cottereau

Mamily a oublié quelque chose mais elle ne sait plus quoi. Elle pense que c’est le bouton du pantalon de Papily qu’elle a oublié de recoudre. Mais plus moyen de remettre la main sur ce bouton. Mamily croit le voir à travers la fenêtre. La voila dehors. En chemin elle va rencontrer un enfant, croiser un train et cueillir quelques fleurs. Et à chaque fois, elle va trouver un bouton... 

Une histoire en randonnée classique où chaque nouvelle rencontre est prétexte à découvrir un bouton différent pour le pantalon de Papily. Bien sûr cet album n’a de prime abord rien de joyeux car il parle de la vieillesse avec en filigrane cette terrible maladie d’Alzheimer qui fait tant de ravages. Mais ici l’optimisme est de mise. Mamilly rentre chez elle sans problème après son excursion et finalement, ce « brouillard » dans la tête qui lui joue des tours sera l’occasion de mettre un peu de fantaisie sur le fameux pantalon. Et puis la vieille dame profite de sa promenade, « elle respire l’air frais, un sourire sur les lèvres », bref elle est heureuse.

Les illustrations sont simples, un peu naïves et très colorées, elles participent à diffuser l’ambiance positive et enjouée qui traverse l’album. Un joli moment de lecture plein de douceur et de tendresse.


Le voyage de Mamily d’Agnès de Lestrade et Charlotte Cottereau. Balivernes, 2013. 36 pages. 12 euros.


L'avis de Mya Rosa






lundi 28 octobre 2013

Kililana Song : seconde partie - Benjamin Flao

Le petit Naïm a embarqué malgré lui sur le bateau que le vieux Ali vient de voler. Sur l'archipel de Lamu, Jean-Phillipe attend désespérément que Jahid lui fournisse la drogue dont il ne peut plus se passer. De son coté, le capitaine Günter est dans de sales draps après avoir été enlevé par les islamistes. Quant à la prostituée Maggy, elle va envoûter Hassan, le grand frère de Naïm. Tous les protagonistes découverts dans le premier tome semblent emportés par un tourbillon qui les dépasse. Et pendant ce temps-là la tempête approche…

Ce qui est bien avec un diptyque c’est que quand la seconde partie paraît on peut se permettre de relire la première afin de voir si l’histoire tient sur ses deux jambes (ce qui est plus difficile avec une série à suivre en 15 volumes, ou alors il faut avoir beaucoup de temps devant soi). Je ne m’en suis pas privé ici et je dois reconnaître que le talent de conteur de Benjamin Flao est impressionnant. Son canevas, tissé serré-serré, est d’une redoutable précision. Malgré la multiplicité des personnages, des lieux et des événements, on passe de l’un à l’autre avec une incontestable fluidité. Et puis chacun d’eux est attachant et possède suffisamment d’épaisseur pour ne pas apparaître en tant que simple parenthèse ou faire-valoir.

Le récit est vif et pétillant, les dialogues enlevés, et graphiquement il y a des passages sublimes (notamment la tempête en mer) qui ne sont pas sans rappeler le très grand Emmanuel Lepage. En plus les thèmes abordés sont variés mais sonnent justes : le tourisme et la pression foncière, la construction d’un port pour les pétroliers qui va faire disparaître les pêcheurs locaux, le sort des petites gens, les expats, l’instabilité géopolitique avec la présence des tristement célèbres Shebabs somaliens, etc.

Franchement je ne vois pas ce que l’on pourrait reprocher à ce diptyque (à part peut-être la « conversion » un peu simpliste du frère intégriste de Naïm et un lettrage vraiment pas jojo mais ce sont des détails). Une histoire superbe, dépaysante et à la construction imparable. En gros, une belle réussite !

Kililana Song, seconde partie de Benjamin Flao. Futuropolis, 2013. 132 pages. 20 euros.


Une lecture commune que je partage avec Mo' et Noukette. J'espère qu'elles ont autant aimé que moi.

L'avis d'Oliv

  

samedi 26 octobre 2013

Désaccords imparfaits - Jonathan Coe

J’aime quand un auteur très peu adepte du genre se lance dans la nouvelle. Jonathan Coe le précise en introduction : « il ne m’est pas facile de faire court […] Ce qui m’attire dans la fiction, c’est plutôt la complexité, le panorama, et chez moi, il est plus fréquent que les idées nées sous forme de nouvelles prennent l’épaisseur d’un roman. »

Ce recueil d’à peine 100 pages réunit toute sa production de nouvelles. Quatre textes en tout et encore, le dernier ne relève pas de la fiction mais est un article consacré au film « La vie privé de Sherlock Holmes » de Billy Wilder publié à l’origine dans les Cahiers du cinéma. Dans les trois autres, on trouvera un frère et une sœur remuant les souvenirs d’un Noël passé chez leurs grands parents aujourd’hui décédés, un pianiste de bar new-yorkais qui imagine ce que serait devenue sa relation avec une inconnue s’il lui avait répondu de façon différente ou encore le membre du jury d’un festival du film troublé par un ancien adultère et la rencontre d’une séduisante journaliste française.

Pour Coe, une production si minuscule (trois nouvelles en 15 ans) relève de « la plaisanterie ». Je trouve au contraire intéressant de voir comment un auteur habitué aux grandes sagas familiales (Bienvenue au club, Le cercle fermé) se sort de la forme courte. Et pour le coup, il se débrouille très bien. Souvenirs, regrets, temps et occasions perdus, il déroule une partition mélancolique et touchante. En quelques pages il installe une atmosphère et parvient à incarner des personnages dont on cerne en peu de mots l’état d’esprit. C’est vraiment une belle réussite, il est dommage que cet auteur anglais au talent reconnu (prix Médicis étranger en 1998) ne s’adonne pas plus souvent à la nouvelle.

Désaccords imparfaits de Jonathan Coe. Gallimard, 2012. 100 pages. 8,90 euros.

PS : ce recueil est sorti en poche au début du mois. Plus d’excuses !

Un billet qui signe ma troisième et dernière participation au mois de la nouvelle de Flo

vendredi 25 octobre 2013

La cravate - Milena Michiko Flasar

Dans une ville japonaise, Taguchi Hiro a vingt ans et vient de passer les deux dernières années cloîtré dans sa chambre. C’est un hikikomori, un jeune adulte solitaire totalement coupé du monde qui l’entoure. Il a depuis peu recommencé à sortir de sa tanière et passe ses journées sur un banc, dans un parc. En face de lui vient s’asseoir un salarymen cravaté et propre sur lui. Il s’appelle Ohara Tetsu, frôle la soixantaine et vient de perdre son emploi. N’osant l’avouer à sa femme, il continue à quitter le domicile chaque matin à la même heure et rentre tard le soir, pour faire comme si.

Entre Taguchi l’asocial et Ohara le cadre licencié naît une muette complicité. Bientôt suivront quelques échanges. Leur face à face sonne pour Taguchi comme une évidence : « Je pensai malgré moi à l’éternité visqueuse d’une journée qui venait de commencer et allait s’étendre à l’infini. La certitude qu’elle finirait par s’écouler n’était rien par rapport à la mélancolie fade avec laquelle elle s’écoulait, et mélancolie, continuai-je de me dire, était le mot qui nous était inscrit à tous les deux sur le front. Il nous reliait. Nous nous rencontrions en lui. »

Peu à peu leurs discussions vont se faire plus intimes et se rapprocher de la confession. Le jeune garçon se raconte. Il dit la douleur du suicide qui a frappé l’une de ses amis, sa lâcheté, le repli sur soi comme seule solution : « Je ne voulais plus jamais, j’en fis le serment, être attaché à quiconque. Ne jamais plus être imbriqué dans le destin de quelqu’un. Je voulais entrer dans un espace sans temps ou personne ne me bouleverserait plus. » Ohara revient quant à lui sur ce fils né avec un handicap et qui mourut très jeune. Il confie la tendresse absolue qu’il voue à sa femme et sa volonté de ne pas lui faire de mal en lui annonçant son licenciement : « Elle a mérité mieux, beaucoup, beaucoup mieux que la vérité. »

Le récit est découpé en 114 courtes séquences, autant de petits pas, de touches délicates amenant ces êtres solitaires sur le chemin de la sérénité. Tout deux constatent que la vérité est là, dans leur relation sincère et sans faux-semblant, loin des pressions sociales et des objectifs de performance auxquels une très grande majorité de japonais est confrontée.

L’austro-japonaise Milena Michiko Flasar fait preuve d’une délicatesse absolue pour brosser les sentiments complexes de ces personnages cabossés et les mener vers la lumière. Car au final et aussi paradoxal que cela puisse paraître, on ressort de ce court roman revigoré et plein d’optimisme.       
    
Un texte magnifique, tout en subtilité.


La cravate de Milena Michiko Flasar. L’olivier, 2103. 164 pages. 18,50 euros.

Les avis de Clara ; Leiloona



jeudi 24 octobre 2013

Le loup qui mangeait n’importe quoi - Manu Larcenet et Christophe Donner

Il était une fois un loup affamé à qui la gourmandise joua de biens mauvais tours. Malgré les mises en garde de ses futures victimes, il ne put s’empêcher d’avaler successivement une brebis, un cochon et quelques enfants. Une orgie exquise qu’il finira par regretter amèrement.

Avec Manu Larcenet aux pinceaux et Christophe Donner au stylo le ton est forcément décalé. Leur loup qui mangeait n’importe quoi est roteur, péteur et se cure le nez. Bien entendu les enfants adorent ce coté un peu scato (j’ai testé avec pépette n°2 et elle a gloussé tout au long de l’album). Et puis ce loup est pitoyable, les personnages qu’il croise ne relèvent pas vraiment le niveau, bref on est en présence d’antihéros un peu crétins, c’est un aspect qui plait aussi beaucoup. Pour autant, on ne lésine pas sur l’écriture. Il y a bien quelques expressions familières mais l’ensemble (ou presque) est en alexandrins.

Niveau dessin, les illustrations pleine page sont superbes. Mention spéciale pour les petits oiseaux disséminés un peu partout dans les décors et qui sont, je trouve, d’une grande beauté.

Un bel album grand format, drôle et irrévérencieux, à partager en famille. Je me vois déjà en train de le lire à Charlotte...



Le loup qui mangeait n’importe quoi de Manu Larcenet et Christophe Donner. Mango jeunesse, 2013. 28 pages. 14,50 euros. A partir de 5-6 ans.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec ma chère Noukette. On va essayer d'installer un rendez-vous régulier le jeudi tous les 15 jours. Si voulez nous accompagner dans ces LC, on peut vous donner la liste des titres à venir (enfin moi parce qu'en ce qui la concerne elle a déjà dû oublier^^).




mercredi 23 octobre 2013

Paco les mains rouges T1 : La Grande Terre - Fabien Vehlmann et Eric Sagot

Un jeune instituteur ayant échappé de peu à la guillotine après un crime passionnel est envoyé au bagne en Guyane. Sur le bateau, malgré sa frêle constitution et son tempérament introverti, il profite de la protection d’Armand, un tatoueur, pour éviter les ennuis. Mais une fois arrivé sur place, il devient une cible de choix pour les durs à cuire de la colonie pénitentiaire. Violé par trois codétenus, il gagne le respect et le surnom de «  Paco les mains rouges » après avoir égorgé l’un de ses agresseurs : « Si je réagissais pas tout de suite, j’allais devenir la pute de toute la case ou alors je me tuais tout de suite. »  Prisonnier modèle, il parvient à se préserver en étant embauché comme homme à tout faire par un gardien. Mais les crises de palu et une improbable histoire d’amour vont venir bouleverser son quotidien.

Cet album, première partie d’un diptyque, est bluffant à bien des égards. D’abord le scénario de Vehlmann est un petit bijou. Parfaitement documenté, mêlant la violence brute à l’intimité la plus émouvante, il met en scène un personnage d’une incroyable justesse. La narration en récitatifs ne plombe jamais le propos, elle donne au contraire à l’ensemble une forte dimension dramatique. Ensuite, le dessin aux tons sépia de Sagot, proche de l’art naïf, s’attarde davantage sur les atmosphères moites et oppressantes du bagne que sur une représentation ultra réaliste des lieux et des hommes. Tout en suggestion, il brosse avec maestria l’ambiance crépusculaire dans laquelle évolue prisonnier et matons.

Un album ambitieux, mêlant la rigueur historique (j’ai retrouvé avec bonheur à plusieurs reprises mes tatoués de Biribi, les pires bagnards ayant échoué en Guyane après un passage dans les bataillons disciplinaires d’Afrique du nord)  à une romance homosexuelle aussi surprenante que crédible. Finalement, le récit de Paco possède la force du témoignage et le charme de la fiction. Du très grand art dont il me tarde de lire la suite et la fin.


Paco les mains rouges T1 : La Grande Terre de Fabien Vehlmann et Eric Sagot. Dargaud, 2013. 54 pages. 16 euros.

Une lecture commune que je partage une de fois de plus avec Mo'.

L'avis de Choco




mardi 22 octobre 2013

Quatre yeux - Sascha Hommer

Un lycéen glandeur qui tombe amoureux, se fait jeter, passe son temps à fumer des pétards avant d’attaquer les champignons hallucinogènes. C’est tout ? Ben oui c’est tout. Ah non, il y a aussi plein d’autres ados glandeurs et fumeurs et un chien sans yeux que notre « héros » est le seul à voir. Une variation de plus sur la crise de la jeunesse à travers l’histoire très autobiographique de l’allemand Sascha Hommer.

Alors bien ? Pas bien ? J’ai envie de répondre pas bien, pas bien du tout même. Du moins sans aucun intérêt. Ok, on suit la descente aux enfers du gamin, son passage du simple pétard au LSD et aux champis, son pseudo début de rédemption, notamment grâce au dessin.  Mais bon on s’en fiche un peu, on reste très extérieur à ce qui lui arrive. Il faut dire qu’il n’attire pas spécialement la sympathie. Et puis il n’a aucune épaisseur, il est pour ainsi dire transparent. On n’a même pas envie de le secouer pour le sortir de son apathie, on voudrait juste le laisser dans son univers sans relief pour s’intéresser à quelqu’un d’autre.

Coté dessin, on a droit à un noir et blanc sans âme, très scolaire. C’est fluide et lisible mais ça ne casse pas trois pattes à un canard.

Quatre Yeux, c’est une sorte d’autofiction en BD. Tout ce que je déteste. La propension qu’ont les auteurs à se regarder le trou de balle pour créer une œuvre m’impressionnera toujours. Un sujet certes inépuisable mais neuf fois sur dix l’exercice n’intéresse qu’eux. Et nous pauvres lecteurs, avons juste l’impression de perdre notre temps. Franchement, dans le genre crise adolescente crépusculaire et turpitudes de la jeunesse, je préfère en rester au Black Hole de Charles Burns.

Quatre yeux de Sascha Hommer. Atrabile, 2013. 104 pages. 16 euros.


lundi 21 octobre 2013

Cité de la poussière rouge - Xiaolong Qiu

La cité de la poussière rouge est un quartier de Shanghai. Une cité dans la cité, en plein cœur de la ville. Les maisons, toutes modestes, y sont alignées comme des baraquements et regroupent le plus souvent des colocataires. Petits commerçants, cadres ou ouvriers, des personnes de statut économiques différents composent la population de la poussière rouge. Le soir venu, les résidents se retrouvent pour jouer aux échecs ou aux cartes et surtout pour raconter des histoires. Ces histoires ne sont pas des contes, elles mettent en scène « les gens réels d’ici »…

On retrouve donc dans ce recueil les destins singuliers de quelques habitants pas forcément plus remarquables que les autres mais dont la trajectoire un tant soit peu particulière mérite d’être contée. De l’arrivée au pouvoir des communistes en 1949 à l’ouverture économique des années 2000 en passant par la révolution culturelle, on découvre en filigrane l’évolution de la Chine au cours des cinquante dernières années.

Les nouvelles sont présentées de façon chronologique et précédées d’un « bulletin d’information de la poussière rouge », sorte de compte rendu politique à la gloire du parti. Elles retracent des destins individuels remis dans le contexte historique de chaque année.  L’ensemble propose une photographie réaliste des bouleversements qui ont frappé le pays au fil des décennies. Intéressant notamment de découvrir à quel point le commerce privé et l’appât du gain ont peu à peu pris le pas sur le communisme pur et dur. Un « socialisme à la chinoise » qui laisse de plus en plus de place à l’économie de marché, au grand dam des anciens, nostalgiques du marxisme-léninisme de Mao.

Franchement, je me suis régalé. Des petites vies, des petites gens, des petits événements bien moins insignifiants qu’il n’y paraît, c’est tout ce que j’aime. C’est poignant ou drôle, triste ou édifiant. Pauvreté, amour, solitude, désillusion, rêves d’avenir, les thèmes sont variés et rythment le quotidien de la cité. Au final, le tableau brossé par petites touches successives est passionnant. En plus un second volume intitulé « Des nouvelles de la poussière rouge » est sorti il y a peu. Autant vous dire que je suis partant pour m’y plonger dare-dare.

Cité de la poussière rouge de Xiaolong Qiu. Liana Levi, 2013. 220 pages. 9,50 euros.

Une lecture commune que j'ai une fois plus le plaisir de partager avec Marilyne et une seconde participation au mois de la nouvelle de Flo.





samedi 19 octobre 2013

Dictionnaire du livre de jeunesse : La littérature d’enfance et de jeunesse en France

Ce dictionnaire représente une somme indispensable pour quiconque s’intéresse de près à la littérature de jeunesse. Un ouvrage de référence dont le contenu se veut plus large que celui des publications antérieures du même genre. Synthétisant les différentes recherches menées en France depuis près d’un demi-siècle, il se propose de balayer de la façon la plus exhaustive possible l’histoire du livre de jeunesse en France et ses mutations les plus contemporaines.

133 chercheurs et professionnels du monde du livre ont rédigé les 1034 notices. Ces dernières, lorsqu’elles sont consacrées aux auteurs, ne donnent que de rapides indications biographiques et s’attardent davantage sur les caractéristiques formelles et stylistiques de leurs œuvres ainsi que sur leurs éventuels thèmes de prédilection. Par ailleurs le dictionnaire contient près de quatre-vingt articles de synthèse qui offrent une dimension encyclopédique à l’ensemble. A titre d’exemple, le tout premier article consacré aux abécédaires est en tout point passionnant. Et puis je vais citer un autre exemple avec celui sur les livres animés, tout aussi passionnant, parce que je ne voudrais pas que vous pensiez que je me suis arrêté à la lettre A. Des auteurs, des articles thématiques mais aussi des maisons d’édition et quelques notices sur la presse jeunesse et son histoire, l’éventail est très large et très cohérent.

Évidemment, les râleurs trouveront toujours à redire. Des auteurs jeunesse, il en manque.  Moi-même je regrette de ne pas y trouver Régis Lejonc, illustrateur du fabuleux Phare des sirènes mais aussi quelques écrivains récents que j’apprécie beaucoup comme Agnès de Lestrade ou Sandrine Beau. Mais après tout l’exhaustivité totale est impossible (et au moins il y a Elisabeth Brami, Joe Hoestlandt et Jeanne Benameur, trois autres de mes chouchoutes). L’avant-propos explique clairement les choix qui ont été faits : des auteurs pour la grande majorité français mais pas que. Impossible de ne pas inclure dans ce dictionnaire Lewis Carroll, Maurice Sendak , JK Rowling ou  encore les plus célèbres auteurs belges et suisses de langue française (sinon impossible de parler de la célèbre « Martine » dont l’illustrateur était belge). Très peu de place est accordée à la BD, un choix assumé et justifié par le fait que de nombreux dictionnaires spécifiques au genre existent déjà. Mais bon, quand un auteur de bande dessinée donne également dans l’illustration, il a droit à sa notice (comme Christophe Blain par exemple. Par contre aucune trace d’Emile Bravo, ce qui est quand même fort dommage).

Un dernier mot sur les images. Il y en a 826 en tout. Une iconographie riche et variée que les auteurs ont voulue avant tout informative.

Voila donc un ouvrage incontournable, à la fois outil de travail pour les professionnels et source quasi inépuisable de connaissances pour tous les amoureux de la littérature jeunesse. 

Dictionnaire du livre de jeunesse : La littérature d’enfance et de jeunesse en France. Cercle de la librairie, 2013. 990 pages. 89 euros. 

Un billet qui signe ma participation mensuelle au projet non-fiction de Marilyne.


jeudi 17 octobre 2013

Dites-leur que je suis un homme - Ernest J. Gaines

Louisiane, années 40. Jefferson, un jeune noir illettré, est arrêté après le meurtre d’un commerçant blanc. S’il était bien ce jour-là sur les lieux du crime, il a simplement assisté au drame. Accusé à tort, son avocat commis d’office avance pour sa défense qu’il n’est qu’un « animal sans cervelle ». Pour lui, tuer Jefferson reviendrait à attacher un porc sur la chaise et à l’exécuter. « Un animal qui ne comprendrait pas ce qui se passe. » Un argumentaire pitoyable qui n’empêchera pas la condamnation à mort. Peu après, la marraine du condamné demande à l’instituteur Grant Wiggins de lui faire comprendre qu’il n’est pas un porc mais bien un homme. Seul ou accompagné du révérend Ambrose, Wiggins rend régulièrement visite à Jefferson dans sa cellule et tente de redonner au jeune homme la dignité dont le procès l’a privé...

Après John Fante me voila à nouveau embarqué dans la relecture d’un roman exceptionnel, cette fois-ci grâce à Valérie. Ce roman met en jeu tellement d’aspects importants, il appuie là où ça fait mal et pose des questions qui ne peuvent qu’interpeller chacun d’entre nous.

Wiggins l’enseignant est un personnage d’une infinie complexité. Lucide, conscient que sa condition de noir dans la Louisiane des années 40 ne lui autorise aucun avenir. Conscient de ne pas pouvoir remplir la tâche qu’on lui a confiée. Conscient de sa lâcheté, notamment le jour de l’exécution : « Pourquoi n’étais-je pas là-bas, pourquoi n’étais-je pas à son coté ? Pourquoi mon bras n’était-il pas autour de ses épaules ? Pourquoi ? ». Conscient de l’injustice permanente que subissent les siens : « Douze hommes blancs décident qu’un homme noir doit mourir, et un autre homme blanc fixe la date et l’heure sans consulter un seul noir. C’est ça la justice ? […] Ils vous condamnent à mort parce que vous étiez au mauvais endroit au mauvais moment, sans la moindre preuve que vous ayez été mêlé au crime, en dehors du fait d’avoir été sur les lieux quand il s’est produit. Pourtant, six mois plus tard, ils viennent ouvrir votre cage et vous informent : nous, tous des blancs, avons décidé qu’il est temps pour vous de mourir. » Sa fragilité est au cœur du texte. Il ne se sent pas investi d’une mission. Il semble totalement perdu face à une situation qui le dépasse mais au fil de ses visites, il trouve un sens à l’action qu’il mène auprès du condamné. Petit à petit il parvient à apprivoiser Jefferson et à lui transmettre cette absolue certitude : tu es un homme, tu n’es pas un animal comme ils veulent te le faire croire.

De son coté, pour que Jefferson abandonne le statut d’animal et se considère comme un homme à part entière, le révérend Ambrose veut lui parler de Dieu. Le révérend Ambrose veut le sauver. Il veut le préparer pour le monde meilleur qui l’attend après la mort. Et pour cela il a besoin de Wiggins. Car c’est le seul que Jefferson écoute. Mais Wiggins ne sait rien de l’âme. Il ne croit pas au ciel, il ne lui dira jamais d’y croire.
- Suppose qu’il te demande s’il existe, qu’est-ce que tu feras ?
- Je lui dirai que je ne sais pas.   
[…]
- Et s’il te demande si tu crois au paradis, tu feras quoi ?
- J’espère qu’il ne le fera pas révérend.
- Mais s’il le fait ?
- J’espère que non. 
- Tu ne pourrais pas lui dire oui ? 
- Non révérend, je ne pourrais pas. Je ne pourrais pas lui mentir dans un moment pareil. Je ne lui mentirai plus jamais, quoi qu’il arrive.

Wiggins l’athée refuse que Jefferson se mette à genoux devant le Seigneur avant de s'asseoir sur la chaise. Il veut le convaincre de rester debout jusqu’au dernier instant, pour briser le mythe de l’homme blanc :
« Tu sais ce que c’est qu’un mythe, Jefferson ? lui ai-je demandé. Un mythe est un vieux mensonge auquel les gens croient. Les blancs se croient meilleurs que tous les autres sur la terre ; et ça, c’est un mythe. La dernière chose qu’ils veulent voir, c’est un Noir faire front, et penser, et montrer cette humanité qui est en chacun de nous. Ça détruirait leur mythe. Ils n’auraient plus de justification pour avoir fait de nous des esclaves et nous avoir maintenus dans la condition dans laquelle nous sommes. Tant qu’aucun de nous ne relèvera la tête, ils seront à l’abri. […] Je veux que tu ébrèches leur mythe en faisant front. Je veux que toi – oui, toi- tu les traites de menteurs. Je veux que tu leur montres que tu es autant un homme, davantage un homme qu’ils ne le seront jamais.»

En fait, ce roman, c’est tout cela à la fois. L’injustice, la religion, l’éducation, l’amour, le statut de l’homme noir dans une région où la ségrégation n’est pas un vain mot, la place de chacun au sein d’une communauté… c’est tout cela et bien davantage encore. Je reconnais que l’écriture, très descriptive, n’a rien d’exceptionnel. Mais peu importe. Les vingt-cinq dernières pages sont poignantes. Elles vous attrapent le cœur et le serre tellement, tellement fort… C’est juste bouleversant, j’en ai eu des frissons et je peux vous dire que ce n’est pas le genre chose qui m’arrive souvent au cours d’une lecture.

Ernest J. Gaines est un immense auteur afro-américain bien trop méconnu sous nos contrées et Dites-leur que je suis un homme est son chef d’œuvre. Un roman essentiel, inoubliable. Pas pour rien qu’il a remporté l’année de sa sortie le National Book Critics Circle Award (le grand prix de la critique américaine). Je ne sais quoi dire de plus pour vous convaincre, je suis conscient de ne pas avoir trouvé les mots justes pour parler de ce texte mais sachez qu’il mérite plus que tout autre que l’on s’attarde sur son cas.

Dites-leur que je suis un homme d’Ernest J. Gaines. Liana Levi, 2003. 300 pages. 10 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Valérie.


National Book Critics Circle Award 1994







mercredi 16 octobre 2013

La revue dessinée n°1 – Automne 2013

Drôle d’idée de vouloir lancer un «Mook» (mélange de magazine et de book) entièrement réalisé en bande dessinée. Un pari osé mais qui, à la lecture de ce premier numéro, est relevé haut la main. Un sommaire riche et varié, des articles au long cours, des rubriques courtes, des enquêtes en plusieurs parties, chacun devrait pouvoir y trouver son compte in fine.


Alors que retenir de ce premier numéro ? D’abord que les deux articles les plus conséquents sont ceux que j’ai le plus appréciés. Le récit de Christian Cailleaux dans les eaux de l’hémisphère sud à bord de la frégate Floréal s’attache à dresser les portraits des différents membres de l’équipage. Sa démarche n’est donc pas identique à celle d’Emmanuel Lepage dans Voyage aux îles de la désolation puisque dans cet album on s’attardait davantage sur les communautés scientifiques peuplant ces îles éloignées de toute région habitable. L’autre grand article, une enquête consacrée aux pionniers américains du gaz de schiste, révèle les péripéties ayant amené les grandes entreprises du secteur énergétique à se lancer dans l’exploitation de nouvelles ressources naturelles grâce à la dévastatrice technique de la fracturation hydraulique. Édifiant. A noter également la première partie du reportage que Marion Montaigne consacre à la ménagerie du jardin des plantes et le récit documentaire où Olivier Bras et Jorge Gonzalez relatent le dernier jour du président chilien Salvador Allende, le 11 septembre 1973.

J’avoue avoir été moins convaincu par les petites chroniques disséminées entre les grands articles. En dehors la pastille musicale où j’ai eu le plaisir de retrouver Nicolas Moog (June), les autres m’ont laissé sur ma faim, notamment les rubriques informatiques, économiques et sportives.

Graphiquement, c’est le lot d’une publication aussi diverse, il y a à boire et à manger. Mention spéciale à l’argentin Jorge Gonzalez dont le trait charbonneux et proche du crayonné m’a emballé.

Une première réussie donc. Instructif, pas prise de tête, n’hésitant pas à aborder des sujets totalement différents les uns des autres, cette revue dessinée a tout pour plaire. En plus on nous annonce dans le second  numéro de décembre « Les plaies de Fukushima » par Emmanuel Lepage. Autant vous dire que je serai au rendez-vous.

Un grand merci à Mo’ qui a eu la gentillesse de m’offrir ce magazine en BD. Une fois de plus elle a fait mouche !

Son avis sur ce même numéro.

La revue dessinée n°1 – Automne 2013. 226 pages. 15 euros.







mardi 15 octobre 2013

Bonne nuit Eddie - Amélie et Estelle Billon

Eddie est un enfant solitaire qui aime la nuit et les gribouillis. En faux, il habite un haut manoir, en vrai, il vit dans une petite maison. « Depuis tout petit, on ne cesse de lui répéter qu’il a un don pour se faire oublier. » A tel point qu’une fois, ses parents sont partis en vacances sans lui. Ça ne le gêne pas de se faire oublier. Au moins personne ne l’embête quand il s’enferme dans son atelier avec son cochon ailé et son dinosaure. C’est là qu’il construit sa machine. Il ne sait pas encore à quoi elle va servir cette machine. Ce qui lui plairait c’est qu’elle puisse avaler les gens...

Des amis imaginaires, une machine incroyable, une atmosphère pleine de rêves où tout est permis... Eddie le solitaire voit s’ouvrir devant lui un vaste champ des possibles. Il construit son monde comme bon lui semble, la nuit étant son terrain de jeu favori. Grâce à elle il s’évade et s’invente l’échappatoire idéale.

Les illustrations en noir et blanc à la plume d’Estelle Billon fourmillent de détails (avec une mention spéciale pour la photo de classe) et sont au service du récit. Un garçon à part comme Eddie valait bien un univers graphique aussi particulier et aussi expressif.

Un album original, décalé, dont le caractère intimiste est renforcé par son petit format. Typiquement le genre d’ouvrage avec lequel un enfant pourrait avoir envie de s’isoler afin de profiter en solitaire d’un délicieux tête à tête avec Eddie le rêveur. 


Bonne nuit Eddie d’Amélie et Estelle Billon. Grasset jeunesse 2013. 32 pages. 12 euros. A partir de 6-7 ans.





samedi 12 octobre 2013

Bras de fer - François Chollet

Le soldat Salengro invite la capitaine Lucie Ravelin dans son appartement. La jeune femme le fascine. Sa beauté n’a d’égale que sa froideur et il aimerait révéler sa part de féminité. Pendant deux jours, il va l’enfermer et lui faire subir une succession d’humiliations. Mais que cherche-t-il vraiment en procédant de la sorte ?

Un huis clos classique. La question est : qui mène la danse ? Le « bourreau » se demande constamment ce qu’il est en train de faire. La victime ne l’est sans doute pas tant que ça. Il y a entre eux un jeu de dupes qui finit par agacer et surtout qui, in fine, ne mène à rien. On regarde les choses de loin, pas du tout concerné par cette relation tendue et ambiguë entre un troufion et sa supérieure hiérarchique. Une supérieure dont il voudrait percer la cuirasse derrière laquelle elle semble constamment se retrancher.  

En même temps, il faut reconnaître qu’il n’est pas simple de mettre en scène un huis clos. Tout tient souvent dans les dialogues. Les échanges entre les protagonistes sont ici dans l'ensemble artificiels, ils sonnent faux. Et puis l’affrontement est avant tout psychologique. Le soldat Salengro ne cesse de répéter que cette histoire n’est pas sexuelle. Pour le coup il n’a pas tort. Il y a bien quelques situations scabreuses mais pas émoustillantes pour deux ronds. Un léger coup de cravache, une cuillère à café de sperme, un soupçon de pipi et de vomi… ça aurait pu titiller mais j’avoue que ça m’a laissé de marbre (longtemps que ce genre de choses ne m’écœurent plus, vous pensez bien). Sinon l’écriture est agréable et il y a de forts jolis passages mais voila, je ne me suis pas laissé embarquer par ce texte. Sans compter que la fin, bien trop ouverte, laisse en bouche un goût d’inachevé. Bref, une déception avec ce court roman dont le pitch était pourtant prometteur. Ça arrive…

Bras de fer de François Chollet. Le Cherche midi, 2013. 136 pages. 13 euros.

Un grand merci à Lystig qui m’a permis de découvrir ce titre.

Son avis






vendredi 11 octobre 2013

Virginia T1 : Morphée - Séverine Gauthier et Benoît Blary

Lake Providence, Louisiane, janvier 1863. En pleine guerre de sécession, alors que les troupes nordistes préparent la prise du bastion confédéré de Vicksburg,  un étranger descend d’une diligence et se dirige vers le cabinet du médecin. Il se plaint d’une vieille douleur et réclame de la morphine. Cet étranger se nomme Doyle. Ancien soldat de l’Union, il a quitté l’armée suite à un événement tragique qui ne cesse de le hanter. Seuls la drogue et l’alcool peuvent calmer les maux qui le rongent. Mais pour trouver ses doses quotidiennes, il doit souvent franchir la ligne rouge...

Je vous l’accorde, le pitch n’est pas super original. Un héros écorché vif sorti cabossé de la guerre civile américaine. Un héros en quête de rédemption après avoir commis l’irréparable, c’est du déjà-vu. Mais Séverine Gauthier est aux commandes et ça change tout. Séverine Gauthier, scénariste de talent qui a, entre autres signé, Mon arbre, Aristide broie du noir et le génialissime Cœur de Pierre. Son univers empreint d’une certaine forme de noirceur trouve ici un terrain de jeu idéal. Doyle navigue entre son passé cauchemardesque et un présent guère plus brillant. Beaucoup de flashbacks pour permettre au lecteur de comprendre comment il en est arrivé là. Ce n’est certes pas très gai mais ce premier tome se termine sur une note d’espoir, une fenêtre ouverte vers un possible rachat, même si l’on comprend que tout ne sera pas simple.

Le trait de Benoît Blary est proche du crayonné, parfois tremblotant, souvent hachuré. J’ai eu du mal à m’y faire mais au fil des pages, je m'y suis plongé sans déplaisir. Et puis le choix des couleurs, ternes et délavées, est particulièrement judicieux.

Premier tome d'une trilogie, cet album s'avère au final être une belle surprise et je suis d'ores et déjà partant pour découvrir la suite.


Virginia T1 : Morphée de Séverine Gauthier et Benoît Blary. Casterman, 2013. 56 pages. 14,95 €.



jeudi 10 octobre 2013

Sauf les fleurs - Nicolas Clément

Marthe. Elle s’appelle Marthe. Une enfance passée à la ferme avec ses parents et son petit frère Léonce. Une enfance cauchemardesque à cause de ce père qui les battait comme plâtre. C’est surtout sa mère qui prenait les coups. Une violence insoutenable, incompréhensible :  « Depuis des lustres, Papa ne prononce plus nos prénoms, se jette sur le verbe, phrases courtes sans adjectif, sans complément, seulement des ordres et des martinets. Dans mon dictionnaire, je cherche la langue de Papa, comment la déminer, où trouver la sonnette pour appeler. Mais la langue de Papa n’existe qu’à la ferme. Il nous conjugue et nous accorde comme il veut. Il est notre langue étrangère, un mot, un poing, puis retour à la ligne jusqu’à la prochaine claque. »  Très tôt la haine pour ce tyran domestique. La peur aussi. Chevillée au corps. Et puis il y a eu ce jour funeste. Le geste de trop. Maman qui ne s’en relèvera pas. Heureusement pour Marthe, Florent était là. Un phare dans la tempête d’émotions et de tristesse qui l’a submergé. A maintenant dix-huit ans, elle entrevoit un avenir possible. Et pourtant…

Difficile de parler de ce texte tant il remue, tant il vous attrape à bras le corps. Il aurait été facile de dramatiser à l’extrême, de donner dans le tire-larme dégoulinant. On en reste pourtant très loin. La narration elliptique y est pour beaucoup. Des phrases courtes, saccadées. Une succession de petits paragraphes où une certaine forme de poésie vient vous cueillir sans crier gare. Marthe murmure son récit dans un souffle. Elle dit la douleur mais aussi son éveil au désir dans les bras de Florent. La violence du père face à la sensualité, face à la tendresse de l’amour. On croit à une possible résilience, on se dit que cette petite fille devenue femme va parvenir à se reconstruire. Mais le traumatisme est toujours présent, la haine viscérale.

Une histoire simple. Une histoire belle et dramatique. Bouleversante. Une plume tout en délicatesse. Sauf les fleurs est un premier roman. C’est surtout un texte magnifique qui vous poursuivra longtemps. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître.


Sauf les fleurs de Nicolas Clément. Buchet-Chastel, 2013. 75 pages. 9 euros.

Une lecture commune que je l'ai plaisir de partager avec Marilyne, Noukette et Stephie. Un sacré trio !

Les avis de Alex ; Canel ; Clara ; Cristie ; Jacky Caudron







mercredi 9 octobre 2013

Les nombrils T6 : Un été trop mortel - Delaf et Dubuc

Drôle d’été pour les nombrils. Les trois inséparables amies suivent désormais leur propre route. Karine ne quitte plus Albin et son groupe de musique, Jenny passe son temps à draguer sur la plage et Vicky est envoyée par ses parents dans un camp de remise à niveau pour les élèves nuls en anglais. De nouvelles rencontres en événements inattendus, de petits drames en belles surprises, chacune va  vivre des moments très particuliers. Leurs trajectoires vont évidemment à nouveau se croiser pour un final à rebondissement qui clôt un cycle important de la série.

Chaque nouvel album des nombrils se fait attendre mais au regard de la qualité de l’ensemble, on ne pourra jamais reprocher aux auteurs de prendre leur temps. Loin de la série à gags classique, ils font évoluer constamment leurs héroïnes et leur environnement. Rien n’est laissé au hasard, l’introduction de chaque nouveau personnage est travaillée à l’extrême et prend son sens sur la durée. Ici, parmi les nouveaux venus, mention spéciale au maître nageur craquounet au QI d’huitre Jean-Franky et à la gothique Mégane dont on se doute qu’elle va prendre à l’avenir une place de plus en plus conséquente.

La construction du récit se révèle imparable. Par exemple un épisode à priori anodin de la page 31 revient comme un boomerang de façon inattendue à la toute dernière planche. Et puis il y a toujours ce ton un peu vachard, les répliques nunuches de Jenny, l’égocentrisme de Vicky, le cynisme de ses parents, bref une marque de fabrique qui fait des nombrils LA série jeunesse du moment. Si j’avais un seul petit bémol à émettre je dirais que Karine devient de plus en plus transparente, tenant au mieux le rôle de faire-valoir. En fait, on sent les auteurs beaucoup plus à l’aise pour mettre en scène ses deux acolytes.

A la lecture de ce nouvel album, difficile de ne pas reconnaître que le succès de la série est amplement justifié. D’ailleurs j’ai une fan à la maison qui attendait ce sixième volume avec la plus grande impatience et qui l’a dévoré en deux temps trois mouvements.


Les nombrils T6 : Un été trop mortel de Delaf et Dubuc. Dupuis, 2013. 50 pages. 10,60 euros. 








mardi 8 octobre 2013

Suite à un accident grave de voyageur - Eric Fottorino

En septembre 2012, trois personnes se sont jetées sur les voies du RER dans les Yvelines, non loin de chez l’auteur. Des tragédies que la SNCF qualifie d’ « accident grave de voyageur. » Pour Éric Fottorino, c’est bien plus que cela : « Je ne reconnaissais rien dans ces paroles désincarnées. Elles composaient un chef d’œuvre d’évitement. L’accident grave n’évoquait aucun geste, ne suggérait aucune image. Il relevait d’une langue vidée de sa substance, dénuée de compassion. Une suite de mots pour ne plus y penser, pour passer à autre chose. »

Fottorino, utilisateur quotidien des transports en commun, s’interroge sur les raisons de cette déshumanisation. Il voudrait redonner aux victimes la dignité qu’elles méritent. Des morts passées sous silence par les médias et que la SNCF ne considère que comme des problèmes techniques : « L’échelle des priorités s’imposait dans sa crudité, sa cruauté. Le suicide sur les voies n’est pas une vie de perdu. C’est du temps de perdu. L’existence de tous est contrariée par la défaillance d’un seul. Des retards. Des arrêts inopinés. Des trains qui n’arriveront pas à l’heure. Il faut aller vite. S’assurer que le trafic peut être rétabli. » Des morts dont on se fiche ou pire, qui agacent. Sur certains forums, les usagers se lâchent. Ces suicidés ne sont que des égoïstes qui auraient mieux fait d’avaler des médocs ou de se tirer une balle dans la tête plutôt que d’embêter le monde. Ces suicidés anonymes dont on ne retient que le geste, dont l’existence n’intéresse personne. Heureusement, il y a aussi des messages de résistance au cynisme ambiant. D’aucuns voient  « dans ces gestes la volonté de choquer et d’exhiber sa détresse avec une violence indécente, comme un reproche à notre indifférence ». L’auteur pense aussi aux témoins directs qui, pour la plupart, ne pourront jamais oublier ce qu’ils ont vu.

Ce texte est, entre autres, un cri de douleur poussé face au mépris et à l’indifférence, mais j’ai apprécié le fait que Fottorino ne se mette pas au-dessus de la mêlée : « Combien de fois ai-je moi-même pesté à l’annonce d’un retard dû à un accident de personne ? Suis-je donc devenu insensible aux autres ? Je préfère croire que les trains de banlieue anesthésient mes émotions. [ …] Le temps du trajet, je ne suis plus tout à fait humain. Je ferme mes yeux à la laideur, mon cœur à la misère ».  A aucun moment il n’endosse le costume du donneur de leçon. Il voudrait juste comprendre comment un geste aussi irréparable est possible : « Je me demande si on s’entraîne à mourir. Si se jeter sur les voies est un crime prémédité contre soi. Ou un meurtre sans coupable. »  La réflexion est profonde et parfaitement construite, l’écriture magnifique. Un texte rare dont la beauté n’a, je trouve, rien de morbide.

Une découverte que je dois à Philisine Cave. Elle a une fois de plus joué son rôle de tentatrice à la perfection.


Suite à un accident grave de voyageur d’Eric Fottorino. Gallimard, 2013. 62 pages. 8,20 euros.


lundi 7 octobre 2013

Volt - Alan Heathcock

Un père qui écrase accidentellement son enfant avec un tracteur et perd les pédales. Un homme demandant à son gamin de l’aider à faire disparaître le corps d’un conducteur récalcitrant. Un pasteur et sa femme qui ne se remettent pas de la mort de leur fils en Irak. Une femme shérif désemparée devant la folie des hommes. Une paysanne un peu cintrée qui déambule dans un labyrinthe de maïs…

Tout cela se passe à Krafton, dans le trou du cul de l’Amérique. L’enfer sur terre. Des baraques déglinguées et des âmes cabossées. Des voitures en ruine, de la boue partout. Les éléments se déchaînent, les eaux recouvrent cette ville de péchés  et chacun semble chercher une impossible  rédemption. C’est sombre, violent, d’une infinie tristesse. Dans chacune de ces nouvelles, il y a au moins un personnage qui, à un moment ou un autre, pleure. Le plus souvent, d’ailleurs, ce sont des hommes.

Un beau recueil donc, à l’écriture poétique et enlevée, mais qui ne m’a pas pour autant totalement enthousiasmé. Il manque ce petit grain de folie, ce coté abrasif qui mettrait le feu aux poudres. La comparaison avec Donald Ray Pollock n’a pas lieu d’être, Heathcock restant dans l’ensemble beaucoup trop sage. Parmi les nouvellistes américains découvert il y a peu, Frank Bill et Anthony Doerr restent pour moi un cran au dessus. Pour autant, mon point de vue est comme d’habitude totalement subjectif. Faites-vous donc votre propre idée…

Volt d’Alan Heathcock. Albin Michel, 2013. 296 pages. 23 euros.


Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Anne et Clara.



samedi 5 octobre 2013

Trembler te va si bien - Risa Wataya

 « Etô Yoshika, vingt-six ans. Nationalité japonaise, groupe sanguin B, employée à K.K. Mareuil, facilement acnéique. Copain zéro, économies zéro. Loyer mensuel 75 000 yens. Ce que je déteste : les glandeurs. Ce que j'aime : le ragoût de bœuf. Ma passion du moment : chercher sur Wikipédia les espèces animales éteintes. »

Yoshika est célibataire mais elle a deux amoureux. Du moins, elle est restée follement amoureuse d’Ichi, la star du lycée qu’elle n’a pas revue depuis des années. Malheureusement Ichi ne s’est jamais intéressé à elle. Ce n’est pas le cas de Ni, un collègue du bureau lui ayant officiellement demandé si elle souhaitait devenir sa petite amie. « Ni, c’est l’ex-sportif affublé d’un petit début de bidon propre au buveur de bière, le type qui fixe sa vieille coupe ras du crâne quelque peu défraîchie au gel extrafort, grand nez, grands yeux, le type qui dégage une aura chaude et humide comme l’épaisseur d’un bento tout frais. » Entre les deux son cœur balance. Quoi que… Elle ne ressent rien pour Ni mais au moins il lui offrira une certaine sécurité affective. Seulement, lorsqu’Ichi réapparaît à une réunion d’anciens élèves, Yoshika se dit qu’elle va peut-être enfin avoir sa chance avec celui auquel elle n’a jamais cessé de penser depuis la fin de son adolescence…

Ça démarrait bien. Yoshika, jeune femme un peu paumée mais pleine de fraîcheur et d’humour raconte son quotidien avec une belle autodérision. Elle analyse avec finesse ses relations compliquées aux autres. On sourit devant les incertitudes amoureuses qui occupent ses pensées la plupart du temps et on se dit qu’elle est finalement aussi lucide que naïve. Bref, un portrait de femme sans doute assez typique d’un grand nombre de jeunes japonaises actives d’aujourd’hui très joliment troussé.

Mais dans le dernier tiers du roman le soufflé retombe. Les atermoiements de Yoshika deviennent exaspérant et on a juste envie de lui mettre un bon coup de pied aux fesses pour qu’elle cesse de se plaindre et se remue un peu, pour qu’enfin elle prenne les rennes et arrête de subir les événements. En fait ce dernier tiers est trop psychologique pour moi. La confession n’est plus légère et drôle, elle agace. C’est simple, j’ai eu l’impression d’être un psy auquel s’adresse une patiente. Mais je ne suis pas un psy, je suis juste un lecteur et j’avoue que la fin du roman m’a paru terriblement ennuyeuse.

Je retenterai néanmoins le coup avec cette auteure parce que j’ai trouvé le début de son récit excellent. Peut-être avec « Appel du pied », le roman qui lui fit gagner le prix Akutagawa (le Goncourt japonais) alors qu’elle n’avait que 19 ans. Dernier détail, je trouve le titre très beau mais je ne lui vois strictement aucun rapport avec le texte. Si quelqu’un a une explication je suis preneur.

Trembler te va si bien de Risa Wataya. Picquier, 2013. 144 pages. 16 euros.




vendredi 4 octobre 2013

La célèbre Marilyn - Olivier de Solminihac

Marilyn, c’est bien simple, personne ne fait attention à elle. Elle n’a qu’un seul ami et le jour où il est malade, il ne lui reste plus personne à qui parler. De toute façon un seul ami ce n’est pas assez selon elle pour exister. Pour exister, il faut être célèbre. Sans forcément faire quoi que ce soit de particulier pour le devenir. Son idée ? Se planter au milieu de l’école avec à la main un stylo et un calepin pour signer des autographes. A priori, impossible que cela fonctionne. Mais il suffit parfois de pas grand-chose pour déclencher un effet « boule de neige »…  

Un roman jeunesse sans prétention et finalement sans grand intérêt. C’est bien écrit et le narrateur est malicieux mais le propos est convenu et les situations présentées trop simplistes. Se poster dans la cour de récré pour signer des autographes alors que l’on a aucun talent particulier et connaître ainsi la gloire, c’est prendre les enfants pour plus bêtes qu’ils ne sont il me semble. Bien sûr il y a un message derrière tout ça. La célébrité, n’importe qui peut y accéder (clin d’œil appuyé à la téléréalité)  et on fini toujours par s’en mordre les doigts. Certes. C’est dans l’air du temps et ça peut faire réfléchir mais je ne suis pas convaincu par la façon dont l’auteur mène sa barque.

Un texte court, qui se lit très vite mais qui, je le crains, s’oublie aussi très rapidement. En ce qui me concerne il ne m’en restera rien d’ici peu…


La célèbre Marilyn d’Olivier de Solminihac. L’école des loisirs, 2013. 70 pages. 8,00 euros. A partir de 8-9 ans.

jeudi 3 octobre 2013

Les pieds bandés - Li Kunwu

 « L’âge idéal est six ou sept ans quand la peau est douce et les articulations tendres. Il faut d’abord préparer deux petites paires de souliers bien cousus et tout l’équipement nécessaire : une bande blanche de tissu de chanvre, raidie avec l’amidon, bien sèche et enroulée ; également une paire de ciseaux, un dé à coudre, une bonne aiguille et du gros fil de couture, sans oublier de l’alcool jaune, une cuvette, du coton, des chutes de tissu… Ah oui, j’allais oublier, il faut encore du sang frais de chèvre. »  « La potion est amère mais le jeu en vaut la chandelle. » 

Au début du 20ème siècle, en Chine, si une femme voulait se marier avec un fils de bonne famille, elle devait avoir de tout petits pieds. Et pour avoir de tout petits pieds, il fallait les bander de manière abominable, une vraie torture. Une torture qu’a dû endurer Chunxiu. Elle n’avait que huit ans lorsqu’on lui a bandé les pieds. Dix ans plus tard, alors qu’elle était devenue une magnifique jeune femme prête à marier, l’armée révolutionnaire renversa l’empereur et édicta de nouvelles règles. Les vestiges de l’institution féodale furent bannis et le bandage des pieds interdit. Retournant dans son village natal, Chunxiu devint, suite à un événement tragique, une simple paysanne puis la nounou de Li Kunwu, l’auteur de ce one-shot en tout point édifiant.

Un douloureux destin de femme intimement lié à celui de son pays. Un destin individuel qui symbolise l’évolution de la Chine et sa marche forcée vers la révolution communiste. J’ai trouvé les pages où est décrite la technique du bandage à la limite de l’insoutenable. Quelle horreur ! Le personnage de Chunxiu est pour sa part touchant. Elle a traversé avec une étonnante dignité une existence pas épargnée par le malheur. Li Kunwu mélange avec bonheur la petite et la grande histoire. Son propos est clair et la progression chronologique se fait sans heurts. Une vraie maîtrise de la narration en somme.  

Coté dessin, j’ai bien aimé ce noir et blanc (of course !) à l’encrage épais et un peu tremblotant. Les scènes de foule et de marché sont notamment très réussies.

Un bel album, riche et instructif. En même temps c’était une recommandation de Mo’ et de Marilyne donc je ne prenais pas de grands risques en me lançant dans cette lecture.


Les pieds bandés de Li Kunwu. Kana, 2013. 127 pages. 15 euros.

Les avis de Mo', Cristina et Audouchoc.