Miguel est un vieil homme taciturne qui passe ses journées assis sur un banc face à la mer. Un soir, alors que son petit fils vient le chercher pour diner, Miguel lui demande de venir près de lui. Alors qu’il ne lui parle pour ainsi dire jamais, alors qu’il ne se souvient même pas de son prénom, le grand père lui raconte ses souvenirs de jeunesse : « A l’époque, le monde était très différent, beaucoup plus dur. Seuls les plus acharnés, les plus féroces, pouvaient prétendre survivre. » Miguel a chassé des géants, il a été l’homme de main du caïd de la ville, il a recherché un trésor sur le territoire des orcs, bref, il a vécu dangereusement et intensément. Aujourd’hui, les grandes guerres d’épuration ont fait de l’homme la race supérieure et ont exterminé toutes les autres espèces. Les choses ne sont décidément plus ce qu’elles étaient. Miguel égraine ses souvenirs et son petit fils semble s’en contrefoutre. Mais le vieil homme ne s’interrompt pas pour autant. Après tout, c’est avant tout à lui-même qu’il s’adresse…
Jean-Louis Marco s’est lancé dans un étrange projet. Il met en scène le crépuscule de l’héroïc fantasy à travers le récit d’un des derniers aventuriers à avoir connu son âge d’or… Miguel a besoin de ressasser ses aventures de jeunesse pour ne pas oublier à quel point sa vie a valu la peine d’être vécue. L’attitude du petit fils est d’une grande modernité. Il n’est pas dans la posture d’idolâtrie que l’on retrouve en général lorsqu’un grand guerrier raconte ses exploits aux plus jeunes. Le discours de son grand-père l’ennuie profondément et il ne s’en cache pas.
L’ouvrage relate trois histoires totalement différentes. Les deux premières relèvent de la pure aventure alors que la troisième m’a fait penser aux Contes du Korrigan publiés chez Soleil. Loin des rondeurs que l’on retrouve généralement dans le franco belge classique, le trait est ici très aiguisé : nez pointus, cheveux hérissés, visages en lame de couteau... Les couleurs, où le gris vert et l’ocre dominent collent parfaitement aux ambiances forestières et montagneuses où l’action se déroule.
Un album étrange, presque expérimental. Entre héroïc fantasy classique et modernité du propos, difficile de classer ces Mémoires d’un guerrier dans un genre bien précis. Une agréable découverte en tout cas.
Mémoires d’un guerrier de Jean-Louis Marco, Gallimard, 2011. 92 pages. 16 euros.