Ce paragraphe résume à lui seul le sentiment que j’ai toujours gardé par rapport à l’usine. Et ce premier roman de Joseph Ponthus m’a replongé 25 ans en arrière sur les lignes de production d’une usine de crèmes glacées où les machines ont failli avoir ma peau.
C’est simple, j’ai tout aimé dans ce texte. Le contexte de sa création d’abord. L’auteur n’est pas entré à l’usine pour écrire un livre, faire un reportage ou une enquête sociologique. Il y est entré parce qu’il avait besoin d’argent pour bouffer, ni plus ni moins. Et l’air de rien ça change beaucoup de choses sur le contenu du propos et surtout la vision du travail, sa portée « alimentaire », la nécessité, quelle que soit la pénibilité de la tâche, de s’y plier pour ne pas perdre la mission d’intérim en cours et les indispensables revenus qui en découleront. Ensuite la forme. Une sorte de long poème en prose où les vers libres offrent une respiration particulière au texte et lui donnent un rythme tout sauf linéaire. Le fond enfin. Tous les sentiments et sensations propres au travail sur une chaîne de production sont restitués. L’ennui, la fatigue, l’impression que jamais ça ne s’arrêtera, que jamais la journée ne se finira. Sans oublier la douleur du corps qui voudrait dire stop alors que l’esprit le pousse à continuer ou le rapport à la hiérarchie, entre crainte et détestation.
Pour autant le tableau dressé n’est pas perpétuellement orienté vers les aspects les plus négatifs de l’expérience. Bien sûr il y a les réveils difficiles, les prises de poste au petit matin, le rythme infernal, les collègues pénibles, les machines qui tombent en panne, les odeurs insupportables que l’on ramène à la maison une fois la journée terminée et cet épuisement qu’aucune nuit de sommeil ne pourra réparer. Mais il y a aussi les pauses café, les collègues solidaires, la satisfaction du travail accompli, le fait que l’usine révèle une force de caractère insoupçonnée. Et puis il reste une vie hors du travail avec la femme aimée, le chien fidèle et la mère aimante. Le narrateur oscille entre colère et abattement, respirations bienvenues en bord de mer et rapport salvateur à la littérature. C’est parfois drôle, terriblement réaliste et en même temps suffisamment distancié pour ne pas sombrer dans le récit de vie bêtement autocentré.
Un premier roman qui m’a particulièrement touché pour un tas de raisons qui ne regardent que moi. Je n’avais rien lu d’aussi beau sur le monde ouvrier d’aujourd’hui depuis les superbes Chroniques des années d’usine de Robert Piccamiglio publiées il y a vingt ans chez Albin Michel. C’est une évidence, Ponthus est un digne héritier de la littérature prolétarienne chère au coeur de Michel Ragon (dont je peux que vous conseiller l'indispensable Histoire de la littérature prolétarienne de langue française). Une littérature que j’ai beaucoup étudiée à la fac et qui n’a jamais cessée de me passionner depuis.
A la ligne : feuillets d’usine de Joseph Ponthus. La Table Ronde, 2019. 266 pages. 18,00 euros.
Très intéressant ton billet (et le livre aussi trè certainemen).
RépondreSupprimerJe n'ai jamais travaillé à l'usine mais deux de mes enfants l'ont fait pour des jobs d'été et cette expérience à été une ouverture très intéressante sur une facette du monde du travail dont ils n'avaient pas idée
Un texte d'une force inouïe, et d'autant plus, comme tu le soulignes, qu'il ne se complait pas dans la douleur. Sans doute a-t-il une résonance particulière lorsqu'on a connu ce monde (ce que j'ignorais te concernant), mais qui parle à tout un chacun. C'est une de mes grandes lectures de ces derniers mois !
RépondreSupprimerje n'étais pas trop tentée, surtout par la forme, mais plus je lis d'articles, plus je me dis que je devrais le lire ^^
RépondreSupprimerJ'avais déjà très envie de le lire (même si j'ai réussi à échapper à l'usine ! ) tu confirmes que c'est à lire.
RépondreSupprimerTu sembles bien connaître le thème... j'avoue que comme ça, si on me dit "littérature prolétarienne", rien ne me vient à l'esprit... (mais si, tu m'avais conseillé des titres il y a un certain temps pour le thème des "invisibles" !)
RépondreSupprimerEn tout cas, j'avais déjà repéré ce premier roman, bien sûr, et je compte bien le lire.
Un stage ouvrier de 6 semaines était obligatoire pendant ma formation d'ingénieur juste pour nous faire comprendre ce que vivait "la base" et tout ce qu'on leur devait ! malheureusement ce stage a disparu de la formation aujourd'hui c'est bien dommage.
RépondreSupprimerMais dis donc, tu en parles très bien de ce texte !
RépondreSupprimerJ'ai lu en diagonale, car il est sur mes étagères, mais j'ai compris que tu avais été conquis, et je note tes conseils de fin de billet ! Je connais très peu cette littérature prolétarienne, mais j'ai lu il n'y a pas si longtemps "Viande à brûler" de César Fauxbras qui, bien qu'évoquant surtout des petits employés au chômage, pourrait être assimilé à cette catégorie (notamment dans ce rendu du quotidien précaire, laborieux..)
RépondreSupprimerah oui moi aussi j'ai des souvenirs d'usine complètement aberrants et hallucinants! Je m'en rappelle quand je peste contre mon métier d'enseignant!
RépondreSupprimerEnvie de le lire depuis sa sortie et voilà que tu en rajoutes une couche, merci !
RépondreSupprimerUn petit tour à l'usine et te voilà comblé ;-)
RépondreSupprimerPour ma part je l'ai connu l'usine oui avec différentes lignes de production et croyez moi c'est sur on n'a pas envie d'y rester toute sa vie... Mais bon parfois on n'a pas le choix.
Ma pire expérience était sur une ligne de production d'impression de carton (genre des cartons pour les collants, ou pour des ustensiles...) la chaîne était calée à fond !!! et pas possible de quitter ne serait-ce qu'un moment la chaîne. En tant qu'intérimaire on ne nous faisais pas de cadeau !
Travailler en usine et avoir la chance d'en parler sans rester dans le système est une chance.
On relativise après les difficultés de nos métiers.
Bises
Je vais finir par me laisser tenter, ce livre a l'air de vraiment valoir le détour. La forme m'avait pourtant freinée en librairie, mais la curiosité l'emporte là !
RépondreSupprimerJe l'ai lu mais pas chroniqué.
RépondreSupprimerCe livre m'a ouvert les yeux sur un monde que je ne connaissais pas et dont je suis très éloignée. Ça a été un choc.
A lire bientôt pour moi, avec impatience
RépondreSupprimerIl m'a manqué un fond plus social, un vrai engagement de l'auteur.
RépondreSupprimerpas encore lu, mais je compte bien le lire avant la fin de l'été!
RépondreSupprimerJe ne vois que des critiques positives...
RépondreSupprimeril va falloir que je fasse abstraction de la couverture qui me déplait :)