J’en ai tellement entendu parler de ce roman. Il me semblait que tout le monde l’avait lu sauf moi. Il me semblait aussi qu’il m’irait comme un gant. Je n’avais à vrai dire qu’une vague idée de son contenu. Une histoire de père et fils, sur une île d’Alaska. Juste Jim le père et Roy, son fils de 13 ans. Et la nature sauvage tout autour. Et un drame à venir, forcément.
En gros j’avais tout compris, sauf que le drame n’était pas celui auquel je m’attendais. Du moins pas comme ça. L’attente de ce drame a d’ailleurs perturbé ma lecture. Parce qu’au début les choses se passent normalement. Ils s’installent, ils coupent du bois, ils pêchent, ils chassent, ils randonnent, ils préparent les réserves pour l’hiver. Un ours vient saccager leur cabane en leur absence. Le gamin a du mal à se faire à ce nouvel environnement. Les échanges avec le paternel se réduisent au strict minimum. Il est bizarre ce paternel. Il donne le change mais on le sent moyennement préparé à l’aventure, une aventure qu’il a voulu imposer à son rejeton. Et puis la nuit il chiale comme une madeleine et sans raison. L’ambiance n’est donc pas au beau fixe mais pas de quoi fouetter un chat. En apparence. J’ai parcouru ces pages avec pour leitmotiv un «
jusque là tout va bien » que je savais illusoire. Pour autant je n’ai rien vu venir.
Fin de la première partie. Une phrase et tout bascule. Punaise, c’est pas possible… voila ce que je me suis dit. Et pourtant si. Commence alors le naufrage du père. Et mon aversion absolue pour ce connard. Un gars lâche, stupide et égoïste. Un abruti de première, tellement pas attentif aux autres, tellement immature, tellement détestable. Qui n’aura à la fin que ce qu’il mérite. Une fin qui, sur la forme, m’a rappelé
Martin Eden. En infiniment moins triste. Parce que si celle de Martin m’a serré la gorge, celle de Jim ne m’a inspiré qu’un peu glorieux «
bien fait pour sa gueule ».
Il est énorme ce roman. Parce qu’il gratte, et pas qu'un peu. Il met en scène une situation insupportable gérée de façon calamiteuse par celui qui se doit d’être l’adulte responsable. Mais sans jugement. Avec une neutralité de ton et une montée en tension qui font froid dans le dos. Il est énorme parce que David Vann n’accable personne mais il ne tente à aucun moment d’arrondir les angles. Et son histoire déclenche une forme de fascination et d’écœurement qui laisse sans voix. C’est dur, terriblement dur. Et terriblement humain. J’ai adoré.
Sukkwan Island de David Vann. Gallmeister, 2011.
200 pages. 8,50 euros.
J’ai lu la BD dans la foulée. Pas une bonne chose d’enchaîner la lecture d’un roman et de son adaptation. Le texte original est encore trop frais, la comparaison dessert obligatoirement la transposition sur un autre support. Les choses sont différentes je trouve quand, au moment de se plonger dans une adaptation, le roman est loin derrière nous et qu'il ne nous en reste que la trame générale, une vague idée en somme.
En plus ici Ugo Bienvenu ne s’autorise pas le moindre écart, il suit le récit avec une fidélité absolue et un peu mécanique, n’apportant au final aucune valeur ajoutée. Rare de voir un album compter plus de pages que le roman dont il s’inspire, c’est dire si tout est raconté en détail. Point d’ellipses ni de raccourcis donc, j’ai eu l’impression de faire une relecture à l’identique (les images en plus) et je me suis ennuyé. Sans compter que le dessin sans souplesse et le découpage bien trop classique n’apportent pas le soupçon d’originalité graphique qui aurait pu m’accrocher. Une déception, donc.
Sukkwan Island d’Ugo Bienvenu, d’après le roman de David Vann. Denoël Graphic, 2014. 2
20 pages. 22,90 euros.
Un énorme merci à l’adorable
Moka qui a eu la gentillesse de m’offrir ces deux ouvrages au cours d’une mémorable journée de formation où des intervenants, certes motivés mais pas franchement compétents, ont tenté de nous inculquer les vertus de la littérature policière pour la jeunesse. En même temps, nous connaissant, la cause était perdue d’avance…