Les six premières lignes du texte. Tout est dit. Charlie a perdu sa fille unique. Charlie a perdu sa femme. Charlie a perdu pied. Totalement.
Attaquer la rentrée littéraire avec un sujet aussi plombant à de quoi vous mettre le moral dans les chaussettes. Un père détruit par une tragédie personnelle impossible à surmonter, un père qui sombre dans l’alcool, la drogue et qui rôde la nuit venue près de la tombe de son enfant, il faut reconnaître que ce n’est pas joyeux-joyeux. Mais personnellement j’aime bien. Je suis dans ma zone de confort avec les personnages à la marge, les solitaires misanthropes, les histoires sombres, très sombres.
Bon j’avoue, le Charlie, on a souvent envie de lui botter le cul, de lui dire qu’il n’est pas le premier à qui ça arrive et qu’il ne sera malheureusement pas le dernier. On a aussi envie de lui dire que c’est un peu facile de se laisser couler de la sorte plutôt que d’affronter la réalité en face. Mais ce que j’aime chez Paul Harding c’est qu’il ne saute pas à la gorge de son lecteur en hurlant « regarde et pleure ! » comme tant d’autres savent si bien le faire. Il dessine l’indicible par petites touches, il bifurque, il vagabonde sur des chemins de traverse, perd le fil de son récit pour plonger dans les souvenirs d’enfance de son personnage ou exposer l’histoire de la ville d’Enon et sa toponymie. Et sans crier gare il revient au quotidien de Charlie et nous immerge à nouveau dans son terrible voyage aux confins de la déchéance et de la folie. J’adore ce choix narratif plein de liberté, une manière de dire au lecteur « qui m’aime me suive, et tant pis si j’en perds en route ». Et puis il peut se le permettre parce qu’il écrit magnifiquement bien. Il y a dans ce texte des passages absolument somptueux :
« Comprendre que mon chagrin était infinitésimal, comparé à la somme de l’univers, ne m’empêchait pas d’en être dévasté. Je savais bien que mon tourment était présomptueux, une manière fallacieuse de prétendre à la tragédie absolue. Si je ne cessais de clamer que j’étais trop faible pour supporter la mort de ma fille, cela ne signifiait-il pas justement que j’en avais la force en réalité ? […]Ma peine n’aurait-elle pas été plus intense si Kate n’avait jamais existé ? Beaucoup plus intense ? N’était-il pas vrai que sa brève et joyeuse existence était la plus grande joie de la mienne ? La joie de ces treize années ne constituait-elle pas un royaume à part entière, dont le chagrin assiégeait à présent les murailles, certes, mais sans parvenir à les abattre ? Voila ce que je me disais. La joie de ces treize années possédait une intégrité en propre, au sein de laquelle Kate continuait d’exister. Les souffrances entraînées par sa propre mort ne pouvaient l’atteindre. »
Ou encore :
« J’étais affamé de mon enfant et venais me repaître dans le cimetière, dans l’espoir qu’elle me rejoigne, à mi-chemin de nos deux mondes, ou juste au-delà, ne fût-ce qu’une nuit, ne fût-ce que pour un instant – qu’elle se dresse de nouveau, debout sur ses pieds nus, et foule l’herbe humide ou les feuilles mortes ou la terre enneigée de l’Enon vivant afin que nous puissions échanger elle et moi ne fût-ce qu’un seul, un dernier mot humain. »
Un roman d’une beauté tragique, un roman anti « feel good » par excellence. Tout ce que j’aime, quoi.
J’ai voulu entraîner Noukette dans cette première lecture de la rentrée. Pas sûr que ma binômette préférée ait autant apprécié le voyage à Enon que moi…
Enon de Paul Harding. Le cherche midi, 2014. 288 pages. 17,50 euros.
Bon, comme je disais chez Noukette, vraiment pas tentée par l'ambiance de ce roman. Il y a trop de livres à lire, tant devrais-je dire plutôt, je passe de plus en plus facilement mon chemin maintenant, je me rends compte, pour me concentrer sur ce qui me parle vraiment (quitte à ce que ça n'intéresse que moi d'ailleurs^^)..
RépondreSupprimerJe trouve que cette une très bonne résolution. Le plus difficile sera de t'y tenir, non ?
SupprimerJe ne me sens pas tentée. J'ai l'impression que c'est peut-être un livre trop "masculin".... Merci en tout cas pour cette critique littéraire qui m'aide à me repérer dans cette rentrée littéraire si foisonnante.
RépondreSupprimerBonne journée.
Je ne m'étais pas fait la remarque mais il est vrai que c'est un texte plutôt "masculin".
SupprimerJ'avais aimé "Les foudroyés" et je suis bien tentée par celui-ci après ton billet.
RépondreSupprimerMoi aussi j'avais beaucoup aimé "Les foudroyés".
SupprimerJ'avais aimé Les foudroyés et aurais aimé découvrir cet Enon (mais un oeil sur l'histoire m'en a dissuadée) J'ai lu un roman français où l'homme qui a perdu sa femme sait aussi faire passer sa douleur, donc voilà voila...
RépondreSupprimerSi tu le trouves à la médiathèque, tu te laisseras peut-être tenter ;)
SupprimerTu as retrouvé un roman que tu aimes (après tes échecs précédents), c'est super.
RépondreSupprimerPas pour moi je pense.
Oui, ça fait du bien de replonger dans un roman qui nous accroche.
SupprimerIl m'a déjà perdu, rien qu'en te lisant ! ;-)
RépondreSupprimerLe pauvre...
SupprimerMoi qui pensais lire un roman rempli d'arcs en ciel et de poneys pailletés... (tu as ça en rayon d'ailleurs...?) Blague à part, c'est pas joyeux joyeux... Bien écrit, bien traduit, bien construit ça oui, mais punaise, j'espère que la rentrée me réserve aussi des romans remplis de bons sentiments dégoulinants ! ;-)
RépondreSupprimerNon, je n'ai pas de poneys pailletés en stock, manquerait plus que ça. Bon, j'avoue qu'on démarre la rentrée par du plombant mais on va sans doute trouver du plus léger par la suite, pas possible autrement..
SupprimerLes extraits mis sont en effet très beaux, joli travail du traducteur, mais sans façon, vraiment. J'en resterais à l'envie de lui botter les fesses. Je me connais. :)
RépondreSupprimerJe comprends. Et puis tu es une telle adepte des romans "feel good" aussi ;)
SupprimerJe ne le note pas car c'est la rentrée littéraire et je n'achète plus de grands formats (que je lis alors qu'ils sont en poche) mais je ne dis pas non pour plus tard.
RépondreSupprimerIl sortira un jour en poche de toute façon, pas possible autrement.
SupprimerVous faites en sorte qu'on ait envie de lire des bouquins qui pètent le moral... Bravo ;)
RépondreSupprimerCe n'était pourtant pas gagné d'avance sur ce coup-là !
SupprimerTu sais me convaincre de lire ce livre ! J'ai noté l'auteur !
RépondreSupprimerUn auteur américain à suivre de près selon moi.
SupprimerEt hop, je viens de chez Noukette. Elle m'a interpelée avec ce titre, et toi tu as su me convaincre ;)
RépondreSupprimerVous êtes un duo diabolique !! :p
En général on se complète plutôt bien ;)
SupprimerCa a l'air noir, mais je sens que ce voyage pourrait me plaire.
RépondreSupprimerPour être noir, c'est noir !
Supprimerah ah! bien noir? trop sans doute pour moi , je note avec plaisir que certains livres de lété ont su te plaire
RépondreSupprimerLuocine
Oui finalement (et sur la fin des vacances), j'ai trouvé plusieurs fois chaussure à mon pied ;)
SupprimerMoi, ça me tente ! J'aime également les romans très noirs avec des personnages en marge... je parviens à garder assez de distance pour que ça ne me plombe pas !
RépondreSupprimerC'est ça, il faut constamment garder une distance pour éviter de trop "subir" le texte. J'y parviens facilement en général.
SupprimerUn roman anti feel good, parfois ça fait du bien aussi.... j'aime bien de temps en temps que ce soit âpre, surtout quand ce n'est pas pour faire pleurer dans les chaumières mais que c'est juste parce que l'histoire veut ça. Bref, ça me tente tente tente ! En plus, je reviens à l'instant de ma librairie et la libraire m'a dit qu'elle avait 2 romans préférés dans toutes les lectures déjà faites pour la rentrée : celui-ci et le Gautreaux "Nos Disparus".
RépondreSupprimerMerci pour la découverte Monsieur Dunebergealautre :)
Elle a bon goût ta libraire ;)
SupprimerJe n'est pas connu cet auteur et il semble très interessant. Merci.
RépondreSupprimerCe n'est que son second roman mais il gagne à être connu !
Supprimerdisons qu'effectivement le sujet est assez lourd. Je le note tout de même, pour plus tard lorsque je serai dans ma période sombre ;)
RépondreSupprimerPour une période sombre, c'est parfait !
SupprimerIl m'attend (sagement) !
RépondreSupprimerNe le laisse pas trop traîner !
SupprimerPeut être mais as au moment de la rentrée .. encore envie de légèreté !
RépondreSupprimerLà, pour la légèreté, pas moyen !
SupprimerIl est dans ma liste de la rentrée alors je ne lis pas ton billet : je veux en savoir le moins possible avant de l'avoir en mains !
RépondreSupprimerTu fais bien, la surprise (et le choc !) n'en seront que plus grand ;)
SupprimerTu m'intrigues avec ce roman, malgré son côté sombre... je note!
RépondreSupprimerAu-delà du côté sombre, ça reste un excellent roman.
SupprimerPas très joyeux tout ça mais très fort visiblement...
RépondreSupprimerVoila.Sombre et fort, c'est ça.
SupprimerJe crois que ce Paul Harding (je préfère l'Anglais) et moi, on n'est vraiment pas d'accord. A part quelques passages, je n'ai pas du tout accroché.
RépondreSupprimerC'est un auteur qui peut laisser de marbre, voire agacer, je le comprends. Je suis rès réceptif à sa plume et pourtant je me garderais bien de le conseiller à qui que ce soit. A chacun de se faire son avis ;)
SupprimerJe m'y suis ennuyée, moi, à Enon... Dommage... Je suis d'accord, il y a pourtant de beaux passages.
RépondreSupprimerJe peux comprendre que l'on trouve ce texte ennuyeux par moments.
SupprimerEt bien moi ça me tente bien ! Peut-être même plus que Les foudroyés en fait ! ;)
RépondreSupprimerN'hésite plus maintenant qu'il est sorti en poche ;)
SupprimerJe suis bien contente qu'il sorte en poche. J'ai envie de le lire depuis sa sortie.
RépondreSupprimerC'est vraiment une bonne nouvelle cette sortie en poche !
SupprimerJe viens de terminer Les Foudroyés. Je ne peux pas dire que j'aimé ni détesté mais celui-ci me tente beaucoup! Malgré son sujet horrible!
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