samedi 31 mars 2012

Les disparues de Vancouver d’Elise Fontenaille

Fontenaille ©
Le livre de poche 2012
Le Downtown Eastside est le pire quartier de Vancouver. « Un quartier à haut risque en plein centre ville, un trou noir entre Chinatown et le quartier des affaires, un maelström urbain. » Les filles y vendent leurs corps pour payer leurs doses de crack et d’héroïne. Les premières disparitions datent des années 80. Des filles qui semblent se volatiliser et dont on ne retrouve jamais aucune trace. Les bad dates, les clients violents, elles en ont toutes rencontrées. Certaines sont parfois battues à mort mais au moins on retrouve les cadavres. Les disparitions, c’est autres chose. Le problème c’est que la police ne s’intéresse pas à ces filles. La plupart sont des indiennes qui ont fugué de leur réserve, des anonymes dont personne n’a cure.

En 2002 pourtant, un concours de circonstances va permettre d’élucider l’affaire. Le pire serial killer d’Amérique du Nord est arrêté le jour où l’on retrouve six têtes de femmes dans son congélateur. 69 prostituées en tout sont tombées entre ses griffes. Lorsque l’affaire est révélée, l’onde de choc est monumentale. Pour l’opinion publique, la sentence est indiscutable et résonne comme un slogan : « honte au Canada ». L’inaction des élus et des forces de l’ordre est pointée du doigt. « Un quart des canadiens ont du sang indien dans les veines, les trois quarts restants ont du sang indien sur les mains. »

Le procès s’est tenu de mai à décembre 2007. Le coupable a été condamné à 25 ans de prison. « Depuis l’affaire, Vancouver se sent souillée, honteuse, meurtrie ». Même la tenue des jeux Olympiques d’hiver en 2010 n’a pas permis d'apaiser les tensions.

Elise Fontenaille a choisi de rester au niveau de la simple chronique. Il y aurait pourtant eu matière à concocter une enquête beaucoup plus dense et fouillée en disséquant notamment la personnalité du tueur et la réalité sociologique du Downtown Eastside. Elle a préféré retracer les événements de ce terrible fait divers par le petit bout de la lorgnette en se focalisant sur l’histoire de Sarah, l’une des victimes. Un choix discutable qui me convient parfaitement et qui lui permet de rendre à ces filles l’hommage et la dignité qu’elles méritent. Son récit est aussi un cri de rage poussé contre le traitement réservé aux femmes indiennes. Les premières pages sont superbes, comme scandées entres deux sanglots. On pourra toujours reprocher à l’auteur de survoler la réalité des faits mais son témoignage m’est apparu émouvant et terrible, douloureux et nécessaire. Le lecteur en sort fortement secoué, révolté et ému. C’est simple, ce petit texte m’a bouleversé.

Les disparues de Vancouver d’Elise Fontenaille, Le livre de poche, 2012. 140 pages. 6 euros.

vendredi 30 mars 2012

Gamba et les rats aventuriers

Atsuo © Picquier 2012
Gamba est un rat des villes qui mène une existence paisible dans une cave où il dispose de tout le confort nécessaire. Lorsque son copain Manpuku le persuade de l’accompagner au grand rassemblement des rats marins sur les docks, Gamba ne se doute pas que sa vie va basculer. En plein milieu de la fête, un rat en piteux état apparaît et supplie ses congénères de l’accompagner sur son île où les siens sont chassés et tués par le clan de Noroi, une impitoyable belette au pelage immaculé. Touché par la demande du rat insulaire, Gamba décide de lui venir en aide et embarque pour la première fois de sa vie sur un bateau…

De l’action, de l’aventure, le combat désespéré d'une communauté contre ses oppresseurs... Ce roman jeunesse japonais datant de 1982 possède de nombreux atouts. Le style est simple et parfaitement adapté aux jeunes lecteurs mais surtout les valeurs qu’il dispense restent universelles. Le groupe de rats mené par Gamba fait preuve d’un incroyable courage. L’amitié et l’altruisme sont aussi de la partie. De plus, la dure réalité n’est pas occultée : certains ne sortiront pas vivant de la lutte contre les belettes. Sans être moralisateur, l’auteur propose une réflexion intelligente sur la fraternité et la liberté.

Roman animalier trépidant et accrocheur, Gamba et les rats aventuriers est une jolie trouvaille des éditions Picquier que je recommande chaudement aux bons lecteurs dès 9 ans.


Gamba et les rats aventuriers de Sitô Atsuo (ill. Yabuuchi Masayuki). Picquier jeunesse, 2012. 322 pages. 19,50 euros. A partir de 9 ans.


Ce billet signe ma dernière participation aux 10 jours japonais de Choco

jeudi 29 mars 2012

Boy de Takeshi Kitano

Kitano © Wombat 2012
Avant de devenir un cinéaste reconnu mondialement (Lion d’or à la Mostra de Venise pour son film Hana-Bi en 1997), Takeshi Kitano a beaucoup écrit, notamment des nouvelles. Les trois histoires contenues dans le recueil Boy ont été publiés au Japon en 1987. Elles ont toutes pour héros des adolescents lambda aux parcours parfois chaotiques. Dans la première, deux frères devenus adultes se souviennent d’une fête des sports de leur école où l’un d’eux, réputé pour sa nullité en éducation physique, avait failli contre toute attente remporter une épreuve d’athlétisme. Dans la seconde, ce sont encore deux frères qui, suite à la mort de leur père et à un déménagement à Osaka, se font maltraiter par  leurs nouveaux camarades de classe. Seule échappatoire à ce douloureux quotidien, une passion commune pour l’astronomie qui les poussera, un soir glacial, à quitter leur foyer pour aller observer Sirius, l’étoile la plus brillante du ciel après le soleil. La dernière nouvelle est un récit d’initiation assez classique où un collégien fugueur rencontre une jeune fille délurée qui lui procurera ses premiers émois.

Difficile d’être un garçon dans les récits de Kitano ! Entre violence, tendresse et sensibilité, le propos est empreint d’une nostalgie douce-amère. Le format de la nouvelle correspond parfaitement au style de l’auteur, tout en subtilité. C’est ce que j’aime dans ce genre si particulier : on brosse un portrait comme on peint une aquarelle et on laisse les héros en suspend, figures éphémères qui ne font que traverser l’écran...

Un beau recueil où l'innocence de l'enfance est souvent malmenée par la dure réalité.
Une découverte que je dois au billet de nath choco. Merci à elle pour la tentation. 

Boy de Takeshi Kitano, éditions Wombat, 2012. 122 pages. 15,00 euros.


mercredi 28 mars 2012

Les amis de Pancho Villa

Chemineau et Blake
© Rivages / Casterman 2012
Rodolfo Fierro a sans doute été le plus fidèle compagnon d’arme du général Pancho Villa. Tout commence en 1910, alors que Fierro sort de prison et qu’il rencontre Tomas Urbina, un des lieutenants de Villa. Très vite, l’ex-prisonnier montre sa bravoure et se révèle un tueur sans état d’âme. Devenu le bras droit du général, il va accompagner ce dernier jusqu’à sa mort en 1923. Ensemble ils vont traverser les moments les plus terribles de la révolution mexicaine. Du soutien au constitutionnaliste Carranza à l’alliance avec Zapata, cette petite quinzaine d’années sera pour eux l’occasion de vivre une aventure humaine d’une rare violence.

En adaptant le roman de James Carlos Blake, Léonard Chemineau propose une plongée au cœur d’une des plus grandes révoltes du 20ème siècle. L’indépendance du Mexique restera à jamais pavée du sang de nombreuses victimes innocentes. Impossible d'oublier que pendant cette période le pays est en plein chaos. Pillages, viols, massacres… la guerre civile laisse chacun exprimer ses plus bas instincts. Fierro joue le rôle du narrateur. Son point de vue est intéressant car il n’est pas celui d’un idéologue. Son but n’est pas de délivrer une population opprimée, il veut simplement profiter au maximum de ce mode vie sans aucune contrainte : « La révolution nous a donné des armes, les meilleurs chevaux, des bottes, des vêtements et des chapeaux texans. A manger et à boire autant que nous voulions. Elle nous a fait voir du pays, elle nous a donné de l’or et des femmes, partout... Mais surtout elle nous a donné la liberté. » La fin de l’insurrection est pour lui une mauvaise nouvelle : « Si c’est vraiment fini, ça va être le retour de la loi, du papier, des directeurs, des tribunaux, des prisons, de toute cette merde. » Ce personnage sulfureux est sans doute représentatif de la majorité des hommes s’étant engagés dans le conflit : aucune conscience politique, juste la volonté de vivre les choses à cent à l’heure. Born to be wild, en quelque sorte…
   
Léonard Chemineau signe ici sa première BD. Cet ingénieur spécialisé dans l’environnement et le développement durable a été repéré lors du concours Jeunes talents du festival d’Angoulême en 2009. Pour un débutant, il maîtrise déjà sacrément la narration. Beaucoup de cases en cinémascope, des scènes de bataille très dynamiques, une représentation de la violence réaliste qui ne tombe jamais dans le gratuitement gore, des couleurs chaudes qui emmènent le lecteur au cœur du désert mexicain… les qualités de son adaptation son nombreuses. Son trait élégant rappelle parfois celui de Mathieu Bonhomme (Le marquis d’Anaon, Le voyage d’Esteban). Il y a pire comme comparaison !  
Finalement, le problème majeur tient dans la densité du roman original. Comment résumer autant d’événements et d’années de lutte en si peu de pages ? L’histoire de l’indépendance mexicaine défile à vitesse grand V et il n’est pas toujours évident d’en saisir les subtilités. Pour autant, grâce à ses personnages haut en couleurs et à son intérêt historique, cet album restera pour moi une bonne pioche. Je ne peux malheureusement pas en dire autant toutes les semaines…         

Les amis de Pancho Villa  de Léonard Chemineau et James Carlos Blake. Rivages/Casterman, 2012. 124 pages. 18 euros.

Chemineau et Blake
© Rivages / Casterman 2012



lundi 26 mars 2012

Mercredi, c’est raviolis !

Tachibana et Hasegawa
© L'école des loisirs 2008
Chez ces deux petites filles japonaises, le mercredi, c’est raviolis. Mais attention, pas des raviolis tout prêt que l’on réchauffe aux micro-ondes. A la maison, les raviolis (les gyôza), on les fait soi-même ! Pour préparer la pâte, il faut juste de la farine, du sel, de l’eau et de l’huile de coude. On doit pétrir la pâte quelques minutes et quand elle fait une boule souple et lisse, on la couvre avec un torchon mouillé et on la laisse reposer. Comme maman a déjà préparé la farce au poulet, il ne reste plus qu’à faire des petites boulettes de pâte que l’on aplati d’abord avec la paume de la main puis au rouleau pour en faire de fines crêpes. On dépose la garniture, on replie les bords de la crêpe et le tour est joué. Reste plus qu’à les bouillir ou les frire. Simple comme bonjour !


Chaque page de l’album reprend une étape de la préparation de la pâte. Le dessin est minimaliste. Juste les deux enfants à l’œuvre, sans décor. En même temps, ça permet de se focaliser sur l’essentiel. En fin d’ouvrage, on vous propose la recette complète des vrais Gyôza. Comme tout cela avait l’air d’être un jeu d’enfant, je me suis dit que j’allais essayer. Résultat ? Je vous laisse découvrir par vous-même les dégâts !


Voila mes raviolis. J'assume totalement l'esthétisme douteux de ces gyôza.

Pour tous les esprits moqueurs qui vont se gausser à la vue de ma photo, deux petites précisions. D’abord, j’ai très peu d’amour propre donc vos sarcasmes me laissent de marbre. Ensuite, essayez donc par vous-même et on en reparle après. Ma pâte était trop épaisse, même en l’étalant au maximum avec le rouleau, elle manquait d’élasticité. Après, j’ai mis trop farce, du coup, quand j’ai voulu refermer, ça a débordé de tous les cotés. Au final mes raviolis ne ressemblaient pas à grand-chose. Je les ai fait bouillir avant de les proposer à la dégustation. Mon jury exclusivement féminin, dans sa grande bonté, les a trouvés excellent. Personnellement, j’ai beaucoup aimé la farce. Si je recommence, une certitude, je mettrais un peu plus d’eau dans la pâte pour la rendre plus élastique. Je ne désespère pas de réussir à faire des crêpes aussi fine que du papier à cigarette.


Allez, pour conclure et parce que je suis une bonne pâte (vous avez remarqué le trait d’humour, des fois je me demande où je vais chercher tout ça !), je vous donne la recette. Si le cœur vous en dit, n’hésitez pas à m’envoyer une petite photo, je serais ravi de voir à quoi ressemblent vos raviolis.

J'ai scrupuleusement respecté la recette. J'ai juste remplacé le blanc de poireau
par une échalotte car je n'avais pas de poireaux sous la main


dimanche 25 mars 2012

Seins et oeufs

Kawakami © Actes Sud 2012
Natsu accueille pour quelques jours sa sœur Makiko et sa nièce Midoriko dans son petit appartement de Tokyo. Makiko a rendez-vous dans une clinique pour programmer l’opération d’augmentation mammaire dont elle rêve depuis des mois. En pleine crise d’adolescence, Midoriko s’est quant elle réfugiée dans le silence. Elle ne parle plus et communique exclusivement par écrit. Pour les trois femmes, ce court regroupement familial va être l’occasion de mettre à nu la difficile condition de chacune.

Le récit alterne entre le point de vue de Natsu et les écrits de Midoriko. Pour cette dernière, la puberté est un cauchemar. La jeune fille ne supporte pas la lubie de sa mère et n’accepte pas les changements de son propre corps : « Moi, mon corps a faim, il a des cycles hormonaux, il fonctionne sans que je lui demande rien et ça me donne l’impression d’être enfermée dedans. Pour la simple raison qu’on est née, en fin de compte, il faut vivre, manger tout le temps et gagner sa vie, rien que ça c’est l’horreur ». Makiko est une mère célibataire dont le boulot d’hôtesse lui permet à peine de joindre les deux bouts. Pour elle aussi, il est difficile d’imaginer l’avenir alors qu’elle vient de passer la quarantaine.

La relation mère/fille terriblement conflictuelle est sans doute la partie la plus intéressante de ce court roman. Le personnage de Midoriko, ado en plein questionnement existentiel, est assez touchant. L’auteur brosse le portrait de trois générations de femmes japonaises (Natsu a dix ans de moins que sa sœur) ayant pour malheureux points communs la solitude et la perte de repères. Je ne sais pas si Natsu, Midoriko et Makiko symbolisent la majorité des japonaises actuelles mais si c’est le cas, tout cela est bien triste.

Pour tout dire je n’ai pas été emballé par ce texte. Pas touché par le sujet mais surtout assez atterré par la piètre qualité de l’écriture. Quelle platitude ! Les dialogues sont sans intérêt et sonnent assez faux. Après, c’est peut-être un problème de traduction mais quand je lis trois fois le même adverbe en deux lignes, je me dis qu’il y a un problème. La quatrième de couverture vantait pourtant un livre percutant (euh…), provocant (je vois pas en quoi il est provocant) et drôle (alors là, si vous trouvez un passage drôle, faites-moi signe parce que de mon coté je n’ai rien vu). Vous avez dit publicité mensongère ? Bon ok, je suis peut-être de mauvaise foi. Peut-être que c’est tout simplement trop que Girly pour moi. Une déception, quoi !


Seins et œufs de Mieko Kawakami, Actes Sud, 2012. 108 pages. 13.50 euros.



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vendredi 23 mars 2012

Soldats de sable

Higa © Le Lézard Noir 2011
J’avoue avoir un peu tiqué en découvrant dans ma boîte aux lettres ce manga envoyé par Choco dans le cadre du loto BD de Mo’. Un récit de guerre, pas mon truc ça ! Sur la seconde guerre mondiale et la bataille d’Okinawa en plus, encore moins mon truc. Surtout, je pensais que le point de vue serait ultra patriotique avec des kamikazes élevés au rang de martyrs à tous les coins de page. Je m’apprêtais donc à me lancer dans une lecture des plus indigestes lorsque j’ai parcouru la postface. Et là, pour le coup, j’ai été sacrément rassuré. L’auteur y précise en effet que son but était de mettre en valeur les témoignages de villageois ayant vécu et subi les horreurs de la bataille. Une sorte de devoir de mémoire, notamment envers ses parents, natifs de l’île.

Ce manga est en fait un recueil de nouvelles. La plus poignante est sans conteste celle que Susumu Higa consacre à la mémoire de sa mère, une femme remarquable qui, pendant le conflit, n’a vécu que pour protéger ses enfants. Mais le mangaka parle aussi du traumatisme ressenti par les autochtones, en grande partie à cause du jusqu’auboutisme de l’armée japonaise qui s’est souvent mêlée aux civils, en a enrôlé de force un très grand nombre et n’a pas hésité à assassiner ceux qui tentaient de lui résister. Au final, les sujets abordés sont tous très différents. Seul point commun évident, la présence de ces petites gens dont l’histoire avec un grand H ne parle que trop rarement. Le propos est limpide, la situation infernale vécue par tous les protagonistes japonais de la bataille d’Okinawa est clairement exposée et l’antimilitarisme qui affleure dans chaque nouvelle est amené avec suffisamment de finesse pour ne pas sombrer dans la prise de position simpliste.

Si je devais émettre une réserve, elle concernerait le dessin, assurément pas le point fort de cet ouvrage. Le trait de Susumu Higa manque de souplesse, les visages sont figés et laissent difficilement transparaître les émotions mais le découpage rend l’ensemble très lisible, c’est bien là l’essentiel.

Un superbe recueil proposé par les éditions Lelézard Noir. Et une bien belle découverte que je dois à Choco. Nul doute que sans elle je n’aurais jamais posé les yeux sur ce manga, ce qui aurait quand même été fort regrettable !


Soldats de sable de Susumu Higa, Le Lézard Noir, 2011. 252 pages. 21.00 euros.  


Higa © Le Lézard Noir 2011 



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mercredi 21 mars 2012

Thermae Romae 1 et 2

Yamazaki © Casterman 2012
A Rome, en l’an 128 de notre ère, sous le règne de l’empereur Hadrien, Lucius Modestus est un architecte sans grand talent. Spécialisé dans la conception et la construction de thermes, ses projets sont systématiquement refusés car son employeur considère que ses idées sont d’un autre âge. Déprimé, il se rend avec un ami dans un bain public et se retrouve aspiré par un trou au fond du bassin. Transporté dans l’espace et le temps, Lucius se réveille de nos jours au milieu d’un sentô (bain public japonais). De retour dans son époque, il va s’employer à reproduire les innovations découvertes dans le japon du XXIe siècle, ce qui fera de lui une célébrité et le mènera à côtoyer l’empereur en personne.

Au cours de chaque chapitre, Lucius voyage dans le temps et découvre un nouveau procédé technique qu’il met en application dès son retour à Rome. Présentées comme cela, les choses pourraient rapidement paraître très répétitives. C’était d’ailleurs ma grande crainte au début du premier volume. Mais finalement l’écueil est surmonté avec brio car l’auteur propose une vraie progression de l’intrigue. Au fil des chapitres, on voit évoluer l’état d’esprit de l’empereur ou encore la jalousie soulevée chez ses confrères par l’insolente réussite de Lucius. Surtout, ce dernier n’est pas présenté comme un simple technicien sans âme. Il doit faire face à un douloureux divorce et on le voit même tenter de régler ses problèmes d'érection ! Mélanger la petite et la grande histoire n’est pas d’une folle originalité mais la recette reste efficace. Grâce aux va-et-vient de Lucius entre son époque et la nôtre, l’auteur confronte les pratiques thermales de deux civilisations vouant aux bains publics un amour irraisonné. Entre chaque chapitre, des commentaires et des photographies enrichissent le propos et éclairent davantage encore la problématique venant d’être traitée. Pour les pointilleux, il faut bien reconnaître que la Rome antique de Mari Yamasaki est plus fantasmée qu’historiquement irréprochable, mais de mon point de vue, peu importe. De toute façon, quand on imagine qu’un architecte de l’an 128 peut voyager dans le temps, on peut se permettre quelques largesses quand à la véracité historique !

Graphiquement, le trait est réaliste et assez précis, notamment dans la reproduction des bâtiments, des vêtements et des objets de la vie courante.

Voila donc un manga plein de fraîcheur (normal, me direz-vous !), à la fois léger et instructif, qui m’a beaucoup séduit. La série, terminée au Japon, compte en tout six tomes. Le troisième sortira chez nous en juin et je serai avec plaisir au rendez-vous.


Thermae Romae T1 et T2 de Mari Yamazaki, Casterman, 2012. 190 pages. 7,50 euros.


Yamazaki © Casterman 2012
 
 
 




Ce billet signe ma seconde participation aux 10 jours japonais de Choco




mardi 20 mars 2012

Jintarô, le caïd de Shinjuku

Akiyama © Le Lézard Noir 2011
« Tu crois que je suis qui ? C’est quoi mon nom ? Dis-le ! ». Son nom, c’est Jintarô, le caïd de Shinjuku. Si vous ne savez pas qui il est, vous ne ratez pas grand-chose. Surtout, si vous ne connaissez pas son nom, c’est plutôt bon signe, ça signifie que vous n’avez pas encore eu affaire à lui. Jintarô est préteur sur gages. Un gros bourrin moche comme un pou et fringué comme un yakuza, aussi violent que vulgaire. Un obsédé sexuel qui, quand un client ne peut pas payer, demande à sa femme de régler les dettes en nature. Son quotidien est rythmé comme du papier à musique : « Je fais des bénéfices au péril de ma vie le jour et la nuit je m’adonne aux plaisirs de l’alcool et de la chair ». Tout un programme !

Dans une interview à la fin du recueil, l’auteur précise qu’il a voulu créer un personnage qui soit vraiment un sale type. Pour le coup c’est réussi. Son comportement et son faciès sont à vomir. Sans parler de son langage. Un petit exemple pour vous mettre dans le ton ? « La chatte des gonzesses c’est comme l’ouverture d’un porte-monnaie. Dès que tu montres de l’argent, elle s’ouvre grand. » La classe, non ?

Ce one-shot compte en tout et pour tout six chapitres. Comme Jintarô meurt à la fin, on se doute qu’il n’y aura jamais de suite. En même temps, difficile d’imaginer des millions d’aventures tant le personnage est stéréotypé. Et puis il vaut mieux déguster ce manga à petite dose pour éviter la nausée.

Le dessin de George Akiyama est ultra vintage. A tel point que j’ai longtemps cru que c’était un manga des années 70 avant de découvrir que la première publication des aventures de Jintarô datait de 1995. La gueule du prêteur sur gages, c’est quand même quelque chose ! Et puis les nombreuses scènes de sexe, sans être totalement explicites sont proches d’une forme de psychédélisme très étonnant.

De la série B trash et sans concession, assumée à 200% par l’auteur qui reconnaît que quand il créé son histoire, il ne réfléchit pas du tout, préférant dessiner comme il sent. Au final, je ne garderais pas un souvenir impérissable de ce titre même si je reconnais qu’il pourra séduire les amateurs de seinen atypiques. Une belle initiative en tout cas des éditions du Lézard noir que de faire découvrir en France un manga si particulier même si, chez cet éditeur, je préfère largement le sulfureux Vagabond de Tokyo.


Jintarô, le caïd de Shinjuku de George Akiyama. Le Lézard Noir, 2011. 184 pages. 18 euros.


Akiyama © Le Lézard Noir 2011




Ce billet signe ma première participation aux dix jours japonais de Choco

samedi 17 mars 2012

Le Diable, tout le temps de Donald Ray Pollock

Pollock © Albin Michel 2012
Dans l’Amérique des années 50-60, il ne fait pas bon vivre au fin fond de l’Ohio ou de la Virginie Occidentale. On y rencontre en effet de drôles de loustics. Il y a d’abord Willard Russell, vétéran de la guerre du pacifique travaillant dans un abattoir. Lorsque sa femme contracte un cancer incurable, il se met à sacrifier des animaux dans le jardin devant son fils Arvin. Mais il y a aussi Henry Dulap, avocat véreux et sa femme nymphomane, le prédicateur Roy Laferty et son cousin invalide Theodore, le shérif alcoolique Lee Bodecker ou encore le pasteur Teagardin dont l’un des passe temps favoris consiste à engrosser les jeunes filles de sa congrégation. Surtout, il y a Carl et Sandy. Ces deux là profitent de leurs vacances pour piéger les auto-stoppeurs ayant le malheur de monter dans leur voiture. Les trajectoires de ses personnages vénéneux ne vont cesser de se mélanger dans un maelstrom ravageur.
  
Encore un premier roman américain d’une grande puissance. Une belle leçon pour nos auteurs français qui se contentent le plus souvent de barboter dans l’autofiction sans saveur. Donald Ray Pollock ne s’interdit aucun excès. Rarement un texte aura aussi bien porté son titre. Le diable est en effet  présent dans ou autour de chacun de ces êtres en perdition. Il y a bien ici où là quelques âmes pures, mais aucune ne résistera aux damnés et aux prédateurs qui jetteront sur elles leur dévolu.

La prose est affutée comme un rasoir et l’auteur déploie un incroyable talent pour lier les histoires et les destins. Le lecteur se laisse mener par le bout du nez et voit les pièces du puzzle s’assembler avec limpidité. Imparable ! Un texte violent, sans concession, aussi glaçant que fascinant. Après Le sillage de l’oubli et avant Clandestin, ce nouveau détour du coté des romans américains me conforte dans l’idée qu'en 2012 cette littérature restera encore, et de loin, ma préférée. Un dernier mot tout de même sur la jaquette de couverture qui est juste abominable et ne rend pas du tout hommage, c'est peu de le dire, au talent de l'auteur.

Le Diable, tout le temps, de Donald Ray Pollock, Albin Michel, 2012. 370 pages. 22 euros.

PS : on me souffle à l'oreille que cette couverture est un clin d'oeil à Jackson Pollock, le peintre américain fer de lance de l’Action painting. Ok, je veux bien, mais alors c'est du sous-sous Pollock !

L'avis d'Athalie

L'avis de Nathalie


vendredi 16 mars 2012

Les années n°5 : spécial guerre d'Algérie

A l’occasion du cinquantenaire des Accords d’Evian, voici un numéro spécial de 12 pages consacré à la guerre d’Algérie. C’est bien sûr à travers la littérature que nous abordons ce sujet. Nous nous ferons largement écho de vos réactions et commentaires dans le prochain numéro.

Téléchargez le n°5

Rendez-vous le 31 mars, ici même, pour le numéro 6.


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Bonne lecture !


jeudi 15 mars 2012

Locke and Key 1 : Bienvenue à Lovecraft

Hill et Rodriguez
© Milady 2010
Après avoir échappé de justesse aux psychopathes qui ont assassiné leur père, les enfants de la famille Locke déménagent chez leur oncle sur l’île de Lovecraft dans un drôle de manoir. Tyler l’ainé et sa sœur Kinsey ont été très traumatisés par les événements. Le premier pense être responsable de la mort de son père et la seconde se coupe de plus en plus du monde extérieur tandis que leur mère sombre chaque jour davantage dans l’alcool. Seul Bode, six ans, semble avoir digéré la tragédie. Le gamin passe son temps à fouiner dans le manoir et il découvre une porte aux étranges pouvoirs. Autre découverte, une créature charmeuse et terrifiante qui vit au fond d’un puits dans le jardin et semble s’intéresser de près au bambin. Lorsque l’assassin de leur père s’échappe de sa cellule, les Locke savent qu’ils vont sans doute vivre un nouveau cauchemar…

A force de lire les avis enthousiastes d’Yvan sur les différents volumes de cette série, j’ai fini par craquer. Mes bonnes résolutions de début d’année (acheter moins et me focaliser sur ma PAL monstrueuse) n’auront tenu que deux mois. Que voulez vous, on ne se refait pas !

Alors Locke & Key, c’est vraiment une tuerie ? Le coup du manoir mystérieux n’avait au départ rien de bien original (il faut dire que depuis que je regarde les épisodes de Scooby-Doo avec mes filles je peux vous dire que je m’y connais en manoir lugubres et surprenants). Là, c’est un fait, on est loin de Scooby Doo. Le scénariste Joe Hill, fils de Stephen King, a su tisser une toile d’une redoutable efficacité. Le lecteur n’est pas pris pour couillon, c’est rien de le dire. La densité de chaque chapitre est telle qu’il faut continuellement rester attentif. Flash back, changement de décor au détour d’une case, protagonistes apparaissant succinctement et revenant de manière plus importante 100 pages plus loin... pas question de survoler le récit sous peine de s’y perdre totalement. Sans compter que les clés aux pouvoirs magiques surprenants cachées un peu partout dans la maison peuvent être une source inépuisable de rebondissements plus spectaculaires les uns que les autres. La tension palpable à chaque page rend cette série aussi angoissante qu’addictive. Je ne suis pas du tout fan des thrillers et des récits d’épouvante gores à souhait mais là je me suis laissé embarquer avec une étonnante facilité. Et n’allez pas croire que les choses sont édulcorées : ça cogne, ça saigne et ça fout vraiment les jetons par moments !

Graphiquement, le trait épais du chilien Gabriel Rodriguez ne m’emballe pas plus que ça. A noter tout de même l’importance qu’il accorde au regard de chaque personnage pour souligner les émotions et sa grande maîtrise des scènes où l’horreur et la terreur explosent sans crier gare.

Locke & Key a eu sur moi le même effet que Walking Dead : au départ réticent, pas fan du genre, je me suis laissé convaincre par les avis enthousiastes et au final j’ai découvert une série tout simplement remarquable. Seul problème, mes bonnes résolutions vont une fois de plus passer à la trappe et je vais m’empresser d’aller acheter la suite !

Locke and Key T1 : Bienvenue à Lovecraft de Joe Hill et Gabriel Rodriguez. Milady Grpahics, 2010. 168 pages. 14,90 euros.

Hill et Rodriguez © Milady 2010
 
Les avis de Yvan, Phooka, Ptitetrolle, Mr Zombi

mercredi 14 mars 2012

Kililana song 1 de Benjamin Flao

Flao © Futuropolis 2012
Archipel de Lamu, au large du Kenya. Une région paradisiaque pour l’instant encore épargnée par le tourisme de masse où les pêcheurs utilisent des bateaux traditionnels à voile et où chacun vit dans une grande simplicité. Le petit Naïm, 11 ans, préfère passer ses journées au grand air plutôt qu’à l’école coranique, au grand dam de son frère. Ce dernier le pourchasse dans les rues tortueuses du port pour le ramener par la peau des fesses sur les bancs de la classe. Suivant les traces de Naïm, le lecteur rencontre une galerie de personnages hauts en couleur : un capitaine hollandais traficoteur qui passe son temps à jurer comme un charretier, une jeune femme usant de ses charmes pour plumer des expat’ français snobinards et affairistes, un vieux sage philosophe où encore un sorcier animiste sur le point d’être exproprier. Une intrigue un brin décousue qui sert surtout de prétexte à la découverte d’une région naturelle n’étant pour l’instant par encore passée sous le rouleau compresseur de la modernité.

Au départ, l’auteur comptait réaliser un carnet de voyage classique. Mais à force de rencontres, d’anecdotes glanées ici ou là et surtout d’une envie irrépressible de faire une BD plutôt qu’une compilation d’aquarelles, Benjamin Flao s’est lancé dans ce diptyque au premier tome plus que prometteur. Naïm, son gamin débrouillard et cynique a tout de Tom Sawyer. L’histoire se déroule d’ailleurs à hauteur d’enfant, c’est ce qui fait tout son charme.

L’autre point fort de l’album tient évidemment à la qualité du dessin. Un trait proche du crayonné, des décors somptueux et des couleurs chaudes. C’est splendide ! Surtout, l’alternance entre les séquences dynamiques et celles plus contemplatives donne beaucoup de variété au récit. De la même manière, l’auteur fait se succéder des cases ultra fouillées et d’autre beaucoup plus épurées. A l’arrivée, ce parti pris graphique rend la narration très lisible et lui enlève toute lourdeur.

Des reproches ? Difficile de savoir où l’histoire va nous mener (même si pour moi, l’intérêt de l’album est ailleurs). Certains ne manqueront pas non plus de souligner que Benjamin Flao présente une Afrique de carte postale et ignore quelques réalités kenyanes comme l’intégrisme religieux, la grande pauvreté, le sida ou les guerres ethniques. Certes, mais on n’est pas ici dans le reportage à la Joe Sacco, plutôt dans le dépaysement version Hugo Pratt. La filiation avec le père de Corto Maltese est d’ailleurs évidente et assumée par l’auteur. Pour moi, le but est atteint, j’ai passé un moment de lecture délicieux qui m’a emmené loin, très loin de ma tristounette Picardie. Rien que pour cela, chapeau bas Mr Flao et merci pour la balade.

L'avis de Mo'.

Kililana song T1 de Benjamin Flao, éditions futuropolis, 2012. 128 pages. 20 euros.


Flao © Futuropolis 2012

Flao © Futuropolis 2012

Flao © Futuropolis 2012


mardi 13 mars 2012

La leçon de pêche - Heinrich Böll et Emile Bravo

Böll et Bravo © P'tit Glénat 2012
Dans un petit port de la côte ouest, un modeste pêcheur assoupi dans sa barque est réveillé par un touriste curieux. Ce dernier lui demande pourquoi il n’est pas en mer alors que le temps est parfait pour la pêche. Le pêcheur de lui répondre qu’il est déjà sorti le matin même et qu’il est revenu avec suffisamment de homards et de sardines pour ne pas avoir à retourner en mer une seconde fois. Le touriste lui explique alors que s’il sortait à nouveau il pourrait ramener davantage de poissons. Et s’il continuait chaque jour sur le même rythme, il pourrait bientôt troquer sa barque contre un bateau à moteur puis en acheter un second, se constituer une flotte de chalutiers, construire un hangar frigorifique pour stocker se pêche avant, à terme d’ouvrir sa propre conserverie. En gros, le petit pêcheur pourrait devenir un capitaine d’industrie si seulement il se donnait la peine de travailler plus. Mais sa conception de la vie est différente…

Une fable d’Heinrich Böll, prix Nobel de littérature en 1972, magistralement mise en images par Emile Bravo. Le texte date de 1963 mais il résonne encore aujourd‘hui où la valeur travaille semble pour beaucoup être le seul symbole possible d’accomplissement. Böll propose une réflexion sur la vanité, sur l’ambition démesurée, sur le capitalisme sauvage qui pille les ressources naturelles, bref sur quelques maux propres à notre monde actuel. Le propos est simple et immédiatement compréhensible pour les enfants. Les dessins de Bravo, comme toujours, privilégient la lisibilité. L’alternance entre des illustrations pleine page et des cases de BD évite la monotonie et donne du rythme. A noter également la qualité de l’édition avec un format à l’italienne et une jaquette dont le verso cache une magnifique illustration panoramique.

Un album idéal pour développer l’esprit critique des tout-petits. Et puis c’est pas tous les jours que l’on peut se vanter de lire à ses enfants un prix Nobel de littérature !


La leçon de pêche d’Heinrich Böll et Emile Bravo, Glénat, 2012. 40 pages. 12,20 euros. A partir de 4 ans.


Böll et Bravo © P'tit Glénat 2012

dimanche 11 mars 2012

Chronique de la dérive douce de Dany Laferrière

Laferrière © Grasset 2012
1976. Dany Laferrière fuit la dictature haïtienne et atterrit à Montréal : « J’ai vingt-trois ans aujourd’hui et je ne demande rien à la vie, sinon qu’elle fasse son boulot. J’ai quitté Port-au-Prince parce qu’un de mes amis a été trouvé sur une plage la tête fracassée et qu’un autre croupit dans une cellule souterraine. Nous sommes tous les trois nés la même année, 1953. Bilan : un mort, un en prison et le dernier en fuite. » Sans amis, sans toit et sans emploi, il découvre la ville : « Je marche toute la nuit dans la nouvelle cité. Je ne connais pas encore les quartiers qu’on ne doit pas traverser ni les filles qu’il est dangereux d’aborder. Dans un mois j’aurai perdu cette innocence. » Le choc des civilisations est parfois difficile à affronter : « Chacun muré dans son univers. J’ai quitté une capitale de bavards invétérés pour tomber dans une ville de mordus du silence où les gens préfèrent regarder la télévision plutôt que de s’adresser à leur voisin. La distance qui les sépare semble parfois infranchissable et cela se reflète dans cette agitation pour esquiver le regard de l’autre.» Le jeune homme du sud trouve un emploi à l’usine et surtout, il doit traverser son premier hiver dans une ville du nord. Une épreuve terrible ! Heureusement, la littérature, l’alcool et les femmes lui permettront de mieux affronter l’exil...

J’ai découvert Dany Laferrière en l’an 2000, avant un séjour estival à Montréal. Je voulais absolument lire des écrivains du cru avant de partir et j’étais tombé sur son premier roman, Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, dans la très jolie collection Motifs du Serpent à plumes. Un vrai coup de cœur pour ce texte audacieux, drôle et sans concession. Depuis, j’ai lu tous ses ouvrages sortis en France. Il me manquait cette Chronique de la dérive douce publié au Canada en 1994. Un roman d’initiation à la prose poétique et précise qui relate à la fois une entrée dans la ville et une entrée dans la vie. J’y ai retrouvé avec plaisir ce narrateur faussement candide qui pose un regard plein de fraîcheur sur la mégalopole qu’il découvre. J’ai aimé son apologie de l’oisiveté, une prise de position dans laquelle je me retrouve totalement à l’heure où on nous bassine avec la valeur travail comme seul accomplissement possible pour l’être humain. J’ai aimé les références littéraires toujours aussi présentes, j’ai aimé ce personnage qui passe son temps à lire et à regarder les filles passer (deux activités dans lesquelles je me retrouve aussi totalement !), bref j’ai passé un excellent moment de lecture, comme d’habitude avec cet auteur !

Chronique de la dérive douce, de Dany Laferrière, Grasset, 2012. 220 pages. 16 euros.

samedi 10 mars 2012

Michel Butor : Printemps de poètes 2012 - Des recueils de poésie à gagner !

Michel Butor, né en 1926, est un auteur français mondialement connu pour son ouvrage La modification mais il serait injuste de réduire son œuvre à ce titre emblématique du Nouveau roman. Depuis des décennies, cet auteur creuse un sillon singulier et ne cesse de surprendre ses lecteurs. Récit, essai, collaborations avec des peintres, des musiciens ou des photographes, Butor n’hésite jamais à se lancer dans de nouvelles aventures littéraires. La publication de ses œuvres complètes en treize volumes par les éditions de La Différence est en cours depuis 2006.

En poésie, il se révèle un prosateur hors pair n’hésitant pas à connecté ses textes avec l’actualité. Son style très moderne conjugue recherche formelle et préoccupations contemporaines.

Autrefois, j'ai bu du café
en particulier en Égypte
où j'aimais bien mâcher un peu
le dépôt du fond de la tasse

Aujourd'hui je dois m'abstenir
mais je recherche son odeur
qui ramène une rue d'enfance
où chantait un torréfacteur

Quand je suis allé au pays
où Rimbaud tirait du café
j'ai senti la nécessité
de tenter la cérémonie

Près des églises troglodytes
dans l'exaltation du voyage
boire d'une seule gorgée
le café de toute une vie

(La cérémonie du café. Octogénaire, 2006)

Si vous souhaitez découvrir ce poète, je me propose de vous offrir le recueil Octogénaire, publié par les éditions des Vanneaux à l'occasion de ces 80 ans. Pour le recevor, rien de plus simple, il vous suffit de me laisser vos coordonnées dans la rubrique contact. J'ai plusieurs exemplaires disponibles, n'hésitez pas à en faire la demande !

Butor © Éditions des Vanneaux 2006

vendredi 9 mars 2012

Betty Blues

Dillies © Paquet 2003
Rice le canard est un trompettiste de talent qui écume chaque soir les bars du Westwood. Fou de jazz, il est aussi fou amoureux de sa petite amie, la jolie Betty. Alors le jour où cette dernière le quitte pour un gros chat roi de la finance, Rice noie son bourdon dans l’alcool, jette sa trompette du haut d’un pont et décide de prendre le premier train. Atterrissant dans une scierie où il rencontre un hibou terroriste qui lui redonne foi en la musique, Rice pense s’être remis sur les rails. Betty quant à elle, comprendra trop tard que l’argent ne fait pas le bonheur...

Suite à une infâme conspiration de talentueux blogueurs dont je tairais les noms (Mo', Oliv, Joelle, Chtimie, Mango), je me suis retrouvé dans l’obligation de lire cet album. Ben, oui, à force de parcourir leurs avis tous plus positifs les uns que les autres, je ne pouvais pas faire autrement que de plonger la tête la première dans ce récit animalier sortant des sentiers battus. Huit ans avant l’excellent Abélard, Renaud Dilliès imaginait déjà une histoire mettant en scène un canard. Les points communs entre les deux œuvres existent. Le canard et son chapeau, bien sûr, mais aussi, la cruauté de certains fieffés salopards, la fin, tragique, qui attend les deux personnages principaux, ainsi que la rencontre d’un ami qui représente un véritable soutien dans les moments les plus difficiles. Mais à mon avis les différences sont plus marquées. D’abord, Rice n’a pas la naïveté d’Abélard. Ce n’est pas un perdreau de l’année ! Ensuite, et c’est là le plus important à mes yeux, Betty Blues est une vraie histoire d’amour, contrairement à Abélard qui tient davantage du récit d’initiation. Une histoire d’amour qui, comme une évidence, va mal finir. La place tenue par Betty est d’ailleurs très importante. Son personnage de papillon de nuit attirée par les lumières de l’argent et les vapeurs de champagne se révèle touchant et très humain.

Niveau dessin, le trait de Dilliès est ici plus tortueux, peut-être un peu moins abouti, ce qui n’est pas pour me déplaire. L’utilisation systématique du gaufrier de six cases par planches est ultra répétitive et souligne quelques faiblesses en terme de découpage et de mise en scène mais cela ne nuit aucunement à la lisibilité. Un mot sur les couleurs d’Anne-Claire Jouvray, souvent en clair-obscur, qui collent parfaitement à l’ambiance mélancolique qui traverse l’album.

Un roman graphique tout en finesse sur un sujet qui, s'il n’a rien d’original et se décline depuis la nuit des temps, garde ici un charme et une petite musique inimitables. Une incontestable réussite !


Betty Blues de Renaud Dillies. Paquet, 2003. 78 pages. 15 euros.

Dillies © Paquet 2003




(Fauve) Alph-Art du meilleur premier album 2004

jeudi 8 mars 2012

Léon-Gontran Damas : Printemps des poètes 2012

Damas est un des trois grands noms de la négritude avec Césaire et Senghor. J’ai entendu son nom pour la première fois en 1992, l’année où j’ai passé mon Bac de français. Notre prof nous avait préparé un groupement de textes pour l’oral sur ce mouvement littéraire typique du XXème siècle. Un choix audacieux de sa part, je m’en rends compte maintenant. Qu’elle en soit aujourd’hui remerciée car j’ai pu grâce à elle découvrir des textes et des auteurs qui m’ont beaucoup marqué.

Damas se singularise quelque peu de Césaire et Senghor par le fait que son engagement politique est moins prononcé. Né en Guyane en 1912 dans une famille métissée, il rejette l’éducation bourgeoise que sa mère veut lui inculquer. C’est dans son premier recueil poétique, Pigments, qu’il exprime le mieux, non sans violence, un malaise profond, celui d’une personnalité qui ne trouve plus ses repères. Et puisque le thème de cette édition du Printemps des poètes est l’enfance, l’occasion m’est donnée de présenter le poème Hoquet qui est pour moi le plus représentatif de sa quête d’identité.



Et j'ai beau avaler sept gorgées d'eau
trois à quatre fois par vingt-quatre heures
me revient mon enfance
dans un hoquet secouant
mon instinct
tel le flic le voyou

Désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m'en

Ma mère voulant d'un fils très bonnes manières à table
Les mains sur la table
le pain ne se coupe pas
le pain se rompt
le pain ne se gaspille pas
le pain de Dieu
le pain de la sueur du front de votre Père
le pain du pain
Un os se mange avec mesure et discrétion
un estomac doit être sociable
et tout estomac sociable
se passe de rots
une fourchette n'est pas un cure-dents
défense de se moucher
au su
au vu de tout le monde
et puis tenez-vous droit
un nez bien élevé
ne balaye pas l'assiette


Et puis et puis
et puis au nom du Père
du Fils
du Saint-Esprit
à la fin de chaque repas

Et puis et puis
et puis désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m'en


Ma mère voulant d'un fils mémorandum

Si votre leçon d'histoire n'est pas sue
vous n'irez pas à la messe
dimanche
avec vos effets des dimanches

Cet enfant sera la honte de notre nom
cet enfant sera notre nom de Dieu
Taisez-vous
Vous ai-je ou non dit qu'il vous fallait parler français
le français de France
le français du Français
le français français


Désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m'en

Ma mère voulant d'un fils
fils de sa mère

Vous n'avez pas salué voisine
encore vos chaussures de sales
et que je vous y reprenne dans la rue
sur l'herbe ou la Savane
à l'ombre du Monument aux Morts
à jouer
à vous ébattre avec Untel
avec Untel qui n'a pas reçu le baptême


Désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m'en

Ma mère voulant d'un fils très do
très ré
très mi
très fa
très sol
très la
très si
très do
ré-mi-fa
sol-la-si
do

Il m'est revenu que vous n'étiez encore pas
à votre leçon de vi-o-lon
Un banjo
vous dîtes un banjo
comment dîtes-vous
un banjo
vous dîtes bien
un banjo
Non monsieur
vous saurez qu'on ne souffre chez nous
ni ban
ni jo
ni gui
ni tare
les "mulâtres" ne font pas ça
laissez donc ça aux "nègres"


(Léon-Gontran Damas, Pigments, 1937)


Et n'oubliez pas de vous rendre chez Sophie pour découvrir les contributions poétiques d'autres blogueurs.

mercredi 7 mars 2012

Octobre noir

Daeninckx et Mako © ad libris 2011

Pour ses copains, Vincent est chanteur dans un groupe de rock lycéen. Pour sa famille, Vincent reprend sa véritable identité, celle d’un jeune algérien prénommé Mohand. Pas simple pour lui de trouver sa place dans la France de 1961, au moment des « événements d’Algérie ». Le soir du 17 octobre, Vincent et son groupe doivent se produire au Golfe Drouot, dans un tremplin pouvant leur ouvrir les portes de l’Olympia. Mais à cette même date le FLN a décidé de mettre sur pied une grande manifestation pour protester contre le couvre-feu imposé aux algériens de la région parisienne par la préfecture de police. Partagé entre ses copains et l’envie de soutenir son peuple, Mohand prend le métro avec son père pour se rendre à la manif mais il s’éclipse discrètement avant le terminus pour filer au Golfe Drouot. En rentrant chez lui ce soir là il apprend que sa sœur Khelloudja, bravant l’interdiction paternelle, s’est jointe à la manifestation et est depuis introuvable…

Vingt-sept ans après la publication de son très beau roman Meurtres pour mémoire, Didier Daeninckx reprend la plume pour parler de la terrible soirée du 17 octobre 1961. Il assume son engagement pour l’indépendance et mâtine son propos de considérations sociales et politiques. Avant la manif, le lecteur découvre ainsi le triste quotidien des travailleurs algériens, leurs logements insalubres et leurs difficultés à joindre les deux bouts. La plongée au cœur du « plus grand massacre d’ouvriers, à Paris, depuis la répression de la Commune en 1871 » est elle aussi saisissante : un soir d’automne triste et humide, une pluie glaciale, ces hommes marchant gravement, sans cris, sans drapeaux et sans armes. Puis c’est la curée, les CRS sont lâchés : coups de feu, coups de matraque, coups de grâce infligés aux blessés, arrestations ultra-violente, la Seine qui se teinte du sang des victimes...

Vieux complice « BD » de Daeninckx depuis des années, Mako donne dans la sobriété. Son trait à l’encrage épais est réaliste et efficace. Avec ces grandes cases, ce découpage simple qui retrace fidèlement la chronologie des événements, ces couleurs forcément sombres, l’album est visuellement très réussi.

A travers le portrait de Khelloudja, le romancier rend hommage à Fatima Bédar, une jeune algérienne de 15 ans qui a absolument voulu manifester ce jour-là et dont le cadavre sera retrouvé le 31 octobre près du canal St Denis. Suicide, conclura la police. Une fois encore avec Daeninckx la petite histoire rejoint la grande. Et une fois encore, son évocation de la « Saint-Barthélemy musulmane » se révèle d’une rare puissance.

Octobre noir de Didier Daeninckx et Mako, éditions ad libris, 2011. 60 pages. 13, 05 euros.

Allez, un petit bonus puisque nous sommes en plein printemps des poètes, je vous offre le poème de Kateb Yacine qui conclut l’album :

« Peuple français, tu as tout vu
Oui, tout vu de tes propres yeux.
Tu as vu notre sang couler
Tu as vu la police
Assommer les manifestants
Et les jeter dans la Seine.
La Seine rougissante
N’a pas cessé les jours suivants
De vomir à la face
Du peuple de la Commune
Ces corps martyrisés
Qui rappelaient aux Parisiens
Leurs propres révolutions
Leur propre résistance.
Peuple français, tu as tout vu,
Oui, tout vu de tes propres yeux,
Et maintenant vas-tu parler ?
Et maintenant vas-tu te taire ? »


Daeninckx et Mako © ad libris 2011


Une BD offerte par Valérie dans le cadre du loto de Mo’. Un grand merci à elles !




mardi 6 mars 2012

Le premier mardi, c'est permis (5) : Comment rater sa vie sexuelle

Rose et Dannam
 © La Musardine 2012
Rappelez-vous, je me plaignais le mois dernier de cette littérature érotique à l’eau de rose qui met scène des apollons trop membrés et trop endurants pour être vrais. Je me prenais à rêver de héros masculins lambda pétris de défauts et très éloignés de ces inaccessibles surhommes. Alors quand je suis tombé l’autre  jour sur cet ouvrage annonçant fièrement en 4ème de couverture qu’il s’adressait « à tous ceux qui en ont assez qu’on leur demande d’être des bêtes au lit », « à tous ceux prêts à renoncer au culte de la performance », je pensais voir trouvé une vraie pépite. Malheureusement ma joie a été de courte durée...

La première partie, consacrée à l’attitude du loser sexuel avant la drague, est sans aucun intérêt. Soyez repoussant, sentez mauvais, oubliez la brosse à dents et le dentifrice, choisissez la coupe de cheveux la plus ringarde possible et le pseudo le plus pourri sur un site de rencontre, c’est la certitude de rater sa vie sexuelle mais aussi sa vie sociale et pour le coup je trouve ça complètement ridicule. Sans compter le petit paragraphe bien macho : « Les filles sont tout à fait incapables de comprendre quoi que ce soit à l’argent, sinon pour le dépenser [...] Donc, pas d’hésitation, donnez-leur des leçons d’économie pour les faire fuir. » (no comment !). J’ai très rapidement survolé ces pages pour m’intéresser à la seconde grande partie traitant de la sexualité (en même temps si les auteurs étaient cohérents, cette partie n’aurait pas lieu d’être puisque vu les conseils prodigués avant la drague, il est totalement impossible d’imaginer amener qui que ce soit dans son lit après la drague, même un animal de compagnie).

Peu importe, la partie consacrée au sexe est quand même la plus agréable à lire (heureusement) tant le catalogue de conseils proposés pour être un gros nul au lit donne le vertige. Les choses ne sont pas tout à fait présentées de cette façon là mais c'est ainsi que je les ai interprétées :

- pour éviter l’érection ? Il faut manger gras, avoir 3 grammes d’alcool dans chaque bras, s’être masturbé frénétiquement dans les heures précédant le rapport, etc.

- L’anatomie féminine à maltraiter ? Rien de plus simple : commencez par les seins en broyant le soutien gorge à 125 euros puis malaxez-moi ça comme une bonne pâte à pain ou utilisez les pinces à tétons SM dès la première rencontre, l’effet de surprise sera parfait. Si vous devez vous pencher sur le cas du clitoris, frottez-le comme quand vous récurez la cuisinière au tampon jex. Succès garanti !

- Les préliminaires ? Vous avez le choix : 1) les oublier 2) les bâcler.

- Le cunnilingus ? C’est pas compliqué, pour le foirer totalement, prenez un air dégoutté, croquez le petit bouton à pleine dent ou, plus subtil, bavez comme un bouledogue assoiffé et essuyez vous la bouche sur la dentelle de sa nuisette, elle sera ravie.

- La fellation : l’hygiène douteuse ou la tentative d’étouffement par exemple sont de bonnes entrées en matière. Le must ? Jouir sans prévenir, surtout si c’est une fellation sans capote. Madame va adorer.

Je vous fais grâce des chapitres sur la sodomie, les positions nulles au lit ou le mauvais usage des sextoys, il faut bien garder un peu de suspens...

Au final, on n’est pas loin du totalement lamentable. Seule partie à peu près valable (et encore), celle présentant le top 7 des nuls au lit : de l’égoïste (celui qui disparaît dans les 20 secondes suivant une éjaculation rapide en grognant « Putain, ça fait du bien ») au sûr de lui qui ne peut rien apprendre de nouveau en matière de sexualité en passant par le sportif (celui qui transforme le moindre petit missionnaire en séance de pompes), les portraits dressés sont assez justes et plutôt rigolos. Il n’empêche, il n’y a pas grand-chose à sauver de cet anti-manuel du sexe. Je sais bien qu’il faut prendre un bouquin pareil au 6ème ou au 7ème degré pour en apprécier la quintessence mais là, j’ai beau chercher, je ne la vois pas cette fameuse quintessence. C’est à se demander comment les éditeurs peuvent accepter de publier des torchons pareils. Peut-être parce qu’ils savent qu’il y aura des couillons comme moi pour les acheter !

Comment rater sa vie sexuelle de Stéphane Rose et Marc Dannam. La Musardine, 2012. 170 pages. 13,20 euros.