mardi 13 décembre 2022

Émergence 7 - Vincent Mondiot et Enora Saby

Joachim, Nina, Romane, Alex, Elliott, Priscille et Léon. Ils sont sept à attendre comme chaque matin le bateau qui les emmènera sur le continent. Impossible pour eux de suivre leur scolarité sur la petite île bretonne où ils vivent. Ce jour-là est un jour comme les autres, jusqu’au moment où sort de l’océan une créature gigantesque qui va semer la mort et le chaos sur son passage. Vingt ans plus tard Léon, qui avait 14 ans à l’époque, revient pour la première fois sur l’île. Dans sa tête, la journée du drame s’égrène alors heure par heure, et le cauchemar dont il ne s’est jamais remis revient le hanter, faisant affluer les souvenirs avec une impitoyable précision. 

Un texte bouleversant, en parfaite harmonie avec des illustrations qui le complètent à merveille. Vincent Mondiot ne joue à aucun moment avec les ressorts du sensationnalisme, il évite l’écueil du récit de survie plein d’action à l’hollywoodienne, alors qu’il aurait été simple d’orienter le propos dans cette direction avec un tel scénario de départ. Préférant l’intime aux grands effets de manche, il met en scène une confession sans fard et sans concession. Ne cédant à aucune facilité, son récit adolescent est d’une éblouissante maturité.

Le discours de Léon se focalise autour du traumatisme vécu vingt ans plus tôt, un traumatisme impossible à surmonter. L’auteur des derniers des branleurs tord ainsi le bras aux poncifs faisant de la résilience un passage obligé et naturel vers un retour à la sérénité. Pour son narrateur, le temps passé, censé refermer les plaies, n’est qu’une illusion : « le temps empire les choses au lieu de les soigner. » 

Léon souffre toujours autant. La résurgence de souvenirs trop lourds à porter liée au retour sur les lieux du drame n’a pour lui rien de cathartique. « Ce qui ne te tue pas te rend plus fort, peut-être ? Non. […] Ce qui ne te tue pas te rend traumatisé ou handicapé. »

C’est beau et désespéré, d’une infinie mélancolie. Sans conteste ma plus belle lecture jeunesse de l’année.

Émergence 7 de Vincent Mondiot et Enora Saby. Actes Sud junior, 2022. 208 pages. 17,80 euros. Á partir de 13 ans. 







mardi 8 novembre 2022

Fight - Jean Tévélis

De 18h16 à 8h11 le lendemain matin. Quatorze heures dans la vie de Quentin, lycéen rageur déversant son trop plein de colère dans un Fight Club clandestin plusieurs fois par mois. Se battre pour se donner l’illusion d’exister. Se battre pour fuir et pour oublier. Le foyer dysfonctionnel, la violence du père, le silence de la mère qui encaisse sans broncher, les pleurs de la petite sœur qui le rejoint dans son lit les soirs de disputes conjugales. Quentin a besoin de se défouler, c’est le seul moyen pour lui de gérer le stress qui le ronge, de refouler la peur qui lui noue le ventre à chaque fois qu’il franchit la porte de son appartement. Une façon aussi de rendre coup pour coup, même si l’adversaire n’est jamais ce géniteur auquel il va devoir se résoudre à faire face, sans baisser les yeux. 

Un ado paumé, rongé par la violence, celle qu’il subit et celle qu’il porte en lui. Un ado qui s’interroge sur son présent et son futur. Sur ce besoin de se battre qu’il a de plus en plus de mal à canaliser. Sur les racines de sa propre brutalité, sur le fait que tout cela est sans doute héréditaire, une question d’ADN et de chromosomes. Mais comment briser le cycle de la violence ? Comment ne pas reproduire un schéma immuable, comment ne pas faire de cet atavisme une fatalité ?

En toute simplicité et sans manichéisme, Jean Tévélis relate le cheminement d’une prise de conscience salutaire, pour ne plus vivre dans l’ombre et oser faire les premiers pas vers la lumière.

Fight de Jean Tévélis. Magnard, 2022. 80 pages. 8,90 euros. A partir de 13 ans.


Une nouvelle pépite jeunesse partagée avec Noukette









mercredi 12 octobre 2022

Back to Japan - Mélusine Mallender, Laure Garancher et Clémentine Fourcade

Paris, Juin 2010. Mélusine Mallender décide de ramener sa vieille moto sur ses terres d’origine, au Japon, en traversant l’Europe et une partie de l’Asie. Plus de 12 000 kilomètres, seule au guidon de sa 125 cm³. Traverser la Suisse, l’Autriche, la Slovaquie, l’Ukraine, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et la Russie jusqu’à Vladivostok, où un bateau les emmènera, elle et sa monture, jusqu’au pays du soleil levant. Quatre mois sur les routes avec une tente, un sac à dos et un moral d’acier pour seuls compagnons.

Le projet est insensé, ses proches ne cessent de lui répéter. C’est une femme. Seule. Sa moto est en fin de vie. Les routes sont dangereuses, surtout à une époque où les téléphones portables sont loin d’être des petits bijoux de technologie et où il faut aller dans un cybercafé pour communiquer avec la France. Mais Mélusine est déterminée. Elle sait que le voyage ne sera pas de tout repos, elle sait que la peur va l’accompagner tout du long, mais elle ne veut pas laisser cette dernière gagner la partie. Car elle sait également que sa volonté d’aventure et de grands espaces sera plus forte que tout.  

Entre le carnet de voyage, le récit de vie et l’autobiographie, ce Back to Japan ne cesse de diffuser de bonnes ondes à chaque coin de page. Parce que Mélusine Mallender est une exploratrice qui ne se la raconte pas. Parce qu’elle se livre en toute simplicité, sans jamais se plaindre, ni s’extasier faussement, sans jamais cacher les difficultés rencontrées ni les moments de bonheur partagés. Parce que son attitude et ses pensées laissent couler des torrents d’humanité (comme la couverture le suggère d’ailleurs magnifiquement). Parce que sans embarquer dans son sac à dos un féminisme militant elle défend en toute simplicité le droit des femmes disposer d’elles-mêmes, à suivre leurs aspirations avec passion et détermination. Et sans pour cela mettre un couvercle sur les problématiques posées par un si long voyage en solitaire alors que l’on ne fait pas partie de la gente masculine. 

Hymne à l’indépendance et à la liberté, ce road-trip transforme le dépassement de soi en aventure positive et vivifiante. Une lecture qui fait du bien, ni plus ni moins !

Back to Japan de Mélusine Mallender, Laure Garancher et Clémentine Fourcade. Nathan, 2022. 160 pages. 22,00 euros.



Toutes les BD de la semaine sont à retrouver chez Noukette






mardi 20 septembre 2022

Souviens-toi de septembre ! - Marie-Aude et Lorris Murail

Quel plaisir de retrouver la collégienne Angie, sa mère Emma, le capitaine de police Augustin Maupetit et toute la fine équipe de la brigade des stups !

Pour ce deuxième épisode de la série, la petite histoire côtoie la grande et le point de départ de l’intrigue se situe en septembre 1944, après un bombardement anglais sur Le Havre, au moment où un sauveteur extrait des décombres un nourrisson en vie et un grand sac. Soixante-seize ans plus tard, Angie recueille le témoignage de ce sauveteur bientôt centenaire devenu un des plus riches notables de la ville après-guerre.

Au menu une fois encore une floppée de personnages hauts en couleur, une histoire de famille complexe et un dénouement plein de rebondissements. Comme d’habitude, les dialogues sont ciselés, le rythme soutenu, l’humour omniprésent, les interactions entre les personnages réalistes et fluides. Surtout, une attention sincère est portée à chacun, aucun n’est laissé sur le bord de la route, tous ont un rôle à jouer, d’une façon ou d’une autre, dans l’enchaînement des événements.

Au fil des chapitres le puzzle prend forme. Et s’il semble difficile de voir le résultat final à l’avance, on ne doute pas une seconde que les pièces vont s’emboîter les unes aux autres à la perfection. Un roman maîtrisé de bout en bout pour un plaisir de lecture sans cesse renouvelé.

Souviens-toi de septembre ! de Marie-Aude et Lorris Murail. L’école des loisirs, 2021. 460 pages. 17,00 euros. A partir de 14 ans.


Un billet qui signe le début d'une nouvelle saison de pépites jeunesse avec Noukette







mercredi 31 août 2022

Les reflets du monde en lutte - Fabien Toulmé

Liban, Brésil, Bénin. Trois pays, trois reportages dessinés pour décrypter trois formes de résistance populaire et de combats portés par des femmes. A Beyrouth, Nidal est une figure majeure de la Thawra, une révolution citoyenne dont le but est de dénoncer la corruption et d’offrir au peuple l’accès aux droits essentiels face à l’insupportable augmentation du coût de la vie. A João Pessoa, ville de l’Est du Brésil, Rossana lutte pour la défense de sa favela face à un projet immobilier qui risque de détruire sa communauté. A Cotonou, Chanceline milite pour le droit des femmes et intervient dans les écoles afin de sensibiliser les élèves et de faire évoluer les mentalités dans une société dominée par le patriarcat. Trois pays, trois femmes, trois combats et partout la même détermination à mener la lutte, à ne pas baisser les bras et à rêver d’un avenir meilleur.

Fabien Toulmé retranscrit les choses au plus près, sans chercher à arrondir les angles ou à en rajouter inutilement.  Son travail se veut purement journalistique et à hauteur de ses interlocutrices. Aucune place pour ses propres opinions, le point de vue est celui des témoins et leur parole ne peut souffrir d’aucune transformation, d’aucune réécriture. De plus l’éclairage du sociologue Olivier Fillieule apporte une réelle valeur ajoutée aux sujets traités.

Comme d’habitude chez l’auteur de la magnifique trilogie L’Odyssée d’Hakim, j’ai apprécié ce regard débordant d’humanité, cette humilité, cette curiosité, cette volonté permanente de rester en retrait, de s’effacer face au combat mené par les femmes qu’il interroge, de ne surtout pas faire d’ombre au coup de projecteur qu’il souhaite leur offrir. Le but est à la fois de découvrir les luttes en cours et de les porter à la connaissance d’un public peu au fait de leur existence. Respect, écoute et empathie jalonnent l’ensemble des échanges. Un pavé de 300 pages dont on ne peut sortir qu’admiratif face à de telles leçons d’engagement et de militantisme au féminin.

Les reflets du monde en lutte de Fabien Toulmé. Delcourt, 2022. 336 pages. 24,95 euros.







dimanche 24 juillet 2022

Comme un homme - Florence Hinckel

 

« Je vais le tuer. »
Ethan marchait seul, dans la neige. Avec un fusil de chasse en bandoulière, il marchait dans le froid et le vent glacial. Peu importaient les conditions, peu importait son impréparation, Ethan avançait, guidé par la haine, la fureur et le chagrin.
« Je vais le tuer. »
Il allait finir par le trouver. Même si le crépuscule commençait à tomber, même si « l’humidité qui giclait à chacun de ses pas se transformait en glace. »

Cinquante-cinq petites pages. Pour dire la détermination et la volonté de vengeance d’un ado ayant accidentellement croisé son grand-père pour la première fois de sa vie. L’atmosphère est sombre, étouffante malgré la rudesse de l’hiver. Sous des faux airs du « Construire un feu » de Jack London, Florence Hinckel joue des non-dits et pousse à lire entre les lignes. Elle saupoudre son récit d’une pointe d’onirisme, sans s’écarter pour autant de la trame pleine de tension qui le porte.

Au final, pas de drame à proprement parlé. Juste la certitude pour un fils d’avoir une mère en tout point admirable, une mère à laquelle il ne cessera dorénavant d’exprimer son immense fierté.

Et comme d'habitude avec cette collection, l'achat du livre papier offre accès à la version audio et à la version numérique via une application dédiée.

Comme un homme de Florence Hinckel. Nathan, 2020. 55 pages. 8,00 euros. A partir de 14 ans.





mercredi 20 juillet 2022

L’Odyssée de Pénélope - Margaret Atwood

« Parvenue à ce stade de mon récit, je me sens l’obligation de faire le point sur les calomnies dont je fais l’objet depuis quelque deux ou trois mille ans. Toutes ces histoires sont totalement fausses. »

On l’a prise pour une cruche, Pénélope. Un modèle de probité doublée d’un exemple de fidélité. La sagesse incarnée, une oie blanche attendant patiemment le retour de son homme en brodant un linceul pour repousser les nombreux prétendants voulant la culbuter. Mère et femme dévouée, elle n’a pas reconnu son époux quand il est revenu à Ithaque sous les traits d’un mendiant. Il a dû lui prouver que c’était bien lui grâce à une anecdote qu’il était le seul à connaître. Une vraie cruche on vous dit.

Mais si cette femme n’était finalement pas aussi naïve qu’Homère et bien d’autres ont toujours voulu nous le faire croire ? Margaret Atwood en brosse un tout autre portrait et réécrit son histoire. Elle fait d’elle un fantôme, une victime de féminicide : Ulysse l’aurait pendue avec ses douze servantes, l’accusant de l’avoir trahi. C’est donc de l’au-delà qu’elle nous raconte sa version des faits. Elle n’a jamais été dupe. Elle a vite compris le danger que pouvait représenter pour elle son fils Télémaque, comme elle a tout de suite compris que sa belle-mère ne lui ferait aucun cadeau. Et le retour d’Ulysse ? Bien sûr qu’elle l’avait reconnu au premier coup d’œil, c’est uniquement par ruse qu’elle a joué le jeu. « Dans les chants, on raconte que je n’avais rien remarqué : la déesse Athéna m’aurait distraite. Si vous croyez pareille chimère, on peut vous faire avaler n’importe quoi. »

Sa parole résonne avec force, montre que sa naïveté n’était que de façade, pour mieux tromper les hommes qui n’ont cessé de lui tourner autour, « un groupe d’usurpateurs barbares, adorateurs des dieux masculins, aux visées patriarcales ». Elle est mordante Pénélope, parfois ironique, toujours lucide : « il est toujours imprudent de s’interposer entre un homme et l’idée qu’il se fait de sa propre intelligence. »

Un récit féministe qui offre une relecture culottée, moderne, et qui joue son parfait rôle de contrepoids face à une Odyssée « par trop commode, par trop flatteuse pour l’orgueil masculin », comme l’écrit Christophe Ono-dit-Biot dans la préface. 

L’Odyssée de Pénélope de Margaret Atwood. Robert Laffont, 2022. 190 pages. 8,50 euros.





dimanche 17 juillet 2022

Lucien - Stéphane Sénégas et Guillaume Carayol

Lucien est un simple. Un simple d’esprit diront certains, à la parole rare et pas toujours compréhensible. Un homme qui agit sans calcul, qui prend les choses comme elles viennent, un homme au quotidien réglé comme du papier à musique. Un solitaire un peu poète, balayeur de son état, artiste du ramassage de feuilles mortes. Un colosse aux pieds d’argile dont on se moque facilement. Lucien est pour beaucoup l’idiot du village. Mais derrière son côté bon enfant s’exprime parfois une certaine noirceur, une pointe de violence, de réactions impulsives et difficilement maîtrisables. Pas si facile à cerner le Lucien finalement. Mais facile à accuser quand les circonstances font de lui le coupable idéal…

Il est beau cet album. Visuellement d’abord. Son noir et blanc intense, le trait magique de Stéphane Sénégas, sa maîtrise du rythme, des silences, des petits riens qui en disent bien plus que les démonstrations techniques. Il est beau par son propos aussi. Par tous ces sentiments qu’il fait naître chez le lecteur. La tristesse, la colère, l’indignation, l’espoir. Et pour finir, quelle galerie de personnages secondaires : Paul, M’sieur Raymond l’épicier, Maria la fleuriste, sa sœur Carmen et Kadeg le « promoteur. Tous attachants, même les plus méprisables de prime abord. 

Un album navigant sans cesse entre ombre et lumière, entre douceur et fureur, entre petits moments de bonheur et gros coups durs. Ça ressemble à une vie, c’est plein d’amitié, d’amour, de trahison, de douleur et d’injustice. C’est tout simplement humain et ça fait un bien fou !

Lucien de Stéphane Sénégas et Guillaume Carayol. Delcourt, 2022. 264 pages. 24,95 euros.






mercredi 13 juillet 2022

Le silence des vaincues - Pat Barker

Le monde de Briséis s’écroule le jour où les Grecs franchissent les portes de sa cité. Reine de Lyrnessos, cette noble troyenne voit mourir sous ses yeux son mari et ses frères pendant le saccage de la ville. Amenée de force dans le camp ennemi, elle devient l’esclave du grand Achille et va devenir malgré elle un élément central du basculement de la guerre.

Le chant d’Achille m’avait permis de découvrir le personnage de Briséis, femme adorée et protégée par Patrocle, le compagnon d’Achille. Ici l’histoire est racontée de son point de vue. A travers elle, c’est la voix des vaincues qui s’exprime, la voix des invisibles juste bonnes à laver, cuisiner, servir le vin et ouvrir les cuisses pour leurs maîtres. Elle dit la terreur de vivre au milieu de ces hommes d’une violence sans limite, l’absence de considération dont ils font preuve pour des prises de guerre remplaçables et corvéables à merci, le tiraillement permanent entre l’envie d’en finir et la volonté de vivre pour pouvoir raconter son histoire et celle de ses sœurs de douleur et de chagrin.

L’idée est bonne et son traitement intéressant, notamment le portrait d’Achille, bien moins positif et reluisant que dans le roman à sa gloire de Madeline Miller. Malheureusement, en plus de quelques longueurs inutiles, le gros problème se situe au niveau de l’écriture. En se voulant moderne, cette dernière tombe dans une forme de caricature et d’anachronisme malvenus. Les dialogues tournent trop souvent au ridicule à coup de « bien fait pour sa gueule », de « pourquoi risquer ma vie […] pour ce tas de merde » ou encore de « qu’il aille se faire foutre ». Quelques exemples parmi tant d’autres qui gâchent le plaisir de lecture d’un texte d’inspiration au demeurant fort classique qui aurait mérité un ton à l’évidence plus soutenu.

Le propos n’en reste pas moins original sur le fond, notamment cette vision de la condition féminine rarement mise avant dans les récits sur la Guerre de Troie, mais sur la forme, rien à faire, je n’y ai pas trouvé mon compte et ce Silence des vaincues souffre de la comparaison face au souffle épique et bien plus littéraire du Chant d’Achille.

Le silence des vaincues de Pat Barker (traduit de l’anglais par Laurent Bury). J’ai Lu, 2022. 445 pages. 8,30 euros.





samedi 9 juillet 2022

Le chant d’Achille - Madeline Miller

Lorsqu’ils se rencontrent pour la première fois, ils ne sont que des enfants que tout oppose. Patrocle, prince exilé par son père suite à un crime commis « malgré lui », est un garçon chétif et sans confiance en lui. Achille, fils du roi de Phthie et d’une nymphe marine, est beau, fort, valeureux et promis à la gloire. Inséparables, irrésistiblement attirés l’un par l’autre, ils vont transformer leur indéfectible amitié en un amour absolu. Et lorsqu’en répondant à l’appel d’Agamemnon Achille se joint à l’armée grecque en route pour le siège de Troie, son compagnon le suit de mauvais cœur, persuadé que cette guerre leur sera fatale à tous les deux. 

Les oracles ont prédit que Troie ne pourra tomber sans la participation d’Achille, mais ils ont également révélé que le héros grec ne survivra pas à la mort d'Hector, fils du le roi troyen Priam. Conscients que cette prophétie se réalisera à un moment ou à un autre, Achille et Patrocle vivent leur amour sans savoir comment les événements vont s’enchaîner jusqu’à la funeste et inéluctable conclusion.     

Tout cela est évidemment hyper romancé mais ça fonctionne. Même si la relation fusionnelle des deux amants domine tout le reste, même si on connait d’avance la fin de l’histoire, l’impatience de savoir comment les faits vont être racontés prend le pas sur le manque de suspens. Madeline Miller restitue à merveille l’intensité dramatique des derniers combats, tout autant que l’implacable volonté de vengeance qui conduira Achille à sa perte.  

Entre l’orgueil du héros, l’interventionnisme de sa mère surprotectrice, les ruses d’Ulysse, la cruauté d’Agamemnon et l’humanité de Patrocle, chaque personnage est incarné et participe au souffle d’épopée qui traverse en permanence le récit. 

Franchement, difficile de ne pas avoir envie de replonger dans l’œuvre d’Homère après une telle lecture !

Le chant d’Achille de Madeline Miller (traduit de l'anglais par Christine Auché). Pocket, 2015. 470 pages. 8,10 euros.