vendredi 29 octobre 2021

Visa Transit T2 et T3 - Nicolas de Crécy

Où l'on retrouve Nicolas de Crécy et son cousin Guy à la frontière entre la Bulgarie et la Turquie. Le début d’un looooong trajet sur les routes poussiéreuses d’un pays qu’ils vont traverser du nord au sud, d’Istanbul à Antalaya. La vieille Visa qui leur sert de véhicule tiendra le choc jusqu’au bout, les nuits passées à la belle étoile ou sur la banquette arrière s’enchainent, la chaleur, la poussière et la crasse leur collent à la peau tandis que le fantôme du poète Henri Michaux, revenu d’entre les morts sous la forme d’un motard casqué, ne cesse d’hanter les rêves de Nicolas. 

J’avais bien aimé le premier tome mais j’avoue qu’avec la suite et la fin de cette trilogie, je suis descendu de plusieurs étages ! J’ai trouvé ça long, tellement long. Le récit n’a rien de bien excitant. Leur voiture est une ruine, les pays et paysages traversés ne retiennent pas vraiment leur attention et la découverte culturelle n’est clairement pas un objectif. Que reste-il alors ? Ben pas grand-chose. Une restitution de voyage très autocentrée, des digressions vers d’autres souvenirs (une résidence d’artiste en Biélorussie, un inventaire des nuits les plus pourries, des vacances d’enfance en bord de mer, une maladie chronique particulièrement douloureuse) pas follement passionnantes, qui ont certes le mérite de casser le rythme soporifique du périple en Turquie mais qui n’ont à aucun moment relancé mon intérêt pour ce que je lisais.

Le problème majeur est que le ton est beaucoup trop sérieux, limite pompeux, limite prétentieux, sans le moindre humour ni la moindre autodérision alors que c’est souvent ce qui fait le sel des carnets de voyage (Julien Blanc-Gras étant par exemple un maître du genre). C’est trop écrit, les cartouches de récitatifs sont bien trop nombreuses et bien trop bavardes, elles alourdissent la narration et finissent par la rendre indigeste. Entre l’ennui et l’agacement, la lecture fut tout sauf un moment de plaisir. Bref, je me suis bien fait ch… 

Et pas qu’un peu.

Visa Transit T2 et T3 de Nicolas de Crécy. Gallimard, 2021. 130 et 150 pages. 22,00 et 23,00 euros.





mercredi 27 octobre 2021

West legends T5 : Wild Bill Hickok

Suite de cette collection consacrée aux légendes de l’ouest qui, après être revenue sur les parcours de Wyatt Eaerp, Billy the Kid, Sitting Bull et Buffalo Bill, s’attarde sur l’emblématique Wild Bill Hickok, soldat admiré de l’Union pendant la guerre civile qui fut ensuite shérif, chercheur d’or et compagnon de route de Calamity Jane. Un as de la gâchette qui mourut d’une balle tirée dans le dos pendant une partie de poker dans un saloon de la tristement célèbre ville de Deadwood en 1876.

Le récit commence en 1869, dans un train. En pleine tempête de neige, ce dernier déraille et les rares survivants de l’accident se retrouvent isolés dans une vallée perdue. Ils ne le savent pas encore mais le danger qui les guette ne vient ni du froid ni des animaux sauvages qui rodent mais plutôt d’un de leur compagnon d’infortune. Wild Bill Hickok, puisque c’est évidemment de lui qu’il s’agit, est monté dans le train pour échapper à une horde de gangsters prêts à tout pour lui faire la peau, sans laisser le moindre témoin derrière eux…

Si les tomes précédents sortaient parfois des sentiers battus, on a ici affaire à un histoire ultra classique avec les innocents malmenés, les gros méchants impitoyables, la chasse à l’homme en milieu hostile et le feu d’artifice final particulièrement sanglant. Seules petites variations, les femmes ne sont pas des victimes désignées et le « héros » n’est pas là pour défendre la veuve et l’orphelin mais pour sauver sa peau. Une forme d’égoïsme plutôt atypique, qui ne rend pas le bonhomme particulièrement attachant mais lui confère un petit côté badass pas déplaisant.

Un western qui respecte à la lettre les canons du genre, sans véritable surprise donc, mais également sans défaut majeur. Ça se lit d’une traite et avec plaisir, même si l’on sait dès le départ à quoi s’attendre. Un album à réserver aux amateurs de grands espaces et des figures mythiques de l’Ouest sauvage. 

West legends T5 : Wild Bill Hickok : forty bastards de Nicolas Jarry et Laci. Soleil, 2021. 56 pages. 15,50.



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mardi 19 octobre 2021

Poing levé - Yaël Hassan

En plein confinement, le prof de français de Junior demande à sa classe de rédiger la biographie d’une personnalité qui a tenté de changer le monde. Alors que la mort de Georges Floyd vient de choquer la terre entière et que les manifestations antiracistes se multiplient aux États-Unis, le collégien d’origine antillaise décide de raconter la vie de Tommie Smith, athlète devenu célèbre pour avoir protesté contre les discriminations en levant un poing ganté sur le podium du 200 mètres des Jeux olympiques d'été de 1968 à Mexico.

Au début, j’avoue, je n’ai pas trop compris où Yaël Hassan voulait m’emmener. Un roman sur les discriminations raciales ? Sur les violences policières ? Sur un parallèle entre l’Amérique des années 60 et la France d’aujourd’hui ? Je me suis demandé à quel moment Junior allait être confronté au racisme. Directement je veux dire. J’ai attendu le drame, ce moment de tension, cet événement révoltant où le collégien allait affronter lui-même l’insupportable. Et en fait pas du tout. C’est bien plus subtil, c’est bien plus fin. 

Junior est la colonne vertébrale d’un récit aux multiples entrées. Qui parle de discrimination bien sûr, mais pas que. De communautarisme aussi, du vivre ensemble, des préjugés, des relations entre collégiens, des différences de point de vue parents/enfants et même d’amour. C’est à travers le jeune garçon que sont abordées ces thématiques, directement ou indirectement. Yaël Hassan fait preuve de pédagogie sans lourdeur, elle montre avec beaucoup de finesse que les choses ne sont jamais toutes blanches ou toutes noires (sans mauvais jeu de mot). Le propos est instructif sans être rasoir car au-delà des nombreux sujets évoqués, on reste touché par ces portraits d’ados croqués avec tant de justesse, des ados loin des clichés qui s’interrogent finalement avec beaucoup de subtilité sur le monde qui les entoure.

Un roman parfaitement dans l’air du temps, instructif et plaisant, dont les personnages attachants en diable raviront à coup sûr les jeunes lecteurs qui auront la chance de les rencontrer.

Poing levé de Yaël Hassan. Le Muscadier, 2021. 168 pages. 13,50 euros. A partir de 12 ans


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mercredi 13 octobre 2021

Moon River - Fabcaro

Betty Pennyway, célèbre actrice d’Hollywood, vient de subir une terrible agression pendant son sommeil. Bien que le coupable ait oublié son cheval dans le lit de la victime, le lieutenant Baxter, en charge de l’enquête, dispose de peu d’indices…

Voilà voilà, Fabcaro est de retour avec un récit au long cours et on se bidonne à (presque) chaque page. J’avais pourtant fini par me lasser de son humour absurde. La suite d’Open Bar l’an dernier m’avait donné l’impression de tourner en rond, comme si l’auteur de Zaï Zaï Zaï avait fini par s’enfermer dans une routine, une méthode qui a fait ses preuves et qu’il aurait décidé d’user jusqu’à la corde. 

Même s’il ne se renouvèle pas fondamentalement dans ce Moon River (utilisant par exemple toujours - mais moins que d’habitude - le gaufrier de six cases identiques où seul le texte change d’une case à l’autre), il montre sa maîtrise du running gag, son génie du non-sens et son art consommé de l’autodérision. Il y a l’enquête sans queue ni tête qui avance malgré tout avec une logique plutôt cohérente. Il y a les dialogues à hurler de rire. Et puis il y a l’insertion dans le récit du quotidien de l’auteur, un auteur qui a du mal à convaincre son éditeur du bienfondé de son scénario et qui est la honte de ses filles tant ledit scénario risque de faire d’elles des parias auprès de leurs connaissances. Cette incursion de l’autofiction dans la fiction est hilarante et suffisamment bien dosée pour ne jamais devenir trop envahissante, bref elle fonctionne à merveille. 

 Niveau dessin les décors sont comme d’habitude réduits au strict minimum et les visages toujours aussi peu expressifs, même si celui de Betty Pennyway est finalement le nœud de l’intrigue (si je puis dire et si je puis oser un brin d’humour au ras des pâquerettes – private joke pour celles et ceux qui ont lu l’album).

Un régal de bout en bout. Il n’y a décidément que Fabcaro pour me faire autant rire en BD. 

Moon River de Fabcaro. Éd. Six pieds sous terre, 2021. 80 pages. 16,00 euros.



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mercredi 6 octobre 2021

Wake up America, l’intégrale : 1940-1965 : 25 ans de lutte pour les droits civiques - John Lewis, Andrew Aydin et Nate Powell

Un pavé de près de 600 pages regroupant les 3 tomes parus précédemment qui relate l’incroyable parcours de John Lewis, né en 1940 dans une fratrie de 10 enfants au fin fond de l’Alabama et qui mena aux côtés de Martin Luther King le combat pour les droits civiques. On y découvre la construction de son identité politique et son engagement pour l’égalité à travers la croisade menée au début des années 60 par des étudiants et militants noirs baptisés « les voyageurs de la liberté » dont le but était de mettre un terme à la discrimination raciale dans les bus et les gares routières des états du sud. Apôtre de la non-violence, plusieurs fois emprisonné pour troubles à l’ordre public, il se bat pour que la population noire puisse s’inscrire sur les listes électorales dans le Mississipi et l’Alabama alors que dans ces états les autorités, défiant les lois fédérales, maintiennent la ségrégation. Infatigable défenseur de la liberté et de l’égalité, John Lewis fut, de 1986 à son décès en juillet 2020, sénateur de la Chambre des représentants, constamment réélu dans le 5ème district de Géorgie.

Une biographie dense, politique, aussi émouvante que révoltante, miroir de la lente et douloureuse évolution de la question raciale aux États-Unis dans la seconde moitié du 20ème siècle. Le propos est certes engagé mais il ne tombe pas dans le manichéisme primaire et ne cherche pas à régler des comptes. Pas de haine, pas de leçon de morale, les faits se suffisent à eux-mêmes et l’expression inadmissible de la ségrégation relève d’une évidence ne pouvant souffrir la moindre contestation. La complexité de la situation et des enjeux est d’ailleurs décrite avec un effort de vulgarisation qui rend l’ensemble d’autant plus instructif et marquant. John Lewis n’est pas présenté comme un super héros de la cause qu’il n’a cessée de défendre, le portrait n’a rien d’hagiographique, le discours étant au final plus pédagogique que militant. 

Niveau dessin, Le noir et blanc de Nate Powell, sobre et puissant, donne à voir à la fois l’ignoble réalité et la volonté inébranlable d’une communauté décidée coûte que coûte à ne plus se résigner et à gagner la dignité à laquelle chaque américain est en droit d’aspirer, quelle que soit sa couleur de peau. 

Une lecture parfois exigeante, toujours passionnante et absolument indispensable.

Wake up America, l’intégrale : 1940-1965 : 25 ans de lutte pour les droits civiques de John Lewis, Andrew Aydin et Nate Powell. Rue de Sèvres, 2021. 560 pages. 30,00 euros.
















vendredi 1 octobre 2021

Les fruits tombent des arbres - Florent Oiseau

 

« Je traversais l’existence comme une ombre, je flottais, je me promenais, mais je ne faisais pas grand-chose de palpable, de beau, de grand, de définitif. »

Pierre n’a rien d’un héros. Rentier à l’existence frugale, célibataire père d’une ado, il vit dans le petit appart parisien légué par ses parents. Il regarde « le football avec une ferveur identique à celle d’un ragondin qui se laisse dériver dans une rivière » et constate avec lucidité qu’après 50 ans « [sa] prostate commence à intéresser le corps médical, […], [ses] pectoraux ressemblent à des cernes, et, après trois verres de vin, [sa] queue n’a plus rien à envier à une glace oubliée sur une plage de la Costa del Sol en plein mois d’août. »

Il déambule dans les rues, fume avec les prostitués sur un bout de trottoir, regarde « Sauvez Willy » pour réconforter un voisin, participe à une course cycliste improbable, rédige des poèmes dans les commentaires de vidéos porno ou entretient une relation platonique avec une jeune femme écrivain qui a vingt ans de moins que lui. 

Dans un roman de Florent Oiseau, on se quitte pour un yaourt à la cerise. On meurt d’une crise cardiaque à l’arrêt de bus. On se fait alpaguer par une actrice célèbre qui vous supplie de lui faire une mayonnaise. On prénomme sa fille Trieste à cause d’un sac oublié dans un train. On admire Samantha le travesti chanter Dalida dans un bar Kabyle, « une Heineken en guise de micro ». 

Dans un roman de Florent Oiseau tout est anodin et insignifiant. On se satisfait du banal avec un détachement proche de la poésie. Dans un roman de Florent Oiseau la solitude ne dégouline pas de tristesse, la manque d’ambition se vit sans larmes et sans drame. Dans un roman de Florent Oiseau l’absurde débouche sans prévenir sur de sublimes moments d’humanité et le dérisoire n’a jamais rien d’un désenchantement.

J’aimerais tellement que ma vie soit comme un roman de Florent Oiseau.

Les fruits tombent des arbres de Florent Oiseau. Allary éditions, 2021. 236 pages. 17,90 euros. 






mardi 28 septembre 2021

Comme ton père - Gille Abier

 

« T’es bien comme ton père, tiens ! »
La phrase de trop pour Loris, prononcée par sa mère suite à un incident survenu au lycée. A 17 ans, le jeune garçon n’a jamais connu son père. Personne ne lui en a jamais parlé et il est temps pour lui de connaître la vérité. Alors Loris va monter dans un train en gare d’Enghien, direction Grenoble. C’est là-bas que sa mère et sa grand-mère vivaient au moment où il a été conçu. Il l’a appris de la bouche d’un boulanger en retraite chez qui travaillait sa grand-mère et à qui elle s’était confiée. Sur place, de révélation en révélation, une horrible réalité se fait jour sur ses origines…

« Tu crois qu’on peut être heureux quand on naît d’une violence ? »
Cette question est au cœur du parcours de Loris. Elle explique le silence de sa mère sur l’identité de son père. Elle explique son mal-être, sa difficulté à trouver sa place au lycée, et plus généralement dans la société. Mais la connaissance de la vérité est aussi un mal nécessaire pour se construire un avenir solide et résilient.

Comme d’habitude Gilles Abier ne ménage ni ses personnages ni ses lecteurs. Et comme d’habitude c’est fait avec tellement de talent qu’on lui pardonne volontiers de nous bousculer à ce point. C’est sombre et réaliste, cash, sans faux semblant ni volonté de forcer le trait. Si l’évidence n’est qu’une illusion, le drame est d’autant plus crédible que le déroulement des événements s’articule de manière imparable. On en ressort bluffé par tant de maîtrise narrative. Comme d’habitude j’ai envie dire. 

Comme ton père de Gille Abier. Ed. In8, 2021. 132 pages. 8,90 euros. A partir de 13-14 ans.  



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vendredi 10 septembre 2021

Au prochain Arrêt - Hiro Arikawa

Au Japon, la ligne de chemin de fer reliant Takarazuka à Nishinomiya dessert huit gares. Dans chaque gare, le va-et-vient des montées et descentes draine un flot continue de passagers, seuls ou accompagnés, perdus dans leurs pensées ou attentifs à tout ce qui les entoure. A bord du train, Masashi est abordé par Yuki, qu’il croise régulièrement à la bibliothèque et à qui il n’a jamais osé adresser la parole. Shoko repense avec plaisir au scandale qu’elle vient de causer au mariage de son ex. Tokié, veuve depuis peu, ne se laisse pas attendrir par son adorable petite fille. Misa, régulièrement battue et humiliée par son petit ami Katsuya, décide de le quitter une bonne fois pour toute. Etchan et ses copines lycéennes peinent à s’imaginer un avenir à la fac. Kei’chi et Miharu ont un coup de foudre aussi inattendu qu’inespéré. Des hommes et des femmes qui se croisent le temps d’un court trajet, des destins qui se nouent et se dénouent au fil de l’avancée sur les rails.

Huit chapitres correspondant aux huit gares traversées par le tain à l’aller, huit chapitres pour refaire le trajet dans l’autre sens, avec les mêmes personnages, quelques mois plus tard. Le schéma narratif est simple, la mécanique imparable. Certes, la ligne Takarazuka-Nishinomiya est la véritable héroïne du roman mais c’est un plaisir de découvrir l’évolution des protagonistes entre le printemps et l’automne. On les suit le temps d’un ou deux arrêts et même si notre rencontre avec eux reste furtive, on finit par s’attacher à ces gens simples aux aspirations « ordinaires ».

C’est doux et piquant, plein d’une retenue typiquement japonaise, les pensées les plus intimes étant toujours exprimées avec une grande pudeur. Bref, ce fut un vrai plaisir de parcourir ce récit tout en sensibilité qui ne verse heureusement pas dans l’excès de bons sentiments. 

Au prochain Arrêt d’Hiro Arikawa (traduit du japonais par Sophie Refle). Actes Sud, 2021. 184 pages. 18,50. 






mardi 31 août 2021

Dans la gueule du Diable - Anne Loyer

Photographe attitré de la Gazette du Bahut, Tom se voit associer à la mystérieuse Amina pour rédiger un article sur la fête foraine venant de s’installer en ville. Arrivée depuis peu au collège, cette fille ne lui inspire rien qui vaille avec ses fringues et ses attitudes de garçon manqué. Devant faire équipe avec elle malgré lui, Tom oublie vite ce désagrément une fois sur place, prêt à utiliser pour la première fois le magnifique appareil photo que ses parents viennent de lui offrir.

En cette fin d’après-midi la fête est encore déserte et la bouche grande ouverte du train fantôme attire les jeunes reporters comme un aimant. A l’intérieur de l’attraction, une macabre découverte les attend. Aussi inconscients que courageux, ils vont se lancer sur la piste de dangereux criminels, sans penser aux conséquences dramatiques que leur témérité pourrait engendrer.

Un petit roman à lire d’une traite pour suivre les aventures de Tom et Amina, des entrailles d’un manège flippant à une usine désaffectée encore plus flippante. Le rythme est enlevé, les courts chapitres participent à la montée de la tension et du suspens. Anne Loyer joue sur les codes classiques du thriller palpitant et sans temps mort tout en abordant l’air de rien des thématiques comme l’émancipation féminine et les premiers émois amoureux.

C’est simple, rondement mené, le suspens accrochera à coup sûr les jeunes lecteurs désireux de savoir comment tout cela va se terminer. Terriblement efficace quoi !

Dans la gueule du Diable d’Anne Loyer. Mijade, 2021. 180 pages. 7,00 euros. A partir de 9-10 ans.



Un billet qui signe la reprise des pépites jeunesse
 partagées avec Noukette !












dimanche 29 août 2021

Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes - Lionel Shriver

 

Serenata, sexagénaire fringante et active, se désespère de ne plus pouvoir faire les activités physiques intenses qu’elles s’imposaient depuis l’adolescence à cause de ses genoux en piteux état. Son mari Remington vient lui porter un coup au moral supplémentaire le jour où il lui annonce qu’il a l’intention de participer à un marathon. Lui, le néo-retraité qui n’a jamais couru de sa vie !  La nouvelle est difficile à digérée pour Seranata, qui y voit d’abord une volonté de lui nuire, de la mettre face à sa propre décrépitude. Elle finit par se convaincre que ce n’est qu’une passade, qu’une fois le marathon achevé tout rentrera dans l’ordre. Malheureusement pour elle, elle se trompe dans les grandes largeurs et la nouvelle obsession de son homme pour le sport ne va cesser de croitre, creusant entre eux une distance toujours plus grande et plus profonde.  

Cette Serenata, quel personnage ! Misanthrope, cynique, atrabilaire et plutôt imbue d’elle-même, elle ne va cesser d’enchaîner les désillusions et de constater le déclin d’un mariage aux fondations jusqu’alors solides. La faute à son mari bien sûr, puisqu’elle-même a bien du mal à se remettre en cause. Entendons-nous, Remington n’est pas tout blanc non plus. Manipulable, en attente permanente du soutien de sa femme, devenu un monomaniaque de l’effort n’ayant plus d’autres centres d’intérêts que les kilomètres avalés chaque jour, il est insupportable ! 

Lionel Shriver n’épargne personne. Elle appuie là où ça fait mal. Tout le monde en prend pour son grade et les nombreux personnages secondaires sont savoureux. C’est acide, débordant d’une ironie mordante et, au-delà de la dénonciation du délire narcissique d’une société américaine obsédée par le culte de l’effort et de la compétition, elle se permet d’égratigner au passage la culture woke et le politiquement correct poussé jusqu’à l’absurde. Son roman interroge aussi sur la difficulté à se projeter dans la vieillesse et surtout, pour un couple, la difficulté de vieillir ensemble.

L’épilogue est un peu idyllique et caricatural. Trop consensuel aussi, en tout cas en décalage trop flagrant avec tout ce qui a précédé. Dommage mais ça n’a aucunement gâché le plaisir que j’ai eu à découvrir une plume terriblement incisive. 

Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes de Lionel Shriver (traduit de l’anglais par Catherine Gibert). Belfond, 2021. 385 pages. 22,00 euros.