mardi 12 janvier 2021

Les derniers des branleurs - Vincent Mondiot

 

« Ils sont restés eux-mêmes. […] Des ratés, des drogués, des dégénérés, des dépressifs sans cause, des fils et des filles indignes, la rangée du fond de la classe. »

Il serait malhonnête de réduire Min Tuan, Chloé et Gaspard à cette description peu glorieuse se trouvant à la 450ème et dernière page du roman. Bien sûr ils sont tout ça mais ils sont loin de n’être que ça ces trois lycéens de terminale unis comme les doigts de la main, marginalisés par leurs camarades de classe, catalogués branleurs par leurs profs et incompris de leurs parents. Ils sèchent les cours pour jouer aux jeux vidéo en fumant des joints, lisent des mangas plutôt que leurs leçons et ne peuvent s’imaginer un avenir. Du moins jusqu’à l’arrivée dans leur groupe de Tina, jeune migrante congolaise vivant à hôtel qui va peu à peu exercer sur eux une influence positive.

Drôle de roman pour un drôle de trio, plus agaçant qu’attachant, auquel j’ai fini par accorder toute mon attention après des débuts difficiles. Il faut dire que je me suis vite lassé de leurs discussions sans intérêt, de leur grossièreté chronique et de leur j’menfoutisme intersidéral. Ils ne sont ni violents ni méchants, ni perturbateurs ni révoltés. Ils ne croient juste en rien, ne s’impliquent dans rien, ne rêvent de rien. Pas simple du coup de s’intéresser à leur cas, d’aller au-delà de leur oisiveté permanente et de leurs lendemains de cuite sans relief. 

Heureusement, plus le roman avance et plus le portrait psychologique de chacun gagne en complexité. Sous le vernis de l’avachissement se révèlent de profondes interrogations sur le sens de l’amitié, le rapport aux autres, la sexualité. Surtout, loin du cliché, de la mise en scène au trait forcé d’une « génération perdue » d’écervelés sans la moindre conscience (politique ou autre), Vincent Mondiot ne donne pas dans le portrait de groupe caricatural, il dépeint des individus, tous différents, portant chacun un regard sur le monde d’une grande (et douloureuse) lucidité.

Un texte cru, provocateur, sans concession, drôle à sa façon, et qui se révèle d’une rare sensibilité pour peu que l’on ne s’arrête pas à l’exaspérant nihilisme que donne la première impression.

Les derniers des branleurs de Vincent Mondiot. Actes Sud junior, 2020. 450 pages. 16,80 euros. A partir de 15 ans.




Une première pépite jeunesse de l'année partagée avec Noukette






mardi 22 décembre 2020

Les pépites jeunesse de l'année

Une année de pépites jeunesse moins copieuse que d’habitude mais toujours le même plaisir de partager mes lectures avec ma chère complice Noukette. Et 2020 n’a pas dérogé à la règle, les bonnes surprises ont été aussi nombreuses que variées :


Les coups de coeur























Les romans qui ont fait du bien dans une année où on en avait sacrément besoin



















Les séries dont on ne se lasse pas















Ces pépites jeunesse de l'année sont évidemment partagées avec Noukette






































 

dimanche 20 décembre 2020

Le Flocon - Bertrand Santini et Laurent Gapaillard

En cette nuit du nouvel an, le Roi donne une fête au château. Les personnages illustres du royaume sont venus les bras chargés de cadeaux, chacun rivalisant de richesses pour offrir au souverain un présent à la hauteur de son statut. Au milieu de la nuit, un nouveau convive apparaît. Johann Kepler, mathématicien de la cour, scandalise les invités car il arrive les mains vides. Ouvrant son gant, il montre un flocon de neige, qu’il place ensuite devant l’objectif d’un télescope, offrant ainsi à la vue du Roi un spectacle exceptionnel surpassant tous les cadeaux du monde…

Un conte qui loue la supériorité de la nature sur l’homme, de la modestie sur le faste, de l’éphémère sur l’éternel. L’objet-livre est splendide, dans un format à l’italienne XXL magnifié par les somptueux dessins de Laurent Gapaillard. Après, pour ce qui est du texte (s’inspirant du recueil de Johannes Kepler « L'étrenne ou la neige sexangulaire » rédigé en 1610), pas évident d’imaginer que de jeunes lecteurs puissent en saisir à la fois les références animistes et la profondeur philosophique. Au final peu importe si sur le fond l’ouvrage s’adresse davantage aux adultes qu’aux enfants, ces derniers pourront toujours s’émerveiller devant les illustrations dignes des plus belles gravures de Gustave Doré. Assurément un des albums les plus surprenants de l’année.


Le Flocon de Bertrand Santini et Laurent Gapaillard. Gallimard jeunesse, 2020. 50 pages. 26,50 euros.


Une dernière pépite jeunesse de l'année partagée avec Noukette








mercredi 16 décembre 2020

Une année de BD

J’ai (malheureusement) passé tellement de temps à la maison cette année que le nombre de mes lectures BD a sensiblement augmenté. Au final pas loin de 250 albums sont passés entre mes mains. Comme d’habitude de l’inoubliable, de l’excellent, de l’anecdotique et du « bof, pas terrible ». Rapide état des lieux de mon bilan BD 2020 :


Le top du top













Ces coups de coeur dont je n'ai parlés











Du très bon manga









Quatuor de flops













Ces BD sorties cette année que je lirai sans faute l'an prochain

















Les tops des BD de l'année sont à retrouver chez Stephie








samedi 12 décembre 2020

Ce genre de petites choses - Claire Keegan

En Irlande, les blanchisseries de Magdalen étaient des institutions dans lesquelles furent enfermées des adolescentes et des jeunes femmes considérées comme des filles de petite vertu. Ces blanchisseries, tenues d’une main de fer par des sœurs autoritaires et brutales, étaient le royaume de l'arbitraire et de l'injustice, où l'on se tuait au travail, entre prières et humiliations. Administrées par l’église catholique et l’état irlandais, ces prisons qui n’en portaient pas le nom exploitèrent plus de 10 000 femmes jusqu’en 1996. Il fallut attendre 2013 et un rapport sénatorial de plus de 1000 pages pour que le gouvernement présente ses excuses pour les maltraitances causées, tout en refusant d’assumer les réparations financières demandées par les victimes.

De ce fait de société effarant Claire Keegan aurait pu faire un mélo dégoulinant de larmes et de douleur. Elle a préféré opter pour un conte de Noël aux accents Dicskensiens mettant en scène un brave homme au grand cœur. L’action se passe au cours de l’hiver 1985. Bill, petit patron d’un commerce de charbon, s’apprête à passer Noël en famille avec sa femme et ses trois filles. Au cours d’une livraison à la blanchisserie des Sœurs du Bon Pasteur, il découvre dans la cave de l’institution une jeune fille grelottant, pieds nus et en guenilles. Plutôt que de fermer les yeux et de rentrer chez lui auprès des siens pour le réveillon, il prend une décision risquant de lui coûter cher mais qui s’impose comme la seule issue possible.

Claire Keegan publie peu mais toujours à bon escient. Huit ans après l’excellent recueil de nouvelles A travers les champs bleus elle revient avec un court récit débordant d’humanité. Tout en délicatesse, elle dresse le portrait d’un homme sensible, magnanime, altruiste, se demandant, « à quoi bon être en vie si l’on ne s’entraide pas ». Un catholique pratiquant qui, en découvrant la condition des prisonnières du couvent, se projette sur ses propres filles, sur leur avenir, sur leur futur statut de femme dans un pays corseté par la religion.

Un très beau texte, à la fois âpre et plein de bonté, porté par une écriture ciselée, limpide, sans un mot de trop. Un petit bonheur de lecture à déguster bien au chaud sous un plaid, une tasse de thé à la main (enfin plutôt une tasse de café en ce qui me concerne parce que le thé, y a pas moyen !). 

Ce genre de petites choses de Claire Keegan (traduit de l’anglais par Jacqueline Odin). Sabine Wespieser éditeur, 2020. 120 pages. 15,00 euros.






mercredi 9 décembre 2020

A mains nues T1 : 1900-1921 - Leïla Slimani et Clément Oubrerie

Leïla Slimani et Clément Oubrerie, un joli duo pour décrire le parcours de Suzanne Noël, féministe et pionnière de la chirurgie plastique du début du 20ème siècle. Une femme au destin incroyable, née dans une famille de la petite bourgeoisie, mariée très jeune à un médecin parisien et qui, s’ennuyant dans son statut de notable, décide un jour de reprendre ses études. Après avoir obtenu le baccalauréat, elle se dirige vers la médecine et découvre les formidables possibilités de la chirurgie réparatrice, un domaine dont elle deviendra une spécialiste mondialement reconnue. 

Préférant sa carrière à son rôle d’épouse et de mère, elle refuse de renoncer à ses aspirations professionnelles, brisant le carcan patriarcal dans lequel « la bonne société » souhaiterait la voir rester. Femme libre, elle mène une double vie auprès d’un interne de la faculté de médecine sans la moindre culpabilité. Au cours de la première guerre mondiale, Suzanne Noël développe des protocoles révolutionnaires pour réparer les gueules cassées et pendant les années folles, elle va chercher à mettre en place des techniques de rajeunissement que l’on peut considérer comme les premiers liftings de l’histoire. Pour elle la chirurgie esthétique est une forme d’émancipation féminine, une possibilité de se sentir mieux dans son corps à une époque où se développe l’industrie de la mode et où apparaissent de nouveaux canons de beautés.  

Difficile de ne pas se montrer admiratif devant une telle force de caractère, une telle volonté d’indépendance et une telle confiance en soi. Ce premier tome peint une trajectoire aussi passionnante qu’impressionnante et offre l’occasion de découvrir une héroïne oubliée du 20ème siècle. La suite montrera, entre autres, son engagement dans le combat pour le droit de vote des femmes et plus généralement sa lutte pour l’amélioration de la condition féminine. Inutile de vous dire que j’attends cette suite avec impatience.

A mains nues T1 : 1900-1921 de Leïla Slimani et Clément Oubrerie. Les Arènes, 2020. 104 pages. 20,00 euros.   

 


Les BD de la semaine sont chez Noukette



mardi 8 décembre 2020

L’anguille - Valentine Goby

Hallis est trop gros, il le sait. Son obésité lui pèse, au propre comme au figuré. Non seulement il possède une bien piètre estime de lui-même mais en plus il doit supporter à longueur de journée les railleries de ses camarades. Alors quand on annonce l’arrivée dans sa classe d’une élève « différente », il se dit qu’il a une chance de ne plus être au centre de l’attention. 

De son côté Camille se doute qu’elle va attirer les regards. Elle sait qu’en débarquant en cours d’année dans son nouveau collège elle ne pourra pas se faire discrète. Impossible en effet de passer inaperçue dans un environnement où chacun de ses gestes est scruté dans le moindre détail. Née sans bras, Camille est une bête curieuse constamment sous le feu des regards. Il faut dire que tenir ses couverts avec les pieds à la cantine, jouer au tennis de table avec la raquette entre les dents et nager avec la seule force des jambes et du tronc, ça a de quoi surprendre.  

Camille et Hallis, Hallis et Camille. Deux ados différents qui voudraient ne plus être considérés en premier lieu en fonction de leur physique « atypique ». Deux ados qui vont se rapprocher l’un de l’autre, comme une évidence, pour devenir les meilleurs amis du monde. Un joli duo imaginé par Valentine Goby entre Hallis le timide habitué à se faire tout petit et Camille qui voudrait que chacun accepte sa particularité comme une normalité. Entre le taiseux et la solaire, la complémentarité fonctionne à merveille, sans jamais les inciter à se replier dans une forme d’entre-soi. Au contraire, c’est ensemble qu’ils vont s’ouvrir au monde, s’ouvrir aux autres et trouver une certaine forme d’épanouissement. 

Un texte positif, bienveillant, lumineux, servi par l’écriture délicate de Valentine Goby. Une lecture qui fait du bien, qui montre à quel point la différence peut être une force et à quel point il importe de lutter contre les stéréotypes.   

L’anguille de Valentine Goby. Thierry Magnier, 2020. 144 pages. 11,50 euros. A partir de 12 ans.



Une nouvelle pépite jeunesse partagée avec Noukette












mercredi 2 décembre 2020

Les ogres-dieux T4 : Première Née - Gatignol et Hubert

Ce quatrième et dernier tome de la série revient sur l’origine de la création du royaume des géants avec l’histoire de Bragante, surnommée Première-Née, fille ainée du Fondateur de la lignée des Ogres-Dieux. Ou comment ses premiers pas accompagnent l’avènement d’une dynastie cruelle, sans pitié pour les humains, étendant au fil des décennies son emprise sur un territoire toujours plus vaste en menant des guerres toujours plus meurtrières. 

Cloîtrée au gynécée comme toutes les filles et femmes du Fondateur, Première-Née prend rapidement en charge l’éducation de ses nombreux frères et sœurs. N’ayant pas la possibilité de sortir du château, elle s’évade grâce aux livres qu’elle accumule dans l’immense bibliothèque construite selon ses directives par un architecte de génie. Mariée de force à l’un de ses frères, les circonstances la porteront jusqu’au trône, où elle tentera de mettre en œuvre ses ambitions progressistes malgré les obstacles infranchissables se dressant devant elle.


À travers la vie de Bragante se dessine un destin de femme brisée par le patriarcat. les Ogres-Dieux, pataugeant dans leur ignorances crasse, ne sont bons qu’à violer, violenter et priver de liberté une gente féminine qu’ils ne considèrent que comme la génitrice de leurs futurs guerriers. Bragante l’érudite refuse ce statut, elle sait que la connaissance est la plus grande des forces, que le savoir est le seul moyen de faire prospérer un royaume sclérosé par un entre-soi où la consanguinité affaiblit la lignée et où le manque de contradicteurs enferme le roi dans des certitudes d’un autre temps.

Dernier tour de piste réussi pour les Ogres-Dieux du regretté Hubert dont la noirceur du scénario n’a d’égale que son incroyable richesse. Magnifié par les somptueux dessins de Gatignol, le récit se conclut sur la naissance de Petit, personnage central du premier tome de la série qui sera le détonateur de la chute du royaume. Une manière de boucler la boucle avec la finesse et l’élégance qui n’aura eu de cesse de traverser l’ensemble de cette saga à l’ambiance à la fois gothique et baroque. Totalement indispensable !

Les ogres-dieux T4 : Première Née de Gatignol et Hubert. Soleil, 2020. 160 pages. 26,00 euros.



Les BD de la semaine sont à retrouver chez Moka





mardi 24 novembre 2020

Les chroniques d’Hurluberland volume 3 - Olivier Ka

 

« Pas un jour sans qu’une nouvelle bizarrerie vienne perturber notre quotidien ! »

Voilà, tout est dit. À Hurluberland, rien ne se passe normalement. Les habitants se dédoublent, une baleine menteuse s’échoue sur la plage, une machine à écrire prédit l’avenir, un dromadaire rose à pois vert sort d’un rêve tandis qu’un oiseau invite au voyage. Le lecteur, quant à lui, se laisser emporter dans tourbillon où la surprise surgit à chaque coin de page. 

Toujours un bonheur de retourner faire un tour à Hurluberland, petit village perdu au fond d’un lointain royaume qui n’est pas sans rappeler celui des schtroumpfs. Comme chez les schtroumpfs, chacun possède un rôle bien spécifique, d’Hector Boulocarré le boulanger à Eugène Boitaclou le bricoleur en passant par Alphonse Sauçobeurre l’aubergiste et Casimir Lapatauge le paysan grognon. Comme chez les schtroumpfs, le chef du village prend les décisions importantes et si les querelles démarrent vite, elles se terminent toutes dans la bonne humeur et dans un esprit de réconciliation collégiale.

Depuis trois volumes, Olivier Ka déploie son imaginaire débridé avec une infinie malice. C’est loufoque, drôle, surprenant, poétique, et souvent non dénué d’une certaine morale. Dix histoires, dix bizarreries, dix moments d’évasion loin de la grisaille ambiante, il serait bête de s’en priver par les temps qui courent.

Les chroniques d’Hurluberland T3 d’Olivier Ka. Éditions du Rouergue, 2020. 168 pages. 9,90 euros. A partir de 8 ans


Une nouvelle pépite jeunesse partagée avec Noukette